S’il y a quelque chose qui te manque, depuis que tu as pris la décision de partir vivre à Artiesta, c’est bien la plage. L’océan. L’odeur de l’eau salée, le vent dans tes cheveux ou encore ton chemin tracé dans le sable. Ça te fait donc plaisir d’y retourner, de te retrouver seule (ou presque) face à l’océan. Il y a aussi quelque chose qui te manque, une activité que tu faisais avec ton père, quelques années plus tôt mais que tu as abandonné au fil du temps au profit de d’autres centres d’intérêts et nouvelles passions. Parce que t’es comme ça, Jade. Tout t’intéresse mais rien ne le fait assez longtemps pour te garder accrocher, sauf peut-être la peinture. Mais bon, là il n’était pas question de ça. Non. Il était question de ce permis récemment obtenu qui te permettait donc de louer de l’équipement de plongée avant de sauter à l’eau, tout ça en compagnie d’un pokémon que tu as dérobé à ton père (bien évidemment avec sa permission mais c’est moins drôle comme ça), à savoir Ariel, son Otaria.

Une fois sous l’eau, tu as tout le loisir de t’émerveiller de ce que tu peux y voir. Tu peux aussi profiter d’un silence paisible, le bruit de la surface complètement étouffée. Tu es seule, sous l’eau. Pour le moment du moins. Seule tandis que tu vois l’infini se dessiner devant toi, l’eau clair devenant plus sombre à mesure que tu descends et alors que ton regard se porte vers l’horizon. Il te faut quelques instants pour reprendre tes marques et tes repères avant de commencer à nager pour suivre celle qui t’accompagne pour cette sortie improvisée.

Tu ne peux pas trop parler à l’heure actuelle, ta voix ne portant pas assez mais tu peux tout de même faire signe à Ariel de t’aviser si elle voit quoi que ce soit d’intéressant. Bon, presque tout l’est à tes yeux mais si tu ne te fis qu’à ce qui attire ton regard, t’es pas prête de remonter à la surface. Elle s’éloigne donc un peu, toutefois jamais trop loin, gardant un regard vigilant sur toi, tant parce qu’elle te connait assez bien, toi et tes idées débiles, que parce que mieux vaut qu’il t’arrive quoi que ce soit ici. Parce qu’ici, sous l’eau, tu n’es pas en mesure de te défendre, encore moins de tenter de fuir. Alors oui, elle veille sur toi, trace des longs tours tout autour de toi tandis que tu nages ici et là, redécouvrant cette activité qui, finalement, t’avait effectivement bien manqué.

Il y a un large sourire qui se dessine sur tes lèvres, dommage toutefois qu’il soit difficile à percevoir faute de ton équipement. Mais bon, tu as aussi cet éclat pétillant dans le regard, celui d’une jeune femme émerveillée par tout ce qui se dessine devant elle. Tu adresses aussi un signe de la main aux pokémons que tu croises et si le son n’était pas aussi étouffé dans les profondeurs, sans doute laisserais-tu entendre des éclats de rire légers, joyeux. Tu tournes un peu sur toi-même, continues de t’avancer dans une direction quelconque, seulement pour en découvrir un peu plus, pour réellement profiter du moment présent. Parce que t’es bien, là, dans les profondeurs. Là où tout te semble plus tranquille. Paisible. Chose rare, dans ta vie, et la principale responsable de ce chaos qui ponctue ton quotidien n’est nul autre que toi. C’est naturel, chez toi. Mais ça te fait aussi du bien de te poser un peu. De profiter, comme en ce moment.

Et alors que tu adresses un signe de main à un pokémon croisant ta route, tu vois aussi le regard méfiant que t’adresse un Lamantine. Et si tu aurais pu le laisser partir et poursuivre sa vie en toute tranquillité, ta curiosité est piquée lorsque tu remarques qu’il tient quelque chose. Fronçant doucement des sourcils, tu fais signe à Ariel de te suivre maintenant que tu as une mission en tête. Un objectif à atteindre. Ce Lamantine qui s’éloignait et dont tu cherchais à te rapprocher, battant des bras et des jambes comme on te l’a appris, plus jeune. T’as peut-être l’air un peu ridicule mais, au moins, t’avances, donc, tu te dis que c’est déjà ça de gagner.

Puis, heureusement, tu peux compter sur l’aide de l’Otaria de ton cher père. Elle a compris ce que tu voulais et voilà donc qu’elle passe devant le Lamantine, s’arrêtant finalement comme pour l’inciter à en faire de même. Ça te donne donc le temps de les rattraper, un peu essoufflée, tu te dois de l’admettre. Mais t’as réussi. Maintenant, comment faire pour qu’il ne se méfie pas de toi ? T’en sais trop rien, surtout que t’as l’impression d’être limitée, parler t’étant difficile. Alors, tu fais la seule chose qui traverse ton esprit à cet instant précis.

Voilà que tu commences à tracer quelques gestes dans l’eau. C’est à ce demander ce que tu fais alors que toi, t’essaies de te faire comprendre au travers une représentation d’art moderne. De danse interprétative. Puis, l’avantage c’est que, ici, t’as pas tous ces soucis de gravité que tu peux avoir à la surface. Bon, certes, tes mouvements sont un peu ralenti, mais t’oses croire que ça donne de la profondeur à ta prestation improvisée. T’as aucune idée de si ça fonctionne mais tu te dis qu’au moins, comme ça, tu sembles pas trop menaçante. Tu t’arrêtes finalement, une main tendue vers le Lamantine. Une main que tu lui tends dans l’espoir qu’il l’attrape. Mouvement final de cette danse qui pourrait très bien porter le nom de : je suis nulle mais sois mon ami s’il te plaît. Un truc dans le genre.

Bon. Tu dirais pas que t’es surprise de constater que ta danse interprétative n’ait pas su parler à l’âme du Lamantine, mais t’es déçue. T’es vraiment déçue. Car tu le vois s’éloigner sans accepter de te donner ce qu’il tient entre ses nageoires. C’est dommage. T’avais pourtant tenter de faire de ton mieux, pour cette danse improvisée sous l’eau. À croire que les Lamantine n’ont pas l’âme artistique. Qu’ils n’ont pas la sensibilité pour comprendre ce que tu as cherché à exprimer dans ces mouvements ralentis par l’eau. C’est en aucun cas de ta faute, évidemment. C’est jamais de ta faute.

Jetant un regard à l’Otaria t’accompagnant, tu lui fais signe de te suivre. Tu ne sais pas trop où tu vas, te contentant de continuer de nager avec les pokémons qui t’entourent, explorant ainsi l’environnement que tu apprends à apprivoiser de nouveau. T’es pas prête de remonter à la surface, pas tout de suite, alors tu comptais bien en profiter un peu plus, de ce calme auquel tu n’avais que très rarement droit. Par ta faute, certes, mais ça t’empêche pas d’apprécier le moment. Le silence. Et ce décor coloré qui se dessine devant toi qui t’avait manqué ces dernières années.

Est-ce que t’avais prévu faire chavirer le coeur d’un Embrochet grâce à ta danse un peu maladroite ? Absolument pas. Est-ce que ça t’embête ? Tu ne penses pas. Ça te fait même plutôt rire, de le voir s’approcher de toi, qu’il cherche à avoir ton attention. C’est peut-être ça ton soucis. Plutôt que de te tourner vers les hommes, tu devrais te tourner vers les pokémons.

…
Ouai non.
Mauvaise idée.

T’es pas si désespérée que ça. Puis c’est un peu sale. Très sale. Tu chasses rapidement cette idée de ta tête à peine a-t-elle effleuré ton esprit. C’est juste la solitude qui parle. Tu déplores ton manque de chance en amour. Toutes ces relations qui, au final, n’ont mené à rien. Reportant ton attention vers l’Embrochet (avec qui tu comptes entretenir une relation platonique, précisons-le), tu remarques aussi autre chose. Comme l’Hastacuda qui te regarde de façon presque menaçante. Tu le connais, ce regard-là. C’est le même regard qu’ont eu toutes ces femmes que tu as rencontré.

Le regard de la belle-mère.

T’as pas souvent rencontré tes beaux-parents, juste assez pour savoir que tu ne ferais pas une épouse idéale. Parce que tu parles beaucoup, que tu parles forts, toujours avec mille et une idées en tête. Parce que t’es une artiste qui se cherche, qui peine à se trouver, qui ne sait pas trop où est-ce que sa vie va la mener. T’es instable, trop pour une vie de famille. Alors elles te détestent. Et toi ça t’amuse. Jusqu’à ce que tu brises le coeur de leur fils.

Tu l’observes donc en tentant d’afficher ton plus beau sourire, malheureusement caché par ton équipement. Bon. Il allait falloir te faire comprendre, sans danser cette fois-ci. Manquerait plus que la mère croit que tu veuilles finir la nuit avec elle et ça pourrait rapidement mal tourner, toute cette histoire. T’essaies donc avec de grands gestes, évitant toutefois de bouger trop brusquement. Heureusement que t’es sous l’eau, que t’es donc ralentie. Tu demandes ensuite de l’aide à Ariel, qu’elle leur fasse savoir que t’es gentille. Que ta vie vaut la peine d’être vécue. Que ce serait dommage que tu finisses comme repas après avoir refusé (ou accepté, t’es pas trop certaine des intentions de ta future belle-mère) les avances de l’Embrochet.

Puis tu goûtes mauvais. Ouai, c’est un bon argument. Un argument de taille. Et t’es beaucoup trop jolie pour mourir.