Yuri était d'humeur joyeuse. Ayant passé la nuit chez sa mère, ils avaient longuement parlé de tout et de rien. Le dresseur lui avait raconté ses aventures depuis qu'ils s'étaient quittés et lui avait également fait rencontré ses nouveaux compagnons de voyage. Alma avait semblé enchantée de voir son fils aussi énergique et surtout, aussi paisible. Ça faisait des années qu'elle ne l'avait plus vu ainsi, même s'il avait toujours fait des efforts pour ne pas l'inquiéter. Elle ne pouvait que se féliciter encore d'être venu à Lumiris. Fuir Kalos avait été la meilleure décision qu'ils n'avaient jamais pris. Ici, ils étaient libres de tout ou lier, de tout recommancer, sans être constamment tiraillés par la peur au ventre. C'était si délicieux, si doux, si tranquille comme façon de vivre que, parfois, la mère et le fils se faisaient la réflexion muette que c'était peut être un peu trop beau. Mais ils finissaient par en rire, retournant finalement à leurs occupations.
En parlant d'occupation, alors que l'heure du repas approchait, le brun avait décidé de s'occuper du repas. Ayant une idée assez précise de ce qu'il voulait faire mais ne trouvant pas les ingrédients nécessaires dans les placards de la maison, il décida d'aller acheter deux, trois trucs en plus. Sortant en sifflotant joyeusement, il se dirigea vers un petit marché local qui avait lieux non loin de là. Les étales rustiques débordaient de denrées en tout genre : épices, viandes, fruits... Tout se mélangeait dans les airs en une symphonie d'odeurs et de couleurs que le jeune homme adorait. Se perdant entre les marchands et leurs différents produits, il réussit, en quelques heures, à se retrouver avec une poche pleine d'aliments : pains, épices, crème épaisse, cèpes et pommes n'étaient qu'un aperçu de ce qu'il portait dans les bras. Il ne lui manquait plus que de la farine et il était bon !
Se traînant d'un pas tranquille vers un étale qui aurait ce qu'il lui fallait, Yuri s'arrêta soudainement. Au milieu de la foule, à peine à quelques mètres de lui, il lui avait semblé revoir un visage qu'il aurait préféré oublier. Saisit d'une vague de nervosité, il tourna les talons et, serrant sa poche contre lui, il s'éclipsa du marché, allant trouver refuge à l'ombre d'une petite ruelle tranquille. Posant son sac au sol, s'appuyant contre le mur, il reprenait son souffle, ne se rendant compte qu'alors qu'il s'était mis à courir. Se passant la main dans les cheveux, ses pensées se bousculaient de façon désordonnée dans sa tête. Ce n'était pas possible. Ça ne pouvait pas être elle. Ça ne devait pas être elle. Elle n'avait pas le droit de revenir le hanter ainsi ! Pourtant.... Pourtant, il savait qu'il ne réussirait jamais à oublier ces cheveux flamboyants...
Charlie s’était rendue au Centre d’accueil, le sourire aux lèvres. Bien que l’ambiance fût plutôt tendue ces derniers temps – à cause du froid, ils avaient encore plus de demandes et ils avaient été obligé de réaménager la salle principale en y installant des lits afin d’accueillir un maximum de sans domiciles fixes ; ce qui avait pour effet de créer quelques tensions. Ils étaient tous trop nombreux mais en même temps, ils n’avaient pas vraiment le choix, s’ils voulaient ne pas passer leurs nuits dehors –. Tous les bénévoles étaient donc appelés à venir aider ; la rousse en tête de liste. C’était toujours elle qu’on appelait en première, parce qu’on la savait disponible quasiment en tout temps.
Enfin, avec tout ce nouveau petit monde, les provisions manquaient cruellement – il fallait bien tous les nourrir, or les réserves n’étaient pas assez conséquentes pour autant de personnes –. Il avait donc été demandé à la jeune femme de se rendre au marché, afin d’aller chercher de tout et n’importe quoi – éventuellement voir si certains marchands ne voudraient pas faire don de ce qu’ils comptaient jeter –. Elle avait d’ailleurs amené Héllébore avec elle – laissant son Kungfouine avec son œuf chez elle ; elle lui faisait entièrement confiance et elle savait qu’elle pouvait compter sur lui pour bien s’en occuper –, jugeant qu’il serait utile en cas d’éventuel conflit entre certains individus. Elle le réquisitionna donc afin qu’il vienne l’aider à aller chercher tout ce dont ils avaient besoin.
Et puis, c’était également une occasion de partager un moment avec lui, sans personne d’autre. Depuis leur terrible rencontre à la Mâchoire de Fer, elle avait bien remarqué que le Farfuret était différent, qu’il n’était pas dans son assiette. Mais, toujours occupée à faire tout un tas de choses, la rousse n’avait pas vraiment eut le temps de s’occuper de lui – honte à elle –. Après tout, il était son meilleur ami et bien qu’il ne fût pas toujours agréable avec Charlie, il n’en restait pas moins son compère, son camarade de route.
Ils s’étaient donc tout deux rendus au marché. Et visiblement, cela avait fait tout autant de bien à la dresseuse qu’à son pokémon. Voir un peu de monde, discuter, leur avait permis de se changer les idées, d’effacer ces souvenirs encore trop frais dans son esprit – et qui ne voulaient pas quitter ce dernier, les images revenant sans cesse –. Ils avaient réussi à trouver quelques marchands très agréables qui avaient accepté de leur faire des dons et avaient, au final, un grand panier bien rempli. Au moins, avec tout ça et ce qu’ils avaient en réserve, les cuisiniers seraient en mesure de préparer au moins une bonne grosse soupe pour tout le monde.
Ravie, Charlie se dit qu’il était désormais temps de retourner au centre. Faisant volte-face en plein milieu de la foule afin de faire machine arrière, elle aperçut alors un individu qui tourna les talons au même moment, se mettant même à courir. Interloqué, la rousse se demanda ce qu’il pouvait bien lui arriver. Elle se mit alors à le suivre, en lançant des « Hé, attend ! » mais qu’il n’avait visiblement pas entendu – il fallait dire qu’il y avait du monde malgré ce jour de froid –. Elle trouva d’ailleurs suspect le fait qu’il prenne la direction d’une petite ruelle. Se cachait-il ? Elle décida alors de ne pas se montrer tout de suite et d’épier ce qu’il faisait – sa curiosité finirait par lui faire payer un jour ; aujourd’hui sûrement –. Cachée derrière un mur, elle jeta un coup d’œil vers l’individu qui avait posé son sac et s’était adossé au mur.
No. Way.
Ça ne pouvait pas être possible. Non clairement, c’était tout bonnement impensable qu’il se trouve ici, dans la même ville après toutes ces années. Des souvenirs qu’elle avait décidé d’enfermer dans un coffre-fort au fin fond de son inconscient ressurgirent. Elle était en train de rêver – ou de cauchemarder plutôt –. Elle se pinça plusieurs fois le bras, elle hurlait intérieurement et priait pour se réveiller, mais rien ne se passa.
Tout était bien réel. Il était là. Et la vague de haine et de colère était en train de se libérer doucement dans ses veines. Que devait-elle faire ? Passer son chemin ? Faire comme si de rien n’était ? Non. Elle devait lui montrer qu’elle était encore là, qu’elle avait survécu. Se pointant à l’entrée de la ruelle, elle posa son sac à ses pieds avant de croiser ses bras. Ses yeux noirs ne quittaient pas cet individu. Héllébore se plaça à côté d’elle, le regard interrogateur se posant sur Charlie puis sur l’homme. Il sentait que sa dresseuse était furieuse, alors il s’avança légèrement, prêt à attaquer s’il venait à faire quoi que ce soit. Un mauvais sourire s’afficha sur le visage de la jeune femme.
« Tient tient tient, comme on se retrouve… Tu te caches maintenant ? »
Les choses ne se dérouleraient pas comme la dernière fois. Elle avait grandi, elle avait mûrie, elle avait pris en masse musculaire. Et cette fois-ci elle ne se laisserait réellement pas faire.
Essayant de contenir la vague d'inquiétude qui commençait à lui tordre le ventre, il s’aperçut alors que quelque chose lui cachait un peu les rayons du soleil. Relevant la tête, un frisson glacé d'effroi lui parcouru tout le corps. C'était bien elle. Elle avait changé, certes, mais c'était elle. Ses cheveux étaient plus longs, son corps faisait plus femme qu'adolescente maintenant et surtout ses yeux... Lui qui, il y avait de cela sept ans, s'était retrouvé face à un faon apeuré, il était maintenant devant une biche vengeresse irradiant la colère. Quoi de plus compréhensif après tout ? Vu ce qu'il lui avait fait, ce n'était que logique. Alors qu'il était encore dans le brouillard de ses sentiments, la confusion étant totale, la phrase qu'elle lui lança eut l'effet d'un coup de fouet. Un peu comme ce point qu'elle lui avait fait manger des années auparavant. Et soudain, d'un coup, tout devint clair. Elle était un danger. Un putain de danger. Elle pouvait menacer de briser tout ce qu'il s'efforçait de reconstruire ici. En un éclair, le visage d'un certain fermier lui traversa l'esprit. Il ne savait pas ce qu'il venait foutre là mais le fait de voir l'image de cette fille et la sienne se superposer lui donna la nausée. Grognant sous un air de colère, dardant sur elle un regard furieux, il se détacha du mur, se relevant de toute sa stature, le regard mauvais. Il ne fit même pas attention au farfuret qui semblait prêt à protéger sa maitresse. Qu'importe, qu'ils viennent à deux s'ils le voulaient, il les prendrait dans tout les cas !
- Et toi, t'arrives à faire autre chose que pleurer ?
Un rictus narquois déforma son visage. Pour la première fois depuis qu'il était arrivé à Lumiris, il sentit remonter en lui une envie puissante de violence. Pour la première fois depuis son arrivée, il faisait réellement peur à voir.
C’était un douloureux souvenir qui venait de ressurgir. Une remembrance qu’elle aurait préféré garder enfoui, ne plus jamais y penser, en entendre parler. Mais voilà qu’elle se devait d’affronter la vérité en face : il était là, devant elle.
Il avait bousillé sa vie, ce jour-là. Peut-être que si elle n’était pas venue à croiser sa route, elle n’en serait pas là aujourd’hui, elle n’aurait pas toute cette souffrance encore collée à la peau. Et puis, le revoir ne fit que remonter le visage d’Axel à l’esprit de la jeune femme. Elle avait eu à endurer tellement de choses suite à cet évènement… Le fait qu’elle ait failli y laisser la peau à Illumis n’avait fait ni chaud ni froid à l’homme qu’elle avait aimé. Il lui avait tout simplement ordonné de continuer à travailler pour lui afin de rembourser sa dette, au risque de périr.
Oui, cet individu-là n’avait fait qu’aggraver sa situation. Un frisson d’effroi quant aux images de cette nuit-là parcourut le corps de la jeune femme, suivit d’un sentiment de haine. Oui, elle avait essayé de faire une croix sur lui, sur ça – elle avait réussi jusqu’à aujourd’hui ; réussit à faire taire cette animosité qui était née –. Et tout ça était en train de ressurgir – les braises étaient en train de se rallumer ; le feu n’étant pas complètement éteint –. Mais, cette fois-ci, elle ne réagirait pas aussi impulsivement que ce jour-là. Non, elle réfléchirait un peu plus – si la gifle n’était pas partie toute seule, peut-être que les choses se seraient passées autrement ? Difficile à croire et puis elle ne voulait même pas le savoir ; ce qui était fait, était fait –.
En revanche, il était une menace – encore une fois –. Une menace à cette existence qu’elle s’était bâtie ici, à Lumiris. Cette nouvelle région, c’était son nouveau départ, le moyen de faire une croix sur son passé plus noir que les ténèbres. Si elle le croisait aujourd’hui, tout portait à croire que cela pourrait également se reproduire le lendemain, la semaine d’après ou qui savait, courant les mois suivants. Il était une menace à cet équilibre qu’elle avait réussi à créer.
Héllébore jeta un regard inquiet en direction de sa dresseuse après qu’il ait parlé avec ce rictus qui s’était affiché sur son visage. Le pokémon tira sur la manche de Charlie, comme pour lui dire « Allez, ne restons pas là. » Mais elle n’en avait que faire. Tout ce que voulait la rousse, c’était cracher sa colère au nez de cet homme. Et elle n’avait pas peur, malgré le fait que lui aussi ait changé, notamment musculairement parlant. La force ne faisait pas tout – aujourd’hui, elle en était consciente ; un peu plus que lorsqu’elle était adolescente –.
Une expression mauvaise tirant les traits de son visage, la jeune femme eut un petit ricanement amusé. C’était si cocasse comme situation. Si pathétique.
« Ohh, tu veux jouer à ce jeu-là ? Dans ce cas, t’as arrêté de laisser pour morte des filles dans des ruelles sinistres ou ça fait encore partie intégrante de ton quotidien ? »
Son ton était mauvais, plein de rage et son regard perçant ne se décrochait pas de la personne en face d’elle. Elle guettait le moindre de ses mouvements. En revanche, elle ne bougeait toujours pas – elle se battrait seulement s’il le fallait réellement mais elle ne lancerait pas les hostilités cette fois-ci –, se contentant de le fixer.
Sa langue claqua contre son palais, signe manifeste qu'il était profondément agacé. Si elle avait fait preuve d'impétuosité tant jeune, agissant sans réfléchir, là, elle faisait juste preuve de bêtise. De toutes évidences, elle voulait l'énerver mais uniquement en utilisant la langue de Molière. Cependant, elle s'y prenait comme une adolescente en colère. Pour peu, il aurait pu l'entendre dire un "c'est celui qui dit qui l'est !" que ça ne l'aurait pas étonné plus que ça. Car oui, à ses oreilles, sa réplique qui pour elle, devait être cinglante, n'était pour lui qu'un vulgaire pétard mouillé. D'un côté, il en était profondément irrité mais d'un autre, ce fut une sorte de soulagement qui l'envahit car il cru comprendre une chose. Elle ne savait pas que lui aussi il avait grandit et changé. Elle ne savait pas non plus qu'il tentait de se reconstruire, loin de ce qu'il avait. Ainsi, n'ayant aucune information sur lui, elle ne pouvait lui nuire. Un jour, un homme avait dit : "la connaissance est la clé du pouvoir, de la sagesse". Il avait raison. Sans connaissance, on ne pouvait rien faire si ce n'était agir stupidement, comme elle le faisait. Au final, elle ne restait qu'une enfant en colère piaffant de rage sans savoir comment l'expulser. En d'autres circonstances, elle lui aurait fait pitié et il l'aurait même sans doute aider. Mais là... Avec ce qu'elle savait, ce qu'elle avait vu, ce n'était même pas la peine d'y penser.
Ainsi, Yuri était partagé. D'un côté l'envie de partir, de l'autre, d'en finir. Partagé entre l'envie de partir et de la laisser de nouveau dans une ruelle, pariant sur le fait qu'elle ne chercherait pas recroiser son chemin. Il la pensait idiote et immature, comme peut l'être queqlu'un de son âge, mais pas complétement irréfléchie. Si elle avait deux neurones en état de marche, elle ne s'amuserait pas à lui courir après. En revanche, si ce n'était pas le cas ou si elle était complétement masochiste... Ca risquerait de déraper rapidement... Et surtout, partagé avec son envie d'en finir ici, maintenant, tout de suite. La faire taire une bonne fois pour toute. Cependant, en formulant cette envie, il savait qu'il en serait incapable. Il avait été un voleur, un connard, un bagarreur mais surment pas un tueur. Mais ça, elle ne le savait pas non plus. Elle ne savait pas non plus qu'au fond, il était rongé par le remord de ce qu'il lui avait fait subir. A elle et à bien d'autres. Il avait enfermé toutes ces sombres pensées dans un petit coin de son esprit, mais le fait de revoir ici avait fait volé en éclat le verrou de ses souvenirs. Et c'était ça qui l'énervait le plus.
Se penchant pour reprendre sa poche de course, il ne la quitta pas du regard, claquant de nouveau sa langue contre son palais avant de s'avancer vers elle d'un pas lent. Il n'y avait aucune agressivité dans ses mouvements mais la tension de ses muscles prêt à partir au moindre frémissement de l'air était palpable. S'arrétant à à peine un mètre d'elle, il planta ses yeux noirs deans ses billes brunes, la fixant avec le dédain d'un adulte envers un enfant trop effronté.
- Toujours une gosse au final.
Puis il reprit sa route, la dépassant en la bousculant au passage. Ça ne servait à rien de rester là, elle n'en valait pas la peine.
Il était l’une des raisons pour laquelle Charlie n’avait pu goûter au bonheur durant cette période de sa vie. Et la résurrection de ce fantôme de son passé était comme un coup de poignard dans le dos. A croire que la vie continuait de se jouer d’elle, de lui prouver qu’elle n’était rien. Pourtant, n’en avait-elle pas déjà assez enduré, depuis sa tendre enfance ? N’avait-elle pas assez subi les assauts répétés de ce destin tragique ?
N’avait-il donc pas changé ? En réalité, cela lui importait peu. Elle voulait juste qu’il comprenne le mal qu’il lui avait fait, qu’il avait détruit une part d’elle ce soir-là – mais à quoi bon ? Il devait très probablement s’en moquer au plus haut point ; et, si c’était la voie qu’elle décidait d’emprunter, elle passerait très probablement pour une idiote ressassant le passé, une enfant colérique –. Mais n’était-elle pas en droit d’être irrité après ce qu’il lui avait fait subir ? Si le Fantominus ne l’avait pas arrêté, elle parierait tout son argent qu’elle ne serait plus là à l’heure actuelle. Alors, elle était totalement en droit de lui en vouloir, non ?
Lorsqu’il rattrapa sa poche de course avant de s’avancer vers elle, la jeune femme ne bougea pas d’un pouce. Elle restait tout de même tiraillée entre l’envie de partir, d’essayer de tirer un trait définitif, de mettre le point final à cette histoire – seulement, était-ce possible ? Il se trouvait à Lumiris, peut-être qu’ils viendraient à se recroiser ? – et l’envie de lui demander pourquoi – parce que depuis, elle avait ce mot qui tournait en boucle dans sa tête –. Oui, elle avait ce sac avec cet argent, mais pourquoi être allé aussi loin ? Certaines choses échappaient à la rousse.
Elle ne détourna pas le regard lorsque les yeux noirs de l’homme s’ancrèrent dans les siens. Il la voyait donc toujours comme une simple adolescente. Et qui plus était, elle avait l’impression que tout ça était de sa faute à elle. Charlie ne put s’empêcher d’arquer un sourcil, tout en lâchant un « Tsss. » agacé. Quand il reprit son chemin et qu’il la bouscula au passage, elle ne broncha pas. Elle resta plantée là, serra les poings. Toujours dos à lui, elle reprit la parole.
« T’as pas trop changé non plus. » Commença-t-elle par dire en haussant un peu la voix, ne sachant pas s’il était proche d’elle ou déjà plus loin. « En tout cas j’espère que tu t’es bien amusé avec ce qu’il y avait dans le sac. Ah, et je te remercie aussi. T’as littéralement bousillé ma vie. Donc merci du fond du cœur. »
Son ton était cynique, sarcastique. Elle rattrapa son sac et fit volte-face, ses prunelles se posant quelques secondes durant sur l’individu. « Allez viens Héllé, on a mieux à faire. »
L'illumien s’arrêta dans sa marche en entendant les paroles de la jeune femme. "Pas changé" ? Se foutait-elle de lui ? Ou bien voulait-elle vraiment l'énerver ? S'il n'avait effectivement pas changé comme elle l'insinuait, il n'aurait certainement pas fait preuve d'autant de patience qu'actuellement. Il lui aurait juste fait manger violemment son poing dans la gueule pour la faire taire. Quand au reste de ses dires, ils lui arrachèrent un rire narquois et mauvais, tant et si bien qu'il se retourna vers elle.
- Quelle princesse es-tu pour qu'un passage à l'hosto' bousille ta vie ?
Et il repartir de plus belle dans son rire. Pour lui qui avait subit ce genre de bastonnade durant toute son enfance et son adolescence, il trouvait ridicule une affirmation comme la sienne. Alors oui, ça faisait mal, tu mettais un temps de chien à t'en remettre et tu inquiétais tes proches de façon inégalée mais en aucun cas ça ne pouvait bousiller une vie. Quand tu bouffes le sol, faut savoir se relever même si c'est avec un œil au beurre noir et des dents en moins. C'était l'une des première chose que sa mère et la vie en générale lui avait apprit ; et c'était une leçon à laquelle il ne dérogeait pas. Elle, visiblement, n'avait pas été capable de le faire. Elle était encore enfermée dans cette petite ruelle sombre où il l'avait tabassé. Encore une fois, il ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Ils n'avaient pas été élevé de la même façon et il était normal en soit qu'ils n'aient pas la même vision des choses. Il lui en voulait en vérité car, malgré cet air revêche qu'elle abordait, elle était encore en train de manger les pavés, n'arrivant pas à se relever, écrasée par le poids émotionnel de cette nuit.
Son rire cessa aussi rapidement qu'il était apparu. En une fraction de secondes, son air narquois et détestable laissa place à un visage las, presque triste. Ses épaules s'étaient légérement voutées comme si soudainement, il s'était changé en Atlas des temps modernes, portant le poids de ses crimes sur le dos.
- C'était pour ma mère. L'argent.
Il ne savait pas pourquoi ces mots avaient franchit ses lèvres. Il ne savait pas pourquoi il lui disait ça. Il l'avait fait sans le penser, comme poussé par son instinct. Peut-être qu'au fond, il avait juste besoin de préciser qu'il n'était pas complétement un connard. Mais à quoi bon, cette gamine ne le croirait pas de toutes façons. Et en vérité, est-ce que ça avait réellement la moindre importance ?
Elle allait partir, loin. Elle allait retourner au centre, oublier cette mauvaise rencontre, penser à autre chose, occuper son esprit. Mais après les mots qu’elle avait prononcés, il s’était retourné vers elle.
Charlie, une princesse ? Loin de là. Oh, ce n’était pas le passage à l’hôpital qui lui avait bousillé la vie. Certes, c’était l’une des premières fois où elle s’était retrouvée dans un état aussi lamentable, mais elle connaissait tout de même bien les séjours de courte durée dans les hôpitaux – bien que souvent, elle prenait sur elle et avait appris à se prodiguer les premiers soins –. Ce qui avait fait changer le cours de son existence, c’était plutôt le fait qu’elle n’ait pas ramené le contenant du sac et qu’elle se soit retrouvée à faire et subir beaucoup trop de choses horribles. Un rire lui échappa.
« Loin de là l’idée d’être une princesse. Je ne parlais pas de ça. »
Lui indiquer qu’elle en avait déjà vu d’autres ? Lui dire que c’était loin d’être une princesse parce que personne ne se souciait d’elle ? Non, cela ne servirait à rien. Il devait très certainement se moquer de sa vie, de ce qu’elle était, de ce qu’elle avait pu vivre avant. Comme il s’en était bien moquer de lui infliger cette salve de coups que jamais au grand jamais elle ne pourrait oublier. Mais à quoi bon parlementer ? Elle était persuadée qu’il n’entendrait rien de toute façon.
En revanche, elle arqua un sourcil lorsque l’expression de l’individu changea du tout au tout. Il passa d’un rire moqueur à un faciès triste. La rousse ne comprit pas réellement – ou du moins pas avant qu’il ne lui dise que l’argent, il l’avait donné à sa mère –. Pouvait-elle continuer de le haïr après ça ? Il avait donc eu une bonne raison de s’en prendre à elle. Ce qu’elle ne lui pardonnerait sûrement jamais, c’était d’être allé aussi loin. S’adossant à son tour au mur, posant son sac, elle soupira, le regard tourné vers le sol. Secouant doucement la tête, elle mit plusieurs secondes avant de répondre.
« J’espère dans ce cas que ça lui a été utile. Peut-être que si tu m’avais demandé en me disant ça directement on n’en serait pas arrivé là. »
Parce que Charlie aurait été prête à faire des concessions et à donner au moins sa part.
Yuri ignora la réflexion de Charlie sur sa fausse ascendence royale. Il n'avait plus envie de batailler. Le fait de mentionner sa mère l'avait visiblement calmé et il n'avait plus qu'une envie : se tirer d'ici et de reposer. Il avait envie de se retrouver seul et de ressasser un peu tout ça. Faire le point en somme. Il n'avait plus envie d'être face à cette enfant colérique qui, étonnement, sembla compatir à sa douleur silencieuse. Pire même, elle lui laissa sous-entendre qu'elle aurait pu l'aider s'il avait demandé. La bonne blague. Bien sûr, il n'en croyait pas un mot et, de toutes façons, ce qui était fait, était fait. Revenir en arrière, s'appitoyer sur son sort ou ressasser sans cesse les mêmes choses ne menerait à rien si ce n'était une profondes détresse. Et ça, il n'en voulait pas. Haussant les épaules de son air lasse, il lança finalement, sur un ton plus feutré, presque pour lui-même :
- Ça n'a plus d'importance maintenant...
Regardant le petit farfuret qui tentait d'entraîner en vain sa maîtresse ailleurs, il ne put que compatir pour ce petit pokemon qui était visiblement plus clairvoyant qu'elle.
- Allez tires-toi.
Il n'ajouta rien d'autre mais pour lui la chose était claire : s'il l'a revoyait et qu'elle menaçait, de quelque façon que ce fut, ce qu'il essayait de reconstruire ici, il ne serait pas aussi clément qu'il l'avait été aujourd'hui. Et ce qu'il lui avait dans cette ruelle semblerait alors si doux, si délicat, qu'elle regretterait profondément qu'il n'eut pas mis fin à sa misérable vie à ce moment là.
Si seulement sa propre mère avait accepté son aide. Si seulement tout s’était passé différemment.
Elle n’en serait pas là aujourd’hui. Elle n’aurait pas eu à faire tout ça, toutes ces choses qui n’ont fait que détruire sa vie à petit feu, son existence partant doucement en fumée. Elle n’aurait pas eu à se rendre à Illumis, elle n’aurait pas eu à rencontrer cet individu, pas de cette manière. Charlie n’aimait pas avoir des ennemis. Elle voulait pouvoir apprécier tout le monde, elle voulait pouvoir être amie avec tout le monde ou du moins que tous aient la sensation qu’ils pouvaient lui faire confiance, qu’ils pouvaient faire appel à eux peu importait la situation – et tel était le cas –. La rousse n’aimait pas à avoir à se battre dans le mauvais sens du terme. Mais là, elle ne pouvait même pas espérer voir une quelconque once d’amitié possible avec lui – pas après ça –. Pourtant, le fait qu’il ait fait ça pour aider sa mère l’avait touché, sincèrement.
« T’as raison. On ne peut pas changer ce qui a été fait de toute façon. »
Non, ça n’avait plus d’importance. Peut-être cela en aurait-il eu s’ils avaient la capacité de remonter le temps, de revenir en arrière, de changer le passé. Mais ce n’était pas le cas. Les années avaient tout de même atténuées ce souvenir – ou plutôt l’inconscient de Charlie l’avait placé dans une boite jusqu’à aujourd’hui –.
« Non. » Lança-t-elle après qu’il lui ait dit de partir. « Je fais une pause. »
Après tout, il n’y avait pas écrit son nom sur les murs, si ? Bon, elle se contredisait un peu, mais ce n'était pas grave. Et puis, il avait bien commencé à partir tout à l’heure, alors pourquoi ce serait à elle de le faire ? Elle avait un trop plein d’émotions, de sensations, et n’était pas du tout apte à retourner au centre. Elle n’était pas prête à retourner dans le bruit, l’agitation générale. Oui, ils l’attendaient. Mais elle s’en fichait.
Pour cette fois au moins, elle avait besoin d’un moment loin de tout.
Etallé dans l'herbe fraîche du jardin de sa mère, Yuri fixait penssivement les nuages qui bougeaient lentement sur le ciel bleu. Le soleil lui picorait le visage agréablement et cette après-midi aurait pu être un pur plaisir si ce malaise ne le rongeait pas de l'intérieur. Depuis l'événement du marché, il était rentré chez sa mère et avait préparé le repas pour se changer les idées. Si les discussions joyeuses de sa génitrice et les jeux de courses de leurs pokémons l'avait calmé un temps, il ne pouvait en revanche pas se dépêtrer de cette détestable sensation. Comme si de la poie brûlante lui collait irrémédiablement au corps. Alors il était sortit se perdre dans les nuages, espérant qu'il y trouverait une quelconque réponse. Au bout de trois quart d'heures de réflexion, il en arriva à une constatation : il devait partir. Le simple fait d'être dans la même ville que cette fille lui donnait la nausée. Il fallait qu'il aille se perdre de nouveau sur les sentiers boueux de l'île. Il en avait besoin. Alors, il rentra, prit ses affaires, embrassa Alma et quitta Nemerya aussi vite qu'il était arrivé.
Le dresseur soupira lourdement alors que son regard se posait sur la fille aux cheveux flamboyants. Il ne tirerait rien d'elle. Elle était trop bornée, trop têtue pour ça. Elle ne se rendait même pas compte de la fleur qu'il lui faisait. En soit, ce n'était peut être pas plus mal ainsi car ça signifiait qu'elle ne savait pas vraiment à quoi elle avait affaire. Ça lui donnait ainsi un peu d'espoir quand à retravailler son comportement. Mais là n'était pas la question pour le moment. Il était l'as, il avait envie de se reposer. Alors ce fut lui qui partit. Il quitta la ruelle et repartit se fondre dans la masse grouillante du marché, sans un regard en arrière. Mais maintenant, il savait. Il savait qu'il devrait faire attentuin et qu'il faudrait qu'il soit toujours en alerte. Il savait qu'il ne dormirait plus jamais complètement sur ses deux oreilles... Encore.
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