Voilà quelques heures que nous sommes arrivés à Sunyra. La ville, bien que grande, est assez tranquille. Après avoir passé une bonne partie de la matinée dans le parc du Saule à nous entraîner, puis à pique-niquer, nous avons décidé de nous rendre dans les rues marchandes. Pas nécessairement pour y acheter quelque chose, juste pour voir. Cependant, aucun trésor n’a attiré notre attention, à part un marchand de glace. Alm et Ember semblaient beaucoup s’intéresser à cette chose au dessus de nos têtes, le pont Caeli je crois. Nous nous y dirigeons donc, notre goûter à la main. Enfin, Ember, la Héricendre tenant aussi celle du petit Evoli qui lui n’avait pas de main pour tenir la sienne.

En parlant du type feu, voilà peu de temps qu’il est dans l’équipe mais Alm étant très sociable et moi adorant les Pokémon, il n’a eu aucun mal à s’intégrer. L’entrainement avec lui se passe bien. Il est un peu tête de mule et a tendance à ne pas toujours obéir, préférant parfois foncer dans le tas avec une roue de feu plutôt que de respecter la stratégie que j’essaye de mettre en place. Mais je ne me décourage pas.

Nous voilà arrivés sur le pont. Encore une fois, le lieu est paisible. Les gens vont et viennent, marchant tranquillement, admirant le paysage. Mes deux compagnons sont tout de suite intéressés par la vue de la ville en contrebas. Je m’appuie sur la rambarde et observe le paysage avec eux. En tournant la tête, mon regard croise celui d’une femme, accompagnée d’un Otaria. Hé mais… Je la connais, non ? Son visage me dit quelque chose mais impossible de me souvenir où je l’ai vue.

A en juger par la façon dont elle me regarde, il semblerait qu’elle m’ait reconnu aussi. Si elle m’avait ignoré j’aurais cru à une hallucination de ma part, mais là…

-Bonjour. Excusez-moi si je parais impoli mais votre visage me dit quelque chose.

Mes Pokémon, surpris que je prenne la parole, dévisagent l’inconnue avec curiosité. Cependant, ils ne la reconnaissent pas. Ce n’est pas étonnant pour le petit Hérisson de feu, mais l’Evoli ne s’approche pas pour faire un câlin comme il le ferait avec une éventuelle connaissance. Il ne la connait donc pas non plus. Ca serait donc plus ancien ? Une ancienne camarade d’école ? Elle semble plus âgée que moi cependant. Une ancienne caissière de superette de Kanto que j’aurais vu étant petit ? Impossible à dire.

-Est-ce qu'on se serait déjà vus?

La femme semble réfléchir elle aussi, jusqu’à se souvenir. Je suis surpris de la simplicité de sa réponse. Très directe, sans détour. Sans même faire une vraie phrase en fait, juste deux mots. « Village Kishika ». Ah oui, je crois me souvenir maintenant. Elle est cependant plus rapide que moi à développer. Oui, je me souviens de cette pimbêche qu’Alm avait attaquée.

-Oui, je me souviens, c’est vous qui lui avez apporté quelques soins.

C’est à peu près tout en fait. Elle est arrivée, a fait son travail et est repartie comme une voleuse. La rencontre avec elle n’a duré quelques minutes. La femme finit par me tendre la main que je serre. Je me présente à mon tour.

-Je m’appelle Haru Ikeda. Et je suis un simple dresseur itinérant.

Elle ne cesse de parler de manière direct, comme si chaque mot qui sortait de sa bouche était douloureux et qu’elle essayait d’en dire le moins possible. C’est étrange mais bon, chacun sa personnalité et son comportement j’imagine.

-Vous voyagez, vous aussi ?

Je me pose la question car d’habitude les infirmières sont assez prises par leur travail. Peut être est-elle en jour repos, aussi.

Je lui demande si elle voyage, elle aussi. Les seuls mots qui sortent de sa bouche sont « On peut dire ça ». Je patiente quelques instant dan l’attente qu’elle poursuive mais rien ne vient. Quoi ? C’est tout ? Pas plus de précisions ? D’accord, elle n’a peut être pas envie d’en parler, ses raisons sont peut être trop personnelles. Je n’insiste donc pas. Je trouve ce silence néanmoins gênant. Heureusement, elle finit par reprendre la parole, me demandant si la fille allait bien. Je soupire. Pourquoi faut-il en revenir à elle ? Son fantôme me suit ma parole. Enfin, je dis ça mais elle n’est pas morte cependant.

-Je l’ai croisée l’autre jour à Hérisis. Elle se déplaçait en béquille et semblait aussi désagréable que ce soir là à Kishika. Donc oui, je présume qu’elle va bien.

Un long silence s’installe à nouveau durant le quel je fixe le paysage. Il faut dire que mon interlocutrice ne semble pas vraiment bavarde. Chacune de ses interventions orales semble être soigneusement préparée pour être la plus succincte possible. De plus, elle ne semblait pas réellement expressive. Cette femme serait-elle un robot ? Je remarque qu’elle tient une plume de Pokémon entre ses mains, qu’elle commence à tripoter entre ses doigts.

-Et vous, qu’est ce que vous faites à Sunyra ?

Comme dit plus tôt, ce n’est peut être pas quelque chose dont elle souhaite parler. Cependant, le silence commence à devenir pesant alors je demande ce qui me vient à l’esprit en premier lieu. Après tout, elle n’a pas dit clairement qu’aborder le sujet la dérangeait non plus.

L’infirmière ne semble pas particulièrement touchée par ce que je lui raconte, ni en bien, ni en mal. Presque comme si ça ne l’intéressait pas. Survint tout à coup un Chacripan venu de nulle part pour voler la plume que tenait la demoiselle. Son irruption surprise semble étonner tout le monde, sauf la concernée. Le félin s’enfuit aussi rapidement qu’il est venu. Je me demande ce que peut bien faire un Chacripan avec une plume, c’est pas comme s’il pouvait la manger… Je l’imagine un instant rentrer dans sa tanière avec tout un tas de babioles en tout genre exposés telles des plumes, des tessons ou ce genre de choses.

Lassés de regarder le paysage, mes Pokémons s’éloignent de quelque pas et commencent à jouer. Je lui demande en suite ce qu’elle fait à Sunyra, ce à quoi elle me répond qu’elle n’est que de passage, avant de me retourner la question en me vouvoyant. Ca me fait bizarre mais je ne relève pas. Je sens néanmoins que son « et vous » est un peu forcé. J’imagine donc que ce n’est que de la politesse et qu’elle n’est pas particulièrement intéressée par ma réponse.

-Pareil, je ne suis ici que pour quelques jours, puis je vais continuer mon voyage vers Artiesta.

Je ne m’étale pas plus sur la question. J’ignore comment mon interlocutrice voit notre conversation. Est-ce qu’elle ne maintient le dialogue que par politesse ? Est-ce que c’est le sujet qui ne l’intéresse pas ? Ou est-ce que j’interprète mal son manque apparent d’émotions ? Je n’ai aucune idée de ce qu’elle pense mais je n’ose cependant pas le lui demander directement. De ce fait, je ne sais plus vraiment quoi dire, je ne voudrais pas la retenir plus longtemps si elle n’en a pas envie.

-Bon, je crois que nous allons vous laisser et rentrer au centre Pokémon. Vous souhaitez nous accompagner ?

Je me suis senti obligé d’ajouter la question, au cas où. Je ne voudrais pas donner l’impression que je la snobe non plus, ce n’est pas le cas. Seulement, il est vrai que son manque d’émotions et de paroles me met un peu mal à l’aise.

Lorsque je demande à l’infirmière si elle souhaite nous accompagner jusqu’au centre Pokémon, celle-ci acquiesce. Bon, au moins ça signifie que ma compagnie de la dérange pas, c’est déjà ça. Je commence donc à partir avec mes Pokémons sur les talons, en supposant qu’elle me suit.

Une violente bourrasque passe, faisant voler les feuilles au sol et la poussière. Je me protège les yeux pour ne pas que quelque chose s’y colle. Contrairement à la jeune femme, j’ai les cheveux décoiffés de manière habituelle, je n’ai donc aucun soucis à me faire de ce côté-là. Je remarque que mon accompagnatrice semble troublée par quelque chose mais je ne saurais pas dire quoi.

-Est-ce que ça va ? Demandé-je, un peu inquiet.

Est-ce que l’une de ses affaires s’est envolée ? Est-ce qu’elle regarde le ciel pour voir si un orage se prépare ? Aucune idée. Personnellement, je n’ai rien vu de tel. J’attends qu’elle ne reprenne ses esprits avant de me remettre en marche.

La jeune femme me dit que ça doit être son imagination qui lui a joué des tours. J’imagine que ça doit être ça. Je hausse les épaules et attends qu’elle ait repris ses esprits pour continuer ma route. Je n’aurais pas cru que nous soyons si proches du centre Pokémon. Cependant, l’infirmière semble vouloir continuer sa route. L’heure des séparations vient donc aussi soudainement que nos retrouvailles.

-Bon et bien, nous nous arrêtons ici. Au revoir et faites bonne route.

Elle me répond avec un petit signe de la tête avant de contempler une dernière fois le pont. Machinalement, je suis son regard mais il n’y a rien d’anormal.  Je me demande bien ce qu’elle a cru voir pour que ça la perturbe autant. J’imagine que ça n’a pas d’importance et que je ne le saurais jamais de toute façon, autant ne pas y penser. Lorsque je me tourne à nouveau vers elle, je vois qu’elle s’est déjà remise en marche. Quel étrange personnage que cette infirmière, décidément.