À petits pas dans la brume d’une grotte aux courants d’airs assassins ; tu avances et tes mains tremblent à l’aveugle à mesure que tes souffles résonnent. Solitude glaçante que tu embrasses sans la craindre — il y a dans le silence serein de ces glaces immuables quelque chose de tendre et de familier. Les lumières jouent aux échecs sur les parois givrées, et même ton ombre semble s’effacer. Oméga a disparu… Te voilà apaisée, sauvée de ses griffes pour quelques instants volés.
Tu te préfères pourtant rarement seule plutôt que mal accompagnée…

Ton inspiration fébrile tremble et résonne ; le bruit des gouttes qui tombent des stalactites jusqu’au sol chantonne une mélodie cristalline. Jolis airs de mystique — tu as toujours trouvé à ces endroits un quelque chose d’un peu magique. Douce mélancolie… Tu te rappelles l’obscurité qui tranchait si fort avec la clarté dont tu ne saisis même pas les nuances.
Les arcs-en-ciel réfléchis te sont inconnus…
Toi, tu te nourris des nuances de gris. Tu leur inventes les couleurs que ces autres te racontent. Drôles d’histoires que des songes qu’on mène éveillée.
Il n’y a plus un bruit, et ton cœur lui tambourine une chamade insolente. Tu n’étais pourtant pas inquiète… Pourquoi donc la peur te manque-t-elle si fort qu’il faut que tu l’invoques ?
À petits pas, toujours, tu avances — tu t’es perdue seule de crainte de demander ta route à tes reflets. Imbécile heureuse ;
puisses-tu retrouver les allées jusqu’au grand jour avant la nuit.

Sifflement doux des courants d'airs qui font frémir ta peau et tes mains mal emmitoufflées, tu les enfonces dans les poches de ton blouson épais. Températures criminelles d'un mois de juillet qui touche à sa fin – pourtant les sommets et les givres éternels tu les connais par cœur parce qu'ils t'ont faite. Fille des neiges à la peau blafarde – grisaille qui se confond avec la lumière des glaces quand tu lèves ta main à hauteur de ces murs de gris et de blancs immaculés qui te brûlent la rétine.
Tes pas te guident au hasard et à l'infini – il y a au fond de toi cette certitude étrange que tu ne mourras pas ici. Parce qu'il n'est pas l'heure, parce qu'il n'est pas encore temps. Tu connais trop bien Oméga, et tu sais qu'il est trop tôt… Qu'elle veille sur toi de son regard mauvais, et qu'elle ne te laissera pas te perdre sans te ramener.
Condamnée, oui, mais le glas n'est pas encore prêt à sonner.

Alors, tu avances, tu avances parce que c'est toujours mieux que de reculer… Te perdre, tu connais. Tu sais que ça n'a rien d'une fatalité – qu'importent les jours passés à marcher dans l'obscurité, des bois on finit bien par atteindre l'orée. On retrouve le jour… Tu crains la nuit et son immensité, mais tu n'as pas peur des dédales d'allées qui se dessinent sous les lunes les plus insensées.
C'est ta façon à toi de jouer avec la vie – te perdre à répétition, jusqu'à ce que le jour te rappelle à ses côtés.
C'est ta façon à toi de donner du sens aux raisons qui s'en sont déshabillées.

La clarté du jour sur l'étendue de neige qui semble s'étirer à l'infini jusqu'au bord de l'horizon où terre et ciel se confondent te force à plisser tes paupières sur tes prunelles fragiles. Le jour est bien plus grand que lorsque tu es entrée – le soleil n'était pas encore tout à fait levé lorsque tes pas t'avaient conduite à te perdre dans le dédale des glaces inanimées. Le sourire étiré sur tes lèvres chante au silence ta victoire sur le labyrinthe auquel tu t'es délibérément offerte.
Comme un défi murmuré à la vie – comme une façon de prouver à ton cœur insolent que tu n'en as pas fini.

Dans ta poche, petite mélodie qui siffle gaiement – le réseau retrouvé, les notifications s'enchaînent pour te faire croire qu'au monde, t'aurais manqué. Bulles impersonnelles qui s'alignent – mails, commentaires sur tes réseaux sociaux, @achromatopics et nouveaux abonnés qui s'enchaînent. Drôle de monde où ceux qui s'envoûtent des couleurs du quotidien se surprennent à s'attendrir sur les beautés amoindrie de paysages en nuances de gris. Un message de ton frère, quelques un d'Oyaris ; la conversation des groupes de travaux s'emballe depuis près d'une heure sans toi.
Peut-être que le monde a continué de tourner même quand tu n'étais pas là pour donner la cadence, finalement.

La gorge nouée, le sourire indolent – tu verrouilles l'écran sans lire, enfonce tes mains dans tes poches et entame la longue marche qui te sépare encore de la ville où l'on t'attend.
Dans ton dos, la forme imprécise d'Oméga, balayée par le vent, t'observe. Impénétrable – le regard luisant.