C'était plutôt tranquille, en semaine. Tous les matins et tous les soirs, les fous de surf démanta étaient nombreux ; mais quand la nuit tombait, la population s'amenuisait. Il y avait moins de visiteurs, et Vai'ata ne perdit pas une heure en discussion avec les habitués. Elle avait signé quelques autographes, partagé quelque rires, puis s'était éclipsé avec Moana. Profitant des lieux, elle avait néanmoins loué un box pour y ranger ses affaires avant de se diriger vers la plage.
« Je compte sur toi pour veiller sur Mana. »
La vérité, c'est qu'elle était là pour prendre un bain glacé et se vider un peu la tête. La voix inquiète et légèrement autoritaire de sa mère résonnait encore dans sa boîte crânienne. "Je compte sur toi", pas "s'il te plaît", pas "j'aimerais". Il n'y avait aucune option dans cette réplique, c'était juste un ordre. Ce n'était jamais que son troisième cadet à venir à Lumiris, mais cette discussion avait été sensiblement plus piquante que les deux précédentes.
Pour Ele'i, leur mère était certes inquiète, mais elle connaissait bien son fils. Il était un enfant sauvage, un enfant de la nature, bien plus qu'un fils Ehu-kai. C'était difficile de veiller sur un électron libre dont on ignore 99% du temps la localisation, même approximative.
Pour Kiana, leur mère était complètement paniquée -et pourtant, ce devaient n'être que des vacances. Kiana était son bébé qui bougeait beaucoup trop, se perdait même dans un mouchoir de poches, encore un petit bébé dans les yeux de sa mère, qu'importe toute la force elle pouvait faire preuve.
Pour Mana... leur mère lui tenait rancune le choix de Kiana de rester à Lumiris, elle le savait. Même inconsciemment, parce qu'elle était inquiète, aimante et douce maman qu'elle était. Et Mana était parti avec une détermination étrange, une sorte de fougue qui l'avait inquiétée d'une autre et inédite façon. Et d'une certaine manière, quand leur mère était inquiète, Vai'ata était responsable, d'une façon ou d'une autre.
Ce n'était pas vraiment conscient, c'était un reste de son départ, huit ans plus tôt.
« Je compte sur toi pour veiller sur Mana. »
Vai'ata avait un goût désagréable sur la langue ; une vague réminiscence des années à la ferme. Ils étaient tous majeurs, évidemment qu'elle serait une grande sœur responsable et serait là pour eux, mais elle n'allait pas leur mettre une laisse. Ils étaient libres, tous les quatre.
Elle n'avait pas besoin qu'on lui rappelle qu'ils étaient des membres de sa famille ; elle avait déjà regardé des logements avant que sa mère n'ait pu évoquer ce fait, avait déjà regardé ses heures d'arrivées pour l'accueillir avant qu'elle ne le lui indique. Vai'ata n'avait pas besoin qu'on la traite en mauvaise aînée, elle savait déjà l'être et faisait de son mieux pour se corriger.
« Je compte sur toi pour veiller sur Mana. »
Elle avait déjà l'intention de le faire, même s'il avait ignoré absolument tous ses messages et qu'elle se demandait même s'il n'avait pas fini par la bloquer. L'insulaire n'avait pas besoin de ce genre d'indications stériles.
Elle secoua la tête ; fallait qu'elle évacue, ça finirait par passer. Moana s'amusait joyeusement dans l'eau, sortant de temps en temps la tête pour voir quand sa dresseuse (sa maman) allait venir. Doux sourire, Vai'ata la rejoignit, mélancolie soudée dans l'âme.

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