Après avoir longuement visité le Sud de Lumiris, et capturé de nombreux Pokémons, Mae s’était tournée vers le Nord. Accompagnée de toute sa fine équipe, la demoiselle se sentait grandit et changé par la première partie de son voyage. Elle venait d’arriver à Artiesta, une ville plutôt grande et mouvementée, non loin de la capitale, où les festivités semblaient ne jamais prendre fin, à la nuit tombée. Il faisait jour heureusement, l’endroit était donc plutôt calme. Elle se rappelait parfaitement être passé par ici lorsqu’elle avançait vers le Sud, et à cette époque, qui n’était pourtant pas si lointaine, l’éleveuse était pleine de craintes et d’hésitations. Elle avait cependant fait de nombreuses rencontres entre temps, et si elle n’était pas un modèle de courage et de bravoure, elle osait à présent aller vers les gens, et ses décisions étaient plus assurées. Elle avait récemment eu l’idée de se lancer dans l’aventure des concours, et avait commencé à s’entraîner dans ce but. Elle souhaitait toujours ouvrir sa pension, bien évidemment, mais la route était encore longue pour atteindre ce but, et elle désirait essayer de nombreuses choses avant de s’établir durement quelque part. Ce voyage en était l’occasion parfaite, après tout.

Les combats n’étant pas vraiment ce qui intéressait la jeune fille, elle s’était tout naturellement tournée vers les prestations des coordinateurs, qui ne manquaient jamais de l’émouvoir. D’une grande beauté, alliant l’élégance et la grâce des Pokémons, ces spectacles l’avaient déjà captivé par le passé, lorsqu’elle les regardait à la télévision, dans la maison familiale à Alola. Dans les régions de Hoenn et Sinnoh, les concours étaient véritables cultes, et de nombreuses personnes se déplaçaient pour y participer, ou simplement y assister. La célèbre championne d’arène Kiméra était également connue pour ces participations toujours fabuleuses à ces compétitions qui la sortait complètement de son domaine habituelle. Mae n’avait pas pour ambition de devenir une star, elle voulait simplement essayer pour s’amuser, et pour tisser un lien encore plus fort avec ses partenaires. Fuzzy avait tout de suite montré un fort intérêt pour cette discipline, très vite suivit par Grany et Hop, ce qui n’avait pas étonnée l’éleveuse. Le trio s’entendaient à merveille, Mae avait de bons espoir pour eux. Il fallait à présent poursuivre leur entraînement, et ils pourraient participer à leur premier concours. Peut-être même ici, à Artiesta ! Les dômes ne manquaient pas, à Lumiris, la demoiselle savait que lorsque le moment serait venu, elle trouverait l’endroit idéal.

Mais pour l’heure, l’éleveuse avait fait revenir ses Pokémons dans leur Pokeball, à l’exception de la Candine, qui se trouvait toujours à ses côtés, et venait d’acheter une délicieuse glace, petite récompense après l’entraînement de la matinée. Sa précieuse friandise en main, la demoiselle se tourna pour reprendre sa route, mais percuta maladroitement un jeune homme qui se tenait juste derrière elle. Mae parvint de justesse à sauver sa glace, sans cependant parvenir à l’empêcher de couler sur les vêtements de celui qu’elle avait percuté. Affreusement gênée, la jeune fille donna rapidement sa glace à Grany, et sortit un mouchoir de son sac, les joues rouges de honte.

- Je suis sincèrement navrée, c’est entièrement ma faute ! Je ne vous avais pas vue, je suis désolée !

Bon sang, alors qu’elle se félicitait justement de gagner en assurance, voilà que sa maladresse lui faisait encore mettre les pieds dans le plat ! Aurait-elle un jour droit à une journée sans catastrophe ?

La panique et le désarroi de Mae redoublèrent lorsqu’elle vit le visage désemparé du garçon. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit, ce qui la dérouta. Elle regarda autour d’elle, entourée par la foule, et sentit qu’elle perdait son sang froid. Que devait-elle faire, par Arceus ? Pourquoi le jeune homme ne parlait-il pas ? Pourquoi avait-il l’air aussi horrifié ? C’était elle qui fondait en larme pour tout et n’importe quoi normalement ! Cette scène absurde aurait pu durer de nombreuses minutes, mais heureusement, à peine quelques secondes plus tard - qui semblèrent une éternité pour l’éleveuse - un Cabriolaine fit son apparition, se frayant un chemin parmi la masse de personnes qui grouillaient autour d’eux, et s’interposa. Très vite, la demoiselle comprit qu’il s’agissait du Pokémon du garçon, leur complicité se sentait, aucun doute n’était permis, et elle fit un pas en arrière, pour leur laisser de l’espace. L’arrivée du cabris avait aussitôt apaisée la jeune fille, ce n’était plus à elle de prendre en main la situation. Le garçon aux cheveux blancs semblaient toutefois encore sous le choc, ses yeux exprimaient une sincère panique. Que faire ?

Le jeune homme agitait ses mains, et la demoiselle comprit sa propre stupidité. Il était sourd ! Elle ne parlait cependant pas la langue des signes, et aurait été bien incapable de le comprendre et de lui répondre. La priorité était tout d’abord de le sortir de la foule, qui semblait le mettre terriblement mal à l’aise. Mae, pour une fois décidé à surpasser ses propres craintes, posa sa main sur la tête du Cabriolaine, lui faisant signe de le suivre. Elle dirigea le Pokémon et son maître vers une ruelle calme et silencieuse, dans laquelle se permit un long soupir. Grany, toujours à ses côtés, paraissait elle aussi rassurée de s’être éloignée de tous ces individus si bruyants. L’éleveuse se tourna de nouveau vers le garçon, et lui tendit son mouchoir, ne voulant pas le mettre de nouveau mal à l’aise. Elle baissa la tête, terriblement gênée, et ouvrit soudain les yeux. Un souvenir de son enfance lui revenait. Lorsqu’elle était à l’école, une petite fille de son âge avait rejoint sa classe, quelques mois, et elle était également atteinte de surdité. La maîtresse avait alors expliqué qu’il fallait se mettre devant elle, et bien articuler lorsqu’on parlait, car elle savait lire sur les lèvres. Le garçon en était-il capable ?

Mae n’en était pas sûre, mais cela ne coûtait rien de tenter. Elle relever donc les yeux vers lui, et attendit de capter son attention et son regard, avant de prendre la parole, faisant bien attention à prononcer chaque mot séparément.

- Je suis désolée, c’est de ma faute. Tu vas bien ?

Pendant ce temps, Grany se tourna vers le Cabriolaine, et commença à échanger avec lui, dans le langage incompréhensible des Pokémons. Au moins, eux deux pouvaient se comprendre sans difficulté. Le jeune homme l’avait-il comprit ? Et si oui, comment pourait-il lui répondre ?

La demoiselle sentit un vaste soulagement l’envahir en voyant l’expression de son interlocuteur silencieux s’apaiser. Il accepta le mouchoir et entreprit d’essuyer les quelques restes de glace qui tâchaient sa veste. Elle remarqua qu’il l’avait écouté - ou du moins qu’il avait fixé ses lèvres avec beaucoup d’attention - et il semblait avoir comprit. Ses traits n’exprimaient plus la panique et l’incompréhension, ce qui rassura énormément Mae. D’habitude, c’était les autres qui la mettait mal à l’aise, elle qui était si timide et si peu sûre d’elle. Il était si étrange pour elle de se retrouver dans une situation où elle mettait quelqu’un d’autre dans une situation inconfortable. En plus d’être étrange, c’était également une sensation affreuse. Elle ne connaissait pas ce garçon, mais elle ne voulait pas le déranger ou le blesser. Il paraissait quelque peu sensible, ce qui était sans doute du à son handicape. Il devait être réellement difficile de ne pas se montrer méfiant lorsqu'on était privé de l’un de ses sens. Était-il sourd de naissance ? Ou avait-il perdu l’audition au cours de sa vie ? Mae était bien trop timorée pour oser lui poser la question. Il était néanmoins difficile de ne pas s’interroger.

Après s’être rapidement essuyé, le garçon la regarda dans les yeux, et hocha la tête, semblant indiquer qu’il allait bien, ce qui rassura Mae. Elle ne parlait pas la langue des signes, mais elle pouvait comprendre les choses élémentaires. Il la désigna ensuite, forma un cœur avec ses mains, et pointa son pouce vers le ciel, un air interrogatif sur le visage. Les traits de Mae exprimaient quant à eux son désarroi. Elle n’avait absolument pas comprit, et s’en sentait terriblement navrée. Ce garçon paraissait si gentil, elle voulait comprendre ce qu’il disait, elle le voulait sincèrement. Comment faire ? Par chance, il sembla comprendre sa difficulté, et fit un nouveau signe, qu’elle comprit sans mal cette fois. Ecrire, il proposait d’écrire. Un sourire fendit le visage de la demoiselle, et cette dernière sortit son téléphone de sa poche. Elle ouvrit l’application Note et tendit l’appareil au jeune homme. Lorsqu'il eu retranscrit sa question, elle hocha à son tour vivement la tête et répondit, à voix haute, toujours en essayant de capter au mieux son regard.

- Oui, je vais bien, merci !

Elle marqua une courte pause, puis ajouta, détachant méticuleusement chaque syllabe.

- Je m’appelle Mae, et toi ?

Elle lui tendit à nouveau le téléphone, espérant que cette méthode ne le dérangeait pas. Si elle avait pu, elle aurait apprit la langue des signes aussitôt, dans l’instant, mais cela semblait vaguement impossible. L’apprentissage d’une nouvelle langue devait sans doute prendre un temps fou… Cela valait peut-être la peine d’essayer ?

Reprenant le téléphone en main, le garçon écrivit rapidement. Il semblait avoir comprit les présentations, et souriait à présent, visiblement plus détendu. Mae se sentait elle-même plus à l’aise. La ruelle était calme, la conversation avait prit un tournant bien plus tranquille, malgré les moyens de communications étonnants. L’éleveuse n’avait pas l’habitude de converser avec une personne sourde, elle se souvenait simplement de cette petite fille de son école, plus de dix ans en arrière. A l’époque, la savoir sourde et muette ne l’avait pas empêché de s’en faire une amie, avant qu’elle n’aille dans une école spécialisée pour personne dans sa situation. Aujourd’hui, il en était de même avec le garçon. Son handicape n’était pas un frein, bien au contraire. La demoiselle avait de nombreuses questions en tête, mais elle se retint. Il venait de lui rendre le téléphone, où un seul mot était inscrit. Justice. C’était son nom ? Voilà qui était peu commun ! Il tendit ensuite la main, pour serrer poliment celle de la jeune fille. Des présentations dans les bonnes et dues formes, c’était le moins que l’on puisse dire.

Leur regard se dirigèrent naturellement vers leur Pokémon, qui semblaient parfaitement s’entendre. Deux types plantes, ce n’était pas étonnant. Grany se montrait bienveillante et sympathique avec tous ceux qu’elle rencontrait, et ce Cabriolaine avait l’air particulièrement enjoué. Le jeune homme reprit alors le téléphone, et entama de présenter son Pokémon. Mae réalisa qu’elle n’avait pas donner le nom de la Candine, et se dépêcha de le faire.

-  Enchantée Justice ! Voici Grany, ma camarade de voyage.

Elle désigna sa partenaire, qui offrit une charmante révérence au garçon, avant de retourner s’amuser avec le Cabriolaine. Mae, qui essayait de faire le tri dans les questions qu’elle désirait poser à son interlocuteur, reprit la parole, sans se départir de son sourire rayonnant.

- Vivaldi, comme le compositeur de musique ? Tu es amateur de classique ?

Elle réalisa qu’il était étrange de lui poser cette question, il était sourd après tout. Comment pouvait-il écouter de la musique ?  La jeune fille se souvint néanmoins qu’un très célèbre compositeur, Beethoven, était également connu pour sa surdité. S’il était possible de devenir un génie de la musique sans ouïe, alors Justice devait connaître des moyens d’en profiter malgré son handicape.

Justice haussa un sourcil lorsque Mae le questionna, si bien que cette dernière s’en voulu aussitôt. Avait-elle posé une question indiscrète ? Ou déplacée ? Elle ne voulait pas se moquer de lui, elle s’interrogeait sincèrement et ne voulait en rien le jugeait. Elle se doutait qu’il devait être difficile pour lui d’avoir une vie normale, à cause de son handicape, et elle l’admirait pour son courage et sa détermination. Le jeune homme ouvrit la bouche, et sans surprise, aucun mot ne s’en échappa. L’éleveuse sentit un poids se déposer sur son estomac, mêlant la culpabilité et la compassion. Que pouvait-elle faire pour aider le garçon ? Il reprit le téléphone, et y écrivit une courte phrase, que Mae se dépêcha de lire. Elle fronça légèrement les sourcils. Que voulait-il dire par “les vibrations colorées” ? Que ressentait-il avec la musique ? Pouvait-il… La voir ? D’une manière ou d’une autre ? Voilà qui était plutôt étrange, l’éleveuse peinait à se l’imaginer, pourtant cela semblait signifier quelque chose pour lui. Elle voulu l’interroger davantage, mais il semblait avoir une idée en tête. Elle récupéra son téléphone, et le regarda faire, une lueur intriguée dans le regard.

Il appela son Pokémon, qui se dirigea vers lui en quelques bons gracieux. La jeune fille remarqua alors la petite sacoche accroché au flan du Cabriolaine. Justice en sortit un violon ainsi qu’un archer, à la grande surprise de Mae. Il jouait ? Voilà qui était encore plus surprenant ! Elle resta silencieuse et retint son souffle en le voyant commencer à caresser les cordes. Une mélodie envoûtante s’échappa de l’instrument, tandis que le garçon poursuivait ses gestes précieux et méticuleux. Ses pieds s’animèrent également, dansant en parfait accord avec la musique qu’il ne pouvait pas entendre, suivit par son Pokémon. Qu’elle était donc cette magie ? L’éleveuse écouta et contempla le spectacle, les yeux grands ouverts comme des soucoupes, un sourire ahuri sur les lèvres. Elle peinait à en croire ses yeux et ses oreilles, mais tout ceci était bien réel. Il était possible d’être un virtuose du violon sans entendre, elle en avait la preuve devant elle.

Lorsqu’il eu terminé, l’éleveuse voulu applaudir, mais elle se rappela qu’il ne pourrait pas l’entendre. Alors, elle brandit son pouce, un immense sourire aux lèvres, les yeux brillants, un peu ému par ce qu’elle venait de voir.

- C’était magnifique ! Comment fais-tu ça ? Tu peux sentir la musique ? La voir ?

Elle lui tendit vivement le téléphone, impatiente d’avoir une réponse.

Après cette prestation plutôt spectaculaire, le garçon rangea son matériel, arborant un sourire satisfait. Il semblait réellement prendre du plaisir en jouant de la musique, cela faisait plaisir à voir. Mae était réellement ravie d’avoir pu assister à cela, c’était sans doute la chose la plus étonnante qu’elle ai pu voir de sa vie. Et pourtant, elle vivait dans un monde où des créatures étaient dotées de pouvoir leur permettant de contrôler les éléments, se téléporter, communiquer par la pensée, cracher du feu, et autre joyeusetés. A force, elle ne devrait probablement plus être aussi surprise, mais tous les mystères de ce monde continuait de l’émouvoir, elle n’y pouvait rien. Justice récupéra le téléphone de la demoiselle, apparemment amusé par son empressement. Sans doute avait-il l’habitude de ce genre de réaction, son talent était peu commun. Il écrivit à nouveau rapidement, expliquant qu’il considérait la musique comme un ensemble de couleur, et qu’il utilisait les vibrations qui émanait du violon pour en jouer. L’éleveuse n’était pas certaine de tout comprendre, mais cela faisait du sens dans son esprit. C’était plus de l’ordre de la sensation, elle avait l’impression que le jeune homme avait réussi à saisir quelque chose, là où beaucoup restait dans l’obscurité. Il ne pouvait pas entendre, mais il discernait des choses invisibles, voilà qui était sûr.

Il ajouta ensuite, toujours par écrit, qu’il était musicien et qu’il jouait ce soir-même. Il invita l’éleveuse à se rendre à la représentation, ce qui toucha cette dernière. Elle esquissa un vaste sourire, et répondit énergiquement sans attendre.

- Avec grand plaisir ! J’adorerai t’entendre à nouveau jouer !

Elle voulu ajouter quelque chose, mais hésita, de peur de paraître trop empressée. Elle retourna la question dans son esprit, puis se décida. Elle n’avait rien à perdre après tout, cela valait le coup de demander.

- Tu pense que tu pourrais m’apprendre à signer ? J’aimerai beaucoup apprendre. Pas nécessairement maintenant ou aujourd’hui ! Mais un jour, si tu as le temps.

Elle connaissait Justice depuis quelques minutes, et lui demander ce genre de chose était peut-être beaucoup, mais elle n’aurait pas tous les jours l’occasion de le faire. Et puis, ce voyage à Lumiris lui avait apprit que chaque rencontre pouvait être majeure, elle ne devait rien laisser passer.

Suite à la réponse positive de la jeune fille, Justice lui tendit une carte où on pouvait lire les lettre VIP, ce qui lui permettrait d’entrer dans la représentation sans avoir à payer sa place. Mae était surprise qu’il lui offre ce genre de chose alors qu’il la connaissait à peine. Certes, elle ne roulait pas sur l’or, mais elle aurait sans doute pu payer sa place, comme tous le monde. Enfin, l’entrée des spectacles musicaux étaient parfois hors de prix, mais ils faisaient peut-être des réductions. La demoiselle rangea toutefois la carte dans son sac, se demandant si elle pourrait venir voir le garçon après son passage, dans les coulisses, pour le saluer et le féliciter. Les accès VIP servaient à cela aussi, non ? Elle était plutôt curieuse de savoir à quoi ressemblait les loges des artistes. A présent, la demoiselle attendait ce concert avec impatience, elle allait avoir du mal à attendre jusqu’à ce soir ! Oh, et comment allait-elle s’habiller ? Elle devait absolument se procurer une jolie robe, pas question d’y aller en short ! Elle se souvenait d’une sortie au théâtre qu’elle avait fait avec ses parents, lorsqu’elle était enfant. Sa mère lui avait déniché un petit ensemble qui sortait complètement de ses habitudes, et avait affirmé qu’il était important d’être bien habillé lors de ce genre de sortie. Justice serait-il en costume, quant à lui ?

Elle n’eu pas le temps de lui poser la question qu’il répondait déjà à sa première, lui tendant à nouveau le téléphone, une expression ravie sur les lèvres. Il acceptait, mais la mettait en garde, la langue des signes était difficile à apprendre. Il reprit le téléphone et ajouta qu’ils pouvaient commencer dès maintenant quelques mots. Mae voulu accepter, mais elle réalisa qu’ils étaient toujours debout, au milieu d’une ruelle. Une autre idée en tête, elle répondit :

- Oh oui, j’aimerai beaucoup ! Mais… On pourrait peut-être aller s’asseoir quelque part ? Il doit y avoir un café tranquille par ici.

Elle pointa du doigt le bout de l’allée, qui s’était vidée petit à petit.

- Si tu as du temps devant toi, bien sûr ! Tu dois être occupé, et je ne voudrai pas te monopoliser !

Mae esquissa un sourire, espérant qu’il pourrait. Elle avait encore tellement de choses à lui demander !

La proposition de Mae ne sembla pas déranger le jeune homme. Il jeta un nouveau coup d’oeil au téléphone, puis hocha la tête avec un sourire. La demoiselle eu du mal à dissimuler son enthousiasme, son expression était radieuse. Justice ajouta ensuite, se servant à nouveau de l’appareil pour communiquer, qu’il souhaitait l’inviter. L’éleveuse fut surprise par cette proposition, et commença à secouer la tête. Elle ne voulait pas abuser de sa gentillesse, elle lui prenait déjà de son temps, et il lui avait offert un accès pour son concert gratuitement, elle avait une sérieuse dette envers lui ! Elle craignait cependant de le vexer en refusant sa proposition, elle savait que certaines personnes pouvaient trouver cela blessant. Elle ne savait simplement pas comment réagir. Ce garçon n’était vraiment pas comme les autres, voilà bien une chose dont elle était sûre. Elle se demanda un instant si tout ceci pouvait être interpréter comme du flirte, et sentit bêtement rougir. Elle n’avait pas eu l’intention de tenter quoi que ce soit avec Justice, même s’il était réellement charmant et très mystérieux, il fallait le reconnaître. Cependant, elle peinait à voir les choses ainsi, ce n’était pas son habitude. Pour l’heure, elle préférait ne pas se poser ce genre de question.

Le garçon appela son Pokémon d’un claquement de doigt, et le Cabriolaine accouru, obéissant à son maître au doigt et à l’oeil. Mae fit également un signe de tête à Grany, qui se glissa à ses côtés. La petite troupe se mit en marche, se faufilant à nouveau dans la foule. L’éleveuse remarqua que Justice dissimulait son visage derrière une capuche, ce qui l’intrigua. Était-il un musicien connu dans la ville ? Peut-être même l’était-il dans toute la région. Les passionnés devaient sans doute le reconnaître dans la rue, ce qui ne devait pas être tous les jours faciles pour quelqu’un de son âge. Elle ne lui avait pas posé la question, mais il ne lui semblait pas beaucoup plus âgé qu’elle. Mae suivit le garçon sans dire un mot, songeant qu’il ne valait pas mieux le déconcentrer alors qu’il avançait. Il se tenait à son Cabriolaine, qui menait le groupe, fendant la foule sans difficulté. Ils arrivèrent finalement au café en un rien de temps et prirent place. Une fois assise en face de lui, Mae retrouva son grand sourire.

- Merci pour l’invitation, c’est vraiment très gentil.

Le serveur arriva l’instant d’après pour prendre leur commande. La jeune fille demanda un simple chocolat chaud, et laissa son comparse désigner ce qu’il désirait sur le menu. Une fois seuls, la demoiselle reporta son attention sur Justice, plutôt excitée à l’idée de commencer l’apprentissage d’une nouvelle langue. Elle posa son téléphone sur la table, en face du garçon, et demanda avec enthousiasme :

- On commence ? Tu as toute mon attention !

Elle conclue ses paroles par une moue concentrée, le fixant avec intensité, comme un élève dans une salle de classe, absorbé par un problème au tableau.

L’énergie de l’éleveuse semblait amuser Justice, qui la regardait avec une certaine espièglerie. Mae avait la fâcheuse manie de s’emballer comme une enfant par moment, et c’était exactement ce qu’elle faisait en cet instant. Elle aurait peut-être du se montrer plus posée, plus adulte, mais il était difficile ce cesser d’être soi-même. De plus, elle était persuadé que le garçon préférait sa sincérité. Il semblait lui-même honnête. Elle ne le connaissait pas tant que ça, mais elle avait la sensation d’avoir vu beaucoup en lui, en écoutant sa musique. Il s’était révélé à elle, d’une certaine manière, et cela la touchait. Il fallait beaucoup de courage pour faire ça. Tout comme il en fallait probablement aussi pour monter sur scène et jouer d’un instrument devant des centaines de personnes. Mae aurait-elle un jour cette bravoure, elle qui voulait tenter sa chance lors d’un concours ? Cela lui semblait si difficile ! Elle devait prendre exemple sur Justice, et s’inspirer de sa force. Si lui y arrivait, malgré toutes les difficultés qui barraient sa route, alors elle pouvait le faire. Et elle le ferait.

Sans perdre un instant, le jeune homme entama sa petite leçon improvisée, avec des mots simples. Il esquissa un premier signe, un mouvement de la main vers sa bouche, puis paume vers l’avant, et un second, une secousse de la main. Mae remarqua que pendant que ses doigts s’agitaient, son visage était très expressif, et elle comprit que cela faisait parti de la langue. Elle imita le garçon, essayant d’être la plus précise possible, puis le regarda continua. Il enchaîna avec deux autres signes, qu’elle tâcha de mémoriser. Une fois fait, elle hocha doucement la tête, et signa à son tour, répétant tout ce qu’il venait de faire, en s’appliquant. Elle du recommencer plusieurs fois avant d’arriver à tout sortir convenablement, mais elle y parvint finalement.

- Bonjour. Au revoir. Merci. Pardon.

Une fois qu’elle eu réussi, elle arbora un vaste sourire. Ce n’était qu’un début, certes, mais elle se sentait davantage capable, à présent. Une idée lui traversa alors l’esprit, et elle lui demanda :

- Comment se dit ton prénom ?

Ce n’était peut-être pas le mot le plus courant de la langue des signes, mais c’était celui là qu’elle désirait apprendre. Elle avait tout le temps d’apprendre les autres, de toute manières !

Tandis que Mae s’exerçait à la langue des signes, le serveur revint, leurs commandes sur un plateau. Il déposa le chocolat devant la jeune fille, le latté devant Justice, et une petite coupelle contenant deux jolies pâtisseries au sol, pour les Pokémons. Grany laissa le Cabriolaine se servir en premier, toujours extrêmement polie et courtoise, puis attrapa la seconde sucrerie. L’éleveuse sourit, amusée devant le comportement de la Candine. Celle-ci semblait merveilleusement bien s’entendre avec le partenaire du garçon, ce qui n’était pas si étonnant. Les Pokémons d’un même type avaient généralement tendance à s’apprécier. Grany était plus proche de Hop, la Floravol, que d’autres membres de l’équipe, par exemple. La demoiselle avait cependant de la chance, tous ses compagnons aimaient passer du temps ensemble. Même Crafty, le Farfuret au caractère revêche, s’était fait des amis. Kitsune se comportait, quant à elle, un peu trop souvent comme une princesse, désirant avoir toute l’attention pour elle, mais elle était la plus jeune de l’équipe, son comportement était donc encore accepté. Il allait falloir qu’elle apprenne à se montrer plus partageuse, avec le temps.

Face à sa question, Justice sembla un peu gêné, mais il esquissa un sourire, ce qui signifiait que son sentiment était plutôt positif. Il attrapa le téléphone et écrivit que les prénoms s’épelaient. Il fit une démonstration, ce qui s’avéra plus compliqué qu’elle ne l’avait pensé. Elle l’imita au fur et à mesure, essayant tant bien que mal de mémoriser les gestes. Ce n’était pas facile, et Justice du voir qu’elle était en difficulté car il ajouta qu’il était possible de juste dire les noms avec les lèvres. Il enchaîna avec d’autres signes, que Mae ne comprit pas. Elle fronça les sourcils, suivant les mouvements de ses doigts, sans savoir où il voulait en venir. Son expression espiègle lui indiquait cependant qu’elle aurait du être en mesure de comprendre. Tout devint clair lorsqu’il prononça silencieusement son prénom. Le visage de la jeune fille s’éclaira. Aussitôt, elle se mit elle aussi à signer.

- Justice. Merci.

Cela lui sembla plutôt difficile, à signer en entier. Elle s’accorda quelques instants de réflexion, puis elle ajouta avec un petit rire :

- Je crois que je vais m’en tenir au J pour ton prénom ! Le reste est drôlement compliqué !

Elle attrapa sa tasse et but une gorgée de son chocolat. Il était doux, un peu brûlant, et sucré. Parfaitement à son goût ! Elle posa la tasse, ayant envie de lui demander une centaine d’autres mots. Elle n’avait cependant pas le temps de tout apprendre aujourd’hui, il allait falloir choisir les priorités.

- Très bien, comment on dit : "ami" ? Après promis, je te laisse tranquille ! Tu as sans doute envie de parler d’autre chose.

Elle esquissa un sourire d’excuse, navrée de l’ennuyer. Elle était tellement excitée qu’elle ne s’était pas rendue compte qu’elle avait pu le déranger.

Justice paru un peu étonné par sa dernière question, mais s’exécuta néanmoins sans ajouter quoi que ce soit. Mae observa attentivement ce nouveau signe, qui lui paru assez simple, et même assez naturel. Il voulait parfaitement dire ce qu’il signifiait, c’était un beau geste. La langue des signes était d’une grande beauté, l’éleveuse en était désormais convaincue. Elle imita le geste pour le retenir, et songea qu’il allait falloir qu’elle s’entraîne, si elle voulait garder tous ces mots en mémoire. Elle allait aussi devoir se dénicher un bouquin pour apprendre d’autres mots, elle ne pouvait pas compter uniquement sur le garçon pour tout lui enseigner. Il devait y avoir des centaines de signes différents, l’apprentissage devait nécessité un certain temps. Cela lui semblait cependant plus facile à présent qu’elle l’avait vu en face d’elle. Les gestes étaient assez naturels, et accompagnés d’expressions faciales, il fallait donc rester actif en permanence, ce qui était un sacré exercice. Mae voulait en apprendre plus, à présent que sa curiosité était piquée. Et puis, si jamais elle croisait quelqu’un d’autre de sourd, elle pourrait parler avec lui sans difficulté !

Le jeune homme reprit le téléphone, et lui répondit qu’elle ne le dérangeait pas, ce qui la rassura. Il ajouta également qu’elle était gentille, et qu’il appréciait sa compagnie, ce qui bien entendu la fit rougir, comme il fallait s’y attendre. Il lui pose ensuite une question sur ce qu’elle faisait dans la vie. Après avoir bu une nouvelle gorgée de son chocolat, la demoiselle répondit :

- Je suis une éleveuse de Pokémon. Apprentie éleveuse en tous cas ! J’aimerai ouvrir ma propre pension, un jour, pour prendre soin des Pokémons qu’on me confiera. J’ai encore beaucoup de chose à apprendre avant de pouvoir y arriver.

Même si cela faisait quelques semaines qu’elle voyageait, Mae avait encore l’impression d’être une débutante sur de nombreux sujets. Et puis, elle était vraiment jeune, elle ne devait pas l’oublier. L’idée d’Auguste, de travailler avec un éleveur plus expérimenté, avait beaucoup germé en elle, et elle y réfléchissait de plus en plus. Elle allait devoir creuser cette piste, et surtout trouver un éleveur qui voudrait bien travailler avec elle. Ce n’était pas encore gagner !

- Quand je vois à quel point tu es proche de Vivaldi, je me dis que les humains et les Pokémons sont vraiment fait pour vivre ensemble. Quand nous allions nos forces, nous devenons meilleurs, tu ne crois pas ?

La demoiselle sourit, rêveuse. Il lui semblait impensable de vivre dans un monde où les Pokémons n’auraient pas leur place, aux côtés des humains.

Mae n’eut aucun mal à voir tout l’encouragement et la bienveillance de son interlocuteur dans le fond de ses prunelles. Justice était un musicien, pas un éleveur, mais la jeune fille sentait qu’elle pourrait compter sur lui si elle avait besoin de soutien. Il semblait être du genre à offrir son aide de façon purement généreuse, c’était ce qu’elle sentait en lui. Ce genre de personne était plutôt rare, mais la jeune fille avait l’impression que le destin lui faisait rencontrer de bonnes personnes, depuis qu’elle était arrivée à Lumiris. Peut-être une bonne étoile veillait-elle sur elle. Le garçon lui répondit, toujours par écrit, que c’était la musique qui lui avait permis de se lier avec son Pokémon. Le Cabriolaine semblait en effet aussi passionné que son dresseur, ce qui était touchant et assez étonnant. Un Pokémon dansant, on ne voyait pas cela tous les jours ! Mais chacun avait sa fibre artistique, Mae en était persuadée. Les deux s’étaient bien trouvés, en tous cas. Justice avait de la chance d’avoir un partenaire aussi dévoué, qui semblait le comprendre à la perfection. L’éleveuse pouvait se targuer de partager un lien très fort avec sa Candine, qu’elle connaissait depuis sa sortie de l’oeuf. Tout comme l’humaine qu’elle accompagnait, Grany aimait s’occuper des autres, et était toujours attentionné, et patiente. Des qualités d’éleveur.

Comme lisant dans ses pensées, Justice la questionna ensuite sur la fameuse Candine, lui demandant si c’était son premier Pokémon. C’était une question difficile, car Mae avait grandit dans une pension, et avait donc été toujours entouré de Pokémon. Elle avait eu l’habitude, dès son plus jeune âge, de brosser des Wattouat, de cajoler des Chacripan, de chouchouter des Roucools, de nourrir des Ponyta… Tout cela avait fait parti de son quotidien, et elle espérait bien reproduire une fois sa propre pension ouverte.

- Oui, Grany est en quelque sorte mon premier Pokémon. C’est la première dont je prends soin moi-même, en tous cas ! Je m’occupe d’elle depuis qu’elle est dans son oeuf, nous sommes très proche.

La Candine leva la tête vers la jeune fille en comprenant qu’on parlait d’elle, et esquissa un grand sourire plein de douceur. Elle reporta son attention vers Justice et ajouta :

- Tu compte capturer d’autres Pokémons ? Il doit y en avoir plein qui aiment la musique !

Le garçon sembla très attentif aux paroles de la jeune fille. Il suivait du regard les mouvements de ses lèvres, Mae pouvait aisément deviner que l’exercice ne devait pas toujours être facile. Elle tâchait d’articuler le plus possible pour rendre la compréhension de Justice la plus naturelle possible, elle espérait que ce ne soit pas trop contraignant pour lui. Il répondit ensuite par écrit qu’il ne comptait pas grandir son équipe pour le moment, le Cabriolaine lui suffisait pour le moment. Peut-être était-il difficile pour lui d’imaginer devoir s’occuper de plusieurs Pokémons, surtout s’ils ne partageaient pas un lien aussi fort avec eux qu’avec Vivaldi. Ce dernier semblait capable de le comprendre sans la moindre difficulté, un simplement claquement de doigt et il était à ses côtés. Cela avait du demander du temps sans doute, beaucoup de moment passés ensemble, pour parvenir à créer une telle complicité. Mae était admirative de ce lien. Voilà bien le genre de relation qu’elle espérait tisser avec ses propres partenaires, même ceux au caractère plus difficile. Elle pensait bien sûr à Crafty, qui était le plus revêche de l’équipe. Il s’adaptait cependant de mieux en mieux et elle savait qu’il était de plus en plus attaché à elle. C’était surtout avec ses autres comparses qu’il avait plus de mal.

Justice lui demanda ensuite si elle avait, elle, d’autres compagnons. Un sourire apparu sur le visage de la demoiselle, et elle songea que montrer serait plus efficace qu’expliquer. Elle n’avait pas une équipe gigantesque, mais si Pokémons voyaient à présent à ses côtés, ce qui n’était pas rien. Elle attrapa donc toutes ses Pokéballs, et fit sortir ses amis, songeant qu’elle allait créer une sacrée pagaille dans cette terrasse paisible. Par chance, la plupart de ses partenaires savaient se tenir tranquille. La plupart. Aussitôt sortis, le Rubombelle alla tourner autour du jeune homme, le Togedemaru lui roula entre les jambes, la Floravol flotta tranquillement au-dessus de sa tête, le Farfuret le regarda avec méfiance, et la Feunnec alla renifler ses pieds. Mae ria doucement, et désigna tout ce beau monde d’un mouvement de la main.

- Voici mes compagnons ! Voici Fuzzy, Spine, Hop, Crafty et Kitsune. Ils ont tous leur particularité, leur caractère, ils sont tous uniques. Je les adore !

Un sourire plein de douceur se dessina sur son visage. Que ferait-elle sans ses fidèles partenaires ?