Description du forum et du personnage:

Le vocabulaire que j'ai dû aller chercher...:

J’ai préféré ne pas justifier mon voyage en mer. Pour mes proches, j’ai besoin de temps seul, reclus, c’est amplement suffisant. La vérité derrière tout cela, c’est que mon âme se déchire chaque seconde un peu plus de ne pas avoir pu lui dire au revoir. On m’a crucifié, ce soir-là. C’est un pieu qu’on a enfoncé droit dans mon cœur, qui m’a blessé au plus profond de mon être. J’ai cherché tout ce qui pouvait me rapprocher d’elle, tout. Un agnostique qui en vient à fouiller des textes religieux, guettant la trace de toute légende pouvant lui permettre de dire adieu à sa mère, quitte à se perdre dans des recueils apocryphes. N’est-ce pas ridicule, de ne se rattacher à ces croyances que par désespoir ? Ne suis-je pas ridicule, à me lancer dans cette quête vide de tout réalisme ? Il ne s’agit pourtant que d’un aveu à lui confesser. Loin de moi les pensées hérétiques de la ressusciter, de la tirer du quelconque paradis – ou enfer – où elle se serait rendue. Le destin est scellé, j’en ai conscience, et je ne tiens pas à jouer avec l’équilibre cosmique. Mais, dans la logique, ne faudrait-il pas un cœur pur, exempt de tout péché pour rencontrer l’entité divine que je recherche ? Si mon action n’est mue que par un désir égoïste, n’est-elle pas originellement vouée à l’échec ?

« Tu as un cœur pur, Nessa. En tout cas, je compte les auras irradiant d’une telle bonté sincère que j’ai rencontrées sur les doigts d’une patte. »

Spyros. Forcément. J’ai dit être parti seul, mais nous sommes indissociables l’un de l’autre, en parfaite communion, comme le suggère le lien télépathique que nous partageons. Il sait ma peine, il la ressent.

« Je sais ce que tu penses. Je ne te dis ça ni par adoration, ni par dévotion, et tu le sais. Ton côté miséricordieux, à accorder l’aumône au premier venu, ça me dépasse. Je ne comprends pas. Tu es une sorte de bon samaritain sans t’en rendre compte tellement c’est spontané. »

« Et pourtant, je cherche Tokopisco pour un vœu égoïste. »

Je clos l’échange, et Spyros comprend qu’il ne doit pas tenter le diable pour me prêcher sa bonne parole. Mes intentions sont troubles, j’en ai conscience, mais j’imagine sans mal les regrets que j’aurais si jamais je ne tentais pas ma chance. Cela ne va pas plus loin. Et c’est pourquoi nous continuons de voguer autour de l’ïle de Poni dans l’espoir chimérique d’une manifestation providentielle. Nous nous sommes d’abord rendus, Spyros et moi, au temple érigé pour le culte de Tokopisco. Des locaux nous ont éclairés sur les pratiques pas forcément vulgates, sur les offrandes faites au pokémon tutélaire, sur certains détails du folklore particulièrement intéressants dont nous n’avions pas connaissance. Les témoignages que j’ai entendus me conduisent à y croire d’autant plus. Il faut dire que mon esprit n’est plus aussi enclin au rationalisme qu’avant. De part ce que j’ai ressenti quand la nouvelle m’est tombée dessus. Je me suis senti délaissé, comme si quelqu’un là-haut s’était dit que je n’étais pas suffisamment important pour adresser un dernier mot à ma mère, pour lui dire une dernière fois que je l’aime. Ouais, ce sentiment de déréliction, ajouté à ma souffrance de base, j’ai eu l’impression de tomber dans un gouffre sans fond. D’où ce chemin de croix, qui – outre la volonté d’un ultime échange avec ma mère – a pour but de savoir si je suis toujours digne de quoi que ce soit dans ce monde.

Surtout que le mythe entourant Tokopisco fait écho à ce besoin de me sentir probe. J’ai effectué quelque offrande, des baies cueillies non loin, une sorte d’idole en bois que j’ai sculptée durant notre périple maritime de Sinnoh à Alola, ainsi qu’une libation à partir d’une huile sainte qui m’a été confiée. Je me suis agenouillé devant l’autel et j’ai exoré Tokopisco. Pour qu’il m’autorise à revoir ma mère, si jamais il ne l’a pas encore guidée vers l’au-delà. Je suis resté là, à me recueillir, à pleurer, pendant plusieurs heures. Il n’y a pas eu de théophanie, ou la moindre manifestation autre, mais cela ne m’a pas accablé. J’étais étrangement porteur d’une foi inextinguible : celle que mon odyssée ne se terminait pas là. Après tout, la croyance veut que Tokopisco ne se montre que peu aux humains, étant donné le manque de confiance qu’il leur accorde. Pour autant, mon service liturgique et la litanie allant avec ne sont pas passés inaperçu et on m’a conduit auprès des anciens d’un village autochtone de Poni. Ils m’ont fait, à leur tour, part d’une prophétie. Je ne sais pas ce qu’ils ont cru voir en moi pour penser que je puisse être un une sorte d’élu mais, si je ne le fais pas pour moi, je dois au moins faire honneur à leurs convictions. Je me retrouve porteur de leur religion, de leur vérité, en quelque sorte. Cela ajoute une pression supplémentaire et bien différente sur mes épaules. Je porte désormais les espoirs de fidèles du pokémon tutélaire. A l’initiative de ma démarche égoïste, je me retrouve avec le statut de héraut annonciateur du culte d’une tribu de natifs, porteur du dogme qui régit leur vie. Ne serait-ce pas un signe ? un augure ? Personnellement, il y a conflit entre l’envie d’y croire et le fait que je sois un gars lambda, comme tout le monde, avec tout son lot de faiblesses et très loin du preux chevalier sur son blanc destrier. Si on remonte une semaine en arrière, j’étais encore sur mon canapé, en pyjama, à regarder ma série, le pot de pâte à tartiner dans la main et la cuillère à soupe à la bouche… Pas vraiment du matériel de légende. Et pourtant, je sens ce feu sacré en moi, cet appel en mon for intérieur.

Sous les conseils des anciens, j’ai de nouveau pris la mer, Spyros toujours à mes côtés. On m’a parlé de repères astraux, ce qui m’a conduit à naviguer à l’ancienne, comme mon père me l’a appris enfant, à l’aide de la lune et des étoiles. Sur ces indications, je me suis fié aux mouvements synodiques, à la position de certaines étoiles. Ne voyageant qu’une fois le soleil couché, je poursuis mon pèlerinage, entouré du sépulcre de la nuit. Le calme – lorsque la mer est clémente – s’avère propice à la réflexion, ce qui n’est généralement pas mon fort. Pour autant, mon esprit semble particulièrement disposé à la roue libre durant ces temps. Disons que les questions se bousculent légèrement au portillon : vais-je parvenir à trouver ce sanctuaire sous-marin vers lequel je suis censé me diriger ? pour quelle raison serais-je béni plutôt qu’un autre ? devais-je vivre ce deuil comme une sorte de passion, pour faire pénitence d’un quelconque égarement ? un miracle est-il réellement possible ou relève-t-il uniquement du fantasme ? suis-je ce qu’on peut qualifier d’homme de vertu, vierge de toute coulpe ? De ce que j’en sais, je n’ai rien d’un ange, les seules auréoles que j’ai pu avoir se trouvaient sous mes aisselles. Cela ne m’empêche pas d’être là, et d’espérer être digne de l’onction de Tokopisco. De sa bénédiction. Je doute. De beaucoup de chose : de la pertinence de ma présence ici, ; du fait que je devrais sans doute me trouver auprès de ma famille à cette heure pour les soutenir, préparer la cérémonie d’enterrement, l’oraison funèbre, ces choses-là ; de la possibilité que je sois un prophète, ou que mon existence soit liée de près ou de loin à tout événement divin ; qu’il soit possible de voir ma défunte mère par l’entremise des pouvoirs surnaturels d’une entité céleste, féérique, ou tout simplement d’invoquer Tokopisco.

Cela m’est pourtant nécessaire. Je ne parviendrai pas à vivre avec la culpabilité de n’avoir pas su être présent pour elle lors de ses derniers instants. Certes je ne pouvais être là car je faisais ce qu’elle m’avait demandé, et je l’ai fait pour la rendre fière, mais ça ne veut plus rien dire maintenant qu’elle n’est plus là. Ça me fout les nerfs, ça fait monter en moi une rage qui ne me ressemble pas. On venait de se retrouver, de renouer cette relation de mère et fils qu’on n’avait jamais su tisser, on avait tant de choses à se dire. Je lui en veux autant que je l’aime. Je me refuse cependant à garder cette colère parmi les reliques que je conserverai d’elle. Égaré au cœur de ce tumulte interne, mon regard se perd dans le vague, ou plutôt dans les vagues. Je remarque alors le reflet ondoyant de la lune nimbé d’un brouillard épais progressant vers le bateau. Je me frotte les yeux, incrédule. Sous le clair de lune, la brume nous enveloppe.

« Nessa ? »

Au son de cette voix, un frisson me parcourt entier et les larmes viennent. Les légendes étaient vraies. Qu’Arceus m’en soit témoin, Tokopisco vient d’exaucer ma prière.

Le champ lexical - Saint:

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