Emon Kokeya. Un nom qui représente un si lourd fardeau à mes yeux. Une responsabilité que je n'ai pas choisi. Un mode de vie imposé, une voie toute tracée. Celle du silence.

Si la parole est d'argent, le silence est d'or.

Grand Père avait accroché une calligraphie qui reprenait cet adage au dessus de sa maison. Les Kokeya étaient connus pour leur sens de la discrétion inégalée. Capable de se fondre dans la tapisserie. Cette capacité de camouflage provient de notre métier, qui nous enseigne un art de vivre : celui de majordome. Depuis des générations, notre famille accompagne les grands de ce monde. Nobles, princes, rois... Nous les avons toujours servi, sans le moindre accroc. Notre réputation provient de cette discrétion sans faille que nous appliquons à toutes les situations.

J'étais moi-même voué à devenir majordome, mais une erreur, une remarque, m'éloigna brutalement du clan des Kokeya.

Père servait dans une imposante demeure dans la ville de Nénucrique. Le propriétaire du domaine s'était marié à une jeune femme, qui venait tout juste d'arriver de Kanto. La maîtresse des lieux était une femme douce et désireuse de fonder une famille au même titre que son mari.

Père était le majordome de la maison et avait décidé, alors que je n'avais que 8 ans, de m'enseigner cette voie qui serait bientôt la mienne. Mère s'opposa à l'idée : j'étais bien trop jeune et bien trop gauche pour servir dans de telles conditions. Grand Père et Père ne prirent pas en consideration les avertissements de Mère. Elle n'était qu'une femme après tout, que pouvait-elle savoir de la destinée des Kokeya. Les femmes n'accèdent et d'accèderont jamais au poste de Majordome. Elles ne seront que gouvernante, tout au plus. Alors que moi...

Moi, j'étais promis à un grand avenir. Il pensait déjà m'envoyer à Lumiris servir les plus grand et pourquoi pas la famille du Doyen. Mais il fallait pour cela que mes aptitudes soient à la hauteur de ses espérances, que mon apprentissage débute le plus tôt possible afin de m'imprégner de cette condition qui était la mienne.
Voila comment à 8 ans, je me retrouvais à servir au sein de cette grande bâtisse. Père m'enseigna les bases de notre métier, l'entretien de la maison, la communication avec la famille, l'ordonnance hiérarchique de chacun des membres du personnel... Absolument tout était passé en revue. Rien n'était laissé au hasard.
Père m'avait également formé aux métiers d'armes : maîtrisant le sabre et l'arc mais aussi les techniques de défenses et d'attaques, je devais être capable de pouvoir défendre mon maître et ma maîtresse en toutes circonstances.
Pendant quatre ans, quatre longues années d'apprentissage, j'avais appris à maîtriser mes émotions, à contrôles mes sentiments mais surtout à tenir ma langue. J'étais devenu un garçon extrêmement silencieux et calme. Je me fondais au décor, devenait une partie intégrante de ce dernier.
Néanmoins j'étais jeune et malgré tout, je restais un être sensible, non exempt de faiblesses et de défauts. J'ai vacillé une seule et unique fois, j'ai flanché répondant aux appels de détresse que me lançait mon cœur, au détriment des avertissements de ma raison.

J'avais 12 ans. Cela faisait 4 ans, j'étais en apprentissage. La maîtresse des lieux n'avait pas encore d'enfants et s'était attachée à moi. L'inverse était aussi vrai. Je m'étais attaché à elle. Loin de ma mère, loin de chez moi, pendant plusieurs années, m'avaient rapproché de cette figure féminine, qui faisait office de grande soeur. Elle était douce et patiente avec moi, là où Père était intransigeant et sec. Mais cet enfant qui ne voulait pas arriver la faisait terriblement souffrir.
Elle voulait un enfant, et son époux encore plus. C'est comme ça que les brimades ont commencé. Son mari était devenu agressif et mauvais avec elle. Des menaces, des insultes, il la rabaissait constamment. Père m'avait interdit d'intervenir. Nous avions pour ordre de nous taire, de nous fondre dans le décor, de devenir complètement invisibles. Néanmoins cette situation devenait de moins en moins supportable.

Ce fut la fois de trop. Le maître des lieux s'était mis à crier sur son épouse :
- Tu es complètement inutile, incapable de concevoir un enfant. Pourquoi m'as-tu cacher ta stérilité avant notre mariage ? Penses-tu une seule seconde, que je t'aurais épouser ? Une femme infertile ne m'est d'aucune utilité !
La femme ne pouvait plus le supporter :
- Si... le problème, ne venait pas de moi ? Souffla-t-elle.
La gifle siffla la fit vaciller, et elle s'écroula au sol.
- Comment oses-tu...
La fureur défigurait son visage. Il avait dans ses yeux une lueur de folie. Allait-il se jeter sur elle... et peut être... la tuer ? Pris de panique, je lui criais :
- Maître ! Reprenez-vous !
Se rendant compte de ma présence et qu'ils n'étaient pas seuls, il tourna les talons et sortit de la pièce en claquant la porte.
J'accourais pour relever ma maîtresse.

Un gifle vola me faisant siffler les oreilles.
Père était furieux. Le maître lui avait raconté comment j'étais intervenu et lui demandait que je quitte sa demeure.
- Tu a sali la réputation de notre famille, son honneur ! Tu me déçois terriblement Fils, tout ce que je t'avais enseigné, parti en fumée !
- Mais...
- Il n'y a pas de mais ! Tu n'es qu'une calamité, incapable de tenir ta langue ! Tu n'est pas digne d'être un Kokeya, tu n'es qu'un désastre pour notre famille !

Ces mots avaient briser ce jeune adolescent que j'étais. J'avais quitté la maison du maitre et je devais retourner vivre chez nous, à Lavanville. La colère de Grand père allait être pire que celle de Père.
Je pris donc la route pour rejoindre ma ville natale. Triste, apeuré, angoissé... les mots de Père raisonnaient encore en moi.
Il faisait déjà presque nuit et j'arrivais près de la Grotte du Zénith.
C'est là que je l'ai vu. Au sommet de la Grotte dans la lumière du soleil qui se couche, un Absol. Grand, blanc, majestueux. Le Pokémon que l'on surnommait le Pokémon Désastre. Mais je sais que ce Pokémon n'a rien avoir avec les catastrophes. Il veut juste prévenir les humains. Ces derniers ne l'écoutent pas et au contraire le prennent pour responsable de leur malheur. Tout comme moi.
Je souris tristement et l'Absol sentant ma présence, descend de son promontoire habilement et vient me rejoindre.
Il me regarde dans les yeux et je comprend que nous ressentons la même chose. Voilà pourquoi, Absol ne sort pas de son territoire. Il a décidé de se faire le plus discret possible pour ne pas subir la folie des hommes. Et ce que j'allais faire également. Me taire. Être discret. Devenir solitaire. Je ne voulais pas subir encore une fois cette humiliation. Je saluais Absol d'un signe de tête prêt à reprendre ma route quand je m'aperçu qu'il me suivait. C'était donc ainsi que j'obtiens mon premier pokemon, Silent.

J'arrivais à Lavanville et comme prévu, Grand Père était furieux et me rossa encore plus violemment que Père. Mais je ne dis rien. Qu'avais-je à lui répondre ?
Mes anciens amis me bombardaient de questions sur Silent. La encore j'étais silencieux. Je ne parlais à plus personne sauf à mon Absol et à elle.
Hitei.
Hitei n'était pas comme les autres. Elle était aussi silencieuse, dans son monde. Les gens avaient du mal à la comprendre. Mais Silent, et moi aussi je pense, avions pressenti chez elle ce calme et cette sérénité absents chez les autres.
Ensemble nous avons grandi, mûri. J'ai assisté à la capture de Beauty, sa Barpau, et ai perçu chez Hitei ses convictions et sa détermination.
Alors tout doucement, je me suis ouvert à elle, et à son contact, je me suis rendu compte qu'en réalité ce que je souhaitais ce n'était pas servir les hommes, c'était aider les Pokémons. Oui, je voulais les soigner, les élever, les voir grandir, évoluer... En d'autres termes, je voulais devenir soigneur, et Hitei m'a toujours soutenue. Malgré tout une part de moi, celle des Kokeya subsistait et je poursuivais mes entraînements de Kendo et Kyudo durant 15 ans, faisait de moi en maître de ses disciplines et parfaitement apte de défendre qui que ce soit. Les capacités de Soin de Silence me sont très utiles pour remettre de ses entraînements plus que éreintant.
J'aurais voulu rester avec elle le plus longtemps possible... mais sa situation familiale s'est vite dégradée avec son père incarcéré et sa mère mise à la porte. A mon tour j'ai continué de la soutenir et de l'aider. Même si je reste encore très silencieux avec les autres, Hitei me pousse à m'ouvrir davantage à ce monde.
Puis un jour, petit oiseau a quitté son nid. Hitei avait pris la direction de Lumiris, ce pays qui faisait les idées de grandeur de Père. Je ne me sentais pas d'y aller, malgré les demandes de Hitei.
Si Père et Grand-père avaient fait de moi un paria, me jugeant comme un bon à rien, il en était autrement de Mère.
Elle était encore la seule à trouver en moi une raison de m'aimer. Personne n'était au courant de la raison de mon départ de la maison du maître. Ni Père qui n'avait entendu que la version du propriétaire, ni Mère qui ne cherchait pas à le savoir. Mais en dépit de tout, je sentais qu'elle attendait de moi que je restaure cette réputation brisée, que je prouve aux mâles de cette famille, que je n'étais pas ce bon à rien qu'ils décrivaient. Alors je lui promis. Je lui promis de faire de mon mieux. Mais surtout d'aller de l'avant et vers les autres.
Des promesses tellement lourdes, qui me semblaient à la limite de l'irréalisable. Mais si ELLE était là tout serait plus simple. Tout irait beaucoup mieux avec Hitei à mes côtés.
J'ai donc décidé de rejoindre Hitei à Lumiris, à la recherche d'une façon d'améliorer qui j'étais.