Artiesta, ville de la nuit. Ville festive, aux multiples attractions conçues dans un but unique : faire dépenser un maximum de pokédollars à ceux qui y entraient. Avoir l'amour du risque. Avoir l'amour du jeu. C'est ce genre de personnes, à l'air assuré et qui n'ont peur de rien, qui se risquent dans ce type d'endroit. Enfin, se "risquent" est un bien grand mot. Ce n'est pas un risque pour elles. Mais pour moi, malchanceuse et inexpérimentée, c'en est un. Pour la dixième fois au moins depuis le début de la journée, soit depuis que je suis partie de ma chambre d'hôtel de Nemerya pour continuer mon tour touristique et que je suis arrivée ici en début de soirée, je me demande ce que je fais ici. Cette ville pourtant si florissante et épanouissante pour de jeunes adultes, là où ils peuvent prendre plaisir sans compter. Je ne m'y reconnais pas, alors que je devrais, non ? Je suis déjà trop vieille avant l'heure, pour préférer une cité telle que Windoria à celle-ci ? Possible, mais je crois surtout que je manque cruellement d'enthousiasme, là.

Adossée contre le mur d'un gigantesque bâtiment à l'architecture aussi étrange que lumineuse, dans une robe d'un rose plus mat que dans mes tenues habituelles -il faut bien changer, de temps en temps, ça ne fait pas de mal- je me tapote brusquement les joues, serrant ensuite les poings de façon déterminée.

Reprends-toi, Zeph'. T'es ici pour t'amuser !

Pour m'amuser. Pour sortir de ma zone de confort quotidienne. J'en suis d'ailleurs déjà bien loin. Si j'avais été quelque peu dépaysée lorsque j'avais visité la capitale, ce n'était rien comparé à la sensation que j'ai en me trouvant actuellement ici. Je lève les yeux vers l'immeuble qui me supplante, de l'autre côté de la grande allée où je me trouve. Beaucoup de lumières. Toujours beaucoup de lumières. Et il y a du monde, aussi. L'intérêt de venir ici, c'était pour profiter des moments où la ville est la plus active, soit la nuit. Ça aussi, ça change de mes habitudes. J'ai toujours été un oiseau diurne, se levant et se couchant au rythme de l'astre du jour. Actuellement, c'est la lune, belle et ronde, qui éclaire ma pâle silhouette et me fait des mèches argentées. Lune que j'observe d'ordinaire à Fort-des-Songes depuis ma fenêtre avant de me coucher. Belle et douce lune, si blanche et lumineuse, si seule dans le ciel aussi. Les étoiles restent loin d'elle, après tout.

D'une manière mêlant hésitation et assurance, je me déplace de plusieurs mètres, mes légers talons claquant sur le sol, pour aller me planter devant l'entrée du bâtiment sur lequel j'étais appuyée depuis tout ce temps. Le célèbre casino d'Artiesta. Un endroit où tu perds plus d'argent que tu n'en gagnes. Normalement. Une texture douce et familière entre au contact de ma paume alors que je fixe les lettres lumineuses du casino clignoter une à une. Un sifflement résonne dans mon oreille droite. Mes muscles se détendent, et je souris. C'est vrai, je ne suis pas seule. Ayshee et Nâga sont là, avec moi. Toujours là. Notre trio est toujours uni dans les nouvelles découvertes.

Malheureusement, comme je ne sais pas ce qui m'attend à l'intérieur, je choisis de les faire rentrer dans leurs pokéball respectives, que je caresse du bout de l'index. Ils sont toujours là, même si j'y rentre physiquement seule. Inspiration. Expiration. Prise d'un air assuré qui ne peut tromper les plus aguerris. Mais qui remarquera que je ne suis pas dans mon élément si personne ne prête attention à la débutante que je suis ? La dernière fois, cette fausse assurance que j'ai prise au début a fini par m'être bénéfique et devenir véritable, non ? Mes lèvres s'étirent en un sourire presque confiant. Ça va le faire. Je peux sortir de ma zone de confort. Je peux jouer, dans tous les sens du terme, j'ai le panel nécessaire pour. Ce soir, je serai la Zephyra mystérieuse et assurée. Juste le temps d'un soir.

Je pénètre alors à l'intérieur, clignant des paupières plusieurs fois pour m'habituer à l'explosion de lumières colorées qui envahit ma rétine. Puis viennent les rires, les éclats de voix, la musique et le bruit des machines qui tournent à plein régime. Je crois que mon regard doit être comme celui d'un enfant dans un parc d'attractions. Un sentiment inconnu pulse dans mes veines. Je secoue la tête. Toutes les personnes ici ont l'air accompagnées ou presque, et elles savent toutes où jouer, quoi miser, enfin bref. Aucun débutant. Sauf moi. Je dois l'admettre, je suis un peu perdue. Je jette un coup d'oeil à droite, puis à gauche. Où est-ce que je pourrais aller ?

Feindre de ne pas être perdue. Feindre d'appartenir à tous ces gens riches venant dilapider leur fortune pour s'amuser aux jeux. Feindre d'être quelqu'un d'autre, en quelque sorte. Ou est-ce une autre facette de moi-même que celle qui se décoince et s'amuse enfin, loin des rivages sérieux et répétitifs du quotidien ? Cela est tout à fait possible. Ce que je sais, c'est que je ne dois rien montrer de mon hésitation, de mon inexpérience, pour tromper les plus inintéressés, ceux qui sont plus concentrés sur leur mise que sur les nouveaux arrivants qui pourraient débarquer. Mais ma question d'origine ne disparait pas et finit même par se dédoubler. Où pourrais-je aller ? Quel jeu choisir ? J'aurais pu encore rester plantée là pour y réfléchir longtemps si une silhouette se détachant de la masse n'étais pas venue se planter face à moi.

Je relève mes pupilles bleues pour détailler la jeune femme qui me fait face. Élégante, bien habillée, une belle silhouette et un beau regard. Appartient-elle à la même catégorie sociale que tous ces gens qui nous entourent ? Peut-être. Ou peut-être pas. En tout cas, elle fait plus oiseau nocturne que moi. Elle aussi, elle est venue seule. Elle aussi, elle est convaincue que s'amuser à deux, c'est mieux que de rester seul. Je n'ai pas le temps de construire une réponse correcte que déjà, elle m'entraîne derrière elle, au milieu de ceux qui jouent, au milieu de ceux qui discutent et échangent leur mise. Elle m'a fait plonger dans le grand bain avant même que je n'ai eu le temps de réfléchir à comment j'allais pouvoir y nager, en somme. Une multitude d'idées semblent lui traverser l'esprit et elle les énumère une à une. J'essaie tant bien que mal de suivre, mais tous les noms qu'elle cite défilent à une vitesse folle dans mon esprit, et bien que je connaisse chacun d'entre eux, je n'ai pas le temps de clairement en identifier et en valider un qu'elle en a déjà donné trois autres. Jusqu'à ce qu'une dernière idée, qui l'emballe plus que les autres, ne fuse. Elle veut qu'on aille prendre un verre. Je n'ai pas l'habitude de boire, pas du tout même, mais il faut bien une première fois à tout, non ? Ce soir, je suis là pour m'amuser. Fini les réticences, les hésitations. Le temps d'une soirée, juste une soirée, je profite. Sans me poser de questions.

L'inconnue m'entraîne alors vers le seul bar visible du casino, slalomant entre un groupe de personnes venues s'essayer à un autre jeu, puis finit par se présenter une fois que nous avons rejoint le comptoir. Elle s'appelle Jade, donc. A-t-elle les mêmes qualités que la pierre précieuse qui lui correspond ? En tout cas, je trouve que ça lui correspond bien. Mon assurance grandie et ma crainte de me perdre dissipée, puisque je me suis fait embarquer avant même d'avoir pu faire le point sur ce que je pouvais faire, je me présente à mon tour, en bonne et due forme :

– Enchantée Jade ! Moi, c'est Zephyra.

Doux sourire pour ponctuer le tout. Bon, si on regarde la scène précédente avec un peu plus de recul que je n'en ai actuellement, je me suis littéralement fait alpaguer par une inconnue au beau milieu d'un casino. A aucun moment je ne me suis dit qu'elle pouvait avoir des intentions malveillantes. Aucun. Mon radar à personnes mauvaises ne détecte pas grand chose comme menace, ces derniers temps. Et en matière d'aide et d'ouverture à quelqu'un que je ne connais pas ou peu, j'ai fait pire que de me laisser entraîner dans un casino.

En revanche, ce que je ne peux pas masquer, c'est que comme je n'y connais rien en alcool pour n'en avoir pratiquement jamais bu dans ma vie, je ne sais pas du tout quoi choisir. Vraiment pas. La seule carte en main que j'ai, c'est de choisir la même chose que ma partenaire de soirée.

– Choisis, je prendrais la même chose que toi, lui dis-je avec toujours cette assurance nouvelle et totalement insoupçonnée chez moi.

Choix très dangereux, tout de même. Il y a fort à parier qu'elle a bien plus l'habitude de boire que moi, et que la boisson qu'elle va consommer, une de ses favorites sans doute, ne soit pas très légère en alcool. Mais c'est le risque du jeu, pour moi. Une grande descente dans l'inconnu. Mais je ne suis pas seule pour y descendre. Jade est là, elle, pour m'accompagner en ce lieu qu'elle connaît sans doute déjà.

Ma compagne de soirée a l'air vraiment enjouée et débordante d'énergie, ce qui déteint sur ma propre attitude, renforçant mon enthousiasme et me confortant dans l'idée que j'ai raison d'afficher cet air assuré, même s'il ne trompera pas tout le monde. Elle a l'air aussi bien plus dégourdie que moi, c'est même certain. Contrairement à moi, les fêtes, les soirées, l'alcool, ça ne doit pas lui être inconnu. Jade. Impossible de lui trouver un surnom, ou de faire un raccourci avec les syllabes. Quatre lettres c'est déjà peu et bien, alors pas possible de faire plus court. Tout ce qu'elle pourrait récupérer, c'est des surnoms ridicules à rallonge, du style... Jadounette ? Je pouffe intérieurement. Littéralement horrible, ce surnom. J'espère pour elle qu'elle n'a jamais eu à le porter. En tout cas, cette soirée semble plutôt bien commencer, même si je ne me suis pas encore attaquée aux jeux du casino en question. Heureusement que la jeune brune est arrivée, sinon je pense que j'aurai pu encore rester plantée là un moment. Indécise de la pointe des cheveux jusqu'au bout des orteils. Il m'a toujours été difficile de faire des choix, surtout pour des choses simples. Se décoincer un peu, comme ce soir, et le jeu ne font pas exception à ce pan de ma personnalité.

Ma partenaire commande alors deux, deux quoi ? Martinis ? Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

De l'alcool Zeph', voyons.

Je secoue la tête en voyant les deux grands verres au liquide clair que le barman fait glisser vers nous. Je saisis le mien avec hésitation, n'ayant pas le temps de réfléchir plus que ça à la quantité d'alcool qui se trouve dans cette boisson puisque Jade, ayant opté pour m'appeler Zeph' plutôt que Zephyra -et elle a bien raison-, m'entraîne à un autre endroit que le bar en assurant payer les premiers verres. Mon cerveau fait un tour sur lui même. Comment ça, les premiers ? Ça veut dire qu'il y en aura d'autres, après ? Et s'il y en a d'autres, ça fera plus d'alcool ? Ou est-ce que ça veut dire que si l'on consomme plusieurs verres, c'est que la teneur en alcool n'est pas très forte ? Ça ne va pas bouffer toutes mes économies et nouvelles paies généreuses accumulées ?

Stop.

Je vais finir par m'assommer moi-même à me poser trop de questions, et de façon encore plus efficace que l'alcool. Fini les questions, on a dit. Pour y couper court, je prends une gorgée d'alcool avant de grimacer d'une façon tout sauf discrète. Beurk. Je m'attendais vraiment pas à ce que ça ait ce goût là, ça a l'air d'être bien fort, en plus. Peut-être que je réagis comme ça parce que c'est la première fois que j'en bois. Ah non. Du coin de l'oeil, je vois Jade retenir une grimace, elle aussi. Il faut croire que je ne suis pas la seule à avoir été surprise.

Elle me propose ensuite de nous diriger vers ce qui semblent être des machines d'arcade. Ça doit bien être le seul truc que je connais, ici, bien que n'y ayant jamais joué non plus. En plus, elles nous font de l'oeil à clignoter comme ça, et personne ne peut résister à un tel appel. Ni moi, ni Jade. Ça sera toujours mieux que le poker. Si Jade dit être une mauvaise menteuse, je crois que je suis pire qu'elle, dans le domaine. Je ris également car me voyant totalement dans les mots qu'elle prononce.

– Ça me convient tout à fait qu'on commence par ces machines là. Tu sais, je crois que je ne dois pas être très douée pour le poker non plus.

J'en ris de plus belle tellement je m'imagine être une catastrophe ambulante à ce jeu.

– Je ne suis pas certaine d'avoir une chance exceptionnelle, mais autant y croire un peu et essayer ! J'ajoute en me lançant vers une machine choisie totalement au hasard, qui ressemble à une sorte de jeu de karting virtuel version gâteaux et paillettes.

Je me demande quel prix on gagne, si on réussit à se débrouiller à ce truc qui fait tellement enfantin au milieu d'un casino comme celui-ci.

– Ça te va de commencer par ce truc là ? Je demande tout de même à ma partenaire avant de me lancer dans quoi que ce soit, deux gorgées sèches d'alcool en plus à mon compteur.

Les jeux enfantins, ça reste très amusant, tout de même. Enfin pour moi. Et il vaut mieux commencer par ça avant de s'attaquer à un plus gros morceau où le jeu sera d'autant plus sérieux que la difficulté sera augmentée.

Ma compagne de soirée est bien d'accord avec moi sur le fait qu'il est inutile de se lancer dans un jeu si l'on est certaines d'avoir perdu d'avance. Là, je pars sur quelque chose de simple qui, à priori, ne devrait pas être si difficile en terme de difficulté de jeu. Enfin, je dis ça, mais il s'avère qu'on se trouve tout de même dans un casino, et pas un casino banal, un casino important de la ville d'Artiesta, celui où riches, mais aussi des gens comme moi ou Jade je suppose viennent se perdre pour jouer. L'objectif est donc de nous faire dépenser un maximum d'argent, quoi qu'il arrive, que ce soit dans un jeu très prisé ou un truc bien moins intéressant et beaucoup plus banal. Ce qui me laisse deviner que cette course de karting plein de paillettes sur cette borne d'arcade ne sera pas aussi simple et enfantine qu'elle ne laisse le croire. Jade valide d'ailleurs mon choix, ce qui me fait sourire entre deux grimaces vis à vis du goût amer de l'alcool qui me reste ne travers de la gorge. J'espère sincèrement que tous n'ont pas le même parfum que celui là, sinon, ça doit être insipide à boire au quotidien, même si une poignée de personnes au moins doivent aimer ça.

Elle s'interroge aussi sur le moyen d'obtenir des gains grâce à ce jeu. Comme elle, je pense que oui, une course remportée nous permet de gagner de l'argent. Et vu qu'elle me laisse commencer, je pense qu'on va rapidement savoir si ce que nous pensons s'avère être vrai. Je mets donc la somme demandée dans la machine et attend que celle-ci se débloque et démarre en m'installant sur le siège. Concentrée, je sélectionne parmi les personnages proposés une espèce de boule ronde toute rose, avec une voiture minuscule qui ne correspond pas du tout à son gabarit. Vient ensuite un rapide tutoriel qui explique comment manier le volant qui se trouve devant moi. Je n'ai jamais manipulé de volant de ma vie. L'expérience promet d'être assez hilarante. La course démarre, et j'essaie de me débrouiller comme je peux sur le circuit coloré pour rester dans les premières places. Juste derrière moi, Jade me demande pourquoi je suis là, ce soir. Elle a remarqué, donc, que je n'étais pas dans mon élément. Comme un Couaneton au milieu de grands Lakmécygne, en quelque sorte. Mais suis-je la seule à l'être ?

– Eh bien, je déclare en tournant mon volant à la va-vite suite à un virage non anticipé, je suis ici pour changer un peu d'air. Sortir de ma zone de confort. M'amuser aussi, ce que, je crois, je fais très rarement.

Mes constations sont effectivement vraies. Je passe mes journées à étudier, m'entraîner, ou alors à travailler, à aider les personnes que je rencontre et qui en ont besoin, puis je mange, je dors, et la journée recommence. Finalement, je ne suis jamais sortie de ce train de vie là, celui où on ne s'amuse que très peu et où la vie active et le travail passent avant tout. Je me suis déjà amusée, c'est certain, mais ce n'était pas pareil que de venir dans un casino comme ça. Rien à voir, même.

– Et toi Jade, qu'est-ce que tu fais là ?

Elle a l'air plus habituée que moi à ce genre d'endroits, et pourtant, avec la grimace que je l'ai vue faire lorsqu'elle a pris une gorgée de son martini, je me suis demandée si elle était vraiment aussi habituée qu'elle le laissait croire. A moins, peut-être, que ça soit une question de choix d'alcool ? Elle avait envie de changer, a choisi cette boisson là qu'elle ne consomme pas d'habitude pour voir ? Non, elle semblait savoir ce qu'elle faisait. En tout cas, il faut croire que l'alcool, ça me dégourdit. Je prends moins de pincettes que d'habitude, je dis ce que j'ai à dire, point final. Je me pose moins de questions, aussi. C'est bizarre. Ça change.

La course sur la borne se termine et, chose exceptionnelle, je suis arrivée deuxième. Je remporte alors une mise, moins importante que celle que j'ai laissée au départ, mais c'est toujours ça de récupéré. Je me lève pour indiquer le fauteuil à ma camarde de soirée, grand sourire aux lèvres.

– Bon, j'ai pas vraiment gagné, mais vu ma poisse habituelle, ça aurait pu être bien pire. Tu veux essayer ?

Elle peut tout à fait refuser, vu que moi j'ai perdu plus d'argent que je n'en ai récupéré. Ou alors, elle fait une tentative comme moi pour voir ce que ça donne. Autre option : elle va jouer à une borne qui lui fait plus de l'oeil que celle-ci. J'ajoute ensuite, le nez froncé :

– Faudra que tu m'expliques comment t’arrive à bien boire ce truc. L'alcool, c'est dégueu.

Vu que je n'en ai jamais consommé d'autre et que c'est ma première expérience, il est sûr que je ne peux pas en dire autrement.

Effectivement, Jade a bien plus l'air de vivre dans l'amusement au quotidien que moi. Mais comme l'alcool, je suppose que c'est à consommer avec modération. Sauf si on veut finir pauvre en l'espace de quelques heures et après quelques jeux trop ambitieux seulement. Cependant ce soir, le temps d'une soirée, là, on va profiter et s'amuser, juste toutes les deux. Ah, ça y est, que je crois que mon cerveau s'est partiellement débranché après ce verre de Martini exécrable que je viens de vider alors que ma partenaire m'explique que ce soir, elle n'a pas résisté à la tentation que sont pour elle les jeux d'argent, desquels elle se tient plutôt éloignée d'ordinaire. Une Zephyra sobre n'aurait peut-être jamais été aussi audacieuse avec cette envie de s'amuser qui pulse dans les veines que ce soir. Après tout, ça ne peut pas me faire de mal, pas vrai ? Tant que je ne pense pas à l'état dans lequel je risque de me réveiller demain matin, tout va bien. Ne penser à rien, sauf l'instant présent. c'est plutôt pas mal, en fait.

Jade semble volontaire pour tenter le jeu de course à son tour, alors je la laisse s'installer à la place que j'occupais quelques instants plus tôt. J'espère qu'elle aura plus de chance que moi et qu'elle réussira à tirer plus d'argent que ce qu'elle n'a donné à la machine pour sa partie, contrairement à moi qui, sans surprise, en ai perdu, même si je n'ai pas perdu toute ma mise, et heureusement. Si je pouvais passer de malchanceuse à ultra chanceuse du jour au lendemain, ça se saurait. La chance, ça se provoque, il paraît. Alors j'essaie de provoquer la mienne, à petite dose. Bien sûr, il est évident que ça ne pourra pas marcher à tous les coups.

Mon interlocutrice me confirme alors que le cocktail que je bois est bel et bien dégueu, pas que pour moi mais pour elle aussi. Seulement, cette boisson, c'est celle que prennent les gens riches qui nous entourent, ou les gens riches tout court, enfin bref. Martini correspond à personne fortunée, et il n'y avait rien de mieux pour nous deux au départ que d'essayer de nous fondre dans la masse en devenant comme eux. Mais bon, le goût atroce de ce truc nous a rattrapées. J'ai d'ailleurs hâte de voir ce qu'elle va me proposer en alcool "vraiment bon". Elle pourrait me sortir n'importe quel nom, je n'y comprendrais rien et je ne saurais pas si c'est meilleur ou non que notre première boisson. Enfin ça, si, je le saurais.

J'écarquille les yeux quand je la vois arriver à la première place et que son exclamation de joie fait vibrer mes tympans. Bon sang, elle a l'air bien plus douée que moi pour manier un volant, en fait. Ou juste pour ce jeu ? Je sais pas trop. En tout cas, ça lui fait récupérer de l'argent, une jolie mise, et c'est pas plus mal. Elle est tellement contente -moi aussi d'ailleurs, sa joie est vite communicative- qu'elle propose même de m'offrir un deuxième verre avec ce qu'elle vient de récupérer. Pourquoi pas, après tout ? Elle doit avoir plus d'argent que moi actuellement, vu les pokédollars que j'ai perdus dans la machine. Je payerais d'autres verres si le besoin s'en fait ressentir. Oui, je parle déjà d'autres verres, là. Où est passée la Zephyra raisonnable et sage ? Bonne question. Je hoche la tête de façon positive donc à sa proposition, avant qu'une fois de plus, elle ne me laisse choisir notre future attraction à argent de la soirée. Je fronce les sourcils en examinant toutes les machines qui se trouvent autour de nous. Qu'est-ce qu'on pourrait bien essayer ? Une grande estrade lumineuse entourée de barrières basses qui ressemble à une mini piste de danse attire alors mon regard.

– Là bas ! Je m'exclame en pointant la piste lumineuse du doigt. On va essayer ça !

J'attrape Jade par le bras pour l'entraîner vers l'attraction que j'ai repérée. Est-ce qu'elle aime la danse, ou sait danser ? Je suppose que oui. C'est une supposition rapide, mais bon. Danser, ce n'est pas si compliqué, et si elle ne sait pas danser, on pourra danser à deux là dessus, puisqu'il y a l'air d'avoir un mode solo où tu suis une chorégraphie et essaie de la reproduire pour empocher un maximum d'argent, et un mode duo où tu fais juste des battle avec ton ou ta partenaire.

– Je te laisse commencer, cette fois !

Je me demande bien ce que ça va donner. Peut-être qu'on pourra remporter plus d'argent qu'à notre précédente machine ? Ça serait vraiment incroyable. Trop beau pour être vrai ? Peut-être aussi. En tout cas, le prochain jeu, c'est Jade qui le choisira, histoire de rééquilibrer un peu la balance.

Un tapis de danse illuminé. Est-ce qu'inconsciemment et par le plus grand des hasards, j'aurais choisi la facilité pour être certaine de remporter une meilleure mise qu'à notre jeu précédent et rentabiliser ma venue au casino ? Peut-être. Puisque la danse est un domaine dont je connais chaque recoin, une sorte d'art que je pratique depuis mes trois ans, cette machine ne me mettra pas en difficulté. J'ai donc bel et bien choisi la facilité. Avec quatorze ans de danse derrière moi ainsi qu'une reprise récente et inattendue au dôme concours de Fort-des-Songes, où je me suis rendue compte que je n'avais rien perdu de ma passion d'antan, je dois réussir. Je n'ai jamais été aussi déterminée à y arriver.

Jade grimpe sur la piste de danse une fois son verre totalement à sec, vidé avec une vitesse impressionnante, enfin pour moi. M'offrant un magnifique sourire, elle met dans la machine une mise plus conséquente qu'à notre jeu de voiture tout en paillettes. Elle aussi, elle a donc des années de danse derrière elle. Mais pas autant que moi. Et puisque c'est une sorte de défi qu'elle me lance, là, je vais le relever avec plaisir. Ça fait longtemps que je n'ai pas eu de défi à relever. Et pourtant, j'adore ça. Mon regard se laisse hypnotiser par la danse de Jade, qui suit le rythme et les mouvements qui s'affichent à l'écran avec une grande précision, offrant une performance remarquable. Derrière mon dos, je sens même le regard de quelques curieux glisser vers elle. Peut-être que ce jeu n'est pas très souvent utilisé par la majeure partie des personnes riches qui viennent ici. Ils devraient s'y essayer plus souvent, je pense, ça ne leur ferait pas de mal et ça changerait de leurs habituelles parties de poker interminables et barbantes, pour ce que j'ai pu en apercevoir tout à l'heure.

Alors que la musique de Jade se termine, je me penche vers l'avant pour observer de plus près l'écran depuis lequel sont donnés les mouvements. Y a-t-il la possibilité de choisir un niveau de difficulté ? Ça serait bien. J'ai envie de me mettre moi-même à rude épreuve. Ou pas, si ça ne s'avère pas compliqué. Je crois que j'ai trop d'envies folles qui traversent mon cerveau, là. Ça pourrait presque m'inquiéter, si je n'étais pas venue là uniquement pour m'amuser et mettre le reste entre parenthèses le temps d'une soirée. L'alcool doit y être pour quelque chose, aussi. Je crois. Ma belle partenaire brune descend de la piste, avec un excellent score à l'affiche. Elle a envie de reprendre un truc pour se rafraîchir, et je la comprends. Moi aussi, je vais avoir soif, après avoir testé cette machine dansante. Et faire passer le goût de ce Martini ne serait pas de trop pour moi. J'ai même plutôt hâte de goûter à quelque chose de meilleur. En détaillant Jade de plus près, je me rends compte qu'une fois de plus, elle dénote et ressort à travers tous les gens qui se trouvent là ce soir. Parce que c'est vraiment une jeune femme magnifique. Moi aussi, d'une certaine façon, je ressors du lot. Parce qu'on se demande comment une fille aussi simplement habillée, même assez jolie, a fait pour atterrir ici alors que visiblement, ce n'est pas du tout son milieu.

Elle me propose alors de m'apprendre à danser, au moins un petit peu. Ce qui me fait éclater d'un rire doux et franc. Montant sur la piste où elle se trouvait quelques instants plus tôt, je m'exclame :

– Ne t'inquiète pas pour moi ! Je vais m'en sortir, je connais les bases.

Que de modestie et de mensonge dans ces paroles. En quatorze ans de danse, je n'ai pas appris que les bases, sinon je serais un cas désespéré. Je connais bien plus de choses que cela, et s'il y a bien un domaine dans lequel je peux être confiante, c'est celui là. Je mise donc une bonne somme de pokédollars, avant de me mettre en place sur le tapis lumineux. Pas de possibilité de choisir sa difficulté, on dirait, ni la musique. Tout doit se faire de façon aléatoire. Droite et fière, je suis prête. Et quand les premières notes d'une musique qui m'est vaguement familière retentissent, je me lance.

Rythme dans la peau, précision dans les mouvements.

Coordination. Deux pas devant, trois derrière.

Accélération du rythme, intensification de la musique.

J'ai totalement fait abstraction du monde qui m'entoure, de l'endroit où je suis, des personnes qui se trouvent près de moi. Même de Jade. Il ne reste que la danse. Ma concentration est extrême sur les notes qui parviennent à mes oreilles, les mouvements à effectuer en cadence et les dalles lumineuses qui bougent sous mes pieds, que je dois suivre également. Je souris. Mes cheveux blonds virevoltent dans tous les sens quand je dois effectuer une sorte de rotation. Rien ne m'arrête, je suis la musique jusqu'au bout. Parce que je danse et que j'aime ça.

Quand la musique disparait et que les dalles cessent de s'illuminer, clôturant la danse, je reviens peu à peu aux éléments proches qui m'entourent, en commençant par ma partenaire. Avant même de regarder mon score et de savoir quelle mise j'ai gagné -si j'en ai gagné une- je lui demande, en toute sincérité, ce qu'elle a pensé de ma prestation.

– Tu as trouvé ça comment ?

J'écarquille les yeux aussi grand que cela est anatomiquement possible chez moi quand je vois enfin le score que j'ai réalisé et dansant à fond, des étoiles plein les yeux, sur cette piste aux dalles multicolores. Ma tête pivote et mon regard fait plusieurs fois l'aller-retour entre l'affichage du score, la mise que je tiens désormais dans mes mains, Jade, puis à nouveau mon score, ma mise... C'est vraiment moi qui ai obtenu tout ça ? J'en reviens pas. Je pensais pas que je pouvais avoir un aussi bon score et remporter autant en testant cette machine lumineuse. Enfin, ma somme est bien évidemment dérisoire par rapport à ceux qui remportent une partie de poker, par exemple, ou de je ne sais trop quel autre jeu de cartes. Mais quand même. Je suis impressionnée. Par ça. Par moi aussi. Par la beauté qui se dégage de Jade. Non, ça, ça n'a rien à voir avec ma performance. Je dégage cette pensée dans un autre coin de ma tête. Il ne manquerait plus que je sorte ça à voix haute. Même si elle doit en avoir l'habitude, je pense, qu'on la complimente sur son physique.

Je crois que l'alcool embrouille mes pensées, là. De l'ordre, de l'ordre !

Je secoue la tête, puis en voyant à quel point Jade semble ravie et impressionnée elle aussi, un sourire prend naissance pour s'installer ensuite sur mon visage. Je suis vraiment heureuse que ça lui ait plu, car après tout, je ne danse pas que pour moi, mais aussi pour le public qui me regarde. Et mon public de ce soir, c'est Jade. La dernière fois, c'était Even. Je danse de plus en plus souvent en ce moment, je crois. Peut-être qu'il faudrait que je songe à m'y remettre sérieusement ? Je ne sais pas trop. Je dois y réfléchir, et là ce soir, je n'ai pas envie de réfléchir à quoi que ce soit d'autre que de m'amuser avec ma partenaire du jour. Nous rions d'ailleurs toutes deux de concert, avant qu'elle ne m'invite à retourner au bar pour, cette fois-ci, goûter quelque chose de bien meilleur que le Martini que nous avons bu dans un premier temps.

J'ai hâte. Je m'accoude au comptoir tandis qu'elle commande des... Sex on the beach ? C'est quoi ce nom ? Ça se boit, ça ? Vu les deux verres colorés qui nous arrivent et qui donne cette fois-ci bien plus envie que notre première boisson, je suppose que oui, ça se boit, et que ça a un meilleur goût. Le barman ramène ensuite deux verres minuscules avec je ne sais trop quel alcool dedans. La lumière fait luire le liquide au fond de mon verre, lui donnant un reflet en forme de lune. J'écoute ensuite attentivement Jade quand elle me dit que le mini verre, là, il faut le boire d'un seul coup. Je calque ses mouvements, et je porte le verre en même temps qu'elle à mes lèvres pour le vider d'une traite.

Argh. Ça brûle la gorge !

Bizarrement, la sensation s'estompe assez vite, même si j'ai toujours l'impression que l'alcool et en train de m'arracher, plus légèrement, le gosier. Je ne mets pas longtemps avant d'attraper mon verre de cocktail pour en prendre une bonne gorgée. Je soupire de soulagement intérieurement. C'est bien plus agréable. Plus doux, plus sucré. Jade a raison, c'est bien meilleur. Elle me demande ensuite si ça me tente de tester les machines de chance.

– Allons-y ! Je m'exclame en brandissant mon verre devant moi.

Ce que j'oublie -ou que je ne veux pas admettre- à cet instant, c'est que la chance et moi, on ne s'aime pas. Ou plutôt, elle ne m'aime pas. Mais alors pas du coup. Même si la chance ça se provoque, moi, je n'arrive jamais à provoquer la mienne. J'ai toujours le résultat inverse de ce que je voulais au départ. Et la petite alarme dans ma tête qui m'indique que je vais plus y perdre qu'y gagner ne résonne malheureusement pas assez fort.

– Commence ! Dis-je en lui indiquant la machine. J'espère qu'on va être chanceuses !

Mais non, mais non. Je ne le sais pas encore, mais je ne vais pas être chanceuse. Je n'ai jamais été chanceuse, alors avec ce genre de machine qui exige déjà une chance aiguisée de la part des gens les plus chanceux, je n'ai absolument aucune chance. Si Jade ne va peut-être pas se ruiner, moi, si. A moins d'un miracle, tout ce que j'ai gagné en dansant une quinzaine de minutes auparavant va finir aux oubliettes.

Je n'arrive pas trop à réaliser si l'alcool est en train de me monter à la tête ou pas. Je suppose que c'est le cas, mais je n'en suis pas sûre. Dans ce cocktail en tout cas, dont je reprends une gorgée, on le sent beaucoup moins. Ça doit être dû au goût sucré de la boisson, je pense. Si je me voyais dans un glace, à cet instant précis, je constaterai que j'ai des bonnes joues roses, et que même mon nez a adopté cette coloration tendance et que j'affectionne, même si c'est moins visible. Nous retournons toutes deux face aux machines, et je les regarde une par une avec un oeil semi concentré. Il y en a beaucoup, de machines de ce genre, on dirait. Ça doit être très prisé. Mais surtout, ça doit rapporter un maximum d'argent au casino vu que souvent, les gens n'ont pas la chance de remporter une mise plus élevée que celle qu'ils ont donnée au départ. A part les très, très, très chanceux.

Jade finit par sélectionner une machine où il faut aligner des coquillages. C'est bien, c'est un bon choix. C'est joli, les coquillages. Surtout les coquillages roses. C'est joli, le rose. Ah, là je crois que je m'égare un peu trop. Je me positionne juste derrière Jade, fixant l'écran lumineux avec une concentration cette fois-ci beaucoup trop intense. Ma camarade de soirée brune met la mise demandée, et c'est parti. Les images sur l'écran défilent à toute vitesse, pour s'arrêter sur trois symboles différents. Une exclamation indignée reste étouffée en travers de ma gorge, ma frustration se traduisant par un froncement de sourcils. J'espérais voir Jade gagner du premier coup, mais ce n'est pas le cas. Ni la deuxième fois, d'ailleurs. Il faut croire qu'elle n'est pas non plus extrêmement chanceuse. Ou alors, que la machine requiert un niveau de chance qui n'est pas le nôtre. C'est très dur de battre une machine, après tout, et de gagner.

Jade est dépitée, elle aussi, de ne pas avoir encore gagné, et je la comprends. Si je ne gagne pas du premier coup quand ce sera mon tour, je vais sans doute faire la même tête. Enfin, alors qu'elle la relance pour la dernière fois, les trois coquillages roses s'alignent et elle récupère de l'argent, moins que ce qu'elle a misé au départ mais quand même. Comme pour moi à l’arcade de course, c'est toujours mieux que rien. Mon visage s'illumine en même temps que le sien. Et pourtant, ce n'est pas moi qui ai gagné, là. Mais je suis contente quand même, je dois bien l'avouer. Jade me laisse ensuite choisir la machine qui m'attire le plus, et je les scrute toutes avec une fausse attention. J'aurai pu ne pas prendre de machine de chance, mais moi aussi j'ai envie d'essayer. Une machine où il faut non pas aligner des coquillages mais des raisins me fait de l'oeil, là bas.

– Je vais prendre celle avec les fruits je pense.

Je m'y dirige et m'y installe. La mise de base est la même que pour la machine de Jade. Et elle doit sûrement être identique pour toutes les machines de chance qui nous entourent. J'espère vraiment que je vais gagner quelque chose, en tout cas. Même si au quotidien, j'ai la poisse. Poisse qui ne s'applique pas forcément ici, pas vrai ? Bien sûr.

Pas du tout.

Ma première tentative est couronnée de succès. Je m'agite dans tous les sens.

– Du premier coup ! Je réessaie !

Deuxième tentative. Troisième tentative. Les deux sont réussies. Je décide de pousser ma chance insoupçonnée encore plus loin dans une quatrième et dernière tentative. Trop loin. Je la perds. J'aurais dû m'arrêter avant, je crois. Mais tant pis ! Je récupère ma mise, toute contente, avant de m'adresser à Jade :

– Tu as un jeu que tu préfères par dessus tous les autres ici ? On peut aller l'essayer, si tu veux !

Pour le moment, celle qui m'a le plus plu est, bien évidemment, la machine avec le tapis de danse. Et ma chance étrangement nouvelle qui m'a permis de remporter un peu plus d'argent dans la machine de chance me comble de joie. Pour quelqu'un qui n'est jamais allé au casino de sa vie, je m'en sors pas si mal, en fin de compte !

Finalement, Jade ne semble pas connaître autant le casino que je le pensais, ce qui, je dois dire, me surprend. Même si j'avais plus ou moins supposé qu'elle aussi devait ne pas être dans son élément et que c'était sa première fois ici, elle m'a parue si à l'aise dans nos derniers jeux testés, et même avec le barman que j'ai fini par croire que c'était une habituée du casino. Enfin, une "habituée". Disons que ce n'était pas la première fois qu'elle mettait les pieds ici. Mais les apparences sont trompeuses. Moi-même, je me suis trompée. Si ça m'aurait perturbée d'ordinaire, là, l'information peine à remonter jusqu'à mon cerveau. Elle est là, je la sens, mais elle est comme... Enlisée. Oui, c'est ça. J'ai mes connexions cérébrales enlisées, je crois.

J'acquiesce lorsque Jade propose d'aller voir les tables ou se font les jeux de cartes, même si les cartes, ça n'a jamais été mon domaine. Les châteaux de cartes, à la rigueur, ça oui. Le solitaire, éventuellement, quand Kieran refusait de s'amuser avec moi et que je me retrouvais seule confrontée à ce vieux paquet de cartes usé sur la table basse du salon, face à moi. Jamais je n'ai fait de jeu de cartes sérieux. Et encore moins face à des gens riches, plus particulièrement des hommes. Des hommes qui glissent des regards peu scrupuleux sur Jade et sur moi. Regards que, sans le vouloir vraiment, j'ignore superbement, gardant juste mon doux sourire angélique sur mon visage, qui doit ensuite apparaître bien comique puisque je fronce les sourcils pour essayer de comprendre ce que dois faire ma partenaire brune dans ce jeu. Le... Blackjack, c'est ça ? Je crois. Je sais pas trop en fait, mais c'est ce que j'ai cru entendre. Et déjà que retenir ce nom m'est difficile, je ne parle même pas des règles. Pourquoi faut-il se rapprocher de vingt-et-un sans pour autant dépasser ce nombre ? Ça reste un grand mystère pour moi, je dois bien l'avouer.

Mon incompréhension totale ne m'empêche pas de sauter de joie quand Jade finit par gagner. Plus que des sauts, c'est carrément des cris enthousiastes que je laisse échapper. Quand elle récupère sa mise auprès du croupier, je peux même voir les hommes autour de la table qui sont surpris que la jeune femme qu'ils reluquaient plusieurs minutes auparavant les ait vaincus et bien vaincus à leur propre jeu. Pour célébrer sa victoire, je vide totalement mon verre. Il est vraiment sacrément bon, ce cocktail. Si j'en reprenais une gorgée ? Ah non, y en a plus, j'ai tout vidé. Oups.

Jade propose de nous reprendre des verres pour fêter ça, à moins que je n'ai envie de tenter une partie comme elle. Mais vu ce que j'en ai compris, c'est pas une bonne idée je crois.

– Moi j'suis plutôt partante pour un autre verre ! Je m'exclame en entraînant ma partenaire vers le bar. J'verrai bien si un autre jeu m'tente après.

Moi, totalement bourrée ? Pas du tout, voyons. Je n'ai juste jamais consommé d'alcool de ma vie, et cette première expérience est totalement excitante ! Si je ne pense pas à ce qui va m'attendre au réveil demain, bien sûr. Impossible de penser à quoi que ce soit, de toute façon. D'ailleurs, c'est moi ou le sol penche, là ? Je savais pas que le casino avait un sol penché, j'avais pas remarqué. C'est assez étrange. Tiens, ça penche dans l'autre sens. C'est un sol mouvant, en fait ? J'ai jamais vu ça de ma vie. Trop rigolo.

Heureusement que Jade me tient par le bras tandis que nous nous rendons au bar, slalomant entre d'autres personnes présentes sur notre chemin, sinon je crois que je serai tombée plus d'une fois à la renverse. Dans un éclair de lucidité, je remarque que si le sol bouge, ce n'est pas parce qu'il est spécialement conçu pour, mais parce que c'est moi qui tangue de droite et de gauche, en fait. Peut-être que j'ai trop bu ? Ou alors, ça fait toujours cette sensation là, c'est juste que je ne suis pas habituée puisque c'est la première fois que je m'essaie aux cocktails et autres boissons alcoolisées qui, franchement, ne sont pas si mauvaises. Enfin, si on oublie le Martini bu en tout premier, qui lui par contre était véritablement infect aux yeux de mes papilles, de mon palet et de mon estomac. Même le minuscule verre, le shot comme ça s'appelle, qui était pourtant rempli d'un alcool fort et brûlant m'a paru moins dérangeant que cette première boissons consommée par les gens aisés. Ils on vraiment des goûts étranges, les riches qui viennent ici.

Les deux questions de Jade parviennent vaguement à mes oreilles sans que je ne percute totalement leur sens. Mon cerveau, légèrement embrumé, n'a pas saisit qu'on s'adressait à lui, là, actuellement. Je suis plus concentré sur comment bien tenir debout alors que ma tête semble dodeliner de chaque côté que sur choisir, ou pas, une autre boisson. Heureusement que le coin du comptoir du bar est là pour m'aider à conserver mon équilibre pour le moment précaire en m'accoudant dessus. Je vois Jade s'éloigner pour aller commander quelque chose au barman, puis elle revient vers moi pour nous emmener à une table, un peu plus loin, un peu plus au calme de tous les bruits ambiants, selon le jugement de mes oreilles, bien sûr. Je parviens à me poser sur ma chaise sans trop de difficultés, et quand ma partenaire brune pose un verre sous mon nez, je reconnais sans mal une boisson à la fraise. J'aime la fraise. Ça doit être l'un de mes fruits préférés, je crois, si ce n'est pas celui que j'apprécie par dessus tous les autres. Je saisis donc mon verre d'une main vive qui, mal calculée à quelques centimètre près, aurait pu faire voler ce verre nouvellement arrivé, puis je bois une gorgée de liquide pétillant en prenant plaisir à le savourer.

La question suivante de Jade parvient enfin à remonter jusqu'à mon cerveau, comme si la gorgée de boisson fraîche avait rafraichi mes connexions neuronales. Est-ce que je m'amuse ?

– Oui, je profite à fond ! Je m'exclame. J'avais jamais fait ça de toute ma vie et je regrette pas. D'ailleurs, je sais pas comment j'aurai fait pour m'amuser autant si j'étais pas tombée sur toi !

Ce qui est bel et bien vrai. Si Jade n'avait pas surgi de nulle part pour m'embarquer avec elle, j'aurais sans doute fait environ une ou deux tentatives de jeu, puis ma solitude m'aurait franchement ennuyée et je serai repartie avant même d'avoir pu vraiment en profiter. Mais je suis toujours là, toujours présente, et je me suis éclatée jusqu'à présent. Et tout ça, c'est grâce à elle.

– De moi ? J'sais pas si j'ai grand chose à raconter sur moi, je poursuis en amorçant une réponse à sa seconde question, tout en portant une nouvelle fois mon verre à mes lèvres. Je suis originaire de Galar, et à Lumiris depuis peu. J'ai un frère, Kieran, dont j'ai pas eu de nouvelles depuis neuf ans. Neuf ans, quand même ! Fracas du verre reposé brutalement sur la table. Tous les jours, je lui ai écrit, et jamais il m'a répondu ! Pas un mot, rien ! Je sais même pas où il est aujourd'hui. Il m'énerve.

Oui, c'est le mot. Il m'énerve. Plus que la crainte de l'avoir totalement perdu, qu'il soit mort ou autre, c'est la colère qui domine depuis quelques temps. C'est vrai, il aurait pu me tenir au courant de ce qu'il faisait ! Même juste un mot du genre "Coucou Zeph', je suis à tel endroit et je vais peut-être mourir", comme ça au moins je serai fixée et non pas dans le flou comme ça ! M'énerve. Pour m'enlever cette pensée de la tête, je retourne la question à ma partenaire de soirée :

– Et toi Jade ? Tu viens d'ici ? Tu as une personne à qui tu tiens, frère ou autre, qui t'énerve ?

Bon, visiblement, le "une" question s'est triplé en cours de route. Et l'énervement n'est pas parti, lui non plus. Mais ma curiosité, elle, s'est ravivée. J'ai envie d'en apprendre plus sur Jade. Car je ne connais pas encore grand chose sur elle.

Mon cerveau alterne entre les phases lucides et les phases de brouillard, ce qui est assez perturbant pour mes sens. Heureusement que je suis assise et bien installée, sinon je pense que je serai tombée un nombre incalculable de fois en tentant de me mettre sur mes jambes. Ma curiosité est ce qui m'empêche aussi de totalement sombrer dans les limbes alcoolisées de mon cerveau. Et pour une fois que cette curiosité peu souvent étanchable m'est aussi bénéfique, autant que j'en profite. Je vois Jade rire à mes propos, et ma colère inattendue envers mon frère aîné n'étant toujours pas retombée, je suis perplexe. Qu'est-ce que j'ai bien pu dire de si drôle ? En revanche, quand elle me propose d'un ton toujours rieur de lui briser les rotules, je ne dis pas non.

– Ça lui fera peut-être pas de mal !

Encore faudrait-il qu'il soit ici. Ou que je sache où il se trouve tout court. Et ça, c'est et ça reste un mystère depuis des années déjà. J'avale une gorgée de cocktail supplémentaire tandis que ma partenaire brune m'apprend qu'elle est fille unique, mais qu'elle possède une amie depuis l'enfance qui correspond donc presque à une soeur. Un sourire déchire la commissure de mes lèvres, sourire masqué par le bord décoré du verre. Elle en a de la chance. Je n'ai jamais pu me faire d'amis, enfin de véritables amis autres que Sasha et quelques autres très rares quand j'étais enfant. Mes parents voyaient toujours d'un mauvais oeil mes relations avec les autres enfants de mon âge, parce qu'ils considéraient que Kieran avait toujours eu de mauvaises fréquentations, donc qu'il m'entraînerait avec lui. Bien évidemment, rien de tout ça n'était vrai. J'avais eu de la chance que les parents de Sasha ainsi que ses grands parents s'entendent bien avec ma mère, sinon je pense que même elle, je n'aurais pas pu la fréquenter.

Jade semble cependant être brouillée avec sa meilleure amie, pour une raison simple : elle est amoureuse de son frère.

– Non, ce n'est pas ta faute ! Je lui réponds aussitôt.

Personne ne choisit de qui ni quand on tombe amoureux. Même si je ne connais pas grand chose aux romances ni au sentiment amoureux, ou l'amour pur lui-même, je pense que j'en sais assez pour être certaine de cette affirmation. L'amour ne devrait pas créer de telles discordes, surtout pas entre Jade et sa meilleure amie de toujours. Remuant le liquide de couleur rouge à l'intérieur de mon verre, j'affiche pendant quelques instants une mine pensive, plongée en pleine réflexion sur la situation dont vient de me faire part Jade. Puis j'articule une réponse plus ou moins claire :

– Est-ce que tu lui as expliqué tout ça de façon calme et sincère ? Je veux dire, tu lui as dit que malgré les sentiments que tu as pour son frère, ça ne changeait rien à votre amitié ?

C'est certain qu'elle l'a déjà fait. J'entortille une de mes mèches blondes autour de mon index, signe caractéristique de ma plongée au fond de mes pensées, avec une cervelle qui fonctionne au ralenti vu l'alcool que j'ai ingurgité. Mais même si elle a déjà essayé cette solution, je veux vraiment essayer de l'aider à résoudre cette situation.

– Et ce garçon ? Lui demandé-je ensuite. Est-ce qu'il t'aime, lui ? Parce que s'il t'aime, je ne comprends pas pourquoi ton amie est en colère. Enfin si, je comprends en fait, mais pas totalement.

Je pense en effet avoir saisi ce qui froisse la meilleure amie de Jade, sans tout en comprendre. Et puis, je peux me tromper. Je ne me base que sur mes propres expériences et ce que j'ai pu apprendre d'autres personnes, parce que je ne connais pas cette amie de la jeune brune, vu qu'elle même je la connais à peine. Mais il est toujours bon d'essayer d'en apprendre plus l'une sur l'autre, le temps de cette soirée. On est là pour s'amuser d'abord, mais comme là nous nous sommes posées, nous pouvons faire connaissance aussi, ce n'est pas incompatible !

C'est là que je me rends compte que depuis mon arrivée à Lumiris, je ne me suis pas encore véritablement fait de nouveaux amis. Certes, j'ai fait de nouvelles connaissances pour le moins... Déroutantes, si je peux dire ça de cette façon, et j'ai même retrouvé ma meilleure amie d'enfance, ce qui n'est pas rien. Mais à part cette rencontre, je n'ai pas encore eu l'occasion de lier des liens d'amitié avec quiconque. Est-ce que ça pourrait être le cas avec Jade ? Pourrait-elle devenir mon amie ? Moi, j'aimerai bien. Mais je suis bien placée pour savoir que ça ne dépend pas que de moi. Il faut qu'elle aussi, elle souhaite qu'on devienne amies, à terme, sinon ça ne marchera pas.

Elle répond à ma première interrogation par la négative. Elle n'a pas pu lui expliquer, donc, puisque sa meilleure amie s'est entièrement fermée à ses explications avant même qu'elle n'ait eu le temps de les sortir. Vidant totalement mon verre de cocktail, mes prunelles bleues posées sur elle prennent une expression presque attristée. C'est dur de ne plus pouvoir communiquer avec la personne la plus chère dans son coeur, surtout si celle-ci refuse de nous parler. Avec Kieran, je vis une situation similaire, à la différence près que le jour où il est parti, nous ne nous étions pas disputés ni rien. Il m'avait même promis qu'il m'écrirait régulièrement, me donnerait des nouvelles, où qu'il soit. Ce que, bien sûr, il n'a jamais fait. Alors que moi, je continuais à lui écrire des lettres chaque semaine, encore et encore, pour lui raconter bonheur comme malheur, en espérant qu'il me réponde. Le jour où j'ai été mise à la porte, je lui ai écrit. J'espérerais qu'il me donnerait des conseils ou, illusion plus folle, qu'il revienne à Kickenham me chercher pour partir voyager avec lui. Mais non. Ce n'était jamais arrivé. Seule une lourde et douloureuse absence m'avait répondu. J'aurai pu me faire à l'idée qu'il avait disparu pour de bon et passer à autre chose, mais j'en suis totalement incapable. L'incertitude est ce qu'il y a de plus difficile à supporter pour un coeur. Alors je le cherche encore, même ici à Lumiris, dans l'espoir qu'il réapparaisse. Ou d'avoir la preuve, même si je ne préfère pas y penser, qu'il ne serait plus de ce monde, pour passer à autre chose. Définitivement.

Et puis un sourire illumine à nouveau mon regard et mon visage rose lorsque Jade me répond qu'elle est certaine que son amour est réciproque. J'aimerais beaucoup posséder cette même conviction qu'elle. Même si pour moi, la situation est, comment dire. Légèrement plus compliquée. Et d'ailleurs, la jeune femme brune ne tarde pas à poser la question me concernant. Si j'ai un mec que j'aime bien, ou même si je sors avec quelqu'un. Heureusement que mon verre et vide et que je n'ai pas encore mangé un des nachos qui viennent de nous être apportés, sinon j'aurai pu mourir d'étouffement avec les deux. Mon visage aux joues déjà bien rosées prend une couleur uniformément cramoisie, et mes mains se mettent à trembler en même temps que je dévie mon regard vers le sol.

– E-Eh bien, comment dire... Bégayé-je en attrapant un nachos de la façon la plus hésitante du monde.

Jade doit avoir deviné déjà que j'ai des sentiments pour quelqu'un. Je pense que vu mon visage, c'est visible à plusieurs kilomètres à la ronde. Sauf qu'en fait...

– Il y en a deux. Des garçons. J-Je suis intéressée par deux garçons.

Et voilà, c'est dit. Voilà le sujet le plus épineux chez moi actuellement. Je ne peux pas encore dire si je suis amoureuse ou non, c'est trop tôt. Et puis, je n'ai jamais été amoureuse encore, donc je ne peux pas vraiment savoir ce que ça fait. Mais malheureusement pour moi je suis "tombée sous le charme", si je peux dire ça comme ça, non pas d'un, mais de deux hommes. Histoire de bien compliquer la tâche et de bien compliquer les choses. Tous deux, bien que très différents, malmènent mon coeur de la même façon. Et encore, s'il n'y avait que moi qui étais intéressée par eux, ça serait plus simple. Mais non, cet intérêt est réciproque. Enfin, je pense. Peut-être que je l'espère aussi, je ne sais pas, je ne sais plus. Mais maintenant que je suis dans cette situation, je ne sais plus quoi en penser.

Quelle idée aussi d'être sous le charme de deux garçons alors que jusqu'à présent, je n'ai jamais été intéressée par personne. Enfin, ce n'est pas vraiment de ma faute, c'est plutôt de celle de mon coeur, non ? C'est lui qui a choisi d'être autant attiré par mon partenaire de tourisme de Voltapolis que par ce client timide au White Spring. Et c'est le bordel interne depuis. Un mélange d'émotions contradictoires que je n'ai jamais ressenties jusqu'à aujourd'hui. Ça me fait donc beaucoup de choses nouvelles en peu de temps. C'est d'ailleurs peut-être pour ça que je n'arrive plus à gérer mes émotions. A moins que ça ne soit l'alcool qui ne me fasse penser comme ça ? Je ne sais pas trop, là. Mais je crois sans me tromper que j'ai piqué la curiosité de Jade avec ma réponse, puisque la chips qu'elle est en train de manger reste suspendue dans sa main alors qu'elle me fixe, les sourcils plissés.

Respire Zeph', tu fais de l’apnée là.

J'essaie de reprendre une grand inspiration alors que le bout de mes doigts tremblote toujours et que mes joues gardent une couleur plutôt écarlate. Et ça ne s'arrange pas lorsque ma jolie camarade brune fait part de son incompréhension totale suite à la réponse que je lui ai donnée. Je comprends totalement qu'elle ne puisse pas comprendre, d'ailleurs. Moi même je n'y comprends rien. Je n'y connaissais rien avant de débarquer à Lumiris, ça ne m'avait jamais intéressée, je ne m'étais jamais posé la question de savoir ce que ça ferait d'être aimée par quelqu'un ou pas. J'avais encore moins imaginé que je puisse être intéressée par deux garçons à la fois. Au départ, je me suis même dit que c'était parce que c'était la première fois que des hommes -plutôt très beaux, on ne va pas se mentir- s'intéressaient vraiment à moi, et pas à ma famille ou à mon talent pour la danse. Alors j'avais voulu vérifier lors de mes rencontres masculines suivantes si c'était juste ça ou pas. Et malheureusement -ou non- pour moi, ce n'était pas juste parce qu'ils m'avaient porté un réel intérêt. Non. Je me suis rendue à l'évidence : ils m'attirent tous les deux. Après, est-ce que ça veut dire que je suis amoureuse d'eux ? Il n'y a pas une étape intermédiaire ? Parce que ça pourrait être juste une attirance pour l'un d'entre eux ou les deux, non ? Et voilà, ça recommence. Je me pose trop de questions. Questions auxquelles je n'ai pas de réponse.

– Che chais pas, Jade, dis-je enfin en enfournant plusieurs nachos dans ma bouche, avec pour objectif de faire passer ma gêne une fois avalés. Je sais vraiment pas comment c'est possible. Tu sais, moi j'y connais rien à l'amour, je suis jamais sortie avec personne et ça m'intéressait pas jusqu'à présent. Et puis si ça se trouve, je ne suis même pas amoureuse d'eux, donc...

Je laisse la fin de ma phrase en suspens, ne sachant pas trop quoi ajouter, et attrape une nouvelle chips que je grignote cette fois-ci avec lenteur. Paumée sentimentalement est bien le terme qui me qualifie actuellement. Et l'alcool qui coule dans mes veines ne m'aide pas à contrôler mes émotions, au contraire. J'ai l'impression qu'elles sont totalement exacerbées dès que j'ose penser à Alexen ou Ilian. Je secoue alors la tête. Ne pas penser à eux, ne pas penser à eux, ne pas penser à eux. Je ne vais pas m'en sortir, sinon. Je réfléchis pendant une fraction de seconde, observant Jade. Elle a l'air de bien mieux s'y connaître que moi en garçons. Est-ce que c'est vraiment le cas ? Je m'empresse donc alors de lui poser la question qui me brûle les lèvres, maintenant qu'elle a germé dans mon esprit.

– Toi t'as l'air de bien t'y connaître en garçons, nan ? Je n'attends même pas une réponse que j'ajoute : T'as de la chance, moi j'y comprends rien. Riiieeen du tout, même.

Comme ça ne m'intéressait pas jusqu'à il y a peu, c'est plutôt normal. Mais quand même, ça m'embête, maintenant. Si je n'y connais rien, comment je vais pouvoir m'en sortir moi ? Jade pourra m'aider ? Mais si elle n'y connait rien alors qu'elle a l'air de s'y connaître ? Et si elle ne veut pas m'aider parce que je l'embête ? Wow, stop. Je pars trop loin là. Mon cerveau va finir par lâcher avant même que je n'ai pu rentrer à mon hôtel. Si j'arrive encore à y retourner une fois que la soirée au casino sera terminée.