Sebastian errait dans l'obscurité, incapable de discerner la moindre clarté. Les ténèbres l'enlaçaient de ses bras macabres et glacés, oppressantes, comme s'il venait de tomber aux pieds de lui-même. Ses yeux se perdaient seulement sur une pénombre qui ne lui laissait que le loisir d'entendre sa respiration saccadée et irrégulière. Quelque chose clochait. Il le sentait. La sensation de n'être qu'une simple volute de fumée prête à s'envoler l'encombrait, comme s'il était à deux doigts de disparaître. Un vide qui prenait de plus en plus de place. Le froid aussi tendait à le mordre. Puis soudainement, une luminosité agressive fauchait ses rétines à tel point que ses paupières se plissaient pour la neutraliser quelque peu. Au loin, elle avait la forme d'un rectangle telle une petite fenêtre qui s'ouvrirait vers l'extérieur pour aérer une pièce suffocante. D'abord incertain, les sourcils arqués, l'homme s'avançait lentement vers la lumière puis remarquait qu'il s'agissait en fait d'un ordinateur. Un bureau avait même été aménagé, avec une chaise placée en face. L'incompréhension était totale mais égal à lui-même, il conservait son calme et vint s'asseoir à cette place qui semblait lui être dédiée. A sa disposition, une souris mais à son grand étonnement, il n'y avait pas de clavier. Un concept étrange qu'il finit vite par traduire sur une réflexion évidente : on le positionnait en tant que spectateur sans lui donner la possibilité d’interagir. Mais le mystère restait entier : il ne comprenait pas ce qu'il faisait à cet endroit ni ce qu'on pouvait bien attendre de lui.

De plus, l'écran d'accueil affichait une seule et unique page internet, ce qui ne lui laissait pas tant le choix de l'usage. Sebastian déplaçait donc le curseur là où quelqu'un souhaitait sûrement qu'il aille. De prime à bord, il tombait sur une interface qui s'intitulait Contraste. Il prenait connaissance de la contenance de ce site qui lui avait tout l'air d'être un forum où des personnes écrivaient des histoires. Pourquoi lui montrait-on ça, au juste ? Toujours sceptique, il naviguait encore un peu jusqu'à ce que la surprise lui saute au visage« C'est... » Il crut d'abord à une blague douteuse. Une fiche de personnage, comme le désirait le concept de cette page, portait son identité et son histoire au milieu d'autres passeports validés. « … Moi ? » Une ride du lion naissait sur son front, passablement dubitatif. S'agissait-il d'une machination de ses anciens employeurs pour le faire flancher ? Son passif et son caractère étaient inscrits, le décrivant sur une perfection abusive. Tout, absolument tout, était véridique tant et si bien que ce résumé mettait ses zones d'ombre qu'il s'évertuait à cacher. « C'est quoi ça... » Ses doigts s'entrelaçaient sous son menton, légèrement crispé. Il ne pensait pas que quelqu'un le connaissait avec une exactitude aussi déconcertante. C'était dangereux. Très dangereux. « qui es-tu... » murmurait-il devant ce fait troublant. Il se décidait d'aller plus loin dans son investigation, son regard s'attardant un peu plus bas dans la case commentaire sous sa photo.


Les interrogations se bousculaient dans sa tête et au fur et à mesure qu'il parcourait cette plate forme, tout devenait de plus en plus ahurissant : tous ces échanges qui figuraient dans ces posts, jusqu'à la narration même, avaient été vécus d'une façon froidement similaire. Qu'il s'agisse d'Erik, de Logan ou de Dahlia... Aux moindres gestes, aux moindres mots, aux moindres pensées... Il avait la lourde sensation de lire le roman de son existence. Un ricanement nerveux franchissait le seuil de sa bouche, avant de littéralement partir sur un rire qui rebondissait en écho sur un Néant insondable autour de lui. Lui qui pourtant, ne riait jamais. Encore fallait-il savoir si ces écrits prenaient vie avant ou après chacune de ses actions... Était-ce une pâle retranscription -bien que très intrusive et perturbante- de ses agissements ou bien au contraire, une ligne directive tel un destin qui s'imposait fatalement à lui alors même qu'il pensait prendre ses décisions selon lui-même ? Son pragmatisme le suppliait de chercher une raison à ce bordel mais au fond de lui, un chuchotement lui soufflait...



Ses lèvres se pinçaient. C'étaient des propos qu'il avait déjà tenu à ce garçon et ce discours rebondissait dans sa tête, à cet instant. « incroyable... » Il prenait conscience, avec une certaine résilience, en parcourant chaque ligne que son destin se jouait à travers une force supérieure qui au fil de ses envies, brodait son passé, son présent et son avenir. Une main qui le mettait en interaction avec d'autres personnages créés de toutes pièces tout comme lui, qui lui faisait faire des choix qu'il croyait être les siens. Il le comprenait, lorsqu'il remontait des conversations sur ce logiciel rattaché au site.



De la même manière qu'il servait un Dieu, il saisissait l'ironie de la situation : quelqu'un, le commandait bel et bien. Chaque événement qu'il avait traversé était la conséquence directe d'une puissance qui le menait là où son souhait se portait. Il était né d'une inspiration qui le baptisait dans ce paysage qu'il pensait être le sien. Rien ne lui appartenait. Rien du tout. Tout était calculé. « La dérision à son paroxysme... » Pour lui, tout avait été vrai : son enfance, son devoir d'espion, sa femme, sa fille, sa foi... La douleur. La colère. L'amour. Mais fatalement, son existence avait été rythmée au gré de l'humeur d'une entité qui le manipulait à sa guise. Il percutait par ailleurs qu'il n'y avait pas seulement un, mais plusieurs créateurs qui se concertaient entre eux. Ils commentaient, critiquaient, s'organisaient, s'amusaient entre eux pour mettre en scène leurs créations. Il avait l'air d'être apprécié dans l'ensemble, du moins, de ce qu'il voyait des dialogues entre les joueurs. Il se laissait retomber au fond de son siège, éprouvant le besoin de réfléchir à ces révélations aussi surprenantes qu'effrayantes lorsqu'une nouvelle notification en direct apparaissait sur l'application Discord. Sa tête pencha légèrement sur le côté. Etait-ce bien son Créateur, qui venait d'écrire, là, maintenant ? Son buste se rapprochait rapidement à nouveau pour ouvrir la fenêtre de discussion.



« Quoi ?... » Une discussion qui lui fit rater un battement.



Il avait peur de comprendre.

Son rythme cardiaque s'emballait. Non... Il ne pouvait pas disparaître, pas de suite, pas comme ça ! L'angoisse lui remontait jusqu'à la gorge, une sensation qu'il n'avait pas éprouvé depuis des années mais qui était fatalement réelle à son échelle. Il était paralysé. Et si le noir autour de lui ne désépaississait pas, tout s'éclairait dans sa tête. Il comprenait. Il comprenait pourquoi il était présent ici, dans cet espace vide où ne régnait que le rien. Il était sur le point de disparaître, radicalement, parce que les doigts qui l'animaient ne parvenaient plus à le faire évoluer. Il devenait subitement inutile et surtout... Il n'avait plus aucun intérêt. Une pointe ignoble lui perçait le cœur sur une grimace douloureuse. Cette Puissance Supérieure l'abandonnait dans les abysses infernaux se caractérisant par une mort certaine et il ne pouvait rien faire pour changer le court des choses. C'était terriblement injuste !



Ce fut là que la fameuse expression prenait tout son sens.

Il avait eu juste le temps de voir sa vie défiler sous ses yeux, avant de s'éteindre.

Codage par Libella sur Graphiorum