Un peu bougonne, j’arpente les rues de Voltapolis d’un pas rapide. Y a une chose qui m’énerve dans cette putain de région. Enfin, disons plutôt qu’il y a un truc qui m’énerve depuis que je suis ici, sans que ce soit forcément la faute de Lumiris. Des appels réguliers qui me demandent de me déplacer constamment. C’est limite un running gag à force. “Hey ptdr je vais appeler Lauriane pour la faire courir un peu!” “Oh ouais, vas-y Jean-Mi, t’es un génie!”. Au moins, deux points positifs pour cette fois: C’est pas une demande du Prof Saule, mais de la base ranger, donc ça promet d’être un peu plus intéressant que d’habitude. Et j’ai du faire le trajet depuis Feranium jusqu’ici, à Voltapolis. C’est moins chiant que si j’avais dû me rendre à Port-Corail et traverser la région comme je commence à en avoir la (désagréable) habitude.

Bref. J’avoue que cette histoire m’intrigue un peu cependant. On m’a dit rapidement au téléphone que la base avait besoin de renfort, et qu’étant donné que j’avais suivi le stage d’apprenti ranger il y a quelques temps, je pouvais faire l’affaire. Ce qui me rend perplexe c’est que je suis pas ranger confirmée, loin de là, et je peine à croire que j’ai pu être la meilleure pendant le stage. C’est quand même bizarre. Personne d’autre n’est dispo? Vraiment? On verra bien ce qu’ils me disent là bas. De toute façon, rien ne m’obligera d’accepter.

Je pénètre dans la base et m’annonce à l’accueil. On m’invite à me rendre dans une sale, vers les bureaux, où l’on viendra me chercher. J’emprunte donc le couloir indiqué et entre dans la salle d’attente. Une jeune fille est déjà là à attendre. Une ado, blonde, plutôt mignonne. Son visage me dit vaguement quelque chose. Elle était peut être une participante au stage, on a dû se croiser ici.

-Salut. Toi aussi on t’a appelée en urgence?

Je prend place sur un siège. Je ne sais pas si on attends encore d’autres personnes, ni qui viendra nous accueillir d’ici quelques minutes.

-Moi c’est Lauriane. On s’est déjà vues, non? Tu as passé l’entrainement de futur ranger, c’est ça?

Tu parles d’une accroche. Mais bon, autant demander cash. Si je em trompe, tant pis. Dans le pire des cas je passe pour la dragueuse relou “Hey ma belle, on s’est pas déjà vu?”. J’avoue que cette image m’amuse, mais c’est pas mon genre de me comporter comme ça.

La jeune fille me confirme qu’elle était bien présente à l’entraînement d’apprentis rangers. Elle est plutôt polie, au point de me vouvoyer. Bien que ce soit inutile, je ne lui tiendrai pas rigueur d’être plus familière. Après tout, je l’ai fait d’entrée. A quoi bon s’emmerder à marquer un tel respect? Avec un patron, ou ce genre de choses, je dis pas. Mais là, on est pas bien différentes. On mange, on bois, on dors… Cependant, sa curiosité semble prendre le dessus au vu de ses interrogations. Mais bon, j’ai fais pareil juste avant, qui suis-je pour juger, encore une fois?

-Tu peux me tutoyer, tu sais. Pour te répondre, je suis partie de Feranium, donc j’imagine que niveau trajet ça aurait pu être pire. Et toi, tu viens d’où?

Elle me questionne également sur mon groupe lors des événements que nous avons partagé en commun. Peut être qu’elle connaît des gens qui y ont participé sans être dans son groupe. Ou qu’elle cherche juste à parler le temps qu’on vienne nous chercher.

-Je faisais équipe avec Félicia Star, et notre accompagnateur était Auguste d’Epernelle. Ton groupe était cool?

En vérité, plus j’y pense, plus je me dis que c’était fait exprès. Que je me retrouve avec elle, je veux dire. Et encore, c’est vrai que je suis mauvaise langue, on a réussi à faire une trêve dans notre rivalité le temps de l’action. Mais disons que ça aurait pu ne pas se passer aussi bien.

-C’est ton Lainergie?

Bah oui, Lauriane, t’es conne. C’est vrai qu’on voit souvent des gens se balader avec des Pokémon qui ne sont pas les leurs. Demande lui si elle respire aussi, tant que t’y es, je sens que tu doutes, là.

-Il est mignon.

Maintenant je suis curieuse de savoir quels autres Pokémon elle peut avoir. Mais la porte de la salle finit par s’ouvrir, m’empêchant de poser la question. Un homme, peut être la quarantaine, jette un œil dans la salle tout en nous détaillant du regard.

-Vous n’êtes que deux? Bon sang… Suivez-moi, s’il vous plait.

Ah. AH. Ça sent pas bon à ce point là? Je jette un regard perplexe à Rose et emboîte le pas à la personne sensée nous recevoir. Au bout d’une série de couloirs traversés en silence, le ranger nous invite à nous asseoir dans son bureau. Celui-ci est plutôt classique. Une table en bois, un pc, quelques cadres en rapport avec les actions des rangers (photos, articles de journaux, brochures), une plante dans un coin, des casiers de rangement sur le côté… Bref, une pièce normale pour un administratif. Il feuillette quelques secondes dans ses dossiers avant de prendre la parole.

-Oui, alors… Vous êtes…. Mademoiselle Cavendish Rose, et Mademoiselle Feroë Lauriane.
-Exact.

Pensif, il reprend:

-J’aurais espéré que vous soyez plus nombreux à répondre à nos appels. Mais c’est un cas plutôt urgent, et nous n’avons pas le temps d’attendre que nos rangers soient disponibles. Je ne vous cache pas que la raison pour laquelle nous vous avons conviées ici n’est pas sans danger. Et contraire à nos règles. Vous n’êtes pas des rangers, donc vous n’êtes pas sensées accomplir de missions pour nous. A ce titre vous ne pourrez pas bénéficier de l’équipement officiel de rangers, et nous jugeons préférable de vous laisser faire équipe avec des Pokémon que vous avez l’habitude d’élever.

Je le coupe.

-Autrement dit, vous implorez notre pitié et notre générosité pour que l’on se mettre en danger sans préparation, ni contre-partie. Votre demande a intérêt à en valoir le coup.

Je suis plutôt dure en affaires, et une sacrée tête de mule. En venant à Lumiris, j’ai pris la décision de vivre pour moi, pas pour les autres. J’ai choisi de ne plus faire les choses simplement parce qu’on me les demande. Et je ne vais pas faire quelque chose d’insensé parce qu’ils sont pas foutus de gérer leurs effectifs.

Je ris en entendant son avis sur Kei. Je ne l’ai vu qu’une fois et il est vrai qu’il est assez particulier comme bonhomme. J’ignorais cependant qu’il cumulait le statut de champion et de ranger. Enfin bref, c’est pas le sujet.

L’homme en face de nous soupire, visiblement légèrement contrarié par notre méfiance.

-Certes, nous vous demandons d’intervenir sans qualifications car c’est une urgence. Mais évidement, vous n’avez aucune obligation de participer à l’opération. Mais dans le cas où vous accepteriez, voici le topo: Vous devrez vous rendre à Port-Corail, à la station balnéaire. Des individus sont en train de se livrer à une prise d’otage dans l’un des hôtels. Tous les étages supérieurs sont bloqués par les terroristes. Des Pokémon sur le toit empêche la police d’intervenir par la voie des airs et les entrées sont également bloquées par le groupe. Nous ignorons encore s’ils ont des armes en plus de leur Pokémon. D’autant plus que le nombre de victime est encore à déterminer.

J’ai pas l’odorat d’un Caninos, mais j’ai encore assez de maîtrise de mes sens pour dire ça sent la merde, cette histoire. Ça m’évoque, en priorité, cet épisode de terroristes que m’a raconté Lionel. La Team machin, là.

-Il y a des familles en vacances là bas. Des membres du personnel, des Pokémon pacifistes, des enfants… Et nous ne sommes pas encore entrés en contact avec les terroristes pour connaitre leurs revendications.
-Est-ce qu’ils semblent avoir un lien avec la Team Mistral? Demandé-je.
-Il ne semblerait pas, mais il n’y a aucun moyen d’en être sûr.
-Et la police? L’armée?
-Ils sont déjà sur place, vous iriez en renfort. Mais cela comporte tout de même des risques.

Je reste pensive un moment. C’est compliqué. Comment peut on être rendus au point où personne d’autre que des dresseuses peu expérimentées ne puisse aller sur place alors qu’une chose aussi grave se produit. Ce ne me plaît pas du tout. Je jette un œil à Rose.

-Vous voulez bien nous laisser un moment, pour ne discuter?

L’homme acquiesce et nous indique la porte. Bien entendu, ni Rose, ni moi, n’avons besoin de l’accord de l’autre pour y aller ou pour refuser. Nous avons chacune notre libre arbitre, mais je préfère la consulter avant de donner une réponses définitive. Je referme le battant derrière moi alors que nous nous retrouvons dans le couloir.

-Sacré bordel cette histoire. Tu en penses quoi? On est pas habilitées à le faire, mais il y a des vies en jeu. Est-ce qu’on peut vraiment se permettre de rester les bras ballants?

J’avoue que si je ne me retenais pas, je roulera des yeux devant le monologue de Rose. On dirait un discours de personnage de manga en mode “oui mais moi je vais pas laisser tomber, j’ai fais tout ça pour réussir, mes amis comptent sur moi, je suis la seule à pouvoir le faire.” Mais au delà de la forme que je trouve un peu en décalage avec la situation, je comprend le fond de ses paroles.

Si on nous demande de l’aide, c’est pas non plus anodin, c’est qu’il y a un besoin derrière. Même si on y va en soutien et qu’on aura peut être pas, ou peu, à se battre. Et je partage son appréhension. Pas parce que j’ai peur de me battre ou d’être dans le feu de l’action, ça non. Casser des bouches, je sais faire. Et se faire casser la sienne, ça s’apprend aussi. Allez, si j’écoute mon côté casse-cou, je dirais même que mettre ma vie en jeu n’est pas quelque chose qui me fait trembler. Si je peux éviter d’y passer, ça m’arrange, bien sûr. Mais ça a quelque chose d’excitant.

Ce qui me fait vraiment hésiter, c’est de mettre en danger mes Pokémon, par contre. Rien que la perspective d’échouer à les protéger, ou de faire foirer quelque chose, pourrait me dissuader d’y participer. Mais bon, j’ai toujours été prudente et sérieuse dans mon travail, il n’y a pas de raison que ça arrive.

-Alors je pense qu’on est d’accord pour y aller.

Je retourne donc dans le bureau du ranger pour lui faire part de notre décision.

-On va le faire. Indiqué-je. Cependant, pour ma part, j’imposerai deux conditions. C’est très risqué. Donc premièrement, il est hors de question que je fasse cela par bonté d’âme, je tiens à ce que nous soyons payées. Vous nous demandez de faire le travail d’un ranger confirmé, donc il nous faut une rémunération équivalente. Deuxièmement, si nos vies sont mises en danger plus que nécessaire, nous nous réservons le droit de ne pas exécuter un ordre ou de quitter les lieux.
-Abandonner une mission aussi importante, ou même ne pas écouter les ordres d’un supérieur, est une faute grave.
-Nous pourrions en dire autant du fait de missionner des personnes non agréées. Je ne vous demande pas la lune, simplement ce que j’estime être le minimum venant de votre part. C’est à prendre ou à laisser.

Sans accéder à ma demande, ni en m’envoyant balader, l’homme se tourne vers Rose.

-Autre chose à ajouter, mademoiselle?

Rose répond au ranger en appuyant mes propos. Cela me rassure, au moins nous sommes sur la même longueur d’onde. Le ranger prend quelques notes. Puis se lève en nous faisant signe de l’accompagner. Jetant un regard entendu à ma partenaire de mission, je lui emboîte le pas. Nous traversons en silence un dédale de couloir. La tension est palpable. Je n’ai jamais livré de combat de cette envergure. Je possède bien un badge mais les enjeux sont radicalement différents. Et puis, est-ce qu’un petit bout de métal peut-il vraiment être représentatif du niveau de quelqu’un? Probablement pas.

Nous finissons par débarquer dans une grande sale où figurent une femme aux cheveux noirs ainsi qu’une poignée de Pokémon en tout genre. La plupart d’entre eux mangent ou s’entraînent de façon non violente. Le ranger nous amène jusqu’à sa collègue, en train de prendre soin d’un Alakazam.

-Alors, est-ce qu’il est prêt? Demanda-t-il.
-Affirmatif.
-Bien. (Il se tourne vers nous.) A défaut de ne pouvoir vous offrir de partenaire, nous pouvons au moins vous assurer le transport jusque là bas. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, notre Alakazam vous téléportera jusque là bas. Ça ira plus vite que de vous trouver une monture. Je vous laisse avec Carole, je vais m’occuper de la paperasse. Merci à vous en bon courage.

Ah! J’ai cru qu’on l’aurait jamais ce “merci”. Pas que je sois à cheval sur la politesse, mais un minimum, quoi. Lorsque l’homme s’en va, je reste pensive. Je vois pas plus rapide que de se téléporter, c’est vrai. Mais… C’est vraiment sans danger? Question con, remarque. Si les ranger utilise cette méthode de déplacement c’est que le Pokémon doit être entraîné, de base.

-Ca me va. Enchantée, moi c’est Lauriane. Dis-je en tendant la main à la dénommée Carole, puis au Pokémon.

Là où la ranger me rend ma poignée de main sans hésitation, le Pokémon observe ma main l’approcher. Puis il a un mouvement de recul, cachant ses propres mains contre lui. Je constate qu’Il semble avoir peur, les larmes lui montent aux yeux. Je suis si horrible que ça?

-Elle va pas te voler tes cuillères, gros bêta. Dis bonjour!

Rassuré, le psy semble se détendre et nous adresse un petit signe timide. Je lui souris amicalement sans tenter de l’approcher à nouveau.

-Je suis désolée qu’on en arrive à des extrémités pareilles. J’y serais bien allée, mais je suis la seule à m’occuper des Pokémon, aujourd’hui. C’est déjà compliqué en temps normal, mais là c’est un peu la course. Heureusement que la plupart sont en mission avec nos rangers. Enfin, bref. Vous êtes prêtes à partir?

J’imagine que oui et non. D’après ce que j’ai compris, y a pas beaucoup de préparation à avoir, puisqu’on y va tel quel. En revanche je suis pas sûre d’être prête à ce qui nous attend de l’autre côté.

-J’imagine qu’on a pas le choix.

Je m’avance vers le type psy qui semble ne plus avoir peur, et pose ma main sur son bras. Ne manque plus que Rose et psshiout!