Je le suivais, presque aveuglément dans les dédales de cette ville que l’on m’avait décrite comme étant tellement agitée. Pourtant, je pouvais compter les piétons avec aisance et fluidité. Je les saluais tous quand leur regard croisait le mien.  D’un petit signe discret de la main. D’un petit hochement de tête, mais jamais je ne quittais monsieur Even des yeux plus que quelques secondes. Il avançait tellement vite. Même mon rythme pourtant essoufflant ne suffisait pas pour marcher dans ses pas. Je me retrouvais vite semée, vite dépassée. Mon pouls s’accélérait tant vis-à-vis du rythme effréné que je marquais tant en regard à ce stress qui me rongeait. J’allais devoir performer. J’avais accepté de le faire. Et si j’apprenais dès le début de cette prestation que jamais je n’aurais le niveau pour performer sur une scène. Comme si ce n’était pas suffisant d’ainsi me ronger au sang, l’annonce que nous nous rendions au dôme de concours m’avait littéralement tuée sur place. J’étais glacée de peur et d’angoisse. Pétrifiée par cette performance, bien qu’il m’affirmât qu’elle ne serait pas devant public. Ce n’était pas suffisant. Je craignais le pire. Et s’il m’avait traîné jusque là pour me détruire ? Pour se moquer de moi ? Non, il semblait bien trop sympathique, trop attentionné pour me destiner tel traitement. Il aurait été bien fourbe d’ainsi me laisser croire à une admiration de mes parents pour ensuite m’écraser comme si je n’avais été qu’une vulgaire mouche qui avait infiltré son domicile. Hélas, il était trop tard pour reculer. J’avais accepté de lui faire confiance. Je n’avais plus grande conviction que je pourrais me démarquer… mais je le ferais. Je n’avais plus le choix. Il était trop tard pour reculer. Si j’avais osé me désister, j’aurais eu honte d’être une Caelum, j’en aurais déshonoré mon nom. Ce nom pour lequel j’avais tant d’affection, malgré le manque de moralité des agissements de mes parents par moment.

On m’avait souvent dit, plus jeune, de profiter des paysages si un jour je voyageais. Une chose était certaine, je n’en avais pas le temps ici. À presque courir derrière ce jeune homme et ce Pokémon enthousiaste, quoiqu’un peu effrayant. Je n’avais toujours pas libéré les miens de leur pseudo-prison sphérique. Ils y étaient toujours, attendant ce moment où je les appellerais à venir me voir. Altesse m’en voudrait tellement. Je lui avais dit que ça ne durerait qu’une petite demi-heure… et pourtant les heures s’allongeaient, se multipliaient et elle était toujours là-dedans à m’attendre. J’aurais encore droit à l’un de ses petits caprices, mais il n’était pas judicieux de l’appeler maintenant. Pas du tout même. Je la brusquerais et elle m’en voudrait. D’une manière ou d’une autre, je finirais par l’entendre se plaindre, autant prendre la solution la plus simple et qui éviterait les gémissements de cette course rapide vers le dôme. Quand j’y pensais, c’était la première fois que j’en verrais un d’aussi proche, tout du moins à Lumiris. Je n’avais pas encore pris le temps de faire la touriste. Je ne m’étais qu’hâtée d’une ville à l’autre pour rejoindre ma sœur, elle était pourtant encore si loin. J’imagine qu’une fois dans ce dôme, mes pieds me remercieraient leur offrir ce léger repos. J’ose imaginer que j’aurais au moins un bref moment pour me reposer.

Enfin, notre avancée s’arrêta. Juste devant cet immense bâtiment aux couleurs enchanteresses. J’étais ébaubie, émerveillée devant ces formes et ces couleurs. Émerveillée devant la beauté et la grandeur de l’endroit. Si cet endroit était bel et bien le début de ma carrière à titre coordinatrice, ne serait-ce que pour un entraînement, je ne pouvais qu’être flattée. J’étais émue. Mon angoisse s’était envolée. Je ne la ressentais plus. Je ne voyais plus que cette joie ineffable. Un grand sourire avait pris le dessus sur mon visage. Si j’avais été essoufflée quelques instants auparavant, il n’en était plus rien. Je n’en croyais tout simplement pas mes yeux. Merci mille fois monsieur… non, juste Even. Mille fois merci. Le simple fait de voir ce bâtiment remuait en moi des émotions que je n’aurais pas soupçonnées exister. Était-ce le sentiment d’être à ma place ou de l’angoisse supplémentaire ? Étais-je bloquée à un point où la simple vue d’une salle de spectacle me tuait de nervosité sans que je ne le sache ? Ou l’étais-je suffisamment peu pour que cette vision me permette de devenir celle que je voulais devenir ?

Je ne vis pas le temps passer, pas une seule seconde ne s’écoula dans ma tête entre le moment où Even s’était penché vers le comptoir d’accueil et le moment où il était revenu. C’est quand il souligna avoir besoin de certains de ses Pokémons que je sortis réellement de ce monde onirique dans lequel je me trouvais, quelque part entre ciel et terre. Je lui souris, amusée. Comme si j’étais portée par un enchantement merveilleux qui m’enivrait le cerveau. Je ne réfléchissais plus que comme ces blondasses un peu stupides et lessivées qui était prêtes à tout pour séduire un homme que l’on voyait dans les films. Pourtant, je n’étais pas amoureuse. Je ne cherchais pas à séduire cet homme, j’étais juste bouche bée. Pantoise devant la mise en scène qui se déroulait devant moi. Je suivais mon ami du jour, plus doucement cette fois. Dans mon élan de joie, je portai la main à l’intérieur de mon sac et en sortis mes trois petites Pokéballs. Je voulais que mes amies du quotidien contemplent avec moi la magnificence de cet établissement. Qu’elles fassent avec moi leurs premiers pas dans le monde de la coordination. Je lançai mes Pokéballs dans les airs. Ma Wattouat, ma Babimanta et ma Chlorobule en sortirent toutes. Aussitôt, madame la Marquise vint réchauffer mes chevilles, observant tout avec grand enthousiaste. La Madonne se jucha sur ma tête, admirative de l’environnement, bien qu’un peu timide. Altesse, elle, se cacha dans mon sac ne m’adressant même pas un regard. Évidemment, elle me boudait, ça allait de soi. Je commençais à avoir l’habitude après tout.

Tout autour de moi n’était plus qu’un vrombissement intense de mon pouls qui s’accélérait. Par hâte ou par stress, je l’ignorais. On entra dans la salle de spectacle et ce son mourut. Il ne restait plus qu’un son sourd. Un vide intense. Comme si je venais de renoncer à la vie. Je n’entendais plus rien. Madonne sur ma tête, néanmoins, s’excitait. Je ne l’avais jamais vue si enthousiaste, si dégourdie. Elle avait toujours été tellement timide depuis que cette femme me l’avait laissée à la foire de Némérya. Elle qui était si pudique était soudainement des plus enthousiastes. Ça me faisait sourire. J’imagine qu’elle sentait qu’elle avait trouvé sa place, tant dans mon équipe que dans cet endroit, aussi vaste qu’il était. Marquise, quant à elle avait resserré son étreinte, elle était intimidée. Elle avait peur de ce qui l’attendait. Je me penchai pour lui caresser la laine, ce qui fit sortir Altesse de son terrier. Elle qui jubila littéralement en voyant la scène. Je lui en avais tellement parler… de ces salles… de ces spectacles… elle ne pouvait qu’avoir hâte. Je souris. Je sous-estimais mes liens avec eux, mais j’avais une bien belle famille. Aussi néophyte eusse-t-elle été. Pourtant, je tremblais. Ma Wattouat me le fit remarquer quand elle appuya son front sur la paume de ma main. Elle qui n’agissait ainsi que lorsqu’elle cherchait à me réconforter. Elle avait développé ce réflexe à force d’avoir une dresseuse aussi nerveuse. Je me relevai à la question d’Even…

« Je ne sais pas… c’est beaucoup trop beau pour moi… » dis-je en me dépréciant, comme si je ne valais pas tout ce luxe auquel j’étais pourtant habituée. Je ne voulais néanmoins pas décevoir cet inconnu. Je mis un pied sur la marche pour monter sur la scène. Un pied de trop. Je n’avais rien préparé. Mes Pokémons n’étaient pas prêts. Mes genoux flanchèrent et je tombai au sol. « Désolée monsi… Even… je ne sais pas le faire, je ne peux pas. » J’ignore si c’était ce qu’il appelait le trac, mais c’était comme un mal intense qui me rongeait de l’intérieur. Ma poitrine brûlait. Ma tête bourdonnait. Mes oreilles n’entendaient toujours rien. Inquiète, Marquise avait posé ses pattes sur mon ventre, tentant de remonter mon visage. Madonne était descendu dans mon cou et soufflait sur mon visage comme si elle avait voulu sécher les larmes qui avait crispé mon visage devant mon incapacité. Même Altesse était sortie de mon sac pour se blottir contre moi. Comme si ma faiblesse lui avait donné le courage de montrer son existence.  « Je suis désolée… je ne sers vraiment à rien… » geignais-je entre mes mains. Nous étions venus ici pour rien. J’étais incapable de mettre le pied sur cette scène. Sur cette zone interdite à ma sœur et moi par mes parents. Franchir le pas qui me manquait était comme braver un interdit qui m’avait été dicté depuis ma tendre enfance. « Je ne sais pas comment faire… » échappai-je à nouveau, attrapant ma Wattouat pour me coller le visage dans sa laine, pour me cacher. Par honte pure et injustifiée. Par honte de ne pas être en mesure de faire ce que l’on attendait de moi. Désolée de vous avoir fait perdre votre temps monsieur Even… je suis vraiment lamentable. Misérable même. Je pleurais encore. Une fois de plus depuis que j'étais ici en Lumiris. Était-ce là tout ce que je savais faire ? Je ne pouvais même plus compter sur les doigts de mes mains le nombre de fois où j'avais pleuré depuis mon arrivée ici. J'étais si faible. Si Lyanora...

Ciel que j’étais minable d’ainsi m’abandonner à mes crises d’angoisse. Je n’avais pourtant jamais été assujettie à de telles crises auparavant. Jamais je ne m’étais affalée telle une loque sur le sol. J’avais toujours été capable de me tenir debout et voilà que je n’y arrivais même pas là. La chose la plus innée du monde ne me venait plus. L’usage de mes jambes. Pourtant Even tentait de me remonter le moral, comme si j’en avais valu la peine. Agenouillée là, je me rendais bien compte que tout cela n’avait été qu’une vulgaire erreur de vouloir marcher dans les pas de mes parents et de suivre ma sœur. Je n’aurais pas dû bouger. J’aurais dû rester à Jadielle. Je regrettais tellement, mais tellement d’avoir embarqué sur ce bateau. J’écoutais pourtant Even, d’une oreille certes distraite, mais je l’écoutais. Je buvais ses paroles comme si elles avaient été celles de mon idole. Je les savais bien intentionnée, mais ma tête cherchait à comprendre l’essence de son discours, comme si elle avait été la chose la plus inaccessible à n’avoir jamais existé. Je sentais l’étreinte de mes Pokémons se resserrer et, silencieusement, je les remerciais d’être là. S’il y avait bien une chose que je ne regrettais pas de ce périple, c’était eux… et tous ceux qui se joindraient à moi dans un avenir plus ou moins rapproché.

Mes larmes cessèrent lentement de couler au fur et à mesure que le discours d’Even défilait. Je ne pourrais dire si c’était le résultat du réconfort de mes Pokémons ou alors les balbutiements encourageants de mon hôte, mais l’un comme l’autre m’aidait. M’aidait à passer outre ces sentiments négatifs qui me hantaient depuis si longtemps. J’aurais aimé que les choses soient aussi simples que dans les films. Qu’en une seule fraction de seconde, je passe à un autre état d’âme. Hélas, ma vie n’était pas telle. Trop calquée sur mes insécurités et mes problèmes personnels. Constamment elles me suivaient et me barraient la route comme si elles avaient été une montagne impossible à escalader pour un alpiniste avide de défis. Je me retrouvais là, à choir dans une salle de spectacle comme si je venais d’apprendre la mort d’un être précieux. Pourtant, je n’étais qu’atteinte d’un grand stress. L’irrationnalité s’éprenait de moi, me serrait à la gorge comme une chimère de l’enfer qui refusait de me laisser passer le purgatoire. J’étouffais. Cette épaisse prison m’étouffait. Comment pouvais-je encore l’endure ? Comment pouvais-je oser regarder en face cet abominable syndrome de l’imposteur ? Car oui, c’était ainsi que je me percevais. Un horrible imposteur qui ravissait la place des uns et des autres sans scrupule alors qu’elle n’avait aucun talent à arborer sur une scène. Jamais je n’avais dansé. Jamais je n’avais performer. J’avais seulement chanté çà et là, davantage par divertissement que réel intérêt. Hélas, il était plutôt compliqué d’intégrer le dessin à la performance scénique, bien que le dessin eût été ma réelle passion.  Sans expérience, sans talent de performance, je ne sentais pas que j’avais ma place parmi les pléïades, j’y étais davantage pour mes parents et je le savais… c’était ça le pire selon moi. Faire un choix pour les autres, c’était toujours une horrible idée.

Une note de musique fendit l’air. Je levai les yeux. Mes Pokémons regardèrent tous vers la scène. Je n’avais pas eu connaissance du moment où il était monté sur scène, mais Even m’offrait un spectacle. Un numéro. Je comprenais son intention, je la comprenais bien. Il souhaitait m’encourager. Briser la glace. Je le voyais bien et c’était tout à fait noble de sa part, de tenter de faire quelque chose de ma peau. Si j’avais pu voir cette perle qu’il tentait de faire briller en moi, je l’en aurais probablement remercier. Néanmoins, plutôt que de l’envier, je le regardais émerveillée. Admirative. Chacun de ses pas. Chacune des attaques de ses Pokémons. Chacune des paroles de sa chanson. Tout, l’ensemble de l’œuvre était exécuté avec tellement de précision. Avec une immense passion et une implication étonnante. Je comprenais mieux ces deux femmes qui étaient venues nous interrompre pendant que l’on discutait au café. Je comprenais mieux l’ampleur du travail de cet homme. La différence entre ses principes artistiques et ceux de mes parents. Il y avait dans sa chorégraphie une livraison, une authenticité, une romance que j’avais du mal à m’expliquer. C’était une image de la performance que j’aimais. Bien plus que la conception que m’avait enseignée mes parents. Eux faisaient tout pour l’argent, la célébrité, pour les admirateurs, par pur égoïsme. Lui, il le faisait pour lui, parce qu’il aimait ce qu’il faisait plus qu’il ne voulait impressionner. Était-ce ce qu’il avait tenté de me dire plus tôt ? À travers les vidéos, on ne ressent généralement pas ce genre de transmission émotive. Là, sa voix, celle de sa Pharamp portait jusqu’à moi des émotions et des frissons que j’avais du mal à m’expliquer.

Je le regardais. Étonnée. J’avais oublié mon soudain affaissement alors que je m’apprêtais à monter sur cette scène. Je m’étais même relevée et j’avais pris place dans les estrades. Je m’étais assise dans les gradins comme si j’avais tenté de montrer que je m’identifiais davantage comme une spectatrice qu’une artiste et que ma place était milieu de ces gens normaux qui venaient être ébahis par les artistes qui se produisaient ici, s’affrontant pour un simple morceau de tissu. L’essence même de la performance ne se trouvait pas en ces rubans, mais plutôt dans le développement de l’individu qui performait et de ceux qui l’admiraient. Even était le messager d’un message bien plus grand que lui-même dans cette performance. Il s’adressait directement à moi et tellement d’autres gens s’ils avaient eu la chance d’assister à cette performance privée. Fais face à tes peurs qu’il disait. Regarde-moi, j’y suis presque… je pleure… mais j’affronte mes peurs. La poésie de la chanson était évidente. Le lyrisme du texte était agréable. Il tentait de m’encourager, de me motiver. J’aurais aimé être capable de monter sur scène… de l’accompagner. Je m’en sentais incapable, hélas. Pourtant, quand il poussa les dernières notes de sa chanson, je me levai et l’acclamai. Je l’applaudis comme si je n’avais jamais vu aucune performance de ma vie. Trop concernée par ses mots, je me dérobais à juger le numéro comme un tout. Je n’entendais que ces paroles en boucle au tréfond de mon âme. Laisse-moi affrontez mes peurs. Jamais je ne dirais ces mots, je ne suis pas assez courageuse, mais ils étaient beaux. J’aurais aimé avoir la force de les dire, moi aussi. Je ne l’avais pas. Était-ce définitif ? Était-ce temporaire ? Je ne saurais le dire.

Je me levai et bougeai de ma place. Marchant au bas des sièges des spectateurs pour retourner sur cette même marche où j’avais été pétrifiée. J’étais toujours incapable d’aller plus loin, mais je ne pleurais pas cette fois. Il y avait au moins ça de différent. Je souris au garçon, encore émue par sa performance. Je n’avais jamais compris la danse, mais j’avais dû mal à imaginer ce numéro sans danse, il me semblait juste, tellement juste avec cette chorégraphie et tout ce qui l’accompagnait. Elle était importante cette fois et si je n’en comprenais pas tous les tenants et aboutissants, ça ne m’empêchait pas de l’apprécier.  

« Voilà donc ce qu’est un véritable artiste… vous êtes tellement intelligent… » Je n’avais plus de filtre, que de l’admiration. J’avais dit ces mots sans prendre le temps de considérer l’impression qu’ils laisseraient. Serais-je l’une de ces admiratrices exubérantes à ainsi le complimenter ? J’osais espérer que non. Je n’avais pas envie de devenir l’une de ces personnes trop intenses qui s’immisçaient dans la vie des artistes comme s’ils étaient des idoles qui n’avait que ça à faire s’intéresser à eux. Sans vie extraprofessionnelle.  « Comment y arrivez-vous ? C’était comme si plus rien n’existait pendant trois minutes. Ni moi ni les embûches de la vie. Il n’y avait plus que vous, Magirêve et Pharamp. Combien d’heures de répétition vous a-t-il fallu ? J’imagine qu’un tel numéro ne se monte pas en quelques secondes. J’imagine qu’il y a derrière tout cela une telle réflexion qu’une petite tête comme la mienne ne saurait réfléchir et mettre de l’avant de telles idées… vous êtes fantastiques… » Dis-je toute élogieuse. Toujours sur mes émotions. « Merci, néanmoins, si je ne crois pas pouvoir faire aussi bien, ou être en mesure d’affronter mes peurs comme vous le recommandez si aisément… j’apprécie votre message, ce que vous avez tenté de m’enseigner. C’est tout à fait louable de votre part. » Je portai la main à mon cœur. « Mais… la première fois… si vous étiez si nerveux… comment avez géré tout cela ? Il n’y a même pas de public encore et je suis sciée en deux tant la nervosité me ronge, je n’arrive même pas à vous rejoindre sur la scène. Je reste figée là. Comment pouvons-nous combattre cela ? »

J’espérais qu’il me livre mille-et-une réponses. C’était beaucoup attendre d’un Homme, aussi fantastique fusse-t-il. Nul n’avait réponse à toutes ces questions que je me posais et je le savais bien, pourtant j’espérais. J’espérais qu’il puisse m’apporter ne serait-ce qu’un tout petit réconfort, verbal cette fois, plutôt que performatif. J’avais besoin d’entendre textuellement ces mots qu’il avait tenté de me porter au cours de sa performance alors qu’il m’avait donné accès aux coulisses de sa sensibilité. Misérable, je restais sur ma marche, à un pas de la scène. Il suffisait d’une simple poussée pour que je décide de monter sur scène, mais je n’osais pas. Je sentais Marquise tirer sur ma jupe pour m’amener vers Even et ce Pokémon qui ressemblait forcément à ses parents. Je l’ignorais pourtant. Fixant le Pléïade avec un mélange de tristesse et de joie dans les yeux. Un mélange d’admiration, de culpabilité et de complexes, mais un sourire qui fendait mon visage, me montrant, pour une première fois depuis notre rencontre, radieuse, tel que ma sœur ou mes Pokémons me voyaient. « Il était temps… » chuchotai-je pour moi-même. Le pauvre devait me croire bien malheureuse avec ces innombrables larmes et ces questions qui me venaient par millier tant je n’avais pas les compétences requises à mon léger accès d’audace et de désirs. Je fabulais clairement, je m’en rendais bien compte seule, mais s’il avait espoir de m’aider, pourquoi ne pas tenter de l’écouter. Le fait de croire que je n’étais pas digne des Caelum m’appartenait, il n’était pas obligé de savoir que je n’en pensais pas moins.

Oui… non… je ne savais plus. Je sentais ma Wattouat tirer sur ma jupe avec tellement d’insistance qu’il en devait difficile de simplement rester là, les pieds ancrés dans le sol. J’avais beau la sommer d’arrêter du regard. Elle persistait. Comme si elle n’avait eu d’autres désirs dans la vie que de me voir marcher sur cette scène. Comprenait-elle au moins ce que cela représentait ? Ce que cette scène signifiait ? Nous étions aussi dans un antre de création, dans un univers unique auquel je ne m’identifiais pas… encore. J’en étais incapable. Incomparable imposteur dans cette salle. Monsieur Even faisait preuve de fougue, d’audace, de talent. Je n’avais rien de tout cela. Je n’avais que cette pernicieuse envie de valoriser mon nom. Qu’est-ce qui m’avait donc conduit à devenir une Pléïade, n’était-ce que mon nom ? N’était-ce que notre réputation ? Avais-je une envie, un tant soit peu personnelle de vivre dans les conditions que mes parents avaient connues ? Avais-je envie de suivre cette voie, réellement, intimement… pour moi plutôt que pour eux ? Je ne trouvais pas la réponse. Pas en moi. Je soupirai un petit coup et me penchai pour caresser la laine de ma Wattouat, elle qui se montrait si insistante. Il fallait bien que je me rende à l’évidence que je ne saurais que la décevoir. Elle semblait vouloir de cette vie, ou voulait-elle mon bien ? J’en doutais. Était-ce réellement bien ? Madonne semblait pourtant bien d’accord avec elle. La petite raie s’envola derrière moi et se mit à pousser. Les pauvres n’étaient pas encore assez fortes, mais elles semblaient si convaincues que ce petit pas me ferait du bien. Je levai le pied, comme si j’allais monter. J’hésitais pourtant toujours autant. Altesse, qui ne sortait pourtant que rarement de mon sac vint se percher sur mon genou et le premier de mes pas se fit.

J’avais maintenant le pied sur cette scène je tremblais. Un seul pied et je sentais l’entièreté de mon être tressaillir. Je tentais de ne pas m’haïr, de ne pas détester cette sensation, mais j’avais du mal. Comme s’il m’avait manqué un morceau important. Une conviction ? Un encouragement ? Un visage connu ? Mon sourire se transformant en un visage sérieux. Presque imperturbable, impassible. Je n’avais pas l’habitude d’être aussi neutre. Moi qui étais ou très joviale ou très attristée. Je n’avais jamais connu de milieu. Seulement des sommets et je nageais pourtant dans cette rivière calme comme si j’en avais l’habitude. Je pensais à ces mots. Ces doux mots presque trop beaux pour qu’ils puissent m’être dirigés qu’Even m’avait partagé. Il avait été comme moi. Il avait déjà vécu cette angoisse. Il avait déjà eu du mal à monter sur scène et il avait aujourd’hui ce niveau. En allait-il autant pour mes parents ? Avaient-ils déjà été nerveux ? Ressenti le trac ? Étaient-ils déjà montés sur une scène sans savoir quoi faire. Probablement pas. Pourtant mon âme me triturait. La pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre m’avait-on souvent dit. Mère avait-elle ressentit ce vide la première fois qu’elle était monté sur une scène, même sans public ? Elle qui était si professionnelle, avait-elle vécu ce vide que je ressentais à l’instant ? Mon second pied toucha terre sur la scène. Voilà, j’y étais. Je ne pouvais plus reculer. Plus du tout. Marquise sautait de joie devant sa réussite et Madonne l’encourageait en jubilant derrière moi. Altesse, dans toute sa splendeur ne fit que leur sourire avant de reprendre place dans mon sac. Toutes les trois s’étaient unies pour la première fois depuis que je les avais simplement pour que je marche sur le bois ciré presque trop méticuleusement de cette scène. Ça semblait les enchanter. Trop nerveuse, je ne regardai pas mon hôte. Je ne voulais pas qu’il me voit aussi agitée. J’avais l’impression que je pouvais perdre conscience à tout moment et pourtant je continuais d’avancer vers le centre. Comme si c’eut été l’objet de ma convoitise depuis belle lurette. Mon avancée était lente. Presque irréelle. Pourtant, elle était.

Il y avait longtemps, j’avais imaginé mes premiers pas sur scène. Je les imaginais comme étant un troisième membre du groupe des Caelum, pas seule. Je les imaginais devant une foule assourdissante tant elle criait fort. Je les imaginais avec une équipe de Pokémon bien formée. Je les imaginais confiants, solides, bien assumés. Comme si je m’y étais toujours préparée. Mes parents me laissaient dans ce spectacle un numéro entier seule. Je l’avais longtemps imaginé comme une œuvre parfaite. Une œuvre solennelle et un chant du cygne qui me ferait connaître. Quelque chose qui ferait dire au public « Regardez ! C’est la fille des Caelum, ils ont tellement bien réussi leur enseignement ! » De toute évidence, je ne m’étais jamais rendu là. Pourtant à peu de choses près, j’étais devant ce moment fatidique, celui où je faisais mes premiers pas sur scène… à peu de choses près, oui. Je gagnai enfin le centre. Je revoyais ce moment que j’avais longtemps rêvé en ma tête. J’avais toujours été si près de la porte, mais jamais je n’avais osé franchir le pas, voilà pourtant que j’y étais. J’étais au centre du scène, à l’audimat certes plutôt rasoir et à la confiance peu présence, mais je me sentais soulagée… exaltée. Comme si le fait d’être là avait été d’une quelconque façon cathartique. Je n’avais rien fait pourtant, mais je me sentais pourtant obligée de faire quelque chose. Autre chose qu’une simple marche de santé, quelque chose de plus réfléchi de plus poussé.

Je n’avais pas cet avantage d’avoir longtemps considéré une chorégraphie. Je n’avais pas cet avantage indéniable de m’être préparée comme Even. Je ne lui arriverais certainement pas à la cheville, mais je sentais pesé sur moi une forte pression, l’une de celles que l’on déteste tous qui me disait que je devais le remercier et lui montrer que moi aussi j’avais ma place parmi les Pléiades de Lumiris. Je regardai Madonne et lui sourit, lui montrant deux rouleaux de tissus blancs plutôt larges. Je les avais achetés il y a longtemps parce que je les trouvais particulièrement beaux. Elle vola jusqu’au plafond du dôme pour les y accrocher et les dérouler, comme je le lui avais dit. Le tissu atteint rapidement le sol. Montrant sa blancheur satinée, presque trop pure sur laquelle on pouvait voir de petites étoiles argentées. Je tendis mon téléphone à Marquise qui, comme si elle avait toujours fait ça alla le connecter à la console où Magirêve se tenait plus tôt. J’avais déjà présélectionné la chanson. La commande vocale suffirait à la faire commencer. Je regardai Even, apeurée. « J’ai un peu peur… nous n’avons aucune préparation, mais il y a longtemps que j’ai réfléchi ce numéro et que je leur en parle. Je l’imaginais pour faire mes débuts devant public, vous pourrez me dire ce que vous en pensez. » Je me tue. Madonne finit de fixer les tissus au toit pour s’assurer qu’ils ne tombent pas et s’en alla rejoindre Marquise et ensemble, elles traînèrent le chevalet de présentation des numéros jusqu’à la scène, à défaut d’en posséder un, je l’emprunterais. Ne serait-ce que temporairement. Je déposai ma Chlorobule sur le sol et elle prit place en regardant Even. Je disposai une large feuille blanche, vierge, sur le chevalet et je souris. Nous étions presque prêtes. Madonne m’apporta un micro qu’elle me tendit sans broncher et toute heureuse elle alla se percher plus haut. Dirigeant une poursuite sur moi. Wattouat se dirigea un peu plus loin sur la scène. Tout commençait avec Chlorobule. C’était le début que j’avais imaginé puisqu’il était mon début. « Dusk, jouez la liste de lecture. » dis-je au micro.

Les premières notes de la chanson se firent entendre, pas très fortes. Juste assez pour qu’on les distingue. Je m’enveloppai dans les deux voiles de tissu et m’assied au sol. « Nous sommes tous nés comme des bourgeons. Prêts à grandir. Prêts à offrir sa beauté au monde. Nous avons tous vécu dans une certaine ombre, celles des arbres, bien plus grands, jusqu’au jour où nous en sommes venus à s’émanciper… jusqu’au jour ou l’amour quelqu’un soit la nature nous a trouvé dans notre germe… » Un silence se marqua. Altessa utilisa Vol-Vie pour teinter de vert les morceaux de tissus. Un simple petit halo vert et je commençais à remuer. Je faufilai un premier bras hors de ma carapace de tissu. Puis ma voix se fit à nouveau entendre dans le micro, cette fois néanmoins, je ne parlais pas. Je chantais. Altesse courut vers le tissu pour m’aider à en sortir. Comme un ami en aide un autre.

Je sortis tranquillement de mon envelope, comme s’il eut été un œuf. « Kiss today… goodbye… » dis-je, la larme à l’œil, la voix pleine de pureté et de chagrin. Comme si j’eus chanté ma vie. « The sweetness and the sorrow… » chantai-je en désignant Marquise et Altesse de la main. « Wish me luck… the same to you… » portant les bras vers les airs puis pointant Even. Le rythme lent de la chanson me permettait d’exécuter bien peu de mouvement pour porter comme il se doit le texte, reflet de cette réalité que je vivais actuellement. « But I can’t regret… What I did for love. » Le pinceau dans une main, je dessinai rapidement, mais avec précision une montagne sur la toile que retenait le chevalet. « What I did for love. » Sous l’effort de Madonne, une pluie se mit à tomber. Comme si le chagrin m’avait avalée toute ronde. Pourtant, j’avais un petit sourire. Je me retournai vers Even. « Look, my eyes are dry. The gift was ours to borrow. It’s as if we always knew…   » dis-je en serrant les mains contre ma poitrine après un nouveau coup de pinceau dessinant la mer. Une mer bleue. Pure. Tranquille. « And I won’t forget… What I did for love… » Wattouat, dans toute sa beauté utilisa cage éclair. Teintant la pluie d’une douce énergie qui la faisait ressembler à un orange, sans ces bruits de tonnerres ou ces fracas de foudre, seulement ces flashs d’éclair. De touts petits flashs. Elle lâcha un petit hurlement, comme si elle avait été triste. Mon regard se posa sur elle. « What I did for love… »

J’enroulai mes bras dans les tissus, et comme on le voyait au cirque je me mis à monter, non sans effort. Dans la salle de mes parents, j’avais néanmoins souvent répété ce mouvement. J’avais toujours trouvé ces gymnastes de ruban tellement talentueuses que j’en étais venu à vouloir apprendre d’elles. « Gooooone. Love is never gone. As we travel on. Love’s what we’ll remember. » entonnai-je pendant mon ascencion. Il est vrai que l’amour, quelqu’en soit la nature nous portait loin. La passion, les amis, la famille, le véritable amour… on ferait tout pour elle et le fait de m’envoler en chantant ces mots ne faisant que donner du poids à cette métaphore. Exécutant quelques figures à quelques mètres de hauteur, mon visage affichait une nostalgie. S’il y a une qualité que je possédais, c’était cette capacité à interpréter les émotions, je passais tellement souvent par une myriade de sentiments que je ne pouvais qu’être capable de les reproduire. Puis je redescendis des rubans rapidement, comme si j’avais perdu la force musculaire qui me retenait. Je contrôlais pourtant le tout. Je tombai à genoux au sol. Je ne relevai que la tête et aussitôt Marquise et Altesse vinrent se coller à moi. « Kiss today… goodbye and point me toward tomorrow… » Mes deux Pokémons se mirent à tirer sur mes vêtements. De là-haut, la Babimanta se mit à projet de l’écume, de telle manière à nous ensevelir. Je me relevai, feignant la misère. Comme si mes Pokémons me tiraient et me forçaient à les suivre. « We did what we had to do... » J’ajoutai une ville sur le tableau. Chaque dessin était fait avec précision de telle manière à ce que l’on reconnaisse facilement ce à quoi il correspondait. Puis pendant le ooooh je me tournai, plus violemment. Plus décidée. Suivant ce que dictait ma voix. Mon ton devenait plus. Mon timbre plus net. « Once again, can’t regret… » La pluie se changea en un blizzard puissant. Les flashs cessèrent. Chaque bulle d’écume se perça tranquillement, laissant place à cette neige qui s’accumula un peu à nos pieds. « What I did for love. » Sur la toile j’ajoutai un navire qui voguait vers le large, vers un arc-en-ciel que je venais de peindre. Mais on ne la voyait pas.  Plus avec ce blizzard. Perché sur mon épaule, Marquise recommença à créer les flashs pour qu’on ne voit plus que mon ombre à travers le déferlement de neige et le voile blanc qui se dressait devant moi. « What I did for love. » Puis je remontai dans les bouts de tissu, comme si de rien était, plus haut cette fois. «  What I did for loooooveee. Gone, love is never gone. As we travel on, love is what we remember. » On ne voyait toujours que mon ombre avec l’effet stroboscopique que créait Wattouat, comme si elle avait toujours su que c’était ce qu’elle devait faire. Je mélangeais flexibilité, art et sport, exécutant quelques acrobaties que je savais faire. Habilement, pendant l’extinction des feux de la cage éclair de mon Pokémon, j’enroulais l’un des tissus autour de ma taille et Wattouat se laissa prendre entre le tissu et moi. Le blizzard s’estompait tranquillement en altitude, mais il était toujours très présent en bas. Chlorobule commençait pourtant à faire apparaître le teint vert de son attaque vol-vie contre ce blizzard. Comme un regain d’espoir pour braver cette tempête. « Kiss today good bye… and point me toward tomorrow » dis-je alors que je pivotais et que ma tête s’orientait maintenant vers le bas. « Oh we did what we had to do… » puis Babimanta commença à utiliser laser glace contre mon dos. Le froid me surprit, mais je restai concentrée sur mon interprétation de la chanson. Je pivotai à nouveau pour orienter ma tête vers le plafond, rétablissant mon équilibre à l’aide de mes jambes qui tremblaient légèrement. L’effort devenait trop grand. « Wont’ forget… can’t regret, what I did for love. » chantai-je dans le micro, alors que tranquillement, la tempête, toujours teintée de vert, disparaissait, ne cachant plus que le tableau. Wattouat avait concentré son attaque et les petites étoiles argentées autour de ma taille et de lui se reflétait contre les murs comme une boule miroir. « What I did for love. » dis-je à nouveau alors que la neige laissait place à la sculpture de glace qu’avait créé Madonne dans mon dos, de petites ailes d’ange, symbole de mon émancipation personnelle et artistique, puis dévoilait les touches finales de ce tableau que j’avais peint. D’abord le ciel, l’arc-en-ciel et les montagnes. « What I did for loooooooove. » poussai-je enfin, dévoilant les derniers details du tableau. La plage et un navire s’en éloignant. La musique s’estompât et il ne resta que moi les bras vers le haut, suspendue dans les airs, des ailes de glace habilement taillée dans le dos, essouflée. Altesse au sol, épuisée, mais toujours à colorer les tissus et la neige qui restait. Ce tableau que j’appelais « premier voyager » et Madonne qui tranquillement vint me rejoindre.

Tranquillement, je me mis à tourner pour dérouler les tissus et dévalai jusqu’au sol. Je m’assieds et aussitôt cajolai chacun de mes Pokémons qui s’étaient montrés bien valeureux. Je souris amusée. J’avais donc réussi à faire une première performance, certes sans réel public, mais tout de même. Je repris légèrement mon souffle et me dirigeai vers l’extrémité de la scène. Confuse. J’ignorais qu’est-ce qui m’avait poussée à performer ainsi, était-ce moi ou monsieur Even ? Était-ce mes Pokémons ou l’inspiration et l’énergie de la scène ? Je souriais. Comme si je m’étais remise de toute mes émotions. Ce numéro était pourtant loin d’être à la hauteur de celui de l’autre Pléiade, mais j’en étais satisfaite. Il faut avouer que mes Pokémons n’étaient pas très puissants non plus. Je m’approchai de la marche et souris à Even. « Vous avez une bouteille d’eau ? » dis-je à bout de souffle. J’avais soif. Très soif. Tant de savoir ce qu’il avait pensé de mon petit numéro amateur que d’eau. Je souriais, toute niaise. Suspendue à ses lèvres. « Je n’ai pas votre voix ni votre talent, mais il y avait longtemps que j’imaginais cette mise en scène... j'ai eu envie d'essayer... ce devait être tellement brouillon... » Il n’y avait on ne peut plus vraie. La première fois que j’y avais pensé, je devais avoir quatorze ans. Je souhaitais être comme mes parents, aussi talentueuse. J’avais toutefois toujours eu la conviction que je n’étais qu’une dessinatrice. Ni danseuse, ni acrobate, ni chanteuse. Une simple dessinatrice qui n’avait pas de réelle place sur scène.

Je sortis de mon sac des friandises et tendis une à chacun de mes Pokémons pour les remercier de leur aide. Ce genre de numéro était tout autant, sinon plus, exigeant pour eux que moi. Ils n’étaient pas encore habitués à cette vie. Je ne leur en avais que parler. Je n’avais pas pris le temps de leur montrer. Pourtant, ils avaient été parfaits, comme si ma vision les avait gagnés et qu’ils avaient eu la même. Je les remerciai de la tête et rivai mon regard sur les lèvres d’Even. Il me paraissait bien grand de cet angle… j’imagine qu’il y avait de meilleures positions pour entendre des commentaires qu’assise en tailleur sur le sol. Je n’avais pourtant pas grand espoir. J’aimais ce numéro certes, mais je n’avais rien d’une professionnelle et je m’attendais à être détruite d’un point de vue critique, je devais avoir commis tellement d’erreurs. Si pour moi c’était esthétique, l’était-ce pour lui ? Le manque de pratique avait-il beaucoup paru ?

J’avais encore el souffle tellement court et je n’arrivas pas à croire ce qu’il me disait. Le rouge me montait aux joues et je ressentais une si grande bouffée de chaleur. Avait-il réellement aimé ce que je lui avais présenté ? Tentait-il simplement d’être sympathique et compatissant ? Je ne pouvais pas croire que j’avais autant de talent qu’il le laissait entendre, sinon mes parents l’auraient vu, non ? Je souris légèrement. Gênée. J’ouvris la bouteille d’eau et prit deux bonnes gorgées avant de la reposer à mes côtés, sur le sol. Aussi, Altesse s’en empara et je souris alors qu’elle la lança en l’air pour tenter de l’ouvrir. Je dois avouer que je ne l’avais encore jamais vue aussi joyeuse et gazouillante. Je souris en regardant Even qui continuait de me complimenter sur cette prestation. J’avais du mal à absorber tout ce qu’il me disait. Pourtant j’absorbais, certes sans réellement absorber ses dires, mais j’absorbais tout de même. Chacune des paroles qu’il me disait. Après tout, il devait bien savoir de quoi il parlait. J’ignorais depuis combien de temps il exerçait, mais depuis notre rencontre il me semblait bien disposé à m’éclairer dans la voie de la parfaite artiste ni superficielle ni intimidée. Je voulais juste paraître comme les autres, aussi normale que ces autres pléiades. Je ne voulais pas de ce succès précaire qui nous inonde d’admirateurs ou de pression. C’était un peu paradoxal comme je souhaitais vivre à la hauteur de mon nom de famille, je dois l’avouer, mais j’imagine que de réussir n’impliquait pas nécessairement de vivre comme mes parents.

Lorsque Even poussa son dernier mot je m’étendis sur le sol subitement. Comme si j’avais perdu conscience. Ce n’était évidemment pas le cas. Je souriais simplement. En regardant le plafond. Madonne vint se blottir contre moi et je lui caressai la tête, la félicitant de son travail. Je reçus un filament d’eau sur la tête et je pouffai de rire. Altesse venait d’ouvrir la bouteille et voilà qu’elle manifestait sa jalousie face au câlin de la Babimanta. Mon hilarité était presque contagieuse. Du moins, elle amusait mes trois Pokémons. « Merci Even... Ça fait du bien à entendre… Je ne sais pas si j’y crois, j’aurai à y penser… mais merci. Vraiment. » Coupai-je au milieu de mon rire de la manière la plus sincère du monde. Les yeux rivés sur l’éclairage, je souris. « Je sais néanmoins une chose… Ça aurait été différent si un public avait été là. » soupirai-je, d’un ton plus timide.

Si j’étais plutôt satisfaite de ce que j’avais fait, j’avais néanmoins ce sentiment que si j’avais ainsi figé à monter sur une scène sans public, le choc me serait d’autant plus terrible à la seconde où je verrais un public devant moi. Que je l’entendrais. Que je respirerais le même air que lui. Le simple fait d’y penser rongeait l’entièreté de mon être. Trop en sueur pour en avoir des frissons, je ne pouvais m’empêcher de m’imaginer faillir, malgré tout ce qu’avait dit Even. J’avais peur. Très peur. Peur qu’une fois le spectacle terminé, je devienne comme mes parents ou qu’une fois le spectacle commencé je m’effondre au sol, incapable de me mouvoir comme un bambin nouvellement né. Était-ce un passage obligatoire pour tous ceux qui osaient présenter une prestation devant public avec des Pokémons ? Étions-nous tous aussi nerveux ? Avions-nous tous ce syndrome de l’imposteur ? Nonobstant à quel point nous sommes rodés.

« Merci pour l’expérience dans tous les cas. C’était exaltant. » lui dis-je. Je m’étais sentie bien. Trop bien. À l’époque, je me souvenais que ma mère me disait que les prestations sans public ne faisaient pas de sens, que c’était comme pratiquer le football, mais sans ballon. Qu’à chaque fois qu’on s’adonnait à la pratique sans public, il manquait un élément crucial à la pratique de notre discipline. Pourtant, je me sentais repue. Je n’avais pas envie d’aller plus loin. Comme si j’en avais déjà suffisamment eu. Pourtant, ce n’était que début et ma satisfaction était davantage une crainte qu’une réalité. Je relevai la tête vers Even, les cheveux traînant toujours sur le sol, l’époussetant alors que la neige de ma Babimanta s’achevait de fondre. « Devant un vrai public… ça fait quoi ? Non pas que vous ne soyez pas un vrai public, mais je veux dire… une salle comble… ça fait quoi là ? » dis-je en posant la main sur ma poitrine. En général, on ne pouvait qu’imaginer le sentiment d’être sur scène devant une foule qui nous acclame, personne n’avait de réponse avant de l’avoir vécu.

Plusieurs questions me taraudaient encore l’esprit, comme si elles m’avaient toujours hantées. Je n’arrivais pas à les fuir, même si je voulais être fière de ce que j’avais fait, je continuais de m’inquiéter. La scène avait cet effet d’adrénaline chez les uns qui nous rendaient vite accros. D’aucuns lui résistent, le reste vivent avec cette passion une partie de leur vie et ce moment précis. Cet instant qu’Even m’avait offert sous sa tutelle venait de me donner une piqûre. Une piqûre inexplicable qui me faisait peur. Atrocement peur. Ce coup de main qu’il m’offrait aujourd’hui, Even me le filerait-il à nouveau. M’aiderait-il à percer ou faire quoique ce soit qu’un coordinateur se devait de faire ? Oserais-je lui demander de m’aider… lui demander cette faveur presque impossible à exaucer. Pourtant, dans l’un de mes rares moments d’assurance, je lui souris et attrapai sa main tentant de le tirer vers le sol, à mes côtés.

« Désolée, ça m’énerve quand vous êtes plus grand… Monsi… Even, pardonnez-moi. J’aurais une faveur à vous demander… » je marquai une pause. Il m’avait fait sentir si bien que je me devais de lui demander davantage d’aide quitte à ce qu’il refuse. J’avais besoin d’encadrement, de quelqu’un pour m’aider, de quelqu’un pour me guider à travers les chemins sinueux de la coordination et du dressage Pokémon. Voudrait-il seulement de ce rôle ? J’avalai ma salive bruyamment. « Me feriez-vous l’honneur de faire de moi votre prunelle… Simplement de me montrer ce que je dois savoir si je veux réussir. » échappai-je finalement, non sans baisser les yeux. Il ne m’intimidait pas. Je trouvais simplement difficile de demander une telle faveur à une personnalité publique qui avait fort probablement mieux à faire que de prendre soin d’une débutante dans le domaine de la coordination. Apeurée par sa réponse, je plongeai ma tête dans la laine de ma Wattouat qui venait de s’asseoir sur moi, fatiguée.