Seize heure trente. La météo était agréable sans que les températures ne soient trop élevées. Un temps parfait pour boire un verre en terrasse. C’était donc ce qu’avait fait Auguste, désormais assis à une table devant un petit établissement du centre de Nemerya, sur une petite place dominée par une bibliothèque. Il y avait çà et là des gens qui se baladaient mais l’endroit ne fourmillait pas comme cela pouvait être le cas à certaines occasions – lors du week-end, par exemple.

Il était seul. La chaise située face à lui était vide et c’était très bien ainsi. Il n’avait invité personne et n’envisageait pas de le faire. Quelquefois un homme avait besoin de temps pour lui. Le café réputé de l’établissement et des petits biscuits était la seule compagnie dont il avait besoin pour le moment. Même son téléphone avait décidé de le laisser tranquille. Posé sur la table, il n’avait pas vibré depuis une heure. Un délice. Auguste était un être profondément social mais la solitude lui faisait parfois du bien. Pouvoir déguster un café en toute tranquillité était un de ses petits plaisirs, davantage encore lorsqu’on ajoutait un peu de lecture.

Dans ses mains se trouvait un livre à la couverture sobre, ayant pour auteur un nom inconnu à la grande majorité des habitants de Lumiris et pour cause, il traitait de la fiscalité à Hoenn. Rien qui ne concerne un Lumirien, donc. Il ne s’agissait pas du sujet le plus excitant qui soit mais le Pulsar restait néanmoins absorbé par ce qu’il avait sous les yeux. Sa main libre, quand elle ne tournait pas les pages, tenait un stylo qui tantôt tournait entre ses doigts, tantôt était tapoté quand son porteur réfléchissait. Il reposait de temps à autres l’ouvre pour prendre des notes succinctes dans un carnet où il y référençait les pages intéressantes.

Un passerouge curieux se posa à l’autre bout de la petite table. Visiblement tiraillé entre son attrait pour les biscuits et sa peur de l’humain à qui ils étaient destiné, il hésitait à s’approcher davantage. Amusé, l’ancien champion d’arène attrapa un spéculoos et le cassa en plusieurs morceaux et les posa à mi-distance entre l’assiette et le Pokémon. Intrigué, celui-ci sautilla sur place un moment, comme s’il ne savait pas quoi faire mais finalement, la faim l’emportant, il se décida à avancer pour picorer goulument, pour le plus grand amusement des autres clients. L’oiseau, repu, reprit son envol, ne laissant de son passage que de rares miettes là où son festin avait eu lieu.

Une dernière gorgée et sa tasse fut vide. L’homme soupira d’aise. Aujourd’hui était une bonne journée. Sans qu’il ne sache expliquer pourquoi, il était de bonne humeur. Il y avait des jours ainsi et il comptait bien en profiter tant que cela durait. Il interpella donc la serveuse et lui demanda de lui ramener une nouvelle tasse de café. Auguste n’envisageait pas de passer tout le reste de l’après-midi sur cette terrasse mais actuellement, il était d’avis de prolonger un peu plus son séjour.

Les yeux perdus dans le vide, Auguste réfléchissait. Il n’était pas certain d’avoir bien saisi toutes les implications du dernier paragraphe qu’il avait lu et se le repassait en boucle dans la tête, cherchant à en extirper toutes les informations possibles. Il gribouilla même un schéma à la hâte qu’il annota sommairement, tant et si bien que personne d’autre que lui ne serait en mesure de comprendre de quoi il s’agissait. Cela servait juste à structurer ses pensées pour comprendre, pas à être relu plus tard. Il savait qu’en reprenant ce dessin dans une ou deux semaines, lui-même ne serait plus capable de déterminer ce qu’il avait griffonné à ce moment.

« Uh ? »

L’homme leva les yeux et battit des paupières. À quelques mètres de lui se tenait un petit bout de femme qui lui expliquait de long en large ce qu’elle lui voulait. Il ne comprenait toujours pas pourquoi certaines personnes déclinaient leur identité de la sorte. Cela le mettait presque mal à l’aise, lui qui avait pour habitude de ne donner que son prénom – et parfois son nom, selon les circonstances. Lui n’en demandait pas plus, inutile de réciter ce qui figurait sur son carnet de naissance…

« Bonjour. » répondit-il, l’air amène. « Je suis bien Auguste. »

Elle n’était pas la première personne à l’apostropher après l’avoir reconnu, et elle ne serait sûrement pas la dernière. Cela dérangeait-il Auguste ? Parfois. Certains n’avaient pas conscience qu’ils étaient envahissant ou dépassaient les limites de la bienséance. Entre ceux qui prenaient des photos sans lui demander son avis, ceux qui se permettaient des accolades trop familières ou encore ceux qui abusaient de sa patience, les rencontres n’étaient pas toutes un bon souvenir pour lui.

« Je suppose que dans ce cas, je suis la personne la plus à-même de t’aider. Je ne garantis pas de pouvoir répondre à toutes tes questions, ceci dit. »

Il lui indiqua la chaise située de l’autre côté de la table, signe qu’elle était autorisée à s’asseoir. Il aurait pu refuser. Cela aurait été plus simple, il l’admettait, mais Auguste était quelqu’un qui avait toujours chercher à paraître accessible – d’où les comportements de certains « fans » – et il mettait un point d’honneur à leur consacrer un peu de temps quand il en avait l’occasion. Il glissa donc un marque-page dans son livre avant de le refermer et de le poser sur un coin de la table, juste au-dessus du carnet où il avait pris ses notes.

La serveuse revint avec la tasse de café demandée. Elle en profita pour demander à la nouvelle arrivante si elle désirait quelque chose. Auguste la laissa passer commande, profitant en silence de la chaleur de la tasse se trouvant entre ses mains.

« Avant toute chose, j’aimerais quand même savoir pourquoi une étudiante en médecine a besoin de faire un exposé sur les champions d’arène. »

Curieux, il ne voyait pas le rapport entre le sujet et le domaine d’étude. Il était au courant, pour avoir fait un parcours universitaire, que tous les cours n’étaient pas en lien direct avec le domaine d’étude, mais là, il peinait à voir l’utilité…

Elle n’était pas à l’aise. C’était écrit en majuscule sur son front. Auguste était conscient de l’effet qu’il pouvait avoir sur les gens, surtout la première fois. Ceux-ci étaient quelquefois intimidé par son statut, c’était en partie pour cela qu’il souhaitait se montrer le plus accessible possible. Inutile d’être trop formel avec lui, se montrer poli suffisait. Social par nature, il aimait s’adonner à la discussion et rencontrer de nouvelles personnes, chose par moment difficile quand son interlocuteur donnait l’impression d’être écrasé par sa présence. Il lui fallait faire en sorte de détendre Flora.

La jeune femme prit la parole. Ou jeune fille. Il n’était pas sûr. Elle était jeune c’était certain et maintenant qu’elle était plus près de lui, Auguste n’avait pas le moindre doute sur le fait qu’elle n’ait pas la vingtaine. Bref, une étudiante. Elle lui expliqua la raison pour laquelle un tel travail lui incombait. Il écouta dans un silence religieux, puisqu’il avait posé sa question par curiosité.

Son explication faisait sens avec un peu de gymnastique mentale. Auguste s’asbstint néanmoins de tout commentaire car ce n’était pas elle qui avait choisi ses cours et il était tout à fait au courant du genre d’absurdité que les étudiants rencontraient. La moue sur son visage le trahit, avant qu’il ne commence à parler.

« Je vois, c’est juste pour vous occuper… »

Il comprenait. Il était passé par-là après tout. Mais ce n’était pas pour autant qu’il avait apprécié ces périodes où les professeurs lui donnaient du travail pour meubler les périodes creuses, surtout en fin d’année. Certaines choses étaient immuables. Il n’en tenait pas Flora pour responsable, à vrai dire il était même content qu’elle ait pris cet exposé « secondaire » suffisamment au sérieux pour venir s’adresser à lui. Pour la peine, il ferait de son mieux pour lui répondre.

« Ne t’en fais pas. Je ne suis pas pressé, prends ton temps pour me poser toutes tes questions. »

Quitte à faire les choses, autant bien les faire. Loin d’être perfectionniste, l’homme aimait finir ce qu’il commençait alors s’il avait dit qu’il l’aiderait, il entendait bien tenir sa parole. Il ne comptait toutefois pas faire le travail à sa place. Avait-elle décidé d’axer son exposé sur Auguste la personne ou Auguste le champion ? Il ne le savait pas encore.

« Je considèrerai que tu as abusé de mon temps si tu rates ton exposé. » ajouta-t-il sur le ton de la plaisanterie. « Je t’écoute, Flora. Que veux-tu savoir ? »

Il se réservait le droit de ne pas répondre à certaines de ses interrogations. Si Auguste n’était pas un homme de secret, certaines choses relevaient du domaine privé et ne le concernaient que lui. Et des questions indiscrètes, Arceus savait qu’on lui en avait déjà posé. Il comprenait l’intérêt des gens pour les sujets sensibles, étant lui-même un éternel curieux mais en général, il faisait preuve de respect et ne s’aventurait pas sur les chemins dangereux. C’était aussi un gros gaffeur… Toucher la corde sensible sans le vouloir ne faisait pas partie du domaine de l’impossible avec lui.

Flora griffonna quelque chose dans son carnet. Elle avait probablement préparé une liste de question à l’avance et essayait à présent de structurer l’ordre dans lequel elle allait les poser tout en écartant les moins pertinentes d’entre elle. L’homme la regarda faire en silence, conscient que tous ce qui était préparé maintenant serait du temps gagné plus tard. Il en profita pour jeter un coup d’œil à son téléphone et constata qu’il avait reçu un message. Rien d’important. Cela n’exigeait même pas de réponse dans l’immédiat et Auguste reposa l’appareil sur la table, au risque d’oublier de répondre par la suite.

L’étudiante, désormais préparée, prit la parole et formula ses premières questions. Rien de surprenant pour le moment. Elle lui demanda ce qu’il faisait avant de devenir Champion et surtout ce qui l’avait poussé à endosser ce rôle. C’était sans doute l’une des questions qui lui avait le plus souvent été posée. Il aurait pu y répondre machinalement sans même prêter une once de réflexion tant il s’agissait de mots maintes fois prononcés par le passé.

« Comme tu le sais je ne viens pas de Lumiris. Je suis originaire de Hoenn. »

A vrai dire, il aurait aimé être interrogé sur d’autres sujets. Il était conscient que si le thème était les champions d’arène, on avait vite fait le tour. Mais là… n’importe quel article le mentionnait parlait de cela. Enfin, Flora devait préférer l’entendre de sa bouche plutôt que de lire l’interprétation d’un journaliste. Sur ce point, il ne pouvait pas lui en vouloir car, bon sang, le nombre d’inepties qu’il avait pu lire à son propre sujet. Entre le fait qu’il soit un supposé prédateur sexuel ou encore qu’il maltraite ses Pokémons… Non, finalement, il préférait répondre une nouvelle fois à ces sempiternelles questions.

« J’ai ouvert mon arène dans l’année de mon arrivée, j’avais vingt-six ans à ce moment. »

Neuf ou dix mois après son emménagement, il n’était plus certain de la date exacte. Tout s’était très vite passé pour lui, comme la plupart des projets dans sa vie. Auguste était un homme qui avait besoin de bouger, qui aimait sortir de sa zone de confort pour relever de nouveaux défis. Ouvrir une arène en était un.

« J’ai fait de bonnes performances lors de mes premiers matches d’arène en tant que challenger. Je faisais cela pour ma satisfaction personnelle, voir si j’étais capable d’être ou non un dresseur de Pokémons décent. En raison de mes résultats, j’ai eu l’occasion d’enfiler moi-même le tablier de Champion et comme c’est le genre d’opportunité qui ne se présente qu’une fois… » ajouta-t-il avant de marquer une pause, le temps que Flora termine d’écrire. « Lumiris est une région compétitivement jeune. Le niveau était moins élevé et les postes vacants, plus nombreux. Je ne te cache pas que cela a joué. Je ne crois pas qu’un nouvel arrivant se voit offrir une telle place aussi facilement de nos jours. »

Encore que, vu la manière dont les choses étaient gérées à Lumiris, plus rien ne l’étonnerait. Mais ça, il le garda pour lui. De même qu’il tut le fait qu’il n’était pas un dresseur compétent lorsqu’il était arrivé ici. Sans être un débutant complet, Auguste n’avait qu’un seul Pokémon, même pas évolué, et avait comblé ses lacunes en quelques mois d’études et d’entraînement, le temps pour lui de monter une équipe complète. Un bel accomplissement, d’après lui, mais il savait qu’il aurait l’air arrogant en disant cela. A force de donner des entrevues, il savait discerner ce qu’il était bon de dire ou non.

Flora prenait consciencieusement des notes. Il essayait de répondre de la manière la plus claire et concise possible afin de ne pas l’embrouiller tout en lui donnant les informations essentielles. Après tout, c’était pour un exposé, il ne récitait pas son autobiographie. La jeune femme se fichait sans doute des détails. Cela ne l’aiderait pas à réussir, de toute façon.

« Doucement, doucement. Une question à la fois. » lui souffla-t-il avec le sourire.

Les questions s’étaient enchaînées. Auguste prit le temps d’y réfléchir, comme l’indiqua son regard un instant perdu dans le vide tandis que son doigt dessinait distraitement le contour de la tasse de café. Les questions étaient pertinentes et méritaient réflexion, surtout la deuxième.

« Pour faire simple, c’est une question d’affinité. » commença-t-il en posant à nouveaux ses yeux sur Flora. « J’ai toujours côtoyé les Pokémons et certains types sont plus faciles à vivre que d’autres, pour ainsi dire. Le fait que la place soit libre a également joué. J’avais plusieurs Pokémons Psy et aucun champion n’utilisait ce type alors je me suis dit pourquoi pas. »

En toute honnêteté, avec l’expérience acquise, il se sentait capable de monter une équipe de n’importe quel type. La preuve étant ses nombreux Pokémons. Non seulement ils avaient des types différents mais en plus, il n’était pas le dresseur originel de chacun d’entre eux. Auguste avait toujours eu un très bon contact avec les Pokémons, il savait prendre soin d’eux et les entraîner. Il pensait avoir les épaules pour s’occuper de n’importe lequel d’entre eux. C’était quelqu’un conscient de ses forces, il savait de quoi il était capable ou non.

« Ce que je voulais faire quand j’étais petit, hein… ? »

Ça remontait à loin tout ça. Il approchait déjà de la trentaine et penser à cela lui mettait un coup de vieux. Oof. Son enfance lui paraissait tellement lointaine. Certains souvenirs remontèrent à la surface, enjolivés par les années. Il était passé par tout un tas de phases durant sa croissance mais devenir champion d’arène ne l’avait jamais tenté plus que cela.

« Laisse-moi réfléchir. Hmm… A l’époque, les combats ne me parlaient pas plus que cela. Je veux dire, c’était sympa et j’appréciais regarder des combats Pokémons à la télévision mais ça n’allait pas plus loin. J’étais constamment entouré de Pokémons dans la pension de mes parents, je suppose que ça m’avait ôté l’envie de les utiliser pour me battre. Tout petit, je voulais reprendre la pension mais en grandissant, j’ai commencé à avoir d’autres aspirations. Je voulais voyager, tout ça. Parcourir le monde et découvrir tous ses secrets. »

C’était quelque chose qu’il faisait encore aujourd’hui. Auguste utilisait la moindre occasion pour prendre son sac à dos et partir barouder dans la nature. Il adorait ça. Malheureusement, personne n’était payé pour crapahuter dans la forêt, alors il faisait ça sur son temps libre en gagnant sa vie autrement. Peut-être était-ce pour cela qu’il n’avait jamais conservé le même travail très longtemps. Il finissait par se lasser et, dès que les contraintes devenaient trop importantes, il s’orientait ailleurs. De préférence vers quelque chose qu’il ne connaissait pas. La soif d’aventure, la beauté de l’inconnu.

« Franchement, j’ai toujours pris la vie comme elle venait. Jamais à contre-courant. Ça m’a permis de garder les idées claires et de saisir les opportunités lorsqu’elles se présentaient. Je ne sais pas si tu as besoin d’entendre ça, Flora, mais je sais que les études sont une période stressante. Ne te prends pas trop la tête avec tout ça. Si tu es motivée et bienveillante, tu auras toujours l’occasion de tirer ton épingle du jeu. »

Il sortait du cadre de l’inteview, l’occasion pour lui de glisser l’un ou l’autre conseil de vieux. Il était passé par là aussi. Ce n’était pas facile. On demandait à des ados de choisir leur futur alors que quelques mois auparavant, ils devaient lever la main et demander l’autorisation d’aller aux toilettes. Il y avait de quoi avoir la pression.

Elle trouvait cela passionnant. Auguste ne saisissait pas l’engouement de la jeune femme. Il avait eu une enfance somme toute normale, semblable à celle qu’avaient vécu des milliers d’autres personnes. Sa vie n’avait pas grand-chose d’intéressant pour les autres mais puisqu’il avait été champion d’arène, le fait qu’il ait grandi dans un environnement banal était justement ce qui titillait l’intérêt des gens. Pas besoin de parents riches, de prédispositions particulières ou d’entraînements intensifs depuis son plus jeune âge pour devenir un dresseur compétent. Vu ainsi, l’homme reconnaissait que son histoire avait le pouvoir d’inciter les autres à se lancer dans l’aventure.

« J’ai fait des études, oui. Cinq ans. Je m’étais mis en tête de devenir journaliste dans l’espoir d’être envoyé aux quatre coins du monde. »

Sa tournure de phrase indiquait que cela n’avait pas porté ses fruits. Oh, il avait bien trouvé du travail en terminant ses études mais il s’était vite rendu compte que ce n’était pas ce qu’il avait envie de faire dans la vie. Qui sait quelle serait sa situation aujourd’hui s’il avait continué dans cette voie ? Il n’avait cependant aucun regret et était même très content d’avoir laissé tomber pour suivre ses envies.

« D’aucuns pensent que j’ai perdu cinq ans de ma vie à faire des études qui finalement, ne me servent qu’à avoir un joli diplôme accroché au mur. C’est faux. Je n’ai certes pas travaillé longtemps dans le milieu mais ça m’a permis de développer une certaine méthodologie et surtout, j’ai pu établir de nombreuses connexions que me servent encore aujourd’hui. »

Quand il en avait besoin, il lui arrivait de contacter d’anciens professeurs, des camarades de classe ou tout simplement des gens rencontrés lors de ses études et inversement. Un réseau solide était un sacré atout dans la vie adulte et Auguste avait toujours fait en sorte de l’étendre et de le renforcer. Peu importe ce dont il avait besoin, il avait toujours une connaissance à qui il pouvait s’adresser et qui était susceptible de lui venir en aide… et il le leur rendait bien !

« Pour en revenir à nos moumoutons, je vais répondre à ta question par une autre : d’après toi ? »

Le Pulsar trouvait étrange de devoir déterminer lui-même quel genre de champion il avait été. Il avait aspiré à renvoyer une certaine image mais était-ce ainsi que les gens le percevaient ? Auguste pouvait se lancer des fleurs en disant qu’il cherchait à rester juste, accessible et agréable avec ses challengers leur demander directement ce qu’ils en pensaient lui semblait plus pertinent. Pour ces interrogations, les impressions de Flora étaient aussi importantes que les paroles du garçon.

« Je peux te dire ce que j’ai voulu faire, en tout cas. J’ai cherché à renvoyer l’image la plus positive possible du rôle de champion d’arène. Je voulais que les gens voient moi un exemple, quelqu’un à affronter et à qui demander conseil sans crainte d’être humilié. Un tremplin pour les aider à s’améliorer plutôt qu’un mur destiné à les garder loin de l’élite, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire ? »

Le récit avait été assez clair pour que Flora comprenne ce que son vis-à-vis essayais de dire. Tant mieux. Il était conscient que son récit pouvait être confus pour quelqu’un ne partageant pas la même vision des choses que lui. À la manière dont la jeune femme reformula ce qu’il venait de lui dire, il était clair qu’elle avait saisi l’essentiel et Auguste approuva du chef à la fin de sa phrase.

L’étudiante termina de prendre ses notes pendant que le Pulsar en profitait pour savourer son café accompagné d’un biscuit. Il gardait l’œil sur elle, curieux de savoir ce qu’il se passait dans sa petite tête et quelles questions elle envisageait de lui poser ensuite. Elles ne vinrent pas dans l’immédiat. Flora feuilletait frénétiquement les pages de son carnet, comme si elle y cherchait quelque chose qu’elle ne trouvait pas. Elle finit par fermer le carnet, ce qui laissait supposer qu’elle avait assez d’informations pour son exposé. C’était un travail destiné à les occuper, inutile que cela fasse cinquante pages. Auguste n’avait de toute façon pas assez à raconter à son propre sujet pour utiliser autant d’encre. C’était le moment où Flora rentrait chez elle pour mettre de l’ordre dans ses notes et préparer au mieux le travail à rendre, non ? Cela aurait logiquement dû être le cas mais il semblait que la demoiselle ait d’autres projets pour le moment.

« Eh bien, en voilà une petite curieuse. » dit-il sans une once de reproche.

Prolonger la discussion ne le dérangeait pas le moins du monde. Elle lui était sympathique et Auguste ne voyait aucun problème à prolonger l’échange. Quant aux « expériences passées » sur lesquelles elle désirait de plus amples informations, elle allait devoir se montrer plus précise que cela. L’ancien Champion d’arène n’avait pas la moindre idée de ce qui l’intéressait ou de ce qu’elle souhaitait entendre. Des anecdotes, il en avait des tonnes, mais toutes n’étaient pas intéressantes pour une étudiante comme elle. Il décida donc de se concentrer sur les autres questions.

« Le dernier concours auquel j’ai participé remonte à loin mais oui, j’en ai déjà fait. Je l’ai même gagné. »

Il gardait précieusement le ruban chez lui. Comme les badges, ils étaient la preuve irréfutable de son succès dans ces épreuves. Le concours remontait effectivement à plusieurs mois mais Auguste s’en souvenait très bien.

« C’était… plus facile que je ne l’aurais cru. J’avais de très bons adversaires mais je pense que c’est la cohésion entre mes Pokémons et moi qui a fait la différence. Ça, et leur entraînement. »

D’aucuns considèreraient ses Pokémons comme des machines de guerre. Plusieurs d’entre eux maîtrisaient un nombre ahurissant de capacités en tout genre, ce qui constituait un avantage non-négligeable tant dans une arène que dans un dôme.

« Les combats et les concours sont deux choses complètement différentes mais pour autant, je pense que les bases à travailler sont les mêmes. Passer assez de temps avec tes partenaires pour connaître leurs forces et jouer autour de celles-ci, développer une confiance et une synergie telle que rien ne peut vous perturber une fois lancés, … Beaucoup négligent ce point et se concentrent sur le nombre d’attaques connus par leur Pokémons ou leur puissance de manière générale. C’est très important aussi mais ça ne suffit pas toujours. Un Pokémon à l’aise avec son dresseur, ça se voit. Ça se ressent au premier coup d’œil et ça fait toute la différence. »

Auguste n’avait aucune prétention à être un bon coordinateur. Il avait gagné un ruban et ne pouvait que tirer des conclusions de ce qui l’avait démarqué de ses adversaires. Puis, il ne fallait pas être un génie pour déterminer qu’un dresseur et son Pokémon en harmonie était quelque chose de magnifique à regarder.

« Pour ton trac… Je n’ai rien à te proposer d’autres que les conseils habituels, se vider la tête, se focaliser sur ta performance et celle de ton Pokémon, … Je n’ai jamais eu ce souci mais je pense qu’une fois en parfaite coordination avec tes Pokémons, tu n’auras plus à avoir peur de perdre tes moyens. Vous aurez travaillé ensemble des dizaines d’heures, il n’y aura plus de raison de craindre quoi que ce soit. »

De sempiternels platitudes. L’homme en était conscient mais il était incapable de trouver quelque chose de mieux. Le trac et la confiance en soi était un travail personnel et personne ne pouvait prétendre avoir une solution adaptée à tout le monde. Chacun avançait et se construisait à son rythme.

« Si ce sont les concours qui t’intéressent, je peux te présenter à des amis coordinateurs. Ils seront plus à-mêmes que moi de t’assister et de répondre à tes questions. Pour moi, c’était juste l’occasion de tenter une nouvelle activité et il se trouve que j’ai fini premier. Je n’ai pas la prétention d’être un habitué des concours. »

L’entretien touchait tout doucement à sa fin. Ils avaient fait le tour du sujet et Flora devait avoir assez de matière pour monter un exposé de longueur raisonnable. Inutile d’écrire une biographie du champion, la plupart des détails n’intéresseraient de toute façon personne.

« Si je peux me permettre, je pense que cela finira par te jouer des tours. Avoir un Pokémon capable de se débrouiller seul est un atout, c’est certain, mais c’est au dresseur de mener la danse. Ton Pokémon est déjà occupé à donner le meilleur de lui-même sur le terrain, la responsabilité de le diriger en établissant les meilleures stratégies t’incombe. Je suis d’avis qu’ajouter ce genre de pression sur les épaules de tes compagnons te reviendra dans la figure un jour ou l’autre. »

Difficile de faire des choix logiques quand on était un Pokémon en train de se faire malmener lors d’un combat. Tôt ou tard, son Galopa de Galar finirait par faire une erreur qui aurait pu être évitée si Flora donnait les ordres. Puis, un Pokémon apprivoisé devait apprendre à obéir à son dresseur en toutes circonstances, sans même réfléchir, et cela ne venait qu’à force d’entraînement. Quiconque envisageait de se faire un nom sur scène ou dans l’arène devait être en mesure de diriger ses Pokémons comme ses propres membres.

« Il vaudrait mieux que tu rectifies cela le plus tôt possible. » ajouta-t-il avant de tendre la main. « Je peux t’emprunter ton carnet ? »

Cela pouvait être dur à entendra mais Auguste faisait vraiment cela dans le seul but de lui venir en aide. Mieux valait prendre les bonnes habitudes dès maintenant avant que les mauvais réflexes ne soient inscrits trop profondément. Il était difficile de désapprendre quelque chose fait depuis des années. Bref. C’était un conseil donné de bon cœur, c’était à Flora de prendre la décision qu’elle pensait lui convenir le mieux.

« Alors… je peux te conseiller d’entrer en contact avec Mariam. C’est une coordinatrice à la retraite. Elle est un peu grincheuse mais si tu lui fais bonne impression, elle t’aidera. Par contre, elle n’a pas de téléphone alors il faudra te rendre jusqu’à Kishika. Je te note l’adresse. »

Elle avait passé l’âge de perdre son temps avec les dresseurs n’ayant à ses yeux aucun potentiel. Flora pouvait s’attendre à se faire claquer la porte au nez si elle ne parvenait pas à la convaincre. Cette dernière était du genre têtu et lui dire que c’était Auguste qui lui envoyait cette jeune pousse ne servirait à rien. Elle n’avait aucun ordre à prendre de la part d’un morveux qui ne connaissait encore rien à la vie, pour citer toute l’étendue de sa poésie. Eh. Mais elle n’était pas méchante la Mariam, et surtout elle était très compétente dans son domaine.

Auguste notait les coordonnées de la vieille dame, aidé de son téléphone car il était incapable de retenir tout cela par cœur. Il chercha ensuite un moment dans son répertoire pour une seconde personne, plus accessible, qui pourrait assister Flora dans sa quête.

« Je te conseille Luis aussi. Il a à peu près ton âge et s’est lancé dans les concours Pokémons l’année passée. Je pense qu’il a décroché son deuxième ruban récemment. Si tu veux des trucs et astuces d’actualité, il est tout indiqué. Si tu lui dis que je t’envoie, il trouvera du temps à te consacrer. »

C’était un dresseur qu’Auguste avait aidé par le passé. Le Pulsar l’avait aidé à surmonter ses problèmes et depuis, Luis semblait bien parti pour s’envoler vers les hauteurs dont il avait toujours rêvé. S’entretenir avec quelqu’un qui avait un peu d’avance sur elle ne pouvait qu’être bénéfique à la jeune femme, cela lui permettrait de visualiser les prochaines étapes. Les dernières informations notées, l’ancien Ranger rendit son carnet à Flora.

« Et je te mets mon numéro, si jamais tu devais en avoir besoin. » lui confia-t-il sans préciser que, bien évidemment, il ne fallait fait le déranger pour tout et n’importe quoi. « Je pense que c’est à peu près tout ce que je peux faire pour toi aujourd’hui, Flora. J’espère t’avoir été utile et au moins que tu puisses avoir de bonnes notes avec tout cela. »

Ce dernier point dépendait d’elle, de la manière dont elle allait construire puis présenter son exposé mais il ne s’inquiétait pas vraiment. Flora semblait être une fille qui avait une bonne tête sur les épaules et récolter ses quelques points faciles était tout à fait à sa portée.