Ce n'est pas mon boulot, c'est mon devoir

Tes pieds s'enfoncent dans la neige. Ce n'est pas une sensation à laquelle tu es habituée. Dans le sud de Lumiris, le climat est bien plus doux que dans le nord, et on y voit rarement de la neige. Alors marcher dedans... Tu as voulu profiter de l'hiver pour visiter un peu le nord. C'est plutôt en adéquation avec ta nouvelle résolution, la vie de dresseur est souvent une vie de voyage après tout. Commencer à explorer ta région n'est pas une mauvaise idée.
Le plus dur pour le moment est de t'habituer à la différence de climat. Tu t'es chaudement couverte, si bien que la seule surface de peau à ne pas être recouverte est ton visage. Le froid a d'ailleurs donné une teinte rouge à tes joues.
Tu t'es éloigné de Windoria, de ses ruines et de son camp. Tu as choisis la forêt comme destination, bien que tu ne sortes pas des sentiers battus. Tu sais que non loin, il y a une arène. Ce n'est pas ta destination. Ca le sera peut-être un jour, ou peut-être jamais, mais certainement pas aujourd'hui. Il est trop tôt. Tu soupires et tes lèvres exhalent un nuage de buée. C'est sans doute enfantin, mais tu ressens une certaine fascination face à ce phénomène. Peut-être parce qu'il est plus visible ici que nulle part ailleurs dont tu te souvienne.
Tu es seule ici. Tu as laissé Boris et Boromir dans leurs pokeballs respectives. Ils ne sont pas adaptés à ce climat, et même si la fourrure du Nanméouïe le protégerait sans doute du froid tu ne veux pas lui infliger ça. Tu es seule, avec la neige qui craque sans fin sous tes pieds, et la forêt et ses bruits divers. Ca pourrait être inquiétant, mais ça ne l'est pas. Ca ne l'est pas jusqu'à ce qu'un rugissement puissant ne te parvienne. Par un réflexe que tu n'expliques pas, tu te recroquville légèrement, tes mains venant se poser sur tes oreilles pour essayer d'atténuer le bruit. Puis ça s'arrête, et tu reprends ta position précédente. Tu te mets à regarder autour de toi, à la recherche du pokémon qui aurait put pousser ce cri. Sans doute, un massif, et peut-être même agressif. Tu ne perçois rien cependant, ni avec les yeux, ni avec les oreilles. Quelques secondes s'écoulent avant que tu ne l'entende à nouveau, provenant de la même direction.
Bien peu rassurée à présent, tu fais sortir Boris de sa pokeball. Le Nanméouïe glousse de surprise lorsque ses pattes se posent dans la neige. Tu lui adresses un regard d'excuse.
Je suis désolée de te faire sortir avec ce froid, Boris. Mais tu dois écouter.
Boris te regarde. Ses immenses oreilles s'agitent légèrement, à la recherche de sons particulier. Il a certainement sentit ton inquiétude, et maintenant il en cherche la source. Un moment s'écoule, plus long que le précédent, sans que rien ne vienne perturber le calme. Puis le rugissement à nouveau. Le Nanméouïe agite ses oreilles avec plus de force avant d'émettre un gloussement inquiet.
Est-ce que c'est dangereux ?
Tu es peut-être totalement incapable de comprendre ce qu'il y a derrière ce rugissement, derrière les bruits émis par les pokemons sauvages en général, mais les années que tu as passées avec Boris t'ont permis de le comprendre presque parfaitement. Le nouveau gloussement qu'il émet est une négation. Même si le rugissement est inquiétant, Boris ne l'estime pas dangereux. Ca te rassure un peu. Puis, à ta grande surprise, Boris se met en marche et quitte le chemin sur lequel tu te trouves.
Boris ?
Il se retourne un instant vers toi, glousse, puis se remet en marche. Il t'invite à le suivre, et tu le fais avec une certaine réticence. Tu ne sais pas trop ce qu'il se passe dans la tête de ton pokemon, ce qu'il a pu percevoir et comprendre. Mais tu le suis durant plusieurs minutes. Et lorsque de temps à autre le rugissement résonne à nouveau, tu ne peux que remarquer qu'il est de plus en plus proche.
Et puis tu arrives et le vois. Un énorme Polagriffe, allongé dans la neige au pied d'une pente abrupte, et la fourrure ensanglantée. Tu te figes immédiatement à cette vue. Le pokemon t'impressionne alors même qu'il ne se tient pas debout, et le sang, dont tu ignores la provenance, te laisse profondemment mal à l'aise. Boris aussi s'est arrêté, un peu devant toi. Il s'agite avec inquiétude.
Boris... Il est blessé ?
Un glousseement affirmatif cette fois-ci. Votre échange a attiré l'attention du pokémon sauvage qui tourne la tête vers vous et se met à gronder de façon menaçante. Il bouge pour tenter de se redresser, sans succès, mais tu ne peux faire que reculer. Boris n'a pas bougé, gloussant toujours. Mais toi tu ne sais pas quoi faire. Bien sûr, tu ne peux pas faire demi-tour, tourner le dos et reprendre ton chemin ou rentrer chez toi comme si tu n'avais rien vu, comme si tu ne savais pas. Tu en es totalement incapable. Mais tu ne sais pas non plus quoi faire pour aider. Est-ce que tu peux seulement faire quelque chose ? Toute seule non, c'est certain.
Boris, reviens.
Tu fais rentrer ton pokemon dans sa pokeball. Tu n'es pas certaine de ce que tu vas faire, mais il faut essayer. Parce que tu ne peux pas ne rien faire, n'est-ce pas...? Tu fais demi-tour aussi vite que possible, traçant de gros sillons dans la neige qui était restée vierge jusque là. Au moins, ça fera un repère. Avec ton pokedex, tu cherches ce qui est le plus proche, le campement de Windoria ou l'arène. C'est l'arène. Tu n'avais aucunement prévu de t'y rendre, mais les choses sont différentes maintenant.
Même si tu pratiques régulièrement la marche, tu n'es pas une grande sportive, tu n'as pas beaucoup d'endurance. Encore moins dans la neige, et tu te fatigues rapidement. Tes poumons brûlent alors que l'arène entre dans ton champ de vision, et tu ressens un certain soulagement en voyant quelqu'un devant. Tu te diriges vers cette personne et, quand enfin tu l'atteins, tu te plis en deux le souffle court. Ta respiration est haletante, ta gorge et ta poitrine te font mal, mais tu essayes de parler tout de même.
Excusez-moi. Mais j'ai. J'ai besoin d'aide. Enfin. Pas moi. Un pokemon.
Tu n'y arrives pas. Tes mots n'ont pas beaucoup de sens à tes oreilles, et ce doit être pire pour la jeune femme devant laquelle tu t'es postée. Alors tu essayes autant que tu peux de reprendre une respiration un peu plus normale et te redresses.
Désolée. J'ai trouvé un pokemon sauvage, dans la forêt, il saigne et n'arrive pas à se relever. Je. Je ne sais pas quoi faire, il est agressif et trop grand pour être déplacé. Est-ce que. Est-ce qu'il y a des personnes ici capable de soigner ?
Finalement, tu as réussis à le sortir.

Ce n'est pas mon boulot, c'est mon devoir

Ta respiration est encore un peu courte, mais elle te revient peu à peu. Assez pour que tu n’es presque plus l’impression d’avoir les poumons en feu. La femme à laquelle tu t’es adressée affiche une expression revêche, presque mécontente. Et te semble presque aussi froide que l’environnement dans lequel vous vous trouvez. Cette impression se retrouve aussi dans sa voix et dans sa façon de parler.
Un Pokémon sauvage ? Quoi comme Pokémon ?
Court. Austère. Impérieux aussi. Peu amical, mais ça n’a aucune importance dans l’instant présent.
Un Polagriffe.
Ta réponse est aussi succincte que ses questions. D’un point de vue pratique, ça évite toute perte de temps, c’est certain.
Si tu ne peux pas sauver tous les Pokémons blessés, alors n’en sauve aucun. Pourquoi en sauver un plus qu’un autre.
Tu fronces les sourcils, immédiatement en désaccord avec ce que cette femme vient de dire. Certes, il est vrai qu’on ne peut pas sauver tout le monde, humain comme Pokémon. C’est utopiste. Mais en aucun cas cela ne signifie qu’il faut alors renoncer à sauver ou aider qui que ce soit. Si le monde tournait ainsi, tu serais morte il y a des années. Pourquoi en sauver un plus qu’un autre ? Par hasard. Parce que l’occasion se présente. Parce que la possibilité existe. Par injustice peut-être mais tu as appris il y a longtemps que la vie est injuste mais qu’il faut faire avec.
Tu ouvres la bouche pour répliquer, mais la femme reprends la parole avant que tu n’aies l’occasion de dire un mot.
Mais, bon, maintenant que tu m’as prévenue, on va aller voir.
Tu clignes des yeux de surprise. C’est un revirement inattendu et qui te prend au dépourvu. Tu refermes la bouche silencieusement, tandis que la femme devant toi sort une pokéball et libère un Mammochon imposant. Tu te tords le cou alors que tu l’observes, et observes sa dresseuse lui monter sur le dos. Puis se pencher vers toi avec une invitation.
Allez, monte. Dépêche-toi. Dans ces températures, un Pokémon blessé, même s’il est de type Glace peut vite mourir.
Ou un commandement. Tu déglutis, mais attrape sa main fermement et monte tant bien que mal sur le dos du pokémon. Tu n’es pas à ton aise. C’est la première fois que tu es sur le dos d’un pokémon aussi grand et le sol te parait bien loin. C’est encore pire lorsqu’il se met en marche. Par réflexe, tu t’accroches à la personne devant toi, qui a l’air de parfaitement savoir ce qu’elle fait. C’est au moins ça de rassurant.
J’imagine qu’il suffit de suivre tes traces en marches arrière. C’est quoi comme Pokémon que tu as trouvé ?
Il te faut quelques secondes pour comprendre ce qu’elle dit, avec le sifflement de l’air t’entoure. Puis tu répètes ta première réponse.
C’est un Polagriffe.
Loin d’être commode et dans un sale état.
Je me trompe peut-être mais je crois qu’il a fait une chute importante.
Et si c’est l’origine de ses blessures, alors il s’est probablement mal réceptionné. Ou même ne s’est pas réceptionné du tout.
Est-ce que vous êtes soigneur ?
La question te vient un peu tardivement tant les choses sont allées vite. Tu cherchais quelqu’un capable de soigner un pokémon sauvage à la base. Tu te retrouves sur le dos d’un Mammochon avec une personne que tu ne connais pas et dont tu n’es même pas certaine qu’elle soit capable de soigner un pokémon. Même si elle a l’air prête à le faire.

Ce n'est pas mon boulot, c'est mon devoir

A peine t'es-tu accrochée à elle pour éviter de chuter que tu es repoussée aussi sec avec un commentaire aussi gelé que le paysage autour. Pas que tu t'en préoccupes dans l'immédiat, tu es plus occupée à chercher à quoi te rattacher par conséquent. La prochaine fois, elle n'aura qu'à t'indiquer à quoi tu dois te retenir. Bien que tu espères qu'il n'y aura pas de prochaine fois.
Une chute? Et de où ? Est-ce que tu as vu un endroit d’où un Polagriffe pourrait choir et se blesser sévèrement. Non. Il a dû se battre et se faire blesser par son adversaire.
Tu te hérisses presque aussitôt. Tu ne possèdes certainement pas une connaissance poussée des lieux, mais de là à ne pas reconnaitre un paysage. Il ne faut pas exagérer.
Eh bien figurez-vous que si ! Il y a une parois abrupte derrière lui, l'hypothèse est permise.
Tu commences à te demander sur quel genre de personne tu es tombée.
Si je suis soigneur ? Je tiens une arène dans une forêt. Bien sûr que la médecine est ma spécialité. Je fais aussi de la couture, des claquettes et fabrique des saucisses aux mètres que je vends sur les marchés.
Ah. La championne donc. Merveilleux. Et à l'évidence elle a parfaitement choisis sa spécialité, si tu te bases sur vos échanges. Tu pinces les lèvres en un mince sourire poli mais crispé. Tu ne grognes pas, ni ne siffle. Ce n'est pas dans ton éducation. Mais tout de même, ta voix à une certaine fraicheur déplacée.
En fait, je vous imagine parfaitement fabriquer des saucisses au mètre. Après tout, il faut bien du personnel pour faire fonctionner une arène.
Votre échange ne va pas plus loin puisque vous arrivez finalement à l'endroit où se trouve le Polagriffe sauvage. Tu constates d'ailleurs qu'il a changé de position, depuis que tu l'as vu tout à l'heure. Certaines de ses blessures sont bien plus visibles ainsi, bien que tu ne soit pas capable d'en connaitre l'origine, au milieu du sang et des poils.
La femme saute immédiatement à terre, te laissant seule sur ton perchoir. Bien, tu conçois que la situation du pokémon demande plus d'attention que la tienne et tu entreprends quelque peu maladroitement de descendre seule. Heureusement pour toi, le Mammochon est un peu plus arrangeant que sa dresseuse. Un peu.
Attention. Je vais me fâcher.
Ton oreille capte cette plus ou moins menace et tu hausses un sourcil en te tournant vers la scene. Même assis sur son arrière train, le Polagriffe domine largement la championne. Face à ça, l'avertissement parait quelque peu dérisoire. Puis s'en suit une compétition de hurlements qui semble calmer le pokémon. Tu hausses le deuxième sourcil. Autant la jeune femme t'étais jusque là antipathique, autant tu ressens un certain respect devant cette scène.
Toi, reste pas là, et viens me donner un coup de main. Il faut le ramener à l’arène. Pouiky fait une rampe de glace s’il te plait.
Avec prudence, tu te rapproches. Même si ce Polagriffe semble s'être calmé avec la jeune femme, ce n'est pas dit qu'il soit aussi calme avec toi. Une petite partie de ton cerveau note cependant que son pokémon a droit à une formule de politesse. Pas toi. Tu pourrais presque penser que cette femme déteste les humains et n'apprécie que les pokémons. Ce qui est quelque peu non pertinent lorsque l'on dirige une arène, de ton point de vue.
Mais là n'est pas la question. Tu te rapproches, prête à aider. C'est pour ça que tu es là après tout. Même si tu n'es pas certaine de pouvoir bouger une masse de plusieurs centaine de kilos avec tes seuls bras.
Je connais ce Polagriffe. Je l’ai connu quand c’était un petit Polarhume et je l’ai recueilli. Il était dans les ruines de la ville comme beaucoup de Pokémons dans cette forêt. Il a certainement voulu se montrer trop costaud et affronter un Polagriffe plus expérimenté que lui. Aide-moi à le trainer sur la civière improvisée.
Tu hoches la tête en l'écoutant, comprenant peut-être un peu mieux. Si ce pokémon l'a connu quand il était plus jeune, ça peut expliquer qu'il ne soit pas trop agressif en sa présence. Et qu'il se laisse hurler dessus sans trop broncher. Vous arrivez, par tu ne sais quel miracle, à hisser le Polagriffe sur la rampe de glace formée par le pokémon. Puis c'est à ton tour de te hisser à nouveau sur le dos du Mammochon, à la suite de la dresseuse. Tu ne te risques pas à la toucher cette fois-ci, choisissant, sans doute judicieusement, d'aggriper avec tes mains la fourrure du pokémon.
Le voyage retour se fait dans le silence, si on peut appeler silence le vent qui hurle à nouveau à tes oreilles. Tu n'as pas envie d'amorcer une conversation, refroidie par le caractère désagréable de ta vis-à-vis. Alors lorsque vous arrivez finalement, tu aides, évidemment, à faire redescendre le Polagriffe de sa civière de fortune et à l'installer plus ou moins bien pour des soins. Soins que tu ne donnes pas. Ce n'est pas ton domaine. Bien sûr il va falloir que tu t'y remettes très prochainement, mais là tu ne seras d'aucune aide. Alors tu adresses un salut courtois à la championne qui t'a aidé, malgré l'impression persistante que tu l'avais dérangé, avant de quitter l'arène pour prendre le chemin de retour vers Windoria.