Et si on partait en voyage?, souffle-t-il d’une voix doucement détachée.
Pour Mana’arii, Lumiris était le voyage de sa vie. Elle était la grande aventure, l’expérience nécessaire à l’homme pour s’épanouir.
Jusqu’à présent, le reste du continent ne l’avait jamais intéressé. Il était d’ordinaire très… « territorial » et peu enclin au changement. Les terres sur lesquelles il n’était pas né ne l’animaient pas de la moindre curiosité.
Avant que la colère ne le guide loin d’Alola et que l’immaturité brise la promesse qu’il s’était faite de ne jamais trahir les siens.

Enjambant une racine particulièrement massive, Mana’arii relève doucement son regard vers Ethan non loin de lui. Je veux dire… Il y a plein d’endroits à visiter, es-tu déjà seulement sorti de Lumiris? Qu’en savait-il réellement, au fond? Ethan était un ami cher, mais l’insulaire ne connaissait rien de sa vie avant que le froid de Windoria ne l’habite. Son passé était une toile vierge, une toile à gratter que l’insulaire n’avait toujours pas osé abîmé, comme s’il craignait que ses secrets, une fois révélés, lui plaisent moins que la version intouchée.
C’était ridicule, il le savait bien. Mais, comme tout être humain, Mana connaissait parfois des moments de faiblesse pendant lesquels ses craintes cessaient longuement de faire du sens. On pourrait aller à Kalos, qu’en penses-tu? Y parait qu’là-bas les gens y parlent comme ça frère. Éclat de rire modéré, comme s’il réalisait après coup l’absurdité de ses propos. Tu nous imagines à Illumis? on pourrait s’mêler avec la faune locale ce serait trop d’la balle.
Ok, il doit arrêter.

Se raclant la gorge, il donne alors un coup de pied dans une roche puis jette un regard vers Ako’Vatha non loin d’eux. Un sourire se ourle doucement à la commissure de ses lèvres, cette petite marche lui fait le plus grand bien. Dommage que la jungle, dans toute sa splendeur, se soit tenue aussi loin de Sunyra.
Kane l’aurait sans doute adorée… S’il avait encore été là pour en profiter.
Le chien électrique lui manquait. Énormément.
Lorsque Mana’arii était rentré en urgence à Alola, il avait  vraiment crû qu’il n’arriverait jamais à temps pour dire au revoir à son compagnon de toujours… Mais, au final, même leurs derniers instants n’avait pas suffit à effacer le sentiment de lâcheté qui le grugeait.
Avait-il bien fait en prenant la décision de le renvoyer là-bas, de le rendre aux champs qu’il aimait tant? Les choses se seraient-elles passées différemment, s’il avait décidé de le garder près de lui?

Les questions lui tournaient souvent dans la tête sans qu’il ne  trouve de réponse à leur offrir.

Qu’est-ce que t’en dis? C’est une vraie proposition.
Il revenait tout juste de son dernier voyage loin de Lumiris, mais une part de lui savait. Elle savait qu’avec Ethan à ses côtés, l’expérience ne se révélerait jamais deux fois sous le même jour.
Il s’imaginait, revenant de terres lointaines, la tête remplie de souvenirs et prêts à affronter la dure réalité qui les maintenaient normalement prisonniers.

Peut-être que, ensemble, ils se forgeraient un quotidien un peu moins difficile à supporter...

Parfois, Mana’arii se demandait s’il n’avait pas inventé de toutes pièces la version d’Ethan qu’il croyait connaître.
À ses yeux, le jeune homme était un pur produit de Lumiris : il s’encrait à Windoria comme nul n’en était capable, suintait et respirait littéralement le froid de la ville phénix... Mais peut-être n’était-ce pas autant le cas qu’il aurait aimé le croire.
Parler de « déception » n’aurait pas vraiment été juste. Mana ne rentrerait pas chez lui ce soir en remettant toute sa vie en question ou en se demandant comment il avait pu couvrir une telle naïveté. Non.
Apprendre que Ethan n’était pas né à Lumiris n’écourterait pas ses nuits ni n’hanterait ses pensées. Il… Il réalisait seulement qu’il s’était toujours imaginé les gens d’une certaine façon, qu’il avait toujours écrit les pages de leur histoire, et qu’il avait du mal à accepter que ses propres illusions puissent ne pas coïncider avec la réalité.

L’image qu’il se créait des gens lui était ridiculement sacrée…
… Et Il n’acceptait pas de se faire dire qu’elle était probablement erronée.

Y a rien à craindre : je serai là.
Il ne savait pas si c’était réellement rassurant ni si c’était un argument suffisant, mais lui-même caressait bien des peurs auxquelles celle de l’inconnu ne s’inscrivait pas. Tu sais que je parle couramment quatre langues ? Mensonge.
Mensonge que l’on ne pouvait deviner qu’à son petit air taquin, qu’à ses fossettes un peu trop appuyées.
Si, par chance, le wesh était considéré comme un véritable dialecte étranger, alors le grand total de langues pratiquées et comprises par l’insulaire s’élevait à… deux. Ou une et demi, avec un peu de pitié.

Quoi qu’il en soit, on était très loin du caractère polyglotte auquel il prétendait.

Bref.
Décidant de ne pas insister, il range l’argumentation dans un coin de sa tête. Il y reviendra. Forcément qu’il y reviendra : Mana’arii n’avait jamais véritablement voyagé. Jamais il n’avait connu l’excitation d’une semaine à l’abri de toutes obligations ou le plaisir des découvertes forgeant l’unicité des autres régions. Malheureusement, il n’était pas prêt à y aller seul.
Même s’il avait la quasi-certitude d’être accepté peu importe où il poserait les pieds, l’insulaire avait besoin de quelqu’un de confiance avec qui partager les souvenirs qu’il souhaitait immortaliser.
Il ne voulait pas être seul pour se remémorer. Ça ne l’intéressait pas.

Tu veux les faire marcher devant nous? Comme ça, on pourra un peu mieux garder un œil sur eux…, demande-t-il d’une voix rassurante.
Il s’était toujours convaincu que les pokémons d’Ethan étaient sa plus grande priorité… Mais ça aussi, l’avait-il imaginé? Déglutissant, il ramène doucement l’ambre de ses yeux sur le chemin à peine tracé devant eux.
Peut-être aurait-il pu choisir un sentier un peu plus évident…

Heureusement, Ako’Vatha n’avait jamais eu mauvais caractère. Parfois, face à l’improbable, Mana’arii osait même se demander si quelque chose l’avait déjà dérangé ou si, encore une fois, il était au-dessus de tout ça.
Malgré les semaines qui s’égrenaient, il avait toujours ce drôle de sentiment de ne pas le connaître suffisamment pour pouvoir se prononcer. Viendrait-il un jour où leur relation s’émanciperait de l’attente qui les unissait…?

D’un coup de tête rythmé par la douceur, le galvantula aide l’audino à se remettre sur pied puis garde sur lui un regard protecteur, prêt à intervenir si une racine devait à nouveau se présenter comme un ennemi insurmontable à ses pieds.
Chose certaine, la mygale n’avait jamais été malintentionnée.

Mais sinon, wesh, frère t’inquiètes en vrai. Ç’arrive à tout le monde d’être un peu relou., petite piqure de rappel devant laquelle Mana’arii peine à gardere son sérieux.
Pinçant orgueilleusement les lèvres, il tente de s’empêcher de pouffer… Mais tout le ramène à une vérité qu’il n’est pas en état de nier : il est son plus grand fan.
Ok, en vrai, j’insisterai pas… Si tu veux pas, c’est pas plus grave que ça. Un peu, mais il ne le verbaliserait pas. Mais y a tellement de trucs à découvrir une fois sorti d’ici… Lumiris n’est pas le centre du monde, tu sais ? C'est important de multiplier les expériences.

N’était-ce pas tout ce dont avait besoin un futur champion d’arène ?

Mana’arii aimait brusquer le confort des habitudes, la sécurité des situations auxquelles on était un peu trop accoutumé…
Il savait parfaitement que tout le monde n’était pas à l’aise de voir son quotidien être renversé, mais avec Ethan comme avec Damien, il ne pouvait s’en empêcher. Il les appréciait un peu trop pour les imaginer à quatre-vingts ans, confinés depuis des décennies aux possibilités d’un environnement demeuré inchangé et sans la moindre aventure à raconter à leurs suivants.

Même s’ils ne l’admettraient jamais, la peur des gens avait parfois besoin d’être stimulée pour donner un peu de terrain à la confiance…
Et Mana était là pour ça : pour les aider à aller de l’avant.
(On n’évoluait pas dans la crainte anxiogène de ce qui était étranger à cette bulle de confort si jalousement préservée.)

En l’entendant mentionner Alola, toutefois, l’insulaire ne peut empêcher un frisson traitre de lui traverser l’échine.
Doucement, il enfonce sa tête entre ses deux épaules comme s’il pouvait ainsi se soustraire au regard de son ami.

« Je te suis à Kalos si tu me promets de me faire visiter Alola un jour. »

Ce n’était pas une promesse qu’il avait envie de faire… Mais la proposition n’était-elle pas légitime? À une époque, Mana lui aurait parlé d’Alola pendant des heures. Sans la moindre gêne, il lui aurait décrit avec précision l’éclat des rayons de soleil lorsqu’ils se reflétaient sur la mer, couvrant l’horizon d’une teinte orangée que les yeux ne savaient oublier.
Il lui aurait parlé des malasadas, véritables spécialités de la région, au goût juste assez doux et sucré pour ne pas tomber dans l’estomac ou lever les cœurs trop fragiles.

Oui. Mana’arii aurait aimé lui parler d’Alola, de son chez soi… Mais il n’était pas prêt. Pas prêt à affronter les souvenirs qu’elle gardait jalousement en son sein ni les blessures qui recouvraient son cœur si lourdement atteint.

Mais Ethan n’avait pas à payer pour ça.

Tu es un fin négociateur, Ethan Thetford…, rigole-t-il doucement.
Arrêtant momentanément sa progression dans la jungle, l’insulaire se retourne pour faire face à son ami. Son visage brille d’une candeur qu’on lui connait bien, d’une simplicité qui ne trouve pendant que dans son regard inaltéré.
Mana’arii est heureux. Sans égard pour les épreuves qui l’ont fait souffrir, pour les larmes qui ont étouffé ses traits solaires… Il en a toujours été.
Dans le froid de Windoria ou dans l’hostilité d’une Voltapolis souffrante des crimes qui l’avaient enterrée, il n’avait jamais cessé de sourire. (Ni de râler)

C’était le seul bouclier qu’il était capable de dresser contre les horreurs qui éraflaient la douceur d’un monde malaimé…

D’accord, j’accepte. Je te promets d’être le meilleur guide dont tu aurais pu rêver… Je te promets de te faire découvrir mon univers, les terres dont je suis originaire…
Ta réalité n’a rien à m’envier, mais je peux te montrer mon château de cartes écroulé et la poussière qui a trop souvent recouvert mes genoux éraflés.
Et puis… Qui sait ? Promesse du petit doigt., promesse inébranlable gravée par la pureté de l’enfance envolée.

Refermant ses doigts, Mana tend le petit.
Son regard s’ancre à celui d’Ethan et le léger froncement de sourcils qui déforme la paix qui traversait ses traits trahit la crainte infime qu’il décide de ne pas le faire…
De ne pas oser.

Tu ne peux plus te dégonfler désormais. T’en fais pas, l’itinéraire sera digne de la plus grande agence touristique de Kalos.

Mana’arii, lui, ne regretterait rien.
Tant qu’il serait avec Ethan, tant qu’il pourrait lui partager l’excitation qui traversait ses veines… Il continuerait de vouloir et d’apprécier chaque seconde de ce voyage autant qu’il le pourrait.
Parfois, la simple présence des gens suffisait à transformer la face de ce que l’on croyait versé dans la négativité – des peurs illogique d’une vie sédentaire que l’on s’amusait à bouleverser.

Tu peux compter sur moi., confirme-t-il d’une voix sereine alors que ses yeux épousent la forme de son petit doigt accroché au sien.

Il était heureux.
Heureux que son ami affronte ses propres démons pour lui, pour la réalisation de ses caprices enfantins… Mana n’était pas déconnecté de la réalité. Il savait à quel point il était difficile de changer des habitudes, d’aller au-devant des peurs qui nous retournaient les tripes. Lui-même s’était plus d’une fois retourné face aux montagnes trop hautes et aux obstacles infranchissables. Même s’il ne s’en vantait pas, même s’il aimait que l’on garde de lui une image lisse et irréprochable – l’image de celui que rien n’arrête –, la réalité et les failles qui brisaient l’illusion n’étaient pas négligeables.
Seulement, seul le silence accueillait les doutes et les craintes qui, face au gouffre étoilé, grugeaient ses sommeils instables.

Reprenant la route à son tour, l’Ehu-kai accueille la question d’Ethan d’une oreille attentive. Pendant un instant, il hésite.
Il hésite entre son cœur qui le supplie de repousser Alola et son immuable désir de faire passer le bonheur des autres avant le sien… Lui-même savait : s’il n’avait pas été question de Kane, des souvenirs qui couvraient désormais ses terres d’un sombre linceul, il n’aurait jamais calculé Kalos aussi sérieusement.
Mais les mémoires qu’il lui reste de là-bas lui sont beaucoup moins douces dorénavant et… Mais je viens tout juste de revenir d’Alola !, rigole-t-il.
Il venait d’y passer trois mois. Trois mois pendant lesquels il s’était longuement questionné sur son attachement pour Lumiris, sur la nécessité d’y remettre les pieds… Après tout, maintenant qu’il était de retour dans sa région natale, au nom de quelle réalité devrait-il revenir là où sa colère l’avait porté?
Malheureusement pour lui, les raisons n’avaient pas manquées.
Elles portaient les noms de Damien, de Ethan et le visage des souvenirs qui le liaient à ceux qui avaient rendus son passage dans l’archipel mémorable.

Je vote Kalos! Mais promis je n’oublie pas pour Alola. Et quand Mana promettait, il ne trahissait – presque – jamais sa parole.
Relevant légèrement son regard vers le ciel en fronçant les sourcils d’un air concentré, il laisse ses doigts se replier tour  à tour sur eux-mêmes, comme s’il comptait quelque chose. Vrendredi, ça te va? Je peux même apporter des snacks si tu veux. Il était de ceux qui entendaient ce qu’ils voulaient entendre.
De ceux pour qui « viens chez moi » signifiait nécessairement « On va parler jusqu’à pas d’heures devant un film à se raconter tous les derniers potins de la semaine ». Le mot « organiser » était, au final, assez secondaire à son petit bonheur. Mais il n’oublierait pas.
Ce voyage comptait pour lui. Et s’il avait la possibilité d’y placer un maximum d’activités – visiter le palais de Chaydeuvre! –, il n’allait certainement pas s’en priver.

Il va très bien., confirme-t-il d’une voix rassurante lorsque le sujet de Mitaine est caressé.
Il sait à quel point se séparer de l’un de ses pokémons, même lorsque la relation n’est pas eu beau fixe, est une énorme épreuve.
La crainte de le laisser entre de mauvaises mains, de regretter son choix, de nourrir l’échec… Mana’arii, avec le départ de Kane, avait tout connu. Et la culpabilité le gangrenait encore plus maintenant qu’auparavant. J’habite un petit studio, mais ça lui laisse tout juste assez de place pour se balader librement… Il coule des jours heureux et il dort avec moi la nuit. C’est quand même un peu plus sympa que Ako’Vatha., rigole-t-il doucement en regardant la mygale et l’audino juste devant eux.
L’insulaire adorait Ako’, de tout son cœur, mais ce n’était pas nécessairement le compagnon de vie idéal… Même si, à défaut d’avoir une pokéball, ils étaient toujours ensemble et que le lien était fort, Mana’arii ne se voyait pas partager son lit avec une énorme araignée.

Lui-même possédait des limites à ne pas repousser.

Tu passeras chez moi un de ces jours, si tu veux. Ça te permettra de le revoir…

Ça lui convenait.
En hiver, le souvenir de Kane se serait peut-être un peu estompé et… Si jamais ce n’était pas le cas, alors peut-être que la douleur aurait au moins cessé de le tourmenter.

On ne connaît pas le froid à Alola…, répond-t-il d’une voix légère, Le seul endroit où il y a de la neige, c’est au Mont Lanakila où la ligue s’est installée.
C’est la raison pour laquelle Windoria lui était aussi hostile et insupportable. La citée de givre était la véritable Némésis de sa terre natale, en tout point opposée aux plages de sable fin et aux courants d’air chauds.
Il ne comprenait pas quel plaisir l’on pouvait tirer du froid mordant sur sa peau ni aux piqûres gelées l’agressant lors des brouillards hivernaux…

Et ce n’était pas à défaut d’avoir tout essayé pour accommoder ce corps d’une si grande fragilité.
– Rien à faire. Mana’arii était sensible à la moindre chute de température et il le resterait.

Tant qu’il avait un pull pour se protéger, pour se couvrir lorsque même le facteur humidex explosait les moyennes saisonnières… Alors, quelque part, ça devrait aller.

Pas comme pour Mitaine, dont l’évocation lui rappelait celui que lui-même avait eu l’audace de perdre et d’abandonner… La présence du chaton dans son petit appartement était-elle sa punition ou son pardon?
Oui, ce l’est..., confirme-t-il d’une voix nostalgique, Mais tu peux dormir l’esprit en paix : Mihz… Mitaine est entre bonnes mains. Il ne lui arrivera rien., voix étouffée par la formulation de cette décision qu’il n’a toujours pas eu l’audace d’assumer.

Évitant soigneusement le regard de son ami, Mana s’arrête non loin de lui sans pour autant repousser les limites de sa bravoure.
Doucement, il s’accote sur un tronc contre lequel il se laisse nonchalamment choir jusqu’à s’asseoir à son pied, à même le sol. Au moins, de cette manière, il est certain de ne pas croiser ces yeux qu’il n’a pas le courage d’affronter.
– qu’il n’aura sans doute jamais la force de supporter.
Heureusement la conversation ne tarde pas à s’orienter vers de nouveaux horizons beaucoup moins glissants, victime de ces maladresses aux mots manquants.

Oh!, s’exclame-t-il d’une voix agréablement surprise.
Retournant tout juste assez ses prunelles ambrées vers Ethan pour témoigner de sa présence sans prendre le risque de croiser les siennes, il laisse un sourire fendre son visage aux mimiques un peu trop austères. Je ne savais pas non! Ça fait plaisir à entendre. L’insulaire n’avait jamais douté de ses chances de réussite.
Il savait à quel point Ethan était investi, à quel point ses études étaient importantes à ses yeux… L’attentat avait bouleversé beaucoup trop de vies, avait séquestré beaucoup trop d’esprits, mais le jeune homme s’était toujours montré plus déterminé que les autres à ne pas se laisser écraser par le poids des traumatismes et des cicatrices qui zébreraient éternellement la surface de son cœur condamné.

Pour ça, Mana’arii l’admirait autant qu’il l’appréciait.
Ethan était un combattant… Et même s’il ne le réalisait peut-être pas, il avait terrassé de ses mains nues son adversaire le plus imposant.

Mais… Du coup, comment ça va se présenter pour toi à la rentrée?, s’informe-t-il en penchant légèrement la tête.Tu es toujours engagé dans le refuge de Lys, non? Aurait-il temps de concilier les deux?
Mais, au fond, ne le faisait-il pas déjà? Est-ce que ce sera un cursus à temps plein?, c’était plutôt ça, la question. Tu penses que ça ira… médicalement parlant? Je sais que ça fait plus d’un an, mais... Trop d’interrogations dont il ne réalisait même pas l’intrusion.

Où était passé le respect de la vie privée?

S’arrêtant brusquement, Mana’arii pouffe légèrement en passant ses doigts entre ses boucles brunes. Pardon, je ne sais pas ce qui m’a pris.
Il s’était emporté, mais ce n’était certainement pas à Ethan d’en assumer les conséquences. Tu n’es pas obligé de répondre. Je suis simplement content pour toi.

Peut-être accordait-il trop d’importance aux détails…
À ses yeux, le surnom d’un Pokémon constituait une part de son identité, une trace de son histoire… C’était la seule chose qui, de la naissance à son déclin, le définirait éternellement.
Il représentait le lien l’unissant à son dresseur, le souvenir du moment où, partageant une confiance mutuelle, ils s’étaient offerts l’éternité.
Pour Mana’arii, ce n’était pas un vulgaire terme sans profondeur : ce n’était pas quelque chose qui se changeait, se modulait, se transformait. Lui-même ne se voyait pas s’appeler Benjapaul du jour au lendemain.

Alors pourquoi avait-il renommé Mitaine?
La réponse se lisait entre les lignes de la question. En le prenant sous son aile, il avait espéré construire quelque chose avec le chaton, une alliance qui, selon toute vraisemblance, ne se remplacerait pas.
À ses yeux, rien n’était plus essentiel que l’unicité de chaque nouvelle relation…

Mais était-il prêt à l’expliquer à Ethan? Ethan pour qui tout ceci ne revêtait, au final, qu’assez peu d’importance.

Rigolant doucement, Mana’arii hausse les épaules devant la réponse du jeune homme à sa propre déferlante de questions. Il ne savait pas s’il s’inquiétait vraiment ou si ses interrogations n’étaient pas plus le fruit d’une indéniable curiosité : Comment? Comment ferait-il pour y arriver?
Comment pourrait-il concilier études, travail et ambitions alors que lui-même peinait à se dégager un peu de temps pour exister? – Bien que, soyons francs, le problème venait surtout sa terrible gestion de temps.

Je ne sais vraiment pas comment tu fais..., soupire-t-il avec amusement.
Aux yeux de l’insulaire, chacun gérait sa vie comme il l’entendait… Mais à quoi servait-elle si, accablé par les responsabilités, on était justement trop occupé pour en profiter? Il avait toujours été un grand angoissé, paralysé face à l’avenir qui se dessinait et se précisait sans cesse sous son regard effaré.
Tétanisé par l’idée de suivre les traces de ses parents, les priorités s’étaient toujours résumées de la même façon : la stabilité et l’absence de responsabilités.
Il rêvait d’une vie simple et sans tracas, d’une vie dans laquelle il n’embrigaderait aucune autre âme susceptible de le faire répéter les mêmes erreurs que celles qui avaient condamné l’égoïsme de ses géniteurs. Était-ce pour cette raison que, au final, l’engagement lui était aussi effrayant?

Pour laquelle se lancer, s’attacher, dans quelque domaine que ce soit le terrifiait tant?

Je sais déjà que tu vas gérer, donc essaie juste de ne pas trop nous faire d’ombre, à nous pauvres mortels., rigole-t-il avec amusement.
Ethan allait tous les enterrer. Mana le savait déjà.
Ce mec était intuable, ne reculait devant rien et donnait bien plus que ce qu’il possédait… Il ne pourrait jamais le comprendre, mais sa vaillance leur survivrait tous. … Mihzuu'Yo. Ça signifie « Celui qui ne connaît pas le froid » de là d’où je viens.
Peut-être y verrait-il une forme de provocation, mais il n’en était rien. Aux yeux de Mana’arii, le surnom d’un pokémon était sacré… Peut-être n’était-ce pas le cas pour tout le monde.
Mais il avait ressenti le besoin de raffiner sa relation avec le pokémon, de marquer le passage de sa vie d’avant à celle qu’ils partageaient dorénavant.

Auprès de Mana’arii, Mihzuu ne connaîtrait plus jamais le froid qui avait si longuement qualifié son existence…

Pas trop moche à ton goût, j’espère?

Et si jamais c’était le cas, que ferait-il?
Mana’arii ne pouvait pas renommer Mizhuu’Yo d’un simple claquement de doigts… Cela faisait désormais six mois que le Pokémon était à ses côtés, qu’ils partageaient le même quotidien.
Quand il avait quitté Lumiris pour Alola, pour retourner auprès de Kane, le litten l’avait suivi et c’est dans son pelage que l’insulaire avait étouffé ses larmes.
Si Ethan venait à refuser le changement, à s’opposer à la signification que prenaient ces lettres, quelle alternative lui restereait-il?

Aucune.
Pas après six mois sous le même toit.

Mana n’était pas nerveux pour autant. Un peu inquiet, sans aucun doute, mais pas ennuyé par le poids du jugement qui l’attendait. Après tout, le surnom de Mitaine n’avait jamais eu de réelle signification aux yeux de son propriétaire d’antan…
Alors qu’est-ce que ça pouvait bien changer, dans sa vie à lui?
Il était trop tard pour faire marche arrière. C’était avec lui comme avec Ako’Vatha dont le lien – toujours timide – était peu à peu devenu essentiel à ses yeux.
Si, demain, le centre Pokémon venait à appeler, si on lui annonçait que son ancienne dresseuse souhaitait se le réapproprier… Pourrait-il accepter? Après tout, ce n’était pas sa faute si le galvantula était rendu à ses côtés. Elle n’avait rien demandé ou souhaité. Même s’il ne possédait pas les détails de son hospitalisation, Mana’arii était toutefois certain d’une chose : on ne demandait pas à rester là-bas.

Même lorsque son passage ne relevait pas d’un accident ou d’une infortune… On ne s’y attardait jamais par choix.

Si elle y était coincée, retenue contre son gré, alors de quel droit pouvait-il la priver de son Pokémon? De son protégé? Parfois, il avait peur de s’attacher à ce qu’on avait le pouvoir de lui arracher.
Peur d’aimer ce qu’il était en droit de perdre, peur de ne pas être assez pour garder à ses côtés ce pourquoi il était prêt à se damner…

Était-ce la raison pour laquelle il n’osait pas relancer Damien? Pour laquelle il rêvait consciemment d’une douceur à laquelle il n’osait pas s’abandonner?
Il lui avait promis de toujours être à ses côtés, de ne jamais se laisser décourager par les éclats qui finiraient tôt ou tard par les rythmer… Il n’avait pas fuit.
Jamais il ne le ferait.
Mais il repoussait l’inévitable, entretenait le non-dit des promesses qui effleuraient ses lèvres chaque fois qu’ils étaient dans la même pièce. Pendant les trois mois qu’il avait passé à Alola, Mana’arii s’était beaucoup questionné sur l’intensité du lien qu’ils partageaient. Les questions et les craintes l’avaient plus d’une fois gardé éveillé sous le couvert des nuit étoilées. Les réponses l’avaient effrayé.
Depuis son retour, il n’avait pas osé le revoir. Il n’avait pas eu le courage d’affronter les sentiments qui le dévoraient et pour lesquels il pourrait aveuglément tout plaquer. Il se terrifiait – à tant vouloir et à ne jamais oser…

Mais. Mais.
M a i s.

Il s’était inventé mille raisons de fuir, de tourner les talons.
Mais aucune ne parvenait à lui faire oublier les réalités que, ensemble, ils pourraient caresser et sans lesquelles il se sentait peu à peu flétrir.