Il n'en fallait vraiment pas beaucoup pour le rendre heureux, celui-là ! Une gaufre, ça faisait largement l'affaire ! Il attendit donc sagement que Yuri récupère sa brochette, et ils partirent tous deux vers le stand de gaufres si prometteur. S'il s'était attendu à ce que Yuri prenne tout son temps pour profiter de sa viande, il fut surpris de le voir pratiquement gober la brochette pour mieux pouvoir tout de suite s'intéresser aux gaufres. - J'm'en prends une au chocolat, tu veux quoi ? - Au sucrrrrre ! répondit-il sans hésiter, et en faisant rouler le r sur sa langue. Les gaufres au sucre avait toujours été ses préférées et si, d'habitude, sa mère et lui en cuisinaient maison, celles que les stands de rue offraient avaient souvent un petit goût particulier qu'il aimait beaucoup ! Laisse, je vais payer ! se pressa-t-il avant que Yuri ait le temps de sortir sa monnaie. Il enfouit la main dans la poche de son pantalon (le sien, donc pas celui qu'il portait, mais celui qu'il tenait plié comme un petit paquetage contre son côté) et en sortit un des billets qu'il avait agités la veille sous le nez de Yuri, dans la gare mal famée de Voltapolis. Il paya donc pour les deux gaufres, et attendit qu'elles cuisent, tout heureux d'avoir pu rembourser un tout petit peu sa dette. - T'sais, d'habitude je mange de tout ! commença-t-il soudain, pour ne pas attendre les gaufres dans un silence gênant. Mais depuis que j'ai eu un cabriolaine, j'ai du mal avec la viande d'agneau. Et la viande d'âne, et le gibier, entre autres. Il sourit, repensant à son cher Lucio. Il était trop mignon quand il était p'tit ! Bon, maintenant il a évolué alors il est beaucoup plus gros, mais il reste mignon quand même ! expliqua-t-il en riant.
Yuri se sentit soudainement comme un enfant que l'on gâte. Ce n'était pas désagréable, c'était même étrangement plaisant mais il n'y était pas du tout habitué. Ne s'attendant absolument pas à ce que Wallace se mette en tête de payer les gaufres, il ne put rien faire contre. Ce type était décidément bien trop rapide quand l'envie lui prenait ! Il resta donc là, l'observant simplement, s'amusant intérieurement de son goût prononcé évident pour le sucre. Alors que les gaufres chauffaient tranquillement, le grand bavard se remit à parler et le dresseur l'écouta attentivement, un léger sourire aux lèvres. Les cabriolaines et les chevroums lui rappelaient Illumis. Et, pour la première fois depuis bien longtemps, il se sentit nostalgique à l'évocation de sa ville natale. Ça faisait des années qu'il n'y était plus retourné et il ne pourrait sans doute jamais y retourner. A cette idée, son cœur se serra un peu alors qu'il essayait de se rappeler des grandes allées et de l'effervescence de la capitale kalossienne. Ce fut les yeux perdus dans le lointain qu'il répondit au fermier, un léger sourire un peu triste étirant ses lèvres.
- Je peux comprendre... Je suis originaire d'Illumis et là-bas, on utilise les cabriolaines et les chevroms comme taxis et montures. Ils sont pratiques, efficaces et assez mignons... J'aime bien ces pokémons... Tu ne manges plus du tout de viande alors ?
Se passant la main dans ses cheveux, les ébouriffant au passage, il se tira de ses tentatives de souvenirs, se disant que ce n'était ni le moment, ni le lieu pour se laisser aller à de la mélancolie. La question qu'il avait posée était dénuée d'agressivité. Il était simplement sincèrement curieux de comment Wallace gérait son régime alimentaire. Et puis, s'il ne mangeait pas de viande, ne risquait-il pas des carences ? Ou alors avait-il réussit à trouver des substituts ailleurs ? Et à quoi pouvait bien ressembler un plat sans viande ? Pour le coup, ça lui aurait presque donné envie de faire des tests culinaires à n'en plus finir pour satisfaire cette curiosité naissante. Mais il fut coupé dans ses idées farfelues de mélange par le vendeur qui leur tendait leurs commandes. Récupérant les deux gaufres, il tendit celle au sucre au fermier avant de le remercier d'un air enfantin un peu coupable, toujours pas habitué à ce qu'on lui offre quoique ce soit.
Illumis... Une ville lointaine, dont Wallace ne connaissait que le nom. Yuri était donc émigré et, à la façon dont il parlait de sa cité natale, Wallace crut comprendre qu'elle lui manquait. Par respect pour les souvenirs de Yuri, il ne posa pas de questions, se contentant de sourire doucement alors qu'il lui racontait que lui aussi, il connaissait bien les cabriolaines. En effet, sous ses airs de girouette tête-en-l'air toujours heureuse, Wallace pouvait se révéler très perceptif. Une qualité qu'on cultivait naturellement, en grandissant et travaillant jour après jour auprès d'animaux aussi dangereux que massifs.
Il récupéra sa gaufre, balayant les remerciements de Yuri d'un signe de tête. Ils s'éloignèrent alors du stand pour laisser la place à d'autres clients et, tout en marchant, Wallace enchaîna : - Oh si, j'en mange encore, mais rien qui puisse me rappeler mes pokémons. Et par là, il sous-entendait ses pokémons personnels, car il n'avait aucun mal avec la viande de bœuf, malgré la présence de ce genre de bestiaux dans la ferme. Il faisait une nette distinction entre les pokémons de la ferme qui, même s'ils n'étaient pas destinés à l'industrie alimentaire, restaient du bétail - et ceux avec qui il avait tout personnellement noué des liens. D'aucuns auraient trouvé ça contradictoire - lui, il faisait surtout face à la dure réalité d'un agriculteur. Du coup, j'ai du mal avec la viande d'âne; bon d'accord, y'a pas beaucoup de gens qui en mangent, mais j'ai entendu dire que les tribus d'Herisis en faisaient cuire - ceci dit, vous savez comment prendre les ouï-dires d'un petit paysan de la campagne... -; et j'ai du mal avec le gibier aussi. Son visage s'illumina. Tout récemment, j'ai adopté un petit vivaldaim ! J'ai failli le renverser avec mon bourrinos, alors je l'ai ramené à la ferme pour le soigner et depuis, il n'est plus parti ! Il émit un léger rire, avant de changer soudain d'expression. Encore une fois. Parce que ce jour-là, le vivaldaim n'avait pas été le seul malheureux qu'il avait ramené chez lui - il y avait eu Abygaël, aussi. Mais Wallace fit tout pour se changer les idées, et décida donc d'en revenir à un sujet plus joyeux : - Mais ouais, comme tu dis, les cabriolaines, c'est trop mignon ! Il mordit dans sa gaufre toute dégoulinante de sucre caramélisé, jugeant qu'elle avait assez refroidi. Y'a même un gars qui a failli me le piquer ! Il gloussa à l'évocation de cette amusante anecdote. Bien sûr, il en riait car il savait qu'en aucun cas Bunji n'avait réellement voulu lui voler Lucio - il avait juste oublié qu'il était en train de le porter quand les deux hommes s'étaient séparés après leur rencontre désertique. Maintenant, il a évolué en chevroum, alors je le monte souvent ! C'est super cool ! 'Pis je monte mon bourrinos aussi. Comme si Yuri lui avait demandé un exposé de sa vie. Enfin, il était comme ça, Wallace ! Une bonne nuit de sommeil, une bonne douche, une gaufre toute chaude, du sucre à foison - et on ne pouvait plus l'arrêter !
Emboitant le pas du garçon de ferme qui se remit à marcher, l'illumien lui prêta de nouveau une oreille attentive tout en soufflant sur sa gaufre avant de mordre dedans, se délectant du chocolat épais qui inondait alors sa bouche. Prenant tout son temps pour manger sa sucrerie, bien à l'inverse de ce qu'il avait fait avec sa brochette, il se délecta de la pâte encore fumante, non sans se brûler un peu la gorge. Mais c'était si bon, si doux, qu'il pouvait bien se permettre ce petit sacrifice à la douleur. Il était amusant de se rendre compte à quel point Wallace était aussi bavard que Yuri était taciturne. Ça ne voulait bien sur pas dire qu'il se fichait de ce que lui disait son confrère, bien au contraire, il n'en perdait pas une miette. Mais il était un brin plus avare quand à ses paroles et puis, force était de constater qu'il aimait bien l'écouter parler. Sa bonne humeur était communicative et elle avait le don de lui faire oublier ses petits tracas ; alors il n'allait pas se priver ! Et puis, ses anecdotes avait un parfum de douceur et de naïveté que l'ancien gamin des rues aimait par-dessus tout. Racontée ainsi, la vie paraissait douce et tranquille... Cependant, malgré ses explications joyeuses, le voleur nota l'assombrissement notable du visage de son conteur à un moment. Il ne comprit pas pourquoi mais il le vit disparaitre presque aussi rapidement qu'il était arrivé. bah, de toutes façons, s'il voulait en parler, il lui en parlerait quand il en aurait envie. Lui, il n'irait pas fouiller là où ça pourrait être désagréable.
Mordant de nouveau dans sa gaufre, se léchant un doigt couvert de chocolat au passage, ce petit manège tranquille du fermier qui parlait et du voyageur qui l'écoutait dura encore quelques bonnes minutes. Puis, à un moment, alors que Yuri avait encore deux bouchées de gaufre devant lui et que Wallace avait la bouche pleine, le dresseur bifurqua dans une petite ruelle moins passante et plus sombre. Après avoir fait quelques mètres, il s’arrêta et tapota légérement du pied sur son ombre. Avec une lenteur infinie, Pixel sortit à demi de l'ombre, ouvrant un œil encore embué de sommeil. Il ne fit même pas l'effort de sortir entièrement de l'ombre : il faisait trop jour à son gout. Son dresseur s'accroupit et lui tendit le morceau de gaufre restante. Le fantominus mit un temps avant de comprendre ce qu'il se passait mais, lorsque le fumé du chocolat atteignit son petit cerveau, sa réaction fut immédiate. Il goba d'un coup le reste de la sucrerie, se léchant les babines ainsi que les doigts de son partenaire d'un air goulu, chantonnant de joie avant de repartir se cacher dans l'ombre du jeune homme... Mais uniquement une fois qu'il se fut bien assuré que tout ses doigts étaient parfaitement propres et sans la moindre trace de chocolat ! Son petit chant joyeux perdura encore quelques secondes dans l'air avant de se perdre dans le brouhaha ambiant. Se retournant vers le jeune homme à la gaufre sucré,
- Désolé pour ça, mais il aurait été insupportable si je ne l'avais pas un peu nourrit... Normalement, la gare est au bout de cette rue.
Et il ne s'était pas trompé. En à peine une vingtaine de mètres, les voici devant l'imposante gare de Voltapolis. L'ancien voleur coula son regard vers le fêtard tout en remettant ses mains dans ses poche. L'une d'elle entra en contact avec le petit morceau de papier qu'il avait griffonné plus tôt et il en ressenti un petit pincement au cœur étrange.
- Normalement, il devrait y avoir des trains à cette heure-ci cette fois !
Ah ok, voilà qu'il l'embarquait dans des ruelles sombres, maintenant ! Wallace suivit docilement son compère, et observa avec grand intérêt son interaction avec Pixel. Alors ça, c'était fichtrement pratique pour promener son pokémon sans utiliser de pokéball ! Pixel semblait tout content de sa friandise, et Wallace l'affubla d'un aimable sourire avant qu'il disparaisse. Il commençait à vraiment bien l'aimer, le fantominus !
- Désolé pour ça, mais il aurait été insupportable si je ne l'avais pas un peu nourri... Normalement, la gare est au bout de cette rue. - T'inquiète ! Large sourire enjoué; cette petite pause ne l'avait pas du tout dérangé ! Et voici le duo reparti en direction de la gare. Étrangement, Wallace avait envie de ne jamais y arriver. Si elle était au bout de la ruelle, alors il voulait prendre son temps; et, inconsciemment, il avait ralenti le pas. Comme pour gagner du temps. Mais chaque pas le conduisait vers la gare, aussi lent soit-il - et ils arrivèrent vite (bien trop vite) à leur destination.
La gare aussi avait changé de visage. Elle grouillait de monde, et Wallace dut y regarder à deux fois pour retrouver l'écran affichant les départs et les arrivées. - Normalement, il devrait y avoir des trains à cette heure-ci cette fois ! Malheureusement, oui. En chemin, notre gaillard avait terminé sa gaufre, et il prit le temps de trouver une poubelle pour y jeter sa serviette en papier. Quelques secondes de gagnées. Mais il ne pouvait pas en gagner plus, à présent; le train était sa sentence, et l'heure affichée sur l'écran ne bougerait pas. Le prochain train, c'était dans trois minutes. - Ouaip ! C'est tout bon ! se força-t-il à faire à Yuri d'un ton faussement enjoué. Il ne voulait pas se laisser abattre, et il ne comprenait même pas tout à fait d'où venait sa réticence à rentrer chez lui. Il l'adorait, sa ferme ! Et il adorait ses parents ! Et ses pokémons, qui l'attendaient là-bas ! Certes, il commençait à beaucoup apprécier Yuri - mais ce n'était rien de comparable à l'amour qui le liait à Kishika. Alors pourquoi, à cet instant précis, aurait-il préféré Voltapolis ? Merci encore, pour tout ce que tu as fait pour moi, reprit-il d'un ton qui sonnait beaucoup trop comme au revoir à son goût.
L'illumien perçu la joie forcée dans la voix de Wallace. A force de le voir jouer les girouettes émotionnelles depuis la veille, il avait finit par se rendre compte que son compagnon était en faite, très simple à lire, pour peu que l'on prenne le temps de le faire. Le fait de sentir qu'il se forçait à paraître affable rendit alors extrêmement triste le dresseur, sans qu'il ne sache trop pourquoi. Peut être était-ce simplement parce qu'il appréciait beaucoup son côté rayonnant et enjoué qu'il n'aima donc pas qu'il joue les faux semblants. Ou peut-être était-ce parce qu'il était, à ses yeux, si naturel et si pur que cette fausseté sonnait comme un rouage grippé. Yuri avait envie de lui remonter le moral. Il n'avait pas envie de rester sur un ton aussi morne. Il avait bien une idée mais il hésitait. Rien qu'à l'idée d'y penser, il en avait des sueurs, il stressait bien plus que de raison. C'était stupide, il le savait, et il s'en voulait un peu de réagir ainsi pour une chose aussi simple. Soudain, comme à chaque fois quand il se mettait à éprouver de la nervosité, une myriade de questions lui vinrent en tête. Mais cette fois, il ne s'attarda pas sur chacune d'entre elles. Son visage se fermant soudain, offrant un air concentré de tueur sous l'effort de sa concentration, l'ancien voleur se rapprocha d'un pas trop rapide vers le jeune homme homme. Sortant de sa poche le petit papier griffoné, il lui mit de façon franchement bourrue entre les mains avant de faire quelques pas en arrière, un peu plus timidement, détournant ostensiblement le regard en haussant les épaules nerveusement.
- Si tu te perds encore ou quoi...
Sa voix était toute petite, toute faible, à peine audible. La nervosité le submergea alors et il eut l'envie viscérale d'aller se cacher quelque part. Pour le coup, il aurait souhaité être un fantominus pour pouvoir lui aussi disparaître dans les ombres. Réagissant mécaniquement, ne faisant plus attention à la logique des choses ni à la bienséance, Yuri s' en remit à son instinct. Et celui-ci lui fit tourner les talons en direction de la ruelle. Mais qu'y avait-il sur ce papier pour que ça le mette dans cet état ? Son numéro de portable. Il n'aurait jamais imaginé que ce serait aussi dur de le donner à quelqu'un. Peut être était-ce parce que c'était la première fois qu'il le faisait. Ou peut être que c'était parce que c'était la première fois qu'il éprouvait la sensation d'avoir ce qui se rapprochait le plus d'un ami ? Non, c'était ridicule ! On ne pouvait pas appeler une personne que l'on connaissait depuis moins de 48h un ami ! Un peu de bon sens que diable ! Mais ça s'appelait comment alors ?
L'espace d'une seconde, il lui avait presque fait peur. Et puis, Wallace s'était retrouvé là, seul, avec un bout de papier chiffonné dans la main. Avant d'avoir pu réagir, avant d'avoir pu dire quoi que ce soit. Son train arrivait déjà. Il baissa les yeux sur sa main, ouvrit le morceau de papier, et y vit... un numéro. Un large sourire vint illuminer son visage alors qu'il comprenait, et il releva subitement la tête vers la silhouette fuyante de Yuri. Il faillit lui crier quelque chose; puis se ravisa, en se disant qu'il ne l'entendrait probablement pas, avec tout le brouhaha de la gare et le bruit du train approchant.
Et bien soit ! Il n'avait pas besoin de le lui crier. Il le lui écrirait, ou peut-être même qu'il allait oser lui téléphoner. Tout heureux (et fier, mais alors tellement fier de lui !), Wallace replia soigneusement le papier et le plaça en sécurité dans la poche de son pantalon. Le train pour Kishika s'était arrêté; les portes s'ouvraient. Il était temps de refermer cette douce parenthèse et de s'en retourner à sa petite vie de fermier. Au moins garderait-il ce petit secret dans sa poche - ultime preuve que tout ceci n'aurait pas été qu'un rêve.
Ce fut donc presque à regret qu'il entra dans le train - et non sans un dernier sourire en arrière au cas où Yuri, lui aussi, se retournerait.