Il a toujours été compliqué d’avoir conscience de sa propre valeur; aux ciels assombris et aux étoiles affaiblies - tu avais observé le chemin que tu parcourais depuis toujours se remplir d’une brume que tu ne pouvais plus traverser. Aux souvenirs tant chéris, il n’y avait désormais plus que de fragments inconstants et quelques révélations soudaines, parfois pendant la nuit. Parfois au réveil.
Et pourtant, certaines mémoires étaient aussi brûlantes que la veille. Caël demeurait des vestiges de ton passé que tu ne pouvais effacer ; les lèvres que tu avais dévisagé sous les apparences d’un esprit qui s’était envolé vers d’autres contrées; ses yeux dans lesquels tu avais tant voulu te perdre et la certitude qu’il aurait pu être “celui” que tu avais de besoin. Mais ce ne fut pas le cas; et l’épuisement, la douleur, la peur et l’angoisse, les sentiments avaient fait en sorte que tu fuis - que tu t’éloignes, que tu t’en ailles. Les cauchemars, et la certitude de ne pas être suffisante, parfois même d’être trop, t’avaient pousser à croire que tu ne serais jamais aimée.
Encore moins par lui.

Alors pourquoi ne pouvais-tu pas chasser de sous tes paupières closes les images de son regard terrifié et anxieux lorsque la vie semblait chercher à quitter ta personne ? Sa main sur ta joue, sa peau douce - la paix qui avait pris place auprès de lui. Mais tu l’avais involontairement chassée et désormais, les tourments ne connaissaient plus d’apaisement. Tu t’étais excusée. Infiniment, indéfiniment, tu t’étais excusée jusqu’à ce que sa voix tranche et t’interdise de le refaire - tu étais “pardonnée”. L’étais-tu réellement ? Ou plutôt, avait-il davantage préféré passer l’éponge pour apaiser les vagues violentes qui te noyaient ? La deuxième option semblait être bien plus facile à croire.
Et sous tes paupières closes, la nostalgie semblait encore plus puissante, prête à entraîner ton coeur, le déchirer, le lacérer. Tu voulais oublier la relation amicale qui n’était restée qu’à ce stade, oublier les ressentiments et les regrets, l’amertume qui se goûtait encore sur le bout de la langue, sur le palais.

Tu voulais oublier les erreurs passées,
Celles à venir - parfois, oublier qui tu étais parfois même. Oublier que tu existais, et que cette réalité semblait parfois bien trop actée pour être véridique. Si bien que tu demandais ce qu’il se passait si dès le lendemain, tu disais à Izaiah que tu ne souhaitais plus habiter avec lui. Ou que tu disais à Helia : « viens, on part à l’autre bout du monde, et on revient dans deux ans » ; ou que tu abandonnais tout à Lumiris pour recommencer ailleurs, du début, de A à Z, qu’est-ce que ça ferait ?
Et puis, tu prenais une grande respiration, Edelweiss te regardait - te rappelait que tu étais ici pour des raisons obscures, que tu ne comprenais pas, mais des raisons belles et bien présentes que si Caël n’avait pas été la personne qui te bercerait dès que les démons se faisaient un peu plus bruyants, tu allais un jour la trouver, cette personne.

Tu avais passé une main dans tes cheveux bleus - il fallait prendre rendez-vous pour refaire leur couleur - en posant les documents sur le meuble. Pixel s’était levé pour se rapprocher de la salle 3 (les cas lourds) en attendant que tu y entres. Ta routine était bien connue de tes pokémons. Tu avais alors poussé la porte de la pièce, accueille par le bruit des appareils qui fonctionnaient en permanence. Doucement, tu t’étais approchée du caisson à oxygène dans lequel se trouvait une petite Sonistrelle peut apte à s’approcher de toi. Après avoir vérifié sa saturation, tu ne t’attardas pas outre-mesure auprès d’elle.

Tu n’avais pas toujours été Lys ; n’avais pas toujours relevé la tête quand ton prénom était prononcé, souris – tu n’avais pas toujours été toi-même. Ce « toi-même » dont tu cherchais encore la signification, que tu ne connaissais toujours pas; ce toi-même que tu essayais de trouver au travers de la brume et des idées intrusives, de l’envie de s’évanouir en silence, redevenir poussière; ce toi-même qui n’avait pas trop d’intérêt. Mais déjà un peu plus toi quand le prénom ne te rappelait pas les nuits, yeux ouverts, à attendre la fatalité.
Le brouillard entourait ton existence, l’avait toujours fait – des fragments de souvenirs arrachés au néant et des révélations soudaines de moments déroulés autrefois; tu ne savais plus trop si la vie dont tu te souvenais était réellement la tienne ou celle d’une étrangère vivant dans ton esprit. Si bien qu’il t’arrivait d’énoncer des événements sans considérer le caractère traumatique de ceux-ci, les énoncer comme des faits sans la moindre émotion. Tu ne l’avais pas vécu, ça ne pouvait pas t’atteindre. Et puis, finalement, oui c’était bien toi qui l’avais vécu. Le gouffre te guettait toujours, prêt à te réceptionner quand la réalité s’enregistrait.

Tu ne savais pas où tu allais.

Cette vie que tu menais, que tu préservais, entre tes mains; qui était tienne et pourtant, celle de tous les autres à la fois – tu ne savais pas où tu allais. Tu tenais ce refuge, l’entretenais, le préservais, à l’aide d’autres merveilleuses personnes et ton ami Ethan. Ethan qui t’avait approché, admettant avoir décidé de rejoindre la compagnie Hestia, et si l’ombre des cauchemars avait flotté dans ton regard, tu serais toujours la première pour l’encourager à faire ce qui lui semblait être le mieux.
Il avançait, tu stagnais. Essayais de trouver le chemin, la raison de ton existence, de ta survie – enchaînant les shifts au refuge et ceux au centre pokémon sans jamais véritablement trouver place dans cet univers.