« Wild and strong, you can't be contained,
Never bound nor never chained. »
Ses prunelles mordorées braquées sur son poing droit, la jeune femme ignorait ce que le miroir taché et gras lui renvoyait : le portrait d'une jeune femme au regard fatigué, aux traits encore creusés par le manque de sommeil. Ses mèches mauves retombaient sur son front, ses tempes, devant ses yeux alors qu'elle s'appliquait à la tâche. Derrière elle, une rangée de cabinets de toilettes aux portes salles, le sol lui-même était crasseux, souillé de traces multiples : sang, crachat, autres fluides qu'on omettra. Un soupire brisa un instant le silence du lieu et la chercheuse se redressa un peu au-dessus du lavabo, pliant trois fois ses doigts et tapant un peu le bout de ceux-ci contre sa paume. Elle avait enroulé ses deux mains de bandages, serrés. Felinferno également, avait les mains enrobés par ce tissu immaculé. Ekaterina releva son regard vers le miroir et elle croisa alors les prunelles émeraude de son Pokémon qui avait retiré ses lunettes fétiches, mains sur les hanches, sourire léger aux babines.
« Prêt pour ce soir ? »Il leva sa main droite et afficha son pouce, agrémentant le tout d'un sourire dévastateur. Prêt ? Plus que jamais.
Ce soir encore, au sein d'Artiesta, la même scène se déroulait. Quoi de mieux qu'un tel lieu de fêtes, de jeux, de casinos et autre festivités pour camoufler quelques combats illégaux ? Défouloir, argents, paris, envie de se prendre des coups ou on ne sait quelles autres obscures raisons. Il y avait du monde, des habitués, des amenés par le bouche à oreille discret, ils avaient peu à peu formé cette espèce de club privé. Ekaterina, elle, l'avait découvert grâce à un homme qu'elle avait rencontré il y a bien quelques semaines. Jarod. Jarod était un véritable mystère, être aussi éphémère que passionnant. Il était arrivé un peu soudainement et restait, chew-gum collé à sa chaussure. Mais ne nous méprenons pas : il n'était pas aussi agaçant qu'un chew-gum, il était bien plus intéressant et d'agréable compagnie.
Poussant de ses deux mains les portes battantes des toilettes, Ekaterina apparut sous la lumière blafarde de la cave qui leur servait de repaire. Sourire carnassier au coin des lippes, elle fit craquer un peu sa nuque, ses jointures, le regard calme. Felinferno paraissait plus assuré que jamais, offrant aux spectateurs des sourires ravageurs et des regards flamboyants. Sans piper mot, la jeune femme entra dans la ronde, prête à danser. Prête à se défouler, à évacuer et, au passage, amasser l'argent des paris. D'un geste de la main, elle nargua un peu son adversaire : un type plutôt balèze dans son genre, accompagné par un Mackogneur. Ekaterina échangea un regard avec son Felinferno ; allait-il pouvoir lutter face à un Pokémon d'une telle envergure ? On verrait bien.
Dans un cri de guerre, le Pokémon Feu et Ténèbres fut le premier à s'élancer, ouvrant le bal en frappant de plein fouet son adversaire tandis qu'Ekaterina opta pour laisser l'autre approcher. Danse macabre menée par un orchestre fou, le combat se profila sous les cris de bêtes déchaînées, sous les applaudissements, les sifflements, les rires et les exclamations. Plus que jamais, la chercheuse se sentit vivante. En particulier après les paroles de son père qui résonnaient en boucle dans son crâne : Aleksander était officiellement mort, sa dépouille avait été retrouvée dans une grotte, une grotte abritant des gravures antiques. Mais était-il temps de penser à cela ? Elle se prit un vilain coup, se maudit de laisser aller ses pensées en serrant les dents, puis répliqua avec rage.
***
Étendue sur le dos, son regard perdu vers le plafond, elle respirait doucement. Son visage était détendu, un sourire étirait les commissures de ses lippes alors que ses membres étaient écartées, une véritable étoile. Au contact frais du sol, ignorant les cris plus loin, elle songeait. Emmerich, Lisbeth, Aslan. Tous disparus. Où ? Pourquoi ? Quand ? Comment ? Mystère. Ceux auxquels elle avait tenu un minimum, celui pour qui elle avait eut, peut-être, un début d'étincelle, avait filé. Lisbeth, sa chère et tendre Lisbeth, Emmerich, son pilier. Tous esquivés. Encore une fois.
« Sacré combat. T'as gagné combien avec ça ? »Ekaterina baissa son regard et le fixa sur la grande silhouette qui la dominait. Jarod. Jarod et son sourire carnassier. Jarod et son foutu caractère.
« Sûrement pas assez. »Soupira t-elle en redressant son buste, posant ses bras sur ses genoux tandis qu'elle soupirait un peu, fermant ses yeux. Felinferno, lui, lunettes à nouveau sur le nez, était adossé au mur, amoché. Le Mackogneur lui avait fait drôlement déguster mais il s'en était bien sortit, ce fieffé catcheur.
« Tu sais quoi ? J'ai quelqu'un à te faire rencontrer, un scientifique de grande pointure. Tu devrais discuter avec lui, peut-être qu'il accepterait de financer ton travail. »Ekaterina rouvrit ses mirettes, un sourcil arqué, l'air méfiante. Puis, il lui tendit la main et elle l'accepta, se laissant relever tranquillement. Sans rien dire au début, l'amnésique s'éloigna du bleuté pour s'emparer de son manteau et de son sac, montrant un certain désintérêt. Il eut d'ailleurs un léger rire tandis qu'il croisait ses bras, offrant un beau sourire à la jeune femme qui l'ignora habilement.
« Je lui ai un peu parlé de toi, il m'a dit qu'il te connaissait. »Décharge électrique. La jeune femme stoppa son corps entier, les pupilles dilatées, coulant difficilement son regard vers un Jarod tout fier de lui. Ce soi-disant grand scientifique la connaissait ? Quelles étaient ces conneries ? La Violette tenta de réfléchir, d'y comprendre quelque chose mais il n'y avait là qu'une explication : Visage du Passé.
Ses recherches, son travail était sous silence, elle ne travaillait avec personne, n'en parlait pas et restait silencieuse. Même Jarod n'en savait rien. Baissant un instant son regard vers ses jointures abîmées, Ekaterina fronça ses sourcils, le faciès grimaçant.
« Présente-le moi, Jarod. »Il eut un rire suave, posant alors le bout des doigts de sa main droite sur son torse, effectuant une élégante révérence, son bras gauche tendu et sa main, pointée montrant la sortie.
« Après vous, ma chère. » Susurra t-il, le regard étincelant et le sourire plus prédateur que jamais.