Le Safari. Un endroit qui éveille bien plus ma curiosité que d'autres. Un endroit que je n'ai encore jamais visité, aussi. Le jour de m'y rendre est donc arrivé ! Enfin, m'y rendre est une expression bien inutile, puisqu'en réalité, je m'y trouve déjà. Les pieds ancrés dans le sol et le visage tourné vers le ciel, je cache mes yeux pâles avec mon bras pour éviter que le soleil accroché tout là-haut ne me brûle accidentellement la rétine. Finir aveugle à vingt-et-un ans pour simplement avoir regardé trop longtemps la voûte céleste, ça serait dommage, je trouve. Je baisse les yeux au moment où une herbe haute me chatouille le mollet. J'ai tellement avancé en fixant le ciel que je me retrouve dans les herbes après avoir dévié de mon chemin de base.

J'y avance donc avec prudence, fixant les alentours devant moi. Tout semble dégagé, le temps et magnifique. Aucune raison de s'inquiéter, en somme. Je me demande bien quand est-ce qu'une belle journée comme celle-ci s'est présentée à moi pour la dernière fois. Ça devait être lors de ma dernière excursion touristique, je pense, ou peut-être la dernière fois que je suis venue à Sunyra ? Le climat ici est unique, après tout. Du moins de ce que j'en ai vu pour l'instant. Ce qui est certain, c'est que ça n'a rien à voir avec le climat de Fort-des-Songes et de Windoria. Je passe mes journées à altérer entre le brouillard, les nuages et le froid, parfois doux, parfois accompagné d'un vent polaire et glacial pour les journées les moins commodes. Non pas que je déteste le froid, au contraire, il ne me pose aucun problème au quotidien. Simplement, revenir de temps en temps s'exposer à la chaleur d'un soleil bien visible et dégagé ne fait pas de mal. Ça m'évite de me transformer en bonhomme de neige, aussi.

Un craquement soudain dans un buisson à ma gauche me fait sursauter d'une brutalité qui me surprend moi-même. Je tombe à la renverse vers l'arrière, semblant taper quelque chose de solide au passage, et finit sur le sol. Il me faut quelques instants pour comprendre qu'un simple craquement n'aurait jamais dû me faire si peur. Je dois avoir les nerfs à vif, je ne vois pas d'autre explication. D'ordinaire, rien ne m'effraie, c'est plutôt ma passion, les trucs effrayants. Alors bondir à ce point pour une brindille écrasée par je ne sais pas trop quoi, ça montre soit que je suis fatiguée, soit que je suis trop ancrée dans mes pensées par rapport à la réalité du parc qui m'entoure. Ce qui est bien dommage d'ailleurs, puisque je suis venue ici pour admirer l'endroit et visiter, pas pour ruminer encore à tout et à rien.

Je remarque alors un objet solide sous ma main et le palpe. C'est rectangulaire, ça semble être en papier... Un livre ! Je le soulève aussitôt du sol et vérifie qu'il n'a pas été abîmé. Par chance, aucune humidité trop notable ne circule dans l'air et sur le sol, l'ouvrage est donc intact. Par contre, je ne me souviens pas avoir pris de la lecture avec moi. Et ce livre m'est totalement inconnu, malgré mes quelques connaissances littéraires de fortune. Ce qui veut dire... Je me relève vivement et me retourne. Juste derrière moi, il y a quelqu'un. Une femme. La propriétaire de ce bouquin, sans nul doute possible. Livre que j'ai dû faire tomber de ses mains durant ma chute improbable. J’époussette la couverture à la hâte et lui tend à bout de bras en m'inclinant vers l'avant, les joues honteusement rouges :

– Je suis vraiment désolée d'avoir fait tomber votre livre ! Veuillez m'excuser. J'espère qu'il n'est pas abîmé, et s'il l'est, je suis prête à vous le racheter pour vous dédommager.

Évidemment. Ces derniers temps, la chance a été bien trop présente dans mon existence. Il faut bien rééquilibrer tout ça, à un moment donné. Et quoi de mieux, une fois de plus, qu'une "rencontre percutante", puisque je les collectionne ? J'espère sincèrement qu'elle ne va pas m'en vouloir, mais surtout que le livre n'a rien.

HRP:

La femme que j'ai percutée me répond presque instantanément qu'il n'y a pas de mal, et que c'est elle qui ne faisait pas attention où elle allait et non pas moi. Je dois bien avouer que je suis surprise. A aucun moment elle n'a été agressive, et elle ne me reproche rien. Elle aussi, elle est différente et elle dénote de la plupart des personnes lambdas qui peuplent ce bas monde. Je crois d'ailleurs qu'en ce moment, j'en croise de plus en plus, des gens comme elle. Ceux qui ne s'énervent pas, ceux qui ne m'en veulent pas, ceux qui ne réclament rien en retour. Heureusement pour moi qu'elle en fait partie. Sinon, seul Arceus sait comment cette rencontre inattendue et une nouvelle fois assez percutante aurait pu tourner. Je soupire de soulagement, mon visage reprenant quelques couleurs. Je dépose ensuite le livre dans les mains de mon interlocutrice.

– Tenez. J'espère qu'il pourra encore en vivre une multitude d'autres, un peu moins acrobatiques que celle là.

Je ponctue ma phrase d'un sourire léger, même si les extrémités de mes doigts sont encore tremblantes suite à ma nouvelle gaffe.

Tout ça à cause d'une branche qui craque...

D'ailleurs, quelle peut être l'origine de ce bruit pourtant si quotidien qui m'a fait si peur ? Je pense qu'il n'y a pas trente-six options, il s'agit d'un Pokémon sauvage qui doit se balader dans le safari. En tournant légèrement la tête, je vois Ayshee qui renifle avec méfiance le buisson duquel a émané le bruit. Aujourd'hui, j'ai choisi de ne faire sortir qu'elle de sa pokéball pour notre balade au safari. Nâga, lui, se repose tranquillement bien au chaud au creux de la sienne. Il en a bien besoin, après la dernière semaine que nous avons passée. Et, malheureusement pour lui, il effraie encore trop les Pokémon sauvages pour que je puisse le faire sortir partout. Si je souhaite capturer un Pokémon au safari aujourd'hui, Ayshee, qui est plus distante et a une apparence qui fait moins peur même si elle est beaucoup moins amicale que lui, a plus de chance de réussir à ne pas faire fuir un futur potentiel camarade. Ça me fait très bizarre de me promener sans Nâga, et d'être comme au bon vieux temps, seulement mon Absol et moi. Mon doux Séviper a pris une place bien grande dans ma vie à Lumiris.

Distinguant une forme qui semble nous saluer, je fais signe en retour avec ma main droite avant de me recentrer sur l'inconnue que j'ai percutée. Je lui demande alors, histoire d'entamer la conversation et d'en savoir un peu plus sur elle, vu qu'elle ne dégage aucune animosité :

– Pourquoi êtes-vous venue ici aujourd'hui ?

J'espère qu'elle ne me trouvera pas trop curieuse. La plupart des dresseurs viennent, je suppose, pour capturer des Pokémon. Mais d'autres viennent simplement pour se balader, décompresser, profiter d'un moment avec leurs Pokémon. Peut-être que cette femme cherche à faire voyager son livre ? Peut-être est-elle écrivaine ? Je ne sais même plus si ce mot se dit. Et je ne me suis même pas encore rendu compte qu'une fois de plus, j'ai oublié de me présenter.

HRP:

La silhouette à laquelle j'ai fait vaguement signe de la main quelques minutes plus tôt se précise. Il s'agit, si je ne me trompe pas, d'un Arcko. Un autre Pokémon semblait présent avec celui-ci, mais il a filé dans les buissons aussi vite qu'il en était sorti. C'est peut-être lui qui a fait craquer la branche qui a provoqué ma chute et ma rencontre avec cette jolie femme aux cheveux sombres. En tout cas, j'ai l'impression qu'il y a bien plus de Pokémon ici que dans toutes les zones que j'ai pu visiter jusqu'à présent. Après tout, je ne me suis pas rendue au parc safari pour rien. C'est sans doute ici et nulle part ailleurs que les Pokémon peuvent nous surprendre, tant par leur nombre que par leur identité propre.

Mon interlocutrice m'explique alors pourquoi elle s'est rendue ici, répondant à ma question précédente. Tout comme moi, elle parcourt Lumiris dans le but de vivre des évènements qui lui laisseront de doux souvenirs dans son esprit, pour découvrir de nouveaux horizons et de nouveaux visages également. En bref, elle voyage pour vivre, se sentir exister. Ça lui fait plusieurs points communs avec moi, même si nous ne sommes pas dans la région, à l'origine, pour les mêmes raisons. Une fois de plus, mon intuition première a vu juste. Cette femme, Kanaliou de son nom, est bel et bien une écrivaine. Son nom ne me dit rien, mais en même temps je ne suis pas une très grande lectrice, même si pas mal d'ouvrages en tout genre sont passés entre mes mains. Elle souhaiterait partager ses récits avec le monde entier, et ça me fait sourire. Je me demande quel genre d'histoire elle écrit, et comment est sa plume. Mais avant tout, il faut que je lui décline mon identité, puisqu'elle s'est présentée -et moi toujours pas- et qu'il ne faut pas oublier que je l'ai quand même bousculée, certes par accident, mais quand même.

– Enchantée de faire votre connaissance, Kanaliou. Je m'appelle Zephyra, je suis étudiante et serveuse.

Mon CV fait beaucoup moins envie que le sien, cependant elle m'a donné sa profession que j'ai devinée au préalable, alors il m'est naturel d'en faire de même. Je suis curieuse de savoir si elle a déjà publié des ouvrages qui seraient restés masqués de mon champ de vision quand j'ai plusieurs fois fait des achats à la librairie de Fort-des-Songes. Question que je m'empresse de poser :

– Avez-vous déjà publié vos récits ?

Même si elle m'a tutoyée, je continue de la vouvoyer. Marques et esprit de politesse ancrés jusque dans mes entrailles. Du coin de l'oeil, j'aperçois alors une boule de poils bleue et noire à la pointe de la queue jaune se pavaner sur le sentier non loin de nous, ce qui ne manque pas de me faire rire. Ce Lixy a l'air d'aimer être admiré et de se mettre en évidence. Tout le contraire du Arcko qui, bien que s'étant rapproché, car animé par la curiosité, préfère éviter qu'on remarque ses déplacements. Kanaliou souhaite-t-elle également capturer un Pokémon ? Peut-être que ça pourra l'inspirer pour un de ses récits, qui sait ?

HRP:

Je ne tarde pas à remarquer par le rose léger qui colore ses joues que ma question a l'air de l'avoir dérangée. J'ai sans doute encore trop laissé parlé ma curiosité avant de réfléchir, moi. En tout cas cela ne dure pas longtemps puisqu'elle me demande ensuite ce que je fais comme études, parce qu'elle a de l'admiration pour ces gens qui étudient. Gens dont je fais partie, c'est vrai. Et pourtant, je ne me suis jamais sentie comme eux. Parce que ce que j'étudie, même si je le voulais au départ, aujourd'hui ça ne m'intéresse plus du tout. Je suis totalement incapable de me concentrer sur ce que j'apprends, et quand j'arrive à retenir quelque chose, ce n'est que temporaire, quelques jours à peine et après ce nouveau savoir s'étiole et disparait de mon esprit. J'aimerai bien pouvoir apprendre comme tout le monde pourtant. Je voudrais moi aussi trouver un sujet d'avenir qui me passionne, autre que la danse. Parce qu'aujourd'hui, je suis un peu à un carrefour de mon existence. Je ne sais ni si je dois reprendre la danse pour y faire carrière, ni y renoncer et définitivement me concentrer sur des études qui ne m'intéressent plus aujourd'hui. Je ne sais plus.

Un contact soudain avec ma jambe manque de me faire sauter trois mètres plus loin. C'est le Arcko, qui me touche le tibia désormais, en me regardant avec des yeux ronds mais farceurs. Ayshee l'observe, circonspecte. Je remarque ensuite que Kanaliou semble s'intéresser à un Lixy qui se trouve non loin et qui se pavane devant nous, avant de s'amuser avec le Pokémon de l'écrivaine. Cette scène me fait sourire. On dirait que finalement, elle a trouvé un objectif autre que de remplir sa tête de voyages et de souvenirs, aujourd'hui. Quoique. Si jamais elle repart avec ce Lixy, cela lui fera un excellent souvenir, qu'elle pourra transposer par écrit. Cela me fait d'ailleurs penser qu'au final, elle n'a pas répondu à ma question, et que moi, je n'ai as encore répondu à la sienne. Avant de murmurer ma réponse pour ne pas effrayer les deux Pokémon sauvages autour de nous, j'en conclus donc qu'elle n'a pas dû encore publier l'un de ses écrits, ou alors qu'elle préfère ne pas en parler, tout simplement.

– Eh bien, commencé-je à voix basse, j'étudie en quelque sorte la pokélogie, si on peut appeler ça comme ça.

Même moi, à force, je ne savais plus très bien si je devais appeler ça comme ça ou pas. Il fallait dire que je n'étais plus très assidue depuis quelques temps...

– Malheureusement, ces études ne me passionnent plus comme c'était le cas avant, alors je songe à passer à autre chose.

Passer à autre chose. Arrêter de se prendre la tête et suivre son coeur. C'est peut-être ça, la solution. Je ne suis plus dans une situation aussi précaire que quand je suis arrivée, en plus. Au White Spring, monsieur Deltz me paie généreusement pour mon travail, mon appartement à Fort-des-Songes, même ancien et bourré de défauts qu'il peut être, me convient très bien, et j'ai même agrandi mon équipe. Alors le seul point noir dans tout ça, le seul qui reste, c'est mon avenir. Je devrais peut-être faire comme Kanaliou, en fin de compte. Me laisser guider par ma passion, peu importe ou ça me mène.

HRP: