C’était une douce soirée d’après-midi de mars à Nemerya; une partie de la neige avait fondue, et Kyo en avait profité pour sortir son fidèle skateboard. Seules les artères principales étaient suffisamment déblayées pour pouvoir y rouler, certes, et la plupart du temps il fallait se mettre carrément dans la rue avec les autres véhicules, mais comprenez, Kyo s’était pour ainsi dire encabané tout l’hiver, et donc il avait bien trop hâte de sortir faire des bêtises! On lui avait souvent dit en avril, ne te découvre pas d’un fil; c’était bien pour la rime, mais là on n’était même pas en avril et ça s’adoucissait! Alors le Skateur était sorti non pas avec un gros manteau, mais plutôt deux hoodies superposés l’un sur l’autre; un un peu oversized et l’autre un peu plus près du corps; ça allait le faire, et puis Kyo voulait porter son hoodie favori, celui vert et mauve qu’il avait designé et cousu à la sueur de ses petites mains. Il adorait particulièrement les oreilles de félin.

C’est donc sur une petite pente descendante que Kyo jeta son dévolu, bien résolu à faire des pitreries et s’entrainer à faire de petits tricks avec son skateboard, prenant son élan sur la pente et puis faisant des kicks à tout vitesse, tombant parfois sur le cul parce qu’il retombait trop sur le côté ou l’arrière de son skateboard. Ainsi était faite la vie; heureusement, pour prévenir toute forme de blessures visible, Kyo portait toujours de longs gants de laine épaisse; la laine, certes, devenait rapidement déchirée, mais le côté coussiné de la chose lui avait plusieurs fois sauvé la peau de vilaines éraflures. Y’avait toute une technique dans sa manière de tomber, pour éviter de blesser des parties de son corps qui pourraient nuire à sa carrière de danseuse.

Dans son sac à dos, une marchandise des plus importantes; ses p’tites canettes de peinture à graffiti, même s’il n’avait en ce moment pas particulièrement inspiré pour poser une de ses œuvres sur les murs de la ville. Suivant son petite manège de descente de la rue, il était en train de courir à chaque fois pour retourner tout en haut; son cœur battait fort dans sa poitrine, il aimait ce petit exercice physique qui n’étaient peut-être pas bien bien nécessaire, mais apprécié. Passant ainsi les autres piétons, Kyo faillit manquer Calder, un de ses amis et certes une des personnes qui lui avait vraiment donné une direction sur ce que c’était, au fond, être un homme.

(C’est-à-dire qu’il lui a fait comprendre qu’il suffit d’être un homme pour être un homme. Assez simple, hein)

Il venait de le passer; l’avait-il vu? Surement, parce que quand Kyo pivota subitement pour se lancer dans sa direction, s’époumonnant d’un « Calder! » bien retentissant, c’est dans ses bras qu’il se retrouva (et non pas son dos) pour lui faire un gros câlin qui avait été attendu trop longtemps. « Calder, t’fais quoi icitte? » dit-il plus sur le ton de l’intérêt que de la remontrance, « Ça fait trop longtemps! T’es pas occupé là là, dit? »

« Ton bro? Il est là? » Fit Kyo d’une voix excitée, cherchant le dit frère des yeux. Il en avait entendu parler de ce bro, mais jamais il n’avait eu le plaisir de poser les yeux dessus. Faute de voir quelqu’un qui ressemblait à Calder dans les parage, il releva vite les yeux vers lui, l’air déçu. Soit ce serait une autre fois, soit les deux ne se ressemblaient pas du tout. Kyo s’était séapré de lui en fronçant du nez; vite comme ça, il faisait tellement plus jeune qu’il ne l’était, et on aurait peiné à croire que les deux hommes avaient presque le même âge. Tant pis; ça servait bien à Kyo, parfois, d’avoir l’air très jeune.

« Tu étais en route pour aller le voir? Je peux te suivre? » continua-t-il, lui posant question après question sans tout à fait lui laisser beaucoup de temps à répondre, presque comme s’il ne voulait pas avoir les réponses. C’est que tout se pressait dans sa tête, et il ne remarquait même pas qu’il aurait été mieux de décélérer un peu. « J’ai rien à faire en ce moment » précisa-t-il avec un large sourire, « j’étais jsute en train de profiter du temps plus doux pour sortir le vieux skateboard, tu connais la routine »

La connaissait-il, vraiment? Calder et lui s’étaient rencontrés à quelques occasions, surtout que Kyo aimait trainer dans les locaux étudiants de l’université ainsi que dans les soirées étudiantes, mais c’était quand même difficile pour lui de s’y poser puisque parfois il y allait en tant qu’elle et parfois en tant que lui. Si Calder était au courant pour sa condition, en tout cas ne s’était-il jamais trompé dans ses pronoms, et juste pour ça Kyo adorait être en se présence. Et que dire des soirées passées à chanter ensemble? C’était lui, après tout, qui lui avait appris tout ce qu’il savait sur les chansons populaires. Faut dire que si ses leçons comprenaient le chant, disons que les chants traditionnels et les chansons pop, ça n’utilisait vraiment pas les mêmes techniques!

Replaçant une mèche de ses cheveux derrière son oreille, Kyo ajouta : « Si vous voulez, ton bro et toi, je peux vous montrer des endroits sympa de Nemerya. Enfin je sais que tu connais pas mal la ville, mais moi j’y habite depuis plus longtemps, je dois bien connaitre un ou deux spots que tu connais pas encore, surtout en dehors du centre-ville! Si vous voulez, je peux vous présenter une ou deux options de restaurants familiaux pas trop chers en bordure de ville pour manger un brin dans les prochains jours, assumant que vous comptez rester un peu plus longtemps. »

« Le truc c’est d’inspirer par le nez pendant qu’tu parles! » pouffa Kyo, tirant la langue à Calder. « Tu as perdu ton frère de bue depuis vingt minutes, et ça t’inquiètes pas plus que ça? » fit-il, confus. Après tout il savait à quel point son ami tenait à son frère; mais c’était évidemment sans prendre en compte à quel point Calder était chill. Puis après, son frère avait pas six ans comme celui de Kyo, non plus, alors c’était un peu difficile à comparer, pas vrai? L’artiste ne pu s’empêcher de tordre son corps pour jeter un regard derrière le chanteur, mais non; aucune trace d’Arthur dans les parages. « Tu veux qu’on aille le chercher ensemble? » esquissa Kyo, finalement, le poussant presque dans la direction opposée, alors que Calder lui proposait exactement la même chose; pour la peine le petit boute-en-train s’excusa mentalement; s’il lui laissait la chance d’en placer une, aussi, ça n’arriverait pas…

« Champion de la ligue, champion de la ligue… tu dis ça, mais la ligue a pas récemment obtenu un nouveau champion, en plus? Yokoss Tomii-quelque-chose? S’il voulait devenir nouveau maitre de la ligue, il a un peu raté sa chance jusqu’aux prochains combats officiels, non?  »fit Kyo, ignorant complètement le fait que Calder ne faisait qu’exagérer. « J’ai même pas eu le temps de regarder les match, je dois t’avouer, mais apparemment que ça s’est joué sur un retrait du dernier opposant! Ça a dû être plus anti-climatique, j’en ai beaucoup entendu parler au boulot… ah, j’espère que tu le prend mon offre, après tout c’est une occasion inédite! » dit Kyo en faisait le pitre, s’inclinant bien bas en faisant des manivelles d’une de ses mains. Se redressant, il ajouta; « Promis, je vous fait éviter les burrito diablo maximum à trois heure du matin… ‘fin, sauf si vous aimez vivre dangereusement!  »ajouta-t-il finalement en riait bien fort, le genre de rire qu’on entend au bout de la rue et qui se répercute contre les vitres des établissements.

« Oh, moi » fit Kyo, l’air visiblement mal à l’aise même s’il tentait tant bien que mal de cacher la raison de sa gêne. « Oh, tu sais, quand on est artiste, les études ça arrête jamais vraiment » tenta-il d’esquiver. À force de servir des demi-vérités, on oublie parfois ce qu’on a dit à un ou à l’autre; est-ce que Calder savait, au minimum, que Kyo n’était pas un étudiant de l’université? Qu’il aimait simplement y trainer pour rencontrer des gens? Logiquement, les soirées étudiantes sont pour les étudiants, hein, alors il doutait que Calder sache, à moins qu’il le lui ait dit directement. La vérité c’était que Kyo avait eu l’école à la maison depuis qu’il avait que l’âge d’apprendre, et que ce n’était pas différent pour ses études supérieures, pour ainsi dire. Parfois il se demandait ce que ça ferait, de s’asseoir pendant des heures pour écouter un professeur ennuyant parler… parfois cette idée lui plaisait, et parfois cela le terrifiait.

« et toi, Calder » fit Kyo pour changer le sujet de la conversation; « tu fais quoi depuis que tu as terminé l’université? Tu vis la vis de vagabond, comme prévu? Et Tutur, il le vit comment, lui? Il s’ennuie pas trop de toi?  » Kyo, d’un geste leste, posa son skateboard sur le sol avant de grimper dessus, donnant quelques coups de pieds éparses pour faire avancer sa planche sans faire courir son ami musicien non plus. Au moins, ça donnait quelques centimètres de plus au petit skateboardeur, avant d’ajouter : « Il a son portable sur lui, ton frère? Y’a moyen de lui demander ses coordonnées, peut-être? À moins que tu veuilles faire une chasse à l’homme à l’ancienne… »