Il vient de se faire laminer la tronche, et tu te sens terriblement ballotte.
Sûrement parce que tu as assisté à une grande partie de la scène mais en loupant le début et donc, son origine, et que l'analyse que tu en as tiré est troublante. En gros, une charmante jeune femme, proprette et distinguée, qui fracassait un sdf à coup de pieds. Certains diront qu'une telle scène était au moins saugrenue. Surtout quand, en comparaison, le fameux sdf avait une apparence tout à fait inquiétante et donnait plus envie (de base) de fuir devant lui que de lui enfoncer ses talons de cinq centimètres entre les côtes.
T'as raison d'avoir peur des êtres humains, ils sont tous horribles, même les jolies dames fleuries. (C'est souvent ceux qui ont l'air le plus gentil, le plus noble, qui sont les plus gros malades)
Et maintenant, ce sdf flippant, t'as de la peine pour lui ; plus encore, de la compassion. Tu sais ce que ça fait d'être roué de coups, tu connais les douleurs, celles immédiates et celles persistantes ; connais les marques qui restent sur le corps, les bandages, le sang. Tu connais trop ça pour rester là, finalement ; et ça, c'est symptomatique de ton changement.
Avant Lumiris, tu aurais continué ton chemin, pas même lancé un regard à l'agression (la voir t'aurais fait presque aussi mal que la subir).
Mais ici et maintenant (et tu pensais à Izaiah, si doux, prompt à s'arracher un bras pour aider les autres ; Isaac, meurtri, mais toujours à l'écoute et altruiste ; Kiana, maladroite naissante amitié, rayon de soleil qui soulèverait des montagnes pour aider, tout comme Izaiah ; et pleins d'autres -mais eux devenaient si importants), tu ne pouvais plus faire comme si de rien n'était. Alors tu réajustas ton sac à dos, t'armas de ton courage et t'approchas de la loque humaine -de la carcasse- avant de te racler la gorge. Derrière toi, Pixel et Kirby surveillent -enfin surtout Pixel, Kirby t'attend juste avec tout l'amour d'un bébé pour sa (deuxième) maman- et se préparent à intervenir au moindre danger.
Tu vas éviter de le pousser du pied et te souvenir de ton humanisme devant Alaric agonisant. Tu peux le faire !
Ca-- va ? Question stupide. Vous arrivez à bouger, monsieur ? Il faut vous emmener à l'hôpital...
T'oses pas vraiment le toucher, tu restes à côté de lui, attendant simplement qu'il te réponde -et s'il le fait pas, t'es prête à appeler une ambulance.

Il met quelques instants à te répondre ; suffisamment pour que tu sortes ton téléphone pour appeler les pompiers. T'as pas vraiment envie de le voir canner et, surtout, t'as rien sur toi susceptible de vraiment aider. Et puis tu aperçois du mouvement et c'est à la force de toute ta volonté que tu ne bondis pas un mètre en arrière (tu vas le regretter super vite). Il se tourne et se met sur le dos, ce que tu déplores intérieurement ; s'il souffre d'une hémorragie interne, cela pourrait s'aggraver dans pareille position. Mais t'as pas vraiment le courage de le dire immédiatement, et c'est suffisant pour qu'il te réponde.
Non. Je survis.
Il... survit ? Quelle excellente nouvelle. Mais t'espère que sa survie dure, pas juste là maintenant tout de suite... Il se redresse -à peine- et, par réflexe, tu l'imites pour te reculer. Ah ! T'as réussi à te retenir une fois, c'est déjà bien. En plus, là, tu ne sautes pas à deux mètres, apprécions. Puis réalisant qu'il n'arrive sans doute pas à bouger, tu te rapproches à nouveau, téléphone en main, pleine de bonne volonté (pour une fois)... et là, il lève la main.
Toi, t'as pas de coussin.
Ton téléphone te glisse entre les doigts, tu recules avec une violence attendue te connaissant et attrapes la première chose qui te passe sous la main : ton sac. Et où tu le balances, ton sac ?
Sur son nez.
Parce que Hazel Hilton est pleine d'une délicatesse rare et que ce type louche trouve normal de toucher les poitrines des femmes (tu analyseras après qu'il appelle ça des "coussins" en plus...).
Mais ça va pas connard !?
Tu t'éloignes, ton corps tremble. Mauvais souvenirs, pleins de mauvais souvenirs, et des frissons, des murmures ; ça emplit ta tête, t'as mal, envie de vomir de fuir ; qu'est-ce que tu fais-là ? Pourquoi ? Tu devrais te laisser faire salo-
Tu recules et te plaques dos contre un mur. Ta respiration part en couilles et Pixel sort les griffes. Ta gorge te fait mal, tu clignes des yeux frénétiquement, cherches à te reconnecter à la réalité.
Ce type... t'as dû l'achever.
P-Pixel, vérifie comment il va.
Si tu l'as achevé, tu dis quoi ? Légitime défense ? (au pire, ce sera de famille...)