Le regard dans le vide, je regarde tous les recoins de la ville comme si je la redécouvrais à nouveau. Pourtant je suis presque sûr d’y être allé la semaine dernière. Le sol est fait de pavés et je souris en voyant cet environnement plus que beau à voir et dont l’air frais m’empli les poumons. Les marchands sont là, prêts à faire affaire avec la plupart des habitants de Lumiris. Je ne me souviens pas de comment c’était à Hoenn, je ne saurais même plus vous dire s’il y avait des places marchandes comme celle-ci. J’avance en direction du premier stand, un marchand de légumes. Je regarde le marchand, un grand homme à la barbe grisâtre qui lui donne un air sévère malgré son air sage et guilleret.
Je lui prends quelques légumes par-ci par-là, paye et me dirige vers les autres stands. Ils sont tous très occupés par leurs clients respectifs, alors je prends mon mal en patience, et j’admire la beauté de la fontaine, des jets d’eau qui sortent vivement du long tube en pierre. En voyant la file qui ne s’amenuie pas, je me décide à me poser sur un banc. Il y a beaucoup de monde aujourd’hui. J’ai bien fait de laisser Kable à la maison, ça aurait pu être la galère, pour le retrouver dans ce grand espace bondé.
Après quelques minutes, je vois certains passant partir, je me lève, et me dirige vers un marchand qui propose à la vente des produits pour l’élevage. Je n’ai pas le temps de regarder les objets qui sont à ma disposition que quelqu’un me bouscule. Je lui demande pardon, alors que c’est bien lui qui m’a poussé. Il a l’air pressé, et je n’attends rien de lui. Il doit sûrement avoir ses raisons, alors peu importe.
Je me contentais dans un premier temps de profiter des marchés qui se trouvaient sur Voltapolis.
La ville électrique n'était pas un grand lieu de regroupement de marchands : assez fréquemment, les gens sont employés par la ville, pressés et obnubilés par le travail; ne prennent pas le temps de profiter de la vie et de se permettre de petites folies, comme acheter des produits rares ou frais. Ainsi, ayant pour une fois décidé d'être l'hôte d'un petit marché éphémère qui ne durerait qu'une semaine, la ville se voyait envahie de touristes, de gens perdus ou juste lents, qui se contentent de rester près de stands avec un grand sourire et de gros yeux ronds sans bouger. Par manque de chance, aujourd'hui, j'étais pressé de me rendre à la Centrale et n'accepterait pas d'être gêné dans ma route. Je traversais les stands sans même faire attention à ce qui m'entourait, jusqu'à remarquer un resserrement dans les étals. Les gens s'accumulaient.
Je poussais doucement les premières personnes pour les sortir de mon chemin. De simples "Excusez-moi" se transformaient en "Dégagez de là !", les doux mouvements se changeaient en claques sèches dans le dos pour pousser les gens. J'allais bientôt sortir de cette meute de zombies hypnotisés par les affaires, alors qu'un type se plaçait en plein milieu de la route, m'empêchant de passer. En plus, il ne respectait pas le sens de déplacement des stands, sûrement un touriste. Alors, gardant mon calme, je lui pousse l'épaule pour qu'il bouge de lui-même.
"Pardon" entendais-je alors que je venais de le pousser. Pourquoi s'excuser ? Le plus idiot dans tout ça est qu'il restait dans le passage alors que je le fixais avec insistance. C'en était trop, je ne supportais pas les guimauves immobiles; décidant de placer mes paumes sur son torse, puis le pousser à deux bras en direction du stand le plus proche. Un peu de grabuge dans ce genre d'événements était fréquent, j'avais au moins le mérite de ne pas le faire dans son dos. La première personne à réagir était le boutiquier qui s'inquiétait de l'état du garçon, un jeune homme aux cheveux sombres, alors que je le renvoyais immédiatement à sa place.
"Toi tu la boucles. Il me gênait. T'en veux autant ? prononçai-je en levant le menton pour regarder le vendeur d'en haut avec un air orgueilleux. Et toi, qu'est-ce qui te prend de rester là, les bras ballants ? Tu bouges, ou je te bouge. Ça te servira pour toutes les prochaines fois." envoyai-je cette fois à la victime de ma mauvaise humeur. J'étais en rogne, il fallait que ça se sache.
Je me retrouve avachi au sol, je ne sais pas ce que j’ai bien pu faire ou dire pour mettre le monsieur en colère, tout ce que je sais, c’est qu’il n’a pas l’air commode du tout. Le marchand veut vérifier que je vais bien, mais celui qui m’a jeté au sol le remet vite à sa place. « Toi tu la boucles. Il me gênait. T'en veux autant ? » Il se résigne et préfère calmer ses clients. Avec tout ce grabuge, je n’ai même pas fait attention, mais j’ai bousculé deux ou trois personnes qui se sont reculés en ronchonnant. « Et toi, qu'est-ce qui te prend de rester là, les bras ballants ? Tu bouges, ou je te bouge. Ça te servira pour toutes les prochaines fois. »
Je fixe le grand blond qui se trouve au-dessus de moi. Il veut quoi ? Pourquoi il m’a mis par terre ? Pourquoi il me gueule dessus en me disant que je suis là, les bras ballants ? Qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? Mon sac de légume est renversé sur le sol, et je suis en train d’écraser ma sacoche derrière mon dos. Sans parler de la bosse que je vais me coltiner. « De quoi vous parlez ? Qu’est-ce que vous me voulez ? » Les passants nous fixent, certains s’arrêtent un instant, esquisse une mine boudeuse et reparte, d’autres ne prennent même pas la peine de nous regarder. Je soupire. Pas un pour rattraper l’autre, pas un pour venir virer ce type d’au-dessus de moi.
Je crois avoir parlé trop vite, une femme d’une trentaine d’année lui hurle dessus de me lâcher et nous demande d’arrêter notre cirque. Je la regarde, sans comprendre pourquoi elle me met dans le lot. Ce n’est pas comme si j’avais choisi d’être traité comme une serpillère. « Mais j’ai rien avoir avec lui… »
Il se relève enfin. Allez, je savais qu'il était prêt à se battre, je serrais le poing, prêt à en découdre. J'avais bien l'intention de lui refaire la tronche : c'aurait pu être lui ou n'importe qui d'autre, j'avais juste besoin de me défouler un grand coup. La police de Voltapolis ayant un lien très fort avec la SYLPHE ne me faisait pas peur, ils ne me feraient de toute façon rien.
Cependant, je remarquais que le jeunot ne se relevait que pour vérifier ses affaires qui avaient été écrasées. En fait, il n'avait pas l'intention de se rebeller. Plus lamentable encore, il recevait les injures d'une pauvresse qui venait se mêler de nos affaires, se permettant au passage de me demandant de me calmer en frappant mon bras à deux reprises. Alors, je lui offris un grand sourire, puis m'approchais de son oreille pour lui murmurer un doux message. "Frappe encore mon bras une fois et je m'assure que tu fasses le tour du marché en file prioritaire : traînée par une chaîne de vélo en bouffant le gravier. Non attend ! J'ai au final changé d'avis. Je compte jusqu'à dix et je commence. Un. Deux."
Je fis cliqueter les quelques bribes de chaîne métallique que je possédais le long de ma veste, que j'avais emportées depuis ma rencontre avec Soburin Ikeda. Subitement, la femme qui se montrait si imprudente jusqu'alors finit par prendre ses jambes à son cou, partant de l'autre côté du marché en hurlant de l'aide. Alors, je portais mon regard en direction du jeune garçon, qui semblait bien trop fragile pour me défouler.
"Debout. lui dis-je dans un premier temps, avant de répéter en ne remarquant pas de réaction. Debout, j'ai dit. Ne reste pas à terre, une personne mal-intentionnée profiterait de ta position de faiblesse pour s'en prendre à toi. Tu avais beaucoup de courses dans ce sac ?"
Aaah... c'était déplorable. Je commençais presque à avoir de la pitié pour ce petit gars, alors que tout ce que je voulais, c'était être à la centrale le plus vite possible... dire qu'au final je m'apprêtais à perdre du temps pour lui. Je hais mon éternelle mauvaise prise de décision.
J’entends d’ici, la femme qui nous demandait d’arrêter notre carnage en train de crier à l’aide. Mon agresseur s’est vite montré très convaincant pour la faire partir en vitesse. Vous pourriez demander de l’aide pour moi aussi ? Il n’y a pas que vous, qui vous êtes fait « agresser ». Je soupire, comme si j’avais que ça à faire que de me retrouver tous les jours avachi sur le sol, mes semaines sont déjà assez éreintantes avec les enfants turbulents, manquait plus que ça. A croire que les astres se sont alignés pour me faire comprendre qu’ils ne veulent pas de moi.
Je suis assis sur le sol quand le grand blond me répète de me relever. Il me tape sur le système, à absolument vouloir que je me relève. « Si vous vouliez que je sois debout, vous n’aviez qu’à ne pas me jeter au par terre. » Je ne sais pas s’il va se mettre à me hurler dessus ou à me frapper, néanmoins il a plutôt l’air de vouloir m’aider qu’autre chose alors il devrait comprendre que ce que j’ai dit est simplement une vérité générale. Je ne comprends pas son comportement par contre, quelques secondes plus tôt, il était à deux doigts de me mettre son poing dans la figure, et là, il est presque prêt à m’aider. Je tente l’audace, et lui tend ma main « Vous m’aidez ? »
Je le fusillais du regard. Lui qui semblait si fragile ne faisait pas semblant, il était vraiment... ridicule. À un point où j'avais presque de la peine pour lui. Alors je regardai d'abord à gauche, puis à droite, remarquant que le rassemblement de spectateurs s'était dispersé; apparemment, ils s'attendaient à un carnage plus grand. J'expirai une longue fois avant de déplacer mon regard en direction de la Centrale. Je déposais cette fois ma ligne de vue en direction de ma montre, indiquant la fin de la journée. Je soupirais.
"Si tu commences à t'y habituer, ça va mal finir." lui envoyai-je sèchement en attrapant sa main d'une prise ferme et tirant la totalité de son bras vers l'arrière. Je pouvais jurer que si j'y avais mis plus de force, je lui arrachais le bras tout entier. Il était d'une mollesse et d'une fragilité inconcevable.
"Je dois être à la Centrale avant que cette dernière ne ferme, autant dire que je serais capable de revenir pour te coller une rouste sévère si j'ai du retard par ta faute. Qu'est-ce que tu as écrasé dans tes affaires ?" questionnai-je avec une mine dépitée.
J'étais le seul fils d'une famille bourgeoise. J'ai toujours eu pour moi les regards bienveillants de mes parents car j'étais fragile dans ma petite jeunesse, d'une santé à en faire pâlir de jalousie un mourant. Cette fois les rôles s'inversaient, je devais m'occuper d'un minot plus faible que je ne l'étais... mais pourquoi ? Je n'en savais rien. C'était peut-être de la pitié. Ou de l'amusement. Ou de la curiosité de découvrir un ressenti nouveau. Quoi qu'il en soit, c'était sa chance ou jamais de ne pas croiser mon regard plus que de raison sans risquer de se prendre une trempe.
Il me fusille du regard, mais je n’en prends pas compte, il doit me prendre pour un sale petit con qui ose lui demander de l’aide. Mais qu’on soit honnête, s’il me relève, on pourra dire qu’on est quitte. Enfin, si on oublie tout ce qui est au sol. Entre ce qui sont simplement au sol, et ce qui a totalement été écrasé par les passants, on peut dire que mes courses n’ont pas eu la plus belle vie. « Si tu commences à t’y habituer, ça va mal finir. » Mal finir ? Je m’habitue à quoi ?
Il attrape ma main fermement et me relève d’un coup. Je n’étais pas prêt à ce qu’il s’y prenne de cette manière, mais au moins, je suis debout. Mes hanches ont quand même pris un sacré coup, et me le font immédiatement savoir. Je passe ma main dessus pour essayer de savoir si je n’ai rien de cassé. Ça m’a l’air à peu près correcte. Je tape sur mon jean pour virer la poussière qui s’est déposé dessus. Je regarde le grand blond, qui parait un peu moins grand maintenant que je suis relevé. Je lui fais un signe de tête pour le remercier et écoute ces « pseudos-menaces » quant à son potentiel retard. Comme si c’était ma faute, en plus. Je rêve.
« Qu’est-ce que tu as écrasé dans tes affaires ? » Je lève un sourcil pour lui demander de quoi il est en train de me parler avant de comprendre. Je pose ma main sur ma sacoche derrière moi et en inspecte le contenu. Mon téléphone n’est pas plus cassé qu’à la base, ma paire de lunettes par contre. Disons que si j’en ai besoin, je risquerais de m’ouvrir un œil avec les carreaux brisés. Bonne nouvelle pour moi, il ne fait pas encore assez beau pour que j’en ai besoin. « Ma paire de lunettes, tant pis. » Je repose cette dernière dans mon sac.
Je me dirige vers mon sac de provisions qui a fini renversé et commence à ranger les divers fruits et légumes encore potable et qui n’ont pas encore fusionner avec le sol. Une belle journée en vue quoi.
Je regardais la paire de lunettes du jeune garçon avec pitié. Jusqu'alors, je pensais qu'il ne s'agissait que d'un blanc-bec fragile, mais en réalité... il était un blanc-bec fragile à lunettes. Je venais de frapper un type à lunettes. Bon sang de... soit. Une fois relevé, je lui indiquais la direction à prendre pour se rendre en direction d'un stand où étaient vendus un grand nombre d'accessoires, notamment une grande variété de paires de lunettes, tant de vue que de soleil. Si une grande majorité de ces produits étaient des attrape-touristes à l'allure immonde, quelques petits lots étaient assez élégants pour être portés. Même par une personne capable de se blesser dans un marché.
"Si tu suis ce chemin, le quatrième ou cinquième stand est un vendeur d'accessoires. Tu pourras y trouver des lunettes de soleil à des prix cassés. D'ailleurs, ça me fait sacrément mal au cul, insistai-je en prononçant sèchement ce mot bien précis, tiens. Je te dois bien ça."
Je plaçais instinctivement ma main dans mon portefeuille, allant saboter une vingtaine de Pokédollars pour les offrir au gosse à lunettes. S'il tentait ne serait-ce que de les refuser, je lui collerai une nouvelle rouste pour les lui offrir : je détestais qu'on refuse mes présents; surtout lorsqu'ils apparaissaient d'une bonne intention.
Je n'étais pas un mec gentil, ou encore sociable, ni même d'honneur. Je n'avais que faire de la dignité, d'une bonne réputation ou de tous ces titres pompeux qui font de vous quelqu'un de bien. J'étais simplement un capitaliste attiré par l'argent et débecté par les Pokémon, en recherche de la foudre parfaite. Lui, il n'était qu'une charge électrique, un infime composant de la foudre; qui n'avait rien demandé à personne mais venait de se lier à un circuit énorme qu'étaient mes aventures. Il ne s'en rendait juste pas encore compte.
Je fixe mon agresseur tandis qu’il examine mes lunettes aux glasses sombres. S’il ne m’avait pas jeté au sol, je pourrais presque croire qu’il est désolé de ce qu’il avait fait, et des conséquences de ses actes. C’est qu’il éprouverait presque des remords, le blondinet. Je ne vais pas non plus m’en plaindre, parce qu’il m’a un peu agressé pour rien. Il s’excuse et me tend une vingtaine de pokédollars. Je fixe l’argent quelques instants avant de le prendre. « Merci. » J’étais à deux doigts de lui proposer de lui rendre un jour, mais je me retiens.
Apparemment, il y a un marchand qui vend ce qu’il me faut. Je lui tends la main pour la lui serrer. « La prochaine fois, espérons que je ne me retrouverais pas au sol. » Je ne me souviens plus s’il m’a serré la main, ou s’il m’avait encore laissé avec une phrase cynique dont il a le don, tout ce dont je me souviens c’est de m’être dirigé vers le marchand, puis plus rien.
Je saisissais la main du jeune garçon tout en le fixant dans les yeux avec insistance. Perforant son regard, je ne lui dis pas un mot mais écoutait son discours avec un sourire fier affiché, souhaitant faire comprendre mon opinion sur la chose. Si je venais à retrouver cette personne, la seule solution qu'elle aura pour ne pas se retrouver à terre sera de se rebeller et j'avais cette douce impression que...
... en fait, non. J'étais persuadé que si je lui rentrais dedans de nouveau, il se laisserait une fois de plus faire et finirait à plat ventre. Je devais me rendre à l'évidence, je ne trouverai aucune forme de rivalité avec ce jeune homme, seulement une pointe d'amusement à lui pourrir la vie. Cependant, c'était une motivation suffisante pour me donner envie de le revoir.
"Si je te revois, fais en sorte de tenir debout. Les vents sont violents par ici, lorsque les roseaux se plient, ils doivent lutter pour ne pas s'arracher. C'est cette robustesse qui les rend si forts. Sois le roseau le jour où je serai la tempête", lui dis-je poétiquement avant de quitter son regard et de tourner les talons. Je devais me rendre à la centrale et ne souhaitait pas être dérangé de nouveau dans ma missive. Peut-être, un jour, viendrais-je à retrouver cette personne sur ma route, peut-être sera-t-il accompagné de créatures, peut-être même que je ne le reverrai plus jamais. Toutefois, je garde son visage gravé dans ma mémoire.