Et après ?
Bip
Gmmhgmhgr-Ou suis-je ?
Bip
Gueeeuh, quelle horreur ce bruit ! J’essaye d’ouvrir les yeux, mais j’ai l’impression que j’aurais moins de mal à soulever une montagne ! Pourtant quelque chose provoque mon inconfort et me tire peu à peu des vapes de mon sommeil…
Bip
Gngngné ! Maudit bip ! Tu veux ma mort, c’est ça ?!
Ah ! J’ai trouvé ce qui ne va pas ! J’ai froid… J'ai l'impression d'avoir dormit des jours... Si froid... Dans mon esprit embrumé, le froid prend peu à peu vie. D'abord tourbillonnant, il virevolte dans tous les sens, pénétrant mes vêtements comme s'ils n'étaient que des maigres voiles, ne laissant aucune once de ma peau à l'abri de ses assauts.
Bip
Puis, le froid se rassemble en une entité que je n'arrive pas à identifier. Mais une chose est sûre, elle est en colère ! Elle attaque tout ce qui passe à sa portée de son froid glaciaire !
Bip Bip Bip
Finalement, l'entité se concentre en un objet filiforme. Une lance de glace qui par comme une flèche, fends les airs à la recherche de sa cible, et fini par la trouver dans le coeur de...
« CHUNCHUN ! »
BIP BIP BIP BIP BIP
Je me suis redressé comme un piquet, haletant, en sueurs, mais parfaitement réveillé. Il fait nuit. Au pied du lit, un Altaria alerté par mon cri et celui des machine qui bordent la couche viens de se réveiller également et me regarde comme si j'étais un revenant. Mais à qui est - il ?
Je n'ai pas le temps de me pencher sur la question que le volatile me saute dessus, piaillant joyeusement et me faisant la fête - et un boucan de tous les diables.
« Mais bon sang mais... Qui est tu ?! »
Le pokémon reste un moment interdit, comme choqué, puis pousse un cri offensé et se met à me picorer le crâne vigoureusement, un peu comme l'aurai fait...
« Aïe aïe AÏE ! Chunchun ? »
Le pokémon s'arrête enfin pour me regarder de son air de diva insulté. Pas de doute ! C'est bien lui !
« Chunchun ! »
Je le sert contre moi et, je ne sais pas pourquoi, une larme de joie glisse le long de ma joue. Je me laisse à nouveau glisser dans les bras de Morphée, rassuré, satisfait, heureux.
Avant de sombrer totalement, j'entends vaguement des bruits de pas qui s'approchent et une question effleure ma conscience :
“Oui mais... Je suis oú ?”
[…]
Je me réveille à nouveau au matin, bien plus calme. Chunchunmaru me fait à nouveau la fête et, si je suis heureux de le revoir, j'ai un peu de mal avec sa nouvelle taille. J'espère qu'il ne va pas essayer de se poser sur ma tête...
Mais quelque chose attire mon regard... Une cicatrice. La lance de glace de mon rêve me reviens en tête telle un charognards dévorant ma bonne humeur. Avec elle reviennent les souvenirs de ma "bataille" à Windoria. Un bien grand mot pour un tel désastre. Et Chunchun... Chunchun...
« Je... Je suis tellement désolé... »
De nouvelles larmes se mettent à couler le long de mes joues et je serre une nouvelle fois contre moi, laissant mon stress, ma tristesse et ma frustration s'écouler hors de moi...
[…]
« Jeune homme ? »
Je ne sais pas combien de temps je suis resté comme ça. La journée semble bien démarrée maintenant. Je lève les yeux vers la personne qui m'a appelé. C'est une vieille femme au visage buriné que je n'ai jamais vue, mais son uniforme la définit clairement comme une infirmière. Elle porte deux paires de lunettes rondes (une pour la vue et une pour le soleil) et il y a quelque chose en elle de foncièrement rebelle. Elle n’aurait pas son uniforme et serait plus jeune, j’aurai dit qu’elle était punk ! De plus, le nez proéminent au milieu de son visage marqué par le temps et ses orbites enfoncées lui donnent un air de sorcière.
Je porte pour la première fois mon regard sur la pièce qui m'entoure. Je suis dans une chambre d'hôpital. L'infirmière attire à nouveau mon attention, visiblement à l'affût de mes réactions.
« Jeune homme ! T’sais comment tu t’appelle ? »
« Je... oui. Sanzo. »
Elle teste mes refléxes oculaires et auditif tout en me demandant :
« Comment tu t’sens ? »
« Je… je sais pas trop. »
J’ai rien de mieux à répondre. L’infirmière semble agacée par ma réponse, qu’elle ponctue d’un claquement de langue.
« T’a mal quelque part ? »
« Euh… Non ? Je crois pas. »
« Tch. Allez lève toi. »
Ben quoi ? C’est pas bien que j’ai pas mal ?
J'essaie de me relever, mais je galère. Je me rends compte pour la première fois qu'il me manque quelque chose... Un appui.
Paniqué, ma respiration accélère alors que je tourne mon regard vers mon bras gauche. Il est toujours là. Bonne nouvelle. La moins bonne nouvelle, c'est que je n'arrive pas à le bouger. Enfin. Très mal. C'est… très étrange.
Je tourne un regard suppliant vers l'infirmière, espérant qu'elle m'apporte une réponse. Elle tire une moue désappointée, mais m'annonce avec fermeté qu'elle ne dira rien tant que je n'aurais pas mangé.
Elle disparaît et revient avec un plateau repas. Rien de folichon : l’équivalent hospitalier d’un petit déjeuner : quelques patisseries, du jus de fruit, et…
« Euh… Je n’en bois pas. »
L’écorce de son visage se fends d’un rictus et elle grogne :
« Tch ! Comme si ce café était pour toi ! »
Et la voila qui attrape le gobelet sur mon plateau et se met à le siroter ! J’essaye d’attraper une pâtisserie avec mon bras gauche, mais je manque de faire tomber le plateau - en fait, il serait tombé sans les réflexes de l’infirmière : elle est vive pour son âge ! Ma gorge se sert en contemplant mon bras comme s’il n’était pas le miens.
« Qu-… Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »
« Mange. »
Roooh, c’est bon, j’vais pas me laisser mourir non plus ! Je m’exécute malgré tout. Je commence à manger - avec le bras droit du coup - et c’est quand j’avale ma première bouchée que je me rends compte d’à quel point j’ai faim. Je commence à enfourner ma collation sans plus rien dire.
L’infirmière pousse un grognement satisfait, puis me demande :
« T’sais ou t’es ? »
Je fais non de la tête tout en continuant à manger.
« Tch. T’es à l’hôpital de Nemerya. T’sais pourquoi t’es la ? »
Ma gorge se sert soudainement. Je repose ma pâtisserie.
« Windoria… »
La sorcière hoche sombrement la tête et reprends.
« T’a été retrouvé par les autorités après que ce bestiaud la - elle fait un signe de tête vers Chunchun - et son copain t’aient transportés sur dieu sais quelle distance. »
« Gerugeruni ? Il va bien ? Il est où ? »
« Geruge… le crapaud ? Il va bien. On l’a renvoyé chez toi avec tes parents en attendant que tu te réveille, on en avait marre de les voir tourner dans le couloir, y créaient des courants d’air et nous fatiguaient encore plus qu’ils s’épuisaient eux même. On les a prévenus ce matin que tu t’étais réveillé, y tarderons pas à arriver. »
« … ça fait combien de temps que je suis la ? »
Moue contrariée.
« C’est le 4ème jour. »
Ah… Donc j’ai vraiment dormit plusieurs jours…
« Dites… Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »
La sorcière prend une mine encore plus sombre - si c’est possible.
« T’a été salement amoché gamin. Je sais pas ou t’a trainé, mais tu t’es prit une série d’objets tranchants dans le dos, au niveau de l’omoplate. »
Ses doigts longs et fins se posent sur mon omoplate, à l’endroit où les éclats glaces m’ont frappé.
« Tu va en garder de vilaines marques. Je sais pas ce que c’était, mais ça as complètement niqué les terminaisons nerveuse de la région. C’est déjà un miracle en soit que tu puisse le bouger un peu. »
Je vois… C’est… Beaucoup à avaler.
« Morveux… Ou t’a été te fourrer pour te faire ça ? »
« A la patinoire… »
Elle recrache la gorgée de café qu’elle était en train de boire.
« LA PATINOIRE ? Je retire s’que j’ai dit : c’est qu’tu sois encore vivant qu’est un miracle. T’a pas vu les ordres d’évacuation ? T’es sourd et aveugle ? »
« Quoi ? N-non je- »
« Ou peut être juste débile ?! »
« Mais non ! J’ai- »
« T’as quoi ? T’as cru que c’était un endroit pour les enfants ? »
« … »
« T’a voulu jouer les héros à la place des secours, c’est ça ? »
« C’était moi… »
« Qu’est-ce t’as dit ? »
« C’ÉTAIT MOI, LES SECOURS ! »
J’ai carrément hurlé cette phrase. Toute la frustration de ce combat me remonte d’un coup à la gorge et je ne peux rien faire pour la combattre. J’éclate en sanglots.
« C’est… c’était moi… »
L’infirmière reste interdite un moment, puis finit son gobelet cul sec et s’en va.
« Fini ton plateau et repose toi gamin. T’en a encore besoin »
Alors qu’elle quitte la pièce, je l’entends maugréer qu’envoyer des enfants à la guerre devrait être des idées d’un autre temps. Je me retrouve à nouveau seul avec Chunchun.
[…]
« Hey, le héros ! Tes parents sont la. »
La sorcière disparaît pour laisser place à mes parents. Les retrouvailles sont mouvementées, tous mes pokémons ayant souhaité faire le déplacement. Je suis heureux de tous les voir en bonne santé, j’en pleure de soulagement - j’ignorais avoir autant de larmes en réserve !
Gerugeruni et Milo sont bougons. Lui saute sur le lit et me regarde d’un air mauvais. Il avise mon bras et une teinte d’inquiétude se glisse dans son regard.
« C’est comme ça, tant pis. Ça aurait put être bien pire si tu n’avait pas été la. Si vous n’aviez pas étés la. Vous tous… Merci. »
J’ai baissé la tête à mesure que je parlais, aussi je ne vois pas venir le coup de boule de Geruni.
« AÏE ! MAIS CA VA PAS ? Qu’est-ce que vous avez tous à me frapper ? »
Pour toute réponse, il souffle du nez et va s’installer à coté de la fenêtre. Je tourne un regard interrogatif vers ma mère.
« Je pense que c’est sa façon de dire de ne pas recommencer - et je ne peux que l’appuyer. »
Je tente un timide sourire, qui trouve une tendre réponse sur le visage de ma mère. Elle me prend dans ses bras, très vite rejointe par mon père - il n’est pas très expressif dans ce genre de situations, mais je vois bien qu’il ne va pas bien.
« On a eu si peur pour toi… »
Je ne trouve rien à répondre, alors je les sert juste dans mes bras également.
[…]
La journée passe lentement. On discute de tout et de rien, mais je sens qu’il y une gêne entre nous… Avant que je n’arrive à comprendre ce dont il s’agit, la sorcière intervient : elle veut tout le monde dehors - sauf moi et Chunchun, j’ai des examens à passer, et de toute façon ils me gardent pour la nuit (« Au moins ! »).
Mes parents partent, non sans me laisser au passage quelques affaires qu’ils ont prit “au cas ou j’ai besoin de m’occuper”.
L’infirmière m’amène jusqu’à une salle ou je passe une série d’examens et de scanners. On me triture un peu dans tous les sens, me demande si je peux bouger ci, bouger ça.
Le résultat est mitigé : je peux encore bouger mon bras, mais c’est comme si j’avais pas un contrôle total dessus. Les mouvements les plus basiques me demandent pas mal de concentration, et inutile de parler de tout ce qui demande de la finesse et la précision, comme… Enfin c’est pas la peine quoi.
Les éclats glaces et le froid ambiant ont gelé les nerfs et abîmé l’os, causant des dommages considérables. Et le transport chaotique n’a rien arrangé. L’os en lui même, c’est pas un problème, ça se reconstruira. Mais les nerfs…
En l’état actuel, impossible de savoir si ça reviendra à la normale ou pas. Mais la mégère n’avait pas l’air très optimiste - enfin, encore moins que d’habitude quoi.
On pourrait penser qu’avec tout ça, je souffre le martyr. Mais non. Je ne ressent rien. Pincements, frottements, même vêtements, je n’ai aucune sensation qui remonte de mon bras. Rien au delà de l’omoplate. Je pourrais être manchot, à ce compte. Mais non. J’ai un bras. Je peux le bouger - dans une certaine mesure. Mais je ne le sens pas…
Pour revenir dans le registre des bonnes nouvelles en revanches, Chunchun s’en sortira bien ! Il as juste besoin de beaucoup de repos. Un poids de moins sur mes épaules.
[…]
La sorcière m’a ramené dans ma chambre et s’est occupée de m’aider à manger - non sans grommeler que j’allais avoir droit à de la rééducation, parce qu’elle était pas la pour materner les poupons, elle.
« Hey, le marmot. T’as l’air sinistre. T’enterre quelqu’un ? »
« Hmm ? Non… Je me demandais juste… Est-ce qu’on a eu des nouvelles des personnes qui ont été enlevées ? »
« Je vois… Le héros fais sa part d’altruisme, c’est ça ? »
« S’il vous plaît… J’ai besoin de savoir… »
Le silence s’éternise assez longtemps pour que je finisse par penser qu’elle refusait de me répondre quand elle lache finalement :
« Sauvés, tous sans exception. »
« C’est vrai ?! Est-ce que vous savez si-ggbgghg »
Quelle morue ! Elle en a profité pour m’enfourner une fourchette dans la bouche !
« Retire moi cet air content de ton visage ! Si tu crois que les otages ont étés les seules victimes de cet épisode, tu te met le doigt dans l’oeil, mon bonhomme ! »
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
« T’as les neurones en sorbet ? Des villes ont été ravagées, l’avorton. Des quartiers entiers détruits, des milliers de personnes, de tous les milieux qui se retrouvent du jour au lendemain sans domicile. POUF ! Plus rien ! Des gens sont morts, gamin. Et je parle des héros dans ton genre ! Des gens honnêtes, des policiers et des secouristes qui ne faisaient que leur métiers. Est-ce qu’on parle de tout ça à la télé ? Non ! Tout ce qu’on fait c’est encenser les héros qui ont sauvé la région sans voir que la plupart ne sont que des mioches qui sortent à peine de leurs couches »
Son constat est cynique, mordant. À aucun moment elle n’a haussé la voix, pourtant j’ai l’impression d’avoir prit une claque. Je tente un maigre :
« Oui mais… le pire a été évité, non ? »
Elle me regarde longuement, comme si elle pesait le pour et le contre d’une option que je ne connaissait pas, avant de lâcher finalement :
« Finit ton plateau gamin. J’passe le chercher plus tard. »
Aucun autre mot n’a été échangé de la soirée. Avant de me coucher, je regarde dans les affaires que m’ont laissé mes parents. Je laisse de coté mes affaires de dessin, je… J’attrape mon téléphone. Elle a dit que tout les otages s’en étaient sortis, j’ai quelques messages à envoyer.
[…]
Il a été décidé de me garder quelques temps. Entre mes terminaisons nerveuses abîmées et l’os qui dois se ressouder, ils préfèrent me garder sous surveillance. Et en prime, j’ai hérité d’une écharpe pour mon bras que je dois quitter le moins possible ! Je ne ressent rien, mais il parait que je devrait être en train de souffrir le martyr. Je ne sais pas ce que je préférerais…
La sorcière passe régulièrement pour voir si j’ai besoin de quelque chose, ponctuant ses questions de ses ironiques “gamin” ou “héros”… J’apprécie sa compagnie, mais c’est bien quelque chose dont je me passerais. Au bout d’un moment, je fini par me lancer :
« Madame ? Qu- »
« UGH ! Par pitié ne m’appelle pas comme ça ! »
« Ah ? Mais euh, comment je dois vous appeler alors ? »
« Appelle-moi Inoko, ça suffira. »
« D’accord… Inoko, vous ne m’avez pas répondu hier. »
Je la sens soudain tendue.
« T’es sur de vouloir parler d’ça, gamin ? »
« Oui. »
Elle soupire.
« Très bien, qu’est-ce que tu veux savoir ? »
« Je ne sais pas, qu’est-ce qu’il y a à dire ? »
« Pas grand chose. La plupart des villes s’en remettront. L’aéroport a été détruit. Les voyages entre les régions vont être bien plus compliqués et longs maintenant. Beaucoup de quartiers résidentiels ont subit. On cherche où placer les réfugiés. Alors j’imagine que oui, le pire a été évité. »
« … La plupart des villes ? »
Un claquement de langue me signifie qu’elle n’aime pas ma question.
« Windoria ? »
« Quoi Windoria ? »
« Qu’est-il arrivé à Windoria ? »
« … »
« J’ai le droit de savoir. »
« De savoir quoi ? De savoir si ton sacrifice as porté ses fruits ? De savoir si on parlera de toi comme le prochain héros de Lumiris ? De savoir si ton heure de gloire arrive ? Désolé de te décevoir gamin. C’est pas pour aujourd’hui. »
« … Que s’est-il passé ? »
« T’a p’t’être sauvé les meubles à la patinoire, mais le reste de la ville… Pas grand chose à récupérer. Le peu de personnes qui y ont encore une habitation sont en train de pacquer leurs affaires. La ville ne leurs parrait plus sure. C’est la deuxième attaque en moins d’un an, et celle-ci a fait mal. Les gens fuient, gamin. T’a bousillé ton bras pour rien, héros. »
« Ça suffit. »
« Huh ? »
« ÇA SUFFIT ! »
Je sens une grande colère bouillonner en moi. Je ne sais même pas pourquoi. Mais elle ne demande qu’à sortir, et je ne vois aucune raison de l’en empêcher.
« J’en ai plus qu’assez que vous me traitiez comme ça ! Vous croyez tout savoir ? Vous croyez que j’ai voulu être la bas ? Moi j’ai juste proposé mon aide pour enquêter, a la base ! J’ai jamais voulu aller au casse-pipe ! Vous pensez que je me suis volontairement blessé pour avoir une histoire à raconter ? Pour me faire mousser ? Non. Je l’ai fait pour protéger mes amis. »
« Pourtant t’y es quand même allé, au casse pipe. Et si j’en crois ton état, t’y es même resté un moment. »
« Je suis resté parce que c’est ce qu’on m’a demandé de faire ! J’en ai rien à faire de la gloire ou de la célébrité ! Je vivais tranquillement avant que tout ça ne me tombe dessus ! J’en ai rien à faire de cette ville et de ces habitants ! »
Elle va me frapper. J’en suis sûr. J’avais à peine prononcé cette dernière phrase qu’elle était sur moi, son regard habituellement narquois soudain froid. Elle va me frapper. Mais je n’ai pas peur. Actuellement, la peur est un sentiment bien lointain. Je soutiens son regard.
Dans ses yeux, mêlée à la colère, j’ai l’impression de voir autre chose. Je crois que d’une certaine manière, je lui ai fait mal. Je crois aussi que je m’en fiche. Le silence s’éternise un moment avant d’être rompu par Chunchun, qui nous observe tour à tour, confus.
Je détourne les yeux, soudain gêné.
« Désolé, je l’pensais pas… »
Claquement de langue.
« Si. Tu le pensais. »
Je ne réponds pas… C’est vrai.
« J’vais t’raconter une histoire gamin. »
« Hein ? »
« Tais toi et écoute. »
« Hum… d’accord. »
« Ya d’ça pas si longtemps qu’ça vivait dans cette région un jeune homme. Il était la joie de vivre incarnée ! Croisait son sourire suffisait à illuminer la journée des passants. Pas une question de beauté ou quoi, simplement d’aimer la vie. Qu’il était bon de le voir sourire… »
Elle s’interrompt un instant, plongée dans ses pensées et, pour la première fois depuis que je la connais - pas longtemps, certes, mais le principe est la - un maigre sourire dénué d’ironie orne l’écorce de son visage. Je suis intrigué de savoir où elle veut en venir, mais je sens qu’il vaut mieux ne pas la bousculer. L’instant semble tellement rare…
« Oooh, il l’aimait, la vie. Tellement qu’il avait voué son existence à sauver celle des autres. Ouaip, il était devenu secouriste. D’aucuns disaient qu’il avait été influencé par sa grand-mère. Ces deux la étaient tellement proches… Mais je m’égare. L’gamin passait sa vie à sauver celle des autres. Accidents de la route, attaques de pokémons sauvages, éboulements en montagne ou égarements en forets, c’est parfois sa propre vie qu’il mettait en danger pour sauver celle des autres. Il n’avait pas peur de la mort. “Si je donne ma vie pour celle d’un autre, c’est un peu comme devenir papa post-mortem, non ?”… Même dans la mort il voyait la vie… Rien ne semblait pouvoir l’empêcher d’avancer. Pis un jour, ça a été l’bordel dans la région. Des tarés qui se sont mis à attaquer des villes à grande échelle. Tout le monde a été dépêché sur le terrain. Il a passé toute la journée à marcher dans la neige, soigner des blessés, à rassembler et diriger les gens vers les points de secours. Pas un seul instant il n’a prit de pause. Pas avant qu’on ne lui en donne l’ordre formel. Et même alors, il est allé répondre à un dernier appel à l’aide. Un petit garçon coincé près des combats dans le centre-ville. Comme s’il pouvait ignorer ça. Ça aura causé sa perte. Construction hasardeuse, bâtiment fragilisé par les combats… Va savoir. Tout s’est effondré sur eux. Aucune chance de survie. Et pourtant le gamin as survécu. “Donner sa vie pour celle d’un autre, c’est un peu comme devenir parent post-mortem”… Il me le disais si souvent… »
Le silence s’installe à nouveau, et je comprend qu’elle as finit. Après un moment d’hésitation, je demande :
« Pourquoi vous me racontez ça ? »
« P’t’être pour te dire qu’il y a des choses qui méritent qu’on se batte pour elles. Ou alors que la vie est injuste. Ou alors je ne suis peut être qu’une vieille radoteuse. T’as l’air de te considérer comme un grand garçon, alors je vais te laisser tirer tes propres conclusions. »
Elle se lève et se dirige vers la sortie.
« Une chose est sur gamin : pour moi, le pire est loin d’avoir été évité… »
[…]
Le reste de la journée passe comme la précédente : lentement. Quelques examens par ci par la, mais rien de transcendant. Inoko continue de passer de temps en temps, mais je ne trouve rien à lui dire. L’histoire de son petit fils me trotte en tête sans que je ne sache vraiment quoi en faire et finalement, c’est sans réponse que le soir arrive.
Bon sang, je me suis réveillé hier, mais j’ai déjà l’impression que ça fait une éternité ! Comme je me languis d’avoir de la visite…
« Heureusement que tu es la, Chunchun. »
L’Altaria me regarde, l’air un peu triste, puis se colle à moi. J’enfouis mon visage dans ses grandes ailes cotonneuses pour y trouver un peu de réconfort jusqu’à ce que le sommeil vienne me chercher.
Gmmhgmhgr-Ou suis-je ?
Bip
Gueeeuh, quelle horreur ce bruit ! J’essaye d’ouvrir les yeux, mais j’ai l’impression que j’aurais moins de mal à soulever une montagne ! Pourtant quelque chose provoque mon inconfort et me tire peu à peu des vapes de mon sommeil…
Bip
Gngngné ! Maudit bip ! Tu veux ma mort, c’est ça ?!
Ah ! J’ai trouvé ce qui ne va pas ! J’ai froid… J'ai l'impression d'avoir dormit des jours... Si froid... Dans mon esprit embrumé, le froid prend peu à peu vie. D'abord tourbillonnant, il virevolte dans tous les sens, pénétrant mes vêtements comme s'ils n'étaient que des maigres voiles, ne laissant aucune once de ma peau à l'abri de ses assauts.
Bip
Puis, le froid se rassemble en une entité que je n'arrive pas à identifier. Mais une chose est sûre, elle est en colère ! Elle attaque tout ce qui passe à sa portée de son froid glaciaire !
Bip Bip Bip
Finalement, l'entité se concentre en un objet filiforme. Une lance de glace qui par comme une flèche, fends les airs à la recherche de sa cible, et fini par la trouver dans le coeur de...
« CHUNCHUN ! »
BIP BIP BIP BIP BIP
Je me suis redressé comme un piquet, haletant, en sueurs, mais parfaitement réveillé. Il fait nuit. Au pied du lit, un Altaria alerté par mon cri et celui des machine qui bordent la couche viens de se réveiller également et me regarde comme si j'étais un revenant. Mais à qui est - il ?
Je n'ai pas le temps de me pencher sur la question que le volatile me saute dessus, piaillant joyeusement et me faisant la fête - et un boucan de tous les diables.
« Mais bon sang mais... Qui est tu ?! »
Le pokémon reste un moment interdit, comme choqué, puis pousse un cri offensé et se met à me picorer le crâne vigoureusement, un peu comme l'aurai fait...
« Aïe aïe AÏE ! Chunchun ? »
Le pokémon s'arrête enfin pour me regarder de son air de diva insulté. Pas de doute ! C'est bien lui !
« Chunchun ! »
Je le sert contre moi et, je ne sais pas pourquoi, une larme de joie glisse le long de ma joue. Je me laisse à nouveau glisser dans les bras de Morphée, rassuré, satisfait, heureux.
Avant de sombrer totalement, j'entends vaguement des bruits de pas qui s'approchent et une question effleure ma conscience :
“Oui mais... Je suis oú ?”
[…]
Je me réveille à nouveau au matin, bien plus calme. Chunchunmaru me fait à nouveau la fête et, si je suis heureux de le revoir, j'ai un peu de mal avec sa nouvelle taille. J'espère qu'il ne va pas essayer de se poser sur ma tête...
Mais quelque chose attire mon regard... Une cicatrice. La lance de glace de mon rêve me reviens en tête telle un charognards dévorant ma bonne humeur. Avec elle reviennent les souvenirs de ma "bataille" à Windoria. Un bien grand mot pour un tel désastre. Et Chunchun... Chunchun...
« Je... Je suis tellement désolé... »
De nouvelles larmes se mettent à couler le long de mes joues et je serre une nouvelle fois contre moi, laissant mon stress, ma tristesse et ma frustration s'écouler hors de moi...
[…]
« Jeune homme ? »
Je ne sais pas combien de temps je suis resté comme ça. La journée semble bien démarrée maintenant. Je lève les yeux vers la personne qui m'a appelé. C'est une vieille femme au visage buriné que je n'ai jamais vue, mais son uniforme la définit clairement comme une infirmière. Elle porte deux paires de lunettes rondes (une pour la vue et une pour le soleil) et il y a quelque chose en elle de foncièrement rebelle. Elle n’aurait pas son uniforme et serait plus jeune, j’aurai dit qu’elle était punk ! De plus, le nez proéminent au milieu de son visage marqué par le temps et ses orbites enfoncées lui donnent un air de sorcière.
Je porte pour la première fois mon regard sur la pièce qui m'entoure. Je suis dans une chambre d'hôpital. L'infirmière attire à nouveau mon attention, visiblement à l'affût de mes réactions.
« Jeune homme ! T’sais comment tu t’appelle ? »
« Je... oui. Sanzo. »
Elle teste mes refléxes oculaires et auditif tout en me demandant :
« Comment tu t’sens ? »
« Je… je sais pas trop. »
J’ai rien de mieux à répondre. L’infirmière semble agacée par ma réponse, qu’elle ponctue d’un claquement de langue.
« T’a mal quelque part ? »
« Euh… Non ? Je crois pas. »
« Tch. Allez lève toi. »
Ben quoi ? C’est pas bien que j’ai pas mal ?
J'essaie de me relever, mais je galère. Je me rends compte pour la première fois qu'il me manque quelque chose... Un appui.
Paniqué, ma respiration accélère alors que je tourne mon regard vers mon bras gauche. Il est toujours là. Bonne nouvelle. La moins bonne nouvelle, c'est que je n'arrive pas à le bouger. Enfin. Très mal. C'est… très étrange.
Je tourne un regard suppliant vers l'infirmière, espérant qu'elle m'apporte une réponse. Elle tire une moue désappointée, mais m'annonce avec fermeté qu'elle ne dira rien tant que je n'aurais pas mangé.
Elle disparaît et revient avec un plateau repas. Rien de folichon : l’équivalent hospitalier d’un petit déjeuner : quelques patisseries, du jus de fruit, et…
« Euh… Je n’en bois pas. »
L’écorce de son visage se fends d’un rictus et elle grogne :
« Tch ! Comme si ce café était pour toi ! »
Et la voila qui attrape le gobelet sur mon plateau et se met à le siroter ! J’essaye d’attraper une pâtisserie avec mon bras gauche, mais je manque de faire tomber le plateau - en fait, il serait tombé sans les réflexes de l’infirmière : elle est vive pour son âge ! Ma gorge se sert en contemplant mon bras comme s’il n’était pas le miens.
« Qu-… Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »
« Mange. »
Roooh, c’est bon, j’vais pas me laisser mourir non plus ! Je m’exécute malgré tout. Je commence à manger - avec le bras droit du coup - et c’est quand j’avale ma première bouchée que je me rends compte d’à quel point j’ai faim. Je commence à enfourner ma collation sans plus rien dire.
L’infirmière pousse un grognement satisfait, puis me demande :
« T’sais ou t’es ? »
Je fais non de la tête tout en continuant à manger.
« Tch. T’es à l’hôpital de Nemerya. T’sais pourquoi t’es la ? »
Ma gorge se sert soudainement. Je repose ma pâtisserie.
« Windoria… »
La sorcière hoche sombrement la tête et reprends.
« T’a été retrouvé par les autorités après que ce bestiaud la - elle fait un signe de tête vers Chunchun - et son copain t’aient transportés sur dieu sais quelle distance. »
« Gerugeruni ? Il va bien ? Il est où ? »
« Geruge… le crapaud ? Il va bien. On l’a renvoyé chez toi avec tes parents en attendant que tu te réveille, on en avait marre de les voir tourner dans le couloir, y créaient des courants d’air et nous fatiguaient encore plus qu’ils s’épuisaient eux même. On les a prévenus ce matin que tu t’étais réveillé, y tarderons pas à arriver. »
« … ça fait combien de temps que je suis la ? »
Moue contrariée.
« C’est le 4ème jour. »
Ah… Donc j’ai vraiment dormit plusieurs jours…
« Dites… Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »
La sorcière prend une mine encore plus sombre - si c’est possible.
« T’a été salement amoché gamin. Je sais pas ou t’a trainé, mais tu t’es prit une série d’objets tranchants dans le dos, au niveau de l’omoplate. »
Ses doigts longs et fins se posent sur mon omoplate, à l’endroit où les éclats glaces m’ont frappé.
« Tu va en garder de vilaines marques. Je sais pas ce que c’était, mais ça as complètement niqué les terminaisons nerveuse de la région. C’est déjà un miracle en soit que tu puisse le bouger un peu. »
Je vois… C’est… Beaucoup à avaler.
« Morveux… Ou t’a été te fourrer pour te faire ça ? »
« A la patinoire… »
Elle recrache la gorgée de café qu’elle était en train de boire.
« LA PATINOIRE ? Je retire s’que j’ai dit : c’est qu’tu sois encore vivant qu’est un miracle. T’a pas vu les ordres d’évacuation ? T’es sourd et aveugle ? »
« Quoi ? N-non je- »
« Ou peut être juste débile ?! »
« Mais non ! J’ai- »
« T’as quoi ? T’as cru que c’était un endroit pour les enfants ? »
« … »
« T’a voulu jouer les héros à la place des secours, c’est ça ? »
« C’était moi… »
« Qu’est-ce t’as dit ? »
« C’ÉTAIT MOI, LES SECOURS ! »
J’ai carrément hurlé cette phrase. Toute la frustration de ce combat me remonte d’un coup à la gorge et je ne peux rien faire pour la combattre. J’éclate en sanglots.
« C’est… c’était moi… »
L’infirmière reste interdite un moment, puis finit son gobelet cul sec et s’en va.
« Fini ton plateau et repose toi gamin. T’en a encore besoin »
Alors qu’elle quitte la pièce, je l’entends maugréer qu’envoyer des enfants à la guerre devrait être des idées d’un autre temps. Je me retrouve à nouveau seul avec Chunchun.
[…]
« Hey, le héros ! Tes parents sont la. »
La sorcière disparaît pour laisser place à mes parents. Les retrouvailles sont mouvementées, tous mes pokémons ayant souhaité faire le déplacement. Je suis heureux de tous les voir en bonne santé, j’en pleure de soulagement - j’ignorais avoir autant de larmes en réserve !
Gerugeruni et Milo sont bougons. Lui saute sur le lit et me regarde d’un air mauvais. Il avise mon bras et une teinte d’inquiétude se glisse dans son regard.
« C’est comme ça, tant pis. Ça aurait put être bien pire si tu n’avait pas été la. Si vous n’aviez pas étés la. Vous tous… Merci. »
J’ai baissé la tête à mesure que je parlais, aussi je ne vois pas venir le coup de boule de Geruni.
« AÏE ! MAIS CA VA PAS ? Qu’est-ce que vous avez tous à me frapper ? »
Pour toute réponse, il souffle du nez et va s’installer à coté de la fenêtre. Je tourne un regard interrogatif vers ma mère.
« Je pense que c’est sa façon de dire de ne pas recommencer - et je ne peux que l’appuyer. »
Je tente un timide sourire, qui trouve une tendre réponse sur le visage de ma mère. Elle me prend dans ses bras, très vite rejointe par mon père - il n’est pas très expressif dans ce genre de situations, mais je vois bien qu’il ne va pas bien.
« On a eu si peur pour toi… »
Je ne trouve rien à répondre, alors je les sert juste dans mes bras également.
[…]
La journée passe lentement. On discute de tout et de rien, mais je sens qu’il y une gêne entre nous… Avant que je n’arrive à comprendre ce dont il s’agit, la sorcière intervient : elle veut tout le monde dehors - sauf moi et Chunchun, j’ai des examens à passer, et de toute façon ils me gardent pour la nuit (« Au moins ! »).
Mes parents partent, non sans me laisser au passage quelques affaires qu’ils ont prit “au cas ou j’ai besoin de m’occuper”.
L’infirmière m’amène jusqu’à une salle ou je passe une série d’examens et de scanners. On me triture un peu dans tous les sens, me demande si je peux bouger ci, bouger ça.
Le résultat est mitigé : je peux encore bouger mon bras, mais c’est comme si j’avais pas un contrôle total dessus. Les mouvements les plus basiques me demandent pas mal de concentration, et inutile de parler de tout ce qui demande de la finesse et la précision, comme… Enfin c’est pas la peine quoi.
Les éclats glaces et le froid ambiant ont gelé les nerfs et abîmé l’os, causant des dommages considérables. Et le transport chaotique n’a rien arrangé. L’os en lui même, c’est pas un problème, ça se reconstruira. Mais les nerfs…
En l’état actuel, impossible de savoir si ça reviendra à la normale ou pas. Mais la mégère n’avait pas l’air très optimiste - enfin, encore moins que d’habitude quoi.
On pourrait penser qu’avec tout ça, je souffre le martyr. Mais non. Je ne ressent rien. Pincements, frottements, même vêtements, je n’ai aucune sensation qui remonte de mon bras. Rien au delà de l’omoplate. Je pourrais être manchot, à ce compte. Mais non. J’ai un bras. Je peux le bouger - dans une certaine mesure. Mais je ne le sens pas…
Pour revenir dans le registre des bonnes nouvelles en revanches, Chunchun s’en sortira bien ! Il as juste besoin de beaucoup de repos. Un poids de moins sur mes épaules.
[…]
La sorcière m’a ramené dans ma chambre et s’est occupée de m’aider à manger - non sans grommeler que j’allais avoir droit à de la rééducation, parce qu’elle était pas la pour materner les poupons, elle.
« Hey, le marmot. T’as l’air sinistre. T’enterre quelqu’un ? »
« Hmm ? Non… Je me demandais juste… Est-ce qu’on a eu des nouvelles des personnes qui ont été enlevées ? »
« Je vois… Le héros fais sa part d’altruisme, c’est ça ? »
« S’il vous plaît… J’ai besoin de savoir… »
Le silence s’éternise assez longtemps pour que je finisse par penser qu’elle refusait de me répondre quand elle lache finalement :
« Sauvés, tous sans exception. »
« C’est vrai ?! Est-ce que vous savez si-ggbgghg »
Quelle morue ! Elle en a profité pour m’enfourner une fourchette dans la bouche !
« Retire moi cet air content de ton visage ! Si tu crois que les otages ont étés les seules victimes de cet épisode, tu te met le doigt dans l’oeil, mon bonhomme ! »
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
« T’as les neurones en sorbet ? Des villes ont été ravagées, l’avorton. Des quartiers entiers détruits, des milliers de personnes, de tous les milieux qui se retrouvent du jour au lendemain sans domicile. POUF ! Plus rien ! Des gens sont morts, gamin. Et je parle des héros dans ton genre ! Des gens honnêtes, des policiers et des secouristes qui ne faisaient que leur métiers. Est-ce qu’on parle de tout ça à la télé ? Non ! Tout ce qu’on fait c’est encenser les héros qui ont sauvé la région sans voir que la plupart ne sont que des mioches qui sortent à peine de leurs couches »
Son constat est cynique, mordant. À aucun moment elle n’a haussé la voix, pourtant j’ai l’impression d’avoir prit une claque. Je tente un maigre :
« Oui mais… le pire a été évité, non ? »
Elle me regarde longuement, comme si elle pesait le pour et le contre d’une option que je ne connaissait pas, avant de lâcher finalement :
« Finit ton plateau gamin. J’passe le chercher plus tard. »
Aucun autre mot n’a été échangé de la soirée. Avant de me coucher, je regarde dans les affaires que m’ont laissé mes parents. Je laisse de coté mes affaires de dessin, je… J’attrape mon téléphone. Elle a dit que tout les otages s’en étaient sortis, j’ai quelques messages à envoyer.
[…]
Il a été décidé de me garder quelques temps. Entre mes terminaisons nerveuses abîmées et l’os qui dois se ressouder, ils préfèrent me garder sous surveillance. Et en prime, j’ai hérité d’une écharpe pour mon bras que je dois quitter le moins possible ! Je ne ressent rien, mais il parait que je devrait être en train de souffrir le martyr. Je ne sais pas ce que je préférerais…
La sorcière passe régulièrement pour voir si j’ai besoin de quelque chose, ponctuant ses questions de ses ironiques “gamin” ou “héros”… J’apprécie sa compagnie, mais c’est bien quelque chose dont je me passerais. Au bout d’un moment, je fini par me lancer :
« Madame ? Qu- »
« UGH ! Par pitié ne m’appelle pas comme ça ! »
« Ah ? Mais euh, comment je dois vous appeler alors ? »
« Appelle-moi Inoko, ça suffira. »
« D’accord… Inoko, vous ne m’avez pas répondu hier. »
Je la sens soudain tendue.
« T’es sur de vouloir parler d’ça, gamin ? »
« Oui. »
Elle soupire.
« Très bien, qu’est-ce que tu veux savoir ? »
« Je ne sais pas, qu’est-ce qu’il y a à dire ? »
« Pas grand chose. La plupart des villes s’en remettront. L’aéroport a été détruit. Les voyages entre les régions vont être bien plus compliqués et longs maintenant. Beaucoup de quartiers résidentiels ont subit. On cherche où placer les réfugiés. Alors j’imagine que oui, le pire a été évité. »
« … La plupart des villes ? »
Un claquement de langue me signifie qu’elle n’aime pas ma question.
« Windoria ? »
« Quoi Windoria ? »
« Qu’est-il arrivé à Windoria ? »
« … »
« J’ai le droit de savoir. »
« De savoir quoi ? De savoir si ton sacrifice as porté ses fruits ? De savoir si on parlera de toi comme le prochain héros de Lumiris ? De savoir si ton heure de gloire arrive ? Désolé de te décevoir gamin. C’est pas pour aujourd’hui. »
« … Que s’est-il passé ? »
« T’a p’t’être sauvé les meubles à la patinoire, mais le reste de la ville… Pas grand chose à récupérer. Le peu de personnes qui y ont encore une habitation sont en train de pacquer leurs affaires. La ville ne leurs parrait plus sure. C’est la deuxième attaque en moins d’un an, et celle-ci a fait mal. Les gens fuient, gamin. T’a bousillé ton bras pour rien, héros. »
« Ça suffit. »
« Huh ? »
« ÇA SUFFIT ! »
Je sens une grande colère bouillonner en moi. Je ne sais même pas pourquoi. Mais elle ne demande qu’à sortir, et je ne vois aucune raison de l’en empêcher.
« J’en ai plus qu’assez que vous me traitiez comme ça ! Vous croyez tout savoir ? Vous croyez que j’ai voulu être la bas ? Moi j’ai juste proposé mon aide pour enquêter, a la base ! J’ai jamais voulu aller au casse-pipe ! Vous pensez que je me suis volontairement blessé pour avoir une histoire à raconter ? Pour me faire mousser ? Non. Je l’ai fait pour protéger mes amis. »
« Pourtant t’y es quand même allé, au casse pipe. Et si j’en crois ton état, t’y es même resté un moment. »
« Je suis resté parce que c’est ce qu’on m’a demandé de faire ! J’en ai rien à faire de la gloire ou de la célébrité ! Je vivais tranquillement avant que tout ça ne me tombe dessus ! J’en ai rien à faire de cette ville et de ces habitants ! »
Elle va me frapper. J’en suis sûr. J’avais à peine prononcé cette dernière phrase qu’elle était sur moi, son regard habituellement narquois soudain froid. Elle va me frapper. Mais je n’ai pas peur. Actuellement, la peur est un sentiment bien lointain. Je soutiens son regard.
Dans ses yeux, mêlée à la colère, j’ai l’impression de voir autre chose. Je crois que d’une certaine manière, je lui ai fait mal. Je crois aussi que je m’en fiche. Le silence s’éternise un moment avant d’être rompu par Chunchun, qui nous observe tour à tour, confus.
Je détourne les yeux, soudain gêné.
« Désolé, je l’pensais pas… »
Claquement de langue.
« Si. Tu le pensais. »
Je ne réponds pas… C’est vrai.
« J’vais t’raconter une histoire gamin. »
« Hein ? »
« Tais toi et écoute. »
« Hum… d’accord. »
« Ya d’ça pas si longtemps qu’ça vivait dans cette région un jeune homme. Il était la joie de vivre incarnée ! Croisait son sourire suffisait à illuminer la journée des passants. Pas une question de beauté ou quoi, simplement d’aimer la vie. Qu’il était bon de le voir sourire… »
Elle s’interrompt un instant, plongée dans ses pensées et, pour la première fois depuis que je la connais - pas longtemps, certes, mais le principe est la - un maigre sourire dénué d’ironie orne l’écorce de son visage. Je suis intrigué de savoir où elle veut en venir, mais je sens qu’il vaut mieux ne pas la bousculer. L’instant semble tellement rare…
« Oooh, il l’aimait, la vie. Tellement qu’il avait voué son existence à sauver celle des autres. Ouaip, il était devenu secouriste. D’aucuns disaient qu’il avait été influencé par sa grand-mère. Ces deux la étaient tellement proches… Mais je m’égare. L’gamin passait sa vie à sauver celle des autres. Accidents de la route, attaques de pokémons sauvages, éboulements en montagne ou égarements en forets, c’est parfois sa propre vie qu’il mettait en danger pour sauver celle des autres. Il n’avait pas peur de la mort. “Si je donne ma vie pour celle d’un autre, c’est un peu comme devenir papa post-mortem, non ?”… Même dans la mort il voyait la vie… Rien ne semblait pouvoir l’empêcher d’avancer. Pis un jour, ça a été l’bordel dans la région. Des tarés qui se sont mis à attaquer des villes à grande échelle. Tout le monde a été dépêché sur le terrain. Il a passé toute la journée à marcher dans la neige, soigner des blessés, à rassembler et diriger les gens vers les points de secours. Pas un seul instant il n’a prit de pause. Pas avant qu’on ne lui en donne l’ordre formel. Et même alors, il est allé répondre à un dernier appel à l’aide. Un petit garçon coincé près des combats dans le centre-ville. Comme s’il pouvait ignorer ça. Ça aura causé sa perte. Construction hasardeuse, bâtiment fragilisé par les combats… Va savoir. Tout s’est effondré sur eux. Aucune chance de survie. Et pourtant le gamin as survécu. “Donner sa vie pour celle d’un autre, c’est un peu comme devenir parent post-mortem”… Il me le disais si souvent… »
Le silence s’installe à nouveau, et je comprend qu’elle as finit. Après un moment d’hésitation, je demande :
« Pourquoi vous me racontez ça ? »
« P’t’être pour te dire qu’il y a des choses qui méritent qu’on se batte pour elles. Ou alors que la vie est injuste. Ou alors je ne suis peut être qu’une vieille radoteuse. T’as l’air de te considérer comme un grand garçon, alors je vais te laisser tirer tes propres conclusions. »
Elle se lève et se dirige vers la sortie.
« Une chose est sur gamin : pour moi, le pire est loin d’avoir été évité… »
[…]
Le reste de la journée passe comme la précédente : lentement. Quelques examens par ci par la, mais rien de transcendant. Inoko continue de passer de temps en temps, mais je ne trouve rien à lui dire. L’histoire de son petit fils me trotte en tête sans que je ne sache vraiment quoi en faire et finalement, c’est sans réponse que le soir arrive.
Bon sang, je me suis réveillé hier, mais j’ai déjà l’impression que ça fait une éternité ! Comme je me languis d’avoir de la visite…
« Heureusement que tu es la, Chunchun. »
L’Altaria me regarde, l’air un peu triste, puis se colle à moi. J’enfouis mon visage dans ses grandes ailes cotonneuses pour y trouver un peu de réconfort jusqu’à ce que le sommeil vienne me chercher.