Just Married:

Hanae Weiss:

Un téléphone égaré. Comment? Tu ne sauras jamais vraiment. Un vol à l’arraché qui a mal tourné. Butin perdu. Un banc cédé à autrui. Dans l’ascension, l’objet s’échappe. Glissement impromptu. Fugue technologique.

Combien de personnes ont posé leurs doigts sur l’écran noir avant toi? Avaient-elles tenté en vain de le ramener aux autorités? De poser un geste bon pour calmer leurs consciences. Oublier leurs torts au profit du souvenir flou de cette bonne action. Gonflage d’ego. T’avais pas cette prétention. Tu connaissais tes péchés. Ton cœur ferait voler la plume de Maât.

Ton destin scellé, tu n’avais que faire d’expier tes actions. Tu vivais comme tu l’entendais. Chérissais ceux que tu aimais. Et tu t’aimais. Pourquoi te priver? Le gadget s'était présenté sous la bruine d’automne. Déposé au bord d’une vitrine chargée. Par bonté, dans l’espoir de l’unir à nouveau à son propriétaire. Par dépit, en s’apercevant, comme toi, qu’il ne donnait pas trace de vie.

Tu étais plus déterminée. Plus persévérante. Il voulait être saisi. T’avais réalisé ses désirs. T’en avais fait ta possession. Ce mourant, tu l’avais soigné. Asséché. Glissé dans une tombe de riz avant le coucher. Endormie sur un faible espoir de le voir se réanimer.


Tu t’éveilles au doux tintement de la tasse que l’on dépose dans sa soucoupe. Stélian est trop matinal à ton goût. Tu t’extirpes du lit conjugal et fais ton chemin jusqu’au rez-de-chaussée. Ton mari termine son thé au salon. Tu rechignes.

“Tu te lèves trop tôt Sté’ “

Le pain grille. Tu joues l’infirmière. Extirpe le malade de son lit. Le connectes à une prise. Tu beurres ta tartine et t’installes à la table sans prendre d’assiette. T’es captivée par un quelconque vidéo de chat quand Stélian dépose un thé devant toi. Une tasse incarnant la femme parfaite. Rose, délicate, fleurie. Tout ce que tu n’es pas. Tu profites du fait qu’il s’est éloigné pour présenter ton majeur à son dos. Il te rend la pareille avant de passer la porte de votre maison. Te connaît-il déjà par cœur ou a-t-il des yeux derrière la tête? Ça t’arrache un sourire que tu ne lui avoueras jamais.

La sonnerie se synchronise avec la porte que l’on ferme. Alléluia! L'objet est en vie! T’es pas au bout de tes surprises. Aucun code. On te facilite la tâche. Tu parcours une vie qui n’est pas la tienne. Entre deux gorgées, t’espionnes l'identité du propriétaire. Lui construis un destin.  L’inconnu ne l’est plus.


Tu pensais simplement trouver un nouveau joujou. Réinitialiser la bête et la garder pour tes magouilles. Mais te voilà au boulot, à la faire tourner entre tes doigts. T’as trouvé une perle rare qui a mis fin à tes intentions. Une application ouverte. Des liens appuyés au hasard. Un mail. Son mail.

Cette opportunité en or, tu ne pouvais pas la laisser passer. À défaut d’y gagner quelque chose, tu y trouverais au moins un plaisir. Tu chasserais l’ennui. Les clients se faisaient rares au Love Hotel. La soirée n’était pas aux amours cachés et aux passions éphémères.

Bonsoir

Le nom était introuvable. Recherches épuisées trop vite. Alors tu l’excuses. Lui permet son absence.

Tu t'inspires d’un temps ancien. Des mots de ton beau-père. Trop ferme. Trop strict. Figure paternelle clichée. Tentant de calmer tes explosions. Ta sauvagerie. Dompteur de fauve improvisé. Il te gérait comme les clients dont il se plaignait aux repas du soir.

J’ai tenté à plusieurs reprises de vous contacter, mais vous semblez ignorer mes appels.

Le paiement que vous avez fourni a été refusé. J’ai d’abord cru à une simple erreur de votre part, mais, vu votre silence, je commence à en douter.

Tout travail mérite salaire et je suis peiné de voir que vous ne valorisez pas mes efforts. La fin du mois approche rapidement et avec elle, viendront les dépenses. Vous savez, je dois aussi payer mon loyer ainsi que les frais d'hôpital de ma pauvre mère. Si je permettais à mes clients de payer au moment qu’ils le préfèrent, je serais rapidement à la rue.

Ayez la décence de me transférer rapidement les 154$ dus, tel que nous en avions convenu de vive voix ou je serai forcé de contacter les autorités.

Je vous souhaite tout de même un excellent weekend

Tu omets une signature. Utilise un mail neutre. Peaufine les détails de ces mots qui sont si loin des tiens. Tu envoies. Doutant de recevoir un jour une réponse.

Le destin se jouera bien de tes doutes.

Précisions:

La mélodie te martèle la tête. T’as un mal de crâne incroyable. Tu te retournes entre tes draps en essayant de te rendormir malgré tout.

“Merde, Han! C’est le 3e appel, décroche!”

Ta pote t’interpelle du bas de la mezzanine. T’attrapes ton sac et en renverses le contenu au sol. La place à tes côtés est vide. Parti bosser sans doute. Tu trouves ton portable et le ramasses. Déjà midi. Ta soirée te revient. Découpée. Cassée. Le club. L’alcool. La musique. Revenues aux p’tites heures. Le ciel s’éclaircissant sur vos démarches chancelantes. Juste à temps pour te glisser aux côtés de ton homme. Juste à temps pour ne pas te faire châtier par la machine toute puissante.

“ C’est l’anniversaire de mariage des parents! T’es où?!”

La voix de ta sœur te crève les tympans. T’empêche de réfléchir.

“Je t’ai dit que je viendrais pas Kaiya…”

“Parle à maman au moins!”

“Tu fais chier…”

Ligne coupée. Sonnerie en silencieux. Tu fuis les représailles de ta benjamine. T’as coupé les ponts depuis longtemps. Elle n’a jamais voulu comprendre. Têtue, comme toi. T’es source de ses espoirs. T’appelles pour des services. Des sous. Indépendante, mon cul. T’es toujours là, à gratter au pied de la porte. Ingrate hypocrisie.

L’objet regagne son fouillis. Ton regard s’arrête sur le deuxième portable. Balancé au fond de ton sac à l’arrivée d’un client, tu l’as presque oublié. T’y croyais pas. Tu savais que peu répondaient à ces messages. Ça puait l’arnaque. Ça portait rarement fruit. Il fallait une patience que tu n’avais pas. Un talent que tu ne partageais pas avec ton mari. Tu te spécialises dans d’autres méfaits.

Pourtant, c’est bien une enveloppe qui s’affiche sur l’écran. C’est assez pour t’éveiller. Te faire quitter ton lit au profit de ton sofa. Ta pote grogne doucement quand tu repousses ses jambes pour te faire une place. Regagnée d’espoir, t’ouvres le message. Les lignes défilent sous ton regard curieux. Ta fierté mal placée prend des airs de déception. De trahison.

Soupir. T’aurais pu tomber sur quelqu’un de trop naïf. Trop vieux. Trop jeune. Un imbécile technologique. Un froussard à terrifier. Ouais. T’aurais voulu quelqu’un comme ça. Qui se laisse faire. Qui suit gentiment le chemin tracé. Non. On te nargue. Tu te prends à ton propre jeu. Te fâches de voir ta parole remise en doute. Ta profession factice profanée. Si tu savais Han… Si tu voyais la mascarade. Trompée comme tu trompes. Tu t’enflammerais. Tu brûlerais le comédien avec toi. Tes mensonges en bûcher.

Tu pourrais appeler Stélian. Lui demander de réparer tes erreurs. De mettre son pied dans la porte avant qu’elle ne se ferme. L’orgueil l’emporte sur la raison. T’attaques seule.

Bonjour,

Je suis navré d’apprendre les malheurs qui vous affligent. Laissez-moi vous offrir mes plus sincères condoléances et mes prières franches pour votre situation difficile.

Si son apitoiement ne te fait pas vomir, ce sera l’aménité de tes mots. Caresses poisseuses. Charmeuse. T’as habituellement la décence de ne pas faire de faux-semblants. Venin craché sans remords pour chasser les amitiés artificielles. Tu te dégoûtes. Mais pas autant que ses lamentations. T’en as rien à faire de ses doléances. Argumentations biaisées. Sophismes grotesques.

Je vous prierais de ne pas juger ma situation dont vous ne savez que peu de choses. Vu la vôtre, vous comprenez certainement à quel point cette somme, aussi petite soit-elle, peut changer le quotidien d’un homme. Je tente de vivre ma vie honnêtement et c’est mon dû.

Votre père était un homme franc tout comme moi, je n’en doute pas. Ce fut un réel plaisir de lui fournir mes services d’homme à tout faire.

Rappel à l’ordre du jour. Flatterie. Tu revêts tes plus beaux apparats. Tisse soigneusement la toile d’une nouvelle vie. Évites discrètement la mention d’une facture que tu ne saurais reproduire. Tu es charmeuse de serpents. Il dansera à ta musique.

Ce paiement manquant n’est sûrement dû qu’à un concours de circonstances et sera donc rapidement acquitté j’en suis certain.

Lorsque la vie vous sera plus clémente, n’hésitez pas à faire appel à nos services. Je serai ravi de vous faire un prix d’ami tout comme je l’ai offert à votre paternel.

J’espère que cela éclairera vos doutes

Promesse fourbe. Attendrissement discret. Tu te fais plus sympathique. Plus doux. Plus clément. T'offres l’inexistant. Tu lances ta dernière balle. Et si rien n’y fait, tu tairas ton échec comme tu l’as souvent fait.

L’objet égaré et son propriétaire retourneront mourir sous la pluie.