Vivifiée par l’air glacé, et par la beauté du paysage, Astelle prit une grande inspiration.
C’était tellement beau. Les jeux de lumières conféraient aux sous-bois comme une aura de féerie. Et le baiser du soleil était le bienvenu sur sa peau. Il mitigeait les caresses du vent, qui cherchait à glisser ses petits doigts glacés sous leurs écharpes et dans leurs cheveux. Surtout dans ceux de Manon, dont les longues boucles châtain dessinaient comme de fabuleuses arabesques dans son dos.

A cet instant, Astelle se sentait bien. Plus légère que la brise.
Le froid ne la touchait pas. La fatigue lui était étrangère.
La jeune fille aurait pu continuer à marcher ainsi jusqu’au bout de la nuit.

C’était si étrange. Toutes deux étaient comme l’eau et l’huile.
Si différentes, avec si peu de points communs.
Leur rencontre était seulement le fait du hasard.

Et pourtant…

— Hey Astelle ...
— Oui, Manon ? répondit la jeune fille, tournant son visage vers elle tout en exerçant une légère pression sur sa main.

Et pourtant…

Astelle ne s’imaginait pas lâcher cette main.
Aujourd’hui, garder cette main dans la sienne lui apparaissait plus important que son rêve même le plus précieux.

C'est alors que son amie émit un rôt tonitruant. Bye bye, le silence féérique de la forêt.
— T'as vu comment ça résonne ? Tu sais faire ça toi ? Azy', même si tu sais pas roter, pousse ton cri d'guerre ! On va faire peur aux prédateurs.

Astelle gloussa. L’instant d’avant, elles cheminaient sur la neige fraîche, enveloppées dans un cocon de quiétude si propice à la rêverie. Et maintenant, elles enchaînaient sur une compétition de rototos.
Comme l’eau et l’huile, réellement.

La jeune fille avala une grande goulée de bière, déglutit pour faire remonter plus d’air, et…



— BeuaaAAArp !

…euaaarp ! ~

…euaaarp ! ~

Effectivement, il y avait de l’écho.

Les joues légèrement roses, Astelle se retourna vers Manon, cherchant son approbation.
Et puis, à sa demande, elle lui donna sa propre canette de bière à terminer, tout en méditant cette histoire de défi.

— La première arrivée là-haut donne un gage à l'autre ! Et ... Tous les coups sont permis.

Mmmmh…
La petite postière se pinça pensivement le menton.
Battre Manon à la course.



Entre la neige et l’inclinaison de la pente, la configuration du terrain ne lui donnait clairement pas l’avantage.
Néanmoins, il était hors de question de se débiner ! Après tout, ce n’était pas la première fois que les deux amies se défiaient, ni même qu’elles pariaient un gage : comme lors de leur concours de pêche au Parc Safari.

Ses petits yeux noisette étudièrent rapidement le tracé de la pente, à la recherche d’un itinéraire qui ne présenterait pas trop d’obstacles. Un plan commençait déjà à germer dans cette petite boîte à malices qui lui servait de tête.
— C’est d’accord ! Mais je te préviens tout de suite, si jamais je l’emporte, je serais trèèèèèès exigeante sur le gage ! Après tout, c’est mon anniversaire !

Lui frictionnant le museau avec douceur, elle réveilla Mini-senpai, et invita le petit dragon à s’enrouler autour de son avant-bras.

— …et si tu ne t’en doutais pas encore, à partir du moment où nous sommes en compétition…

La petite postière pointa la gueule de son Draco sur un monticule de neige qui faisait directement face à Manon.
— …je vais tout donner pour gagner ! On commence dans : 3, 2, 1… Lance-flammes !

Pratiquement dans une explosion de vapeur blanche, la neige fondit sous les yeux de Manon. Lui coupant intégralement le champ de vision ! Et aussitôt, Astelle se précipita ! Ramenant la gueule de son Draco en direction du sol, pour cette-fois : faire fondre la neige sur son passage, elle courut en direction de son objectif !
Battre Manon à la loyale lui aurait été impossible, mais si elle ne risquait ni de s’enfoncer dans la neige, ni de glisser, alors c’était jouable !

— Ne regrette pas ton défi ! s’exclama une petite voix rieuse, perdue dans ce grand nuage de brume blanche qui faisait route vers le sommet ! Aujourd'hui, je ne te ménagerai pas !

Modération:

Le rototo d'Astelle restera gravée dans ma mémoire. Je réalise à cet instant précis que notre relation ne se résume pas qu'à une simple amitié. C'est beaucoup plus que ça.

La jeune fille finit par accepter mon challenge, prenant soin de m'avertir que son gage sera très exigeant. Un sourire espiègle au coin de la lèvre, je lui répond  sur un ton provocateur :

« Eh ben tant mieux, parce que moi j'vais pas m'gêner à t'exploiter ! »

Au même moment, le Draco d'Astelle s'enroule autour de son bras ...

« Je vais tout donner pour gagner ! On commence dans : 3, 2, 1… »

... et utilise Lance-Flamme en direction de la pente, faisant fondre instantanément le manteau blanc ! Éblouie par les flammes, je ne remarque pas la brunette s'éclipser dans le nuage de fumée.

« Ne regrette pas ton défi !
- Ah non ! Tu m'auras pas ... »

Sans hésiter, je libère mon Solochi. Ce dernier reconnaît instantanément la petite postière et n'attend pas mon ordre pour se précipiter sur cette dernière.

« Bonne chance Astelle. Et merci bien de m'avoir libéré la voie ... »

Je prends une profonde inspiration avant de taper mon meilleur sprint. N'ayant que mon sac à dos sur les épaules, il est plus aisé pour moi d'atteindre le sommet. L'arrivée de Shenron devrait bouleverser les plans de la brunette, contrainte à devoir admettre sa défaite.

Pendant ce temps-là, Granbull et Kangourex fixent avec désespoir la pente qu'ils vont devoir grimper.

Modération:

 

La bête était lancée sur ses talons. Le sang d’Astelle ne fit qu’un tour.  
Solochi était un pokémon que son amie n’utilisait presque jamais en sa compagnie. Par prévenance, peut-être. Sa présence conjurait de mauvais et terrifiants souvenirs. ...mais si Manon l’employait dans ces circonstances, c’était qu’elle tenait vraiment à gagner.

Après tout, aujourd’hui, Astelle avait 18 ans.
Il était temps que Manon cesse de ménager sa petite sensibilité.
Et elle avait raison de le faire.

La jeune fille pivota en pleine escalade pour baisser un regard dur sur le dragon qui s’élançait à sa poursuite. Elle n’avait plus peur de lui, désormais. Elle avait vu des choses bien plus effrayantes que ce petit prédateur nocturne, dont la méchanceté était seulement le produit de la faim ou de la bêtise.

— Fais pas le malin, toi ! Dit-elle en brandissant Senpai dans sa direction.

Malheureusement, Manon profita de sa volte-face pour lui voler la première place. Mais c’était un mal nécessaire. Impossible de continuer la course avec un Solochi dans les pattes ! Et Astelle avait décidé qu’elle avait été assez mordu comme ça par cette vilaine bestiole, et qu’il était hors de question de se laisser victimiser à nouveau.

Il était grand temps de lui apprendre le respect.
— Draco Météore !
Un orbe d’énergie radieux se concentra dans la gueule du petit Draco qui s’enroulait autour de son bras. Néanmoins, plutôt que de le libérer directement sur son poursuivant, la petite postière leva la main au ciel.



Déchargé, le tir de lumière explosa dans les airs, à la manière d’une pluie d’étoiles filantes ! Les projectiles flamboyants s'écrasèrent dans un fracas ordonné, de manière à tracer une ligne entre Astelle et le Solochi. Chacun de ces impacts fit trembler la terre, soulevant de grands geysers de neige et de vapeur ! Chancelante, c’est à peine si la jeune fille parvint à rester sur ses pieds.

— C’est le seul avertissement que tu recevras de ma part, prévint-elle, l’air impérieux.
Si je te surprends encore une fois à me courir après, on ne tirera plus à côté !

En attendant, Manon avait profité de l’escarmouche et bénéficiait maintenant d’une avance considérable. Ce n’était pas avec ses petites jambes qu’Astelle allait la rattraper. Néanmoins, il lui restait un espoir... si elle pouvait seulement la faire trébucher avant la ligne d’arrivée.
S’emparant précipitamment d’une pokéball dans sa besace, la jeune fille se mit en position. Le dos droit, les hanches bien alignées et orientées légèrement de trois quart : c’est à la manière d’une vraie petite lanceuse de baseball qu’Astelle projeta sa pokéball à la poursuite de Manon !

Le projectile fusa à la rencontre de son amie, et...  

— Shyo-chan, Etreinte !  
...libéra un petit poképoulpe dans un éclair de lumière rouge qui faucha directement Manon sur ses appuis !

Patatra ! Heureuse de retrouver sa dresseuse d’origine, c’est en roucoulant d’amour que la petite poulpaf emmêla ses tentacules aux grandes jambes de Manon !

Astelle se précipita derrière-elles.
Ce n’était pas encore gagné, loin de là.  
...mais elle avait encore une chance de l'emporter !  

Allez Manon : inspire, expire. La ligne d'arrivée est à deux pas, ce n'est pas le moment de trébucher ! J'esquive les racines des arbres qui me font obstacle, je saute sur les rochers pour me propulser vers l'arrivée, mes pas sont grands et rapides, tout prédit ma victoire. Néanmoins, la petite postière n'abandonne pas la course et abat l'une de ses cartes pour me faire perdre : Shyo. Soudain, je sens ses tentacules s'enrouler autour de mes gambettes, me faisant perdre l'équilibre.

« Hiyaa !! Shyo, dégage de là ! Va plutôt postuler pour devenir actrice dans un film p– »

Alors que je me débats avec le poulpe, je remarque Astelle qui me rattrape à vue d'œil. Il faut que je bouge, je n'ai pas d'autres choix que de lutter. Les doigts plantés dans la terre gelée, je rampe désespérément jusqu'au sommet. Pour me donner du courage, je hurle comme une sagouin.

« VAS YYY LÀÀ C'EST MOI LA PREMIÈRE C'EST MOI LA PREMIÈRE TU PASSERAS PAS C'EST MORT »

Entendant les pas de ma rivale se rapprocher, j'appelle mon pokémon Shenron. Sauf qu'après la pluie de météorites, il s'est dégonflé car cette attaque le ramène à un souvenir traumatique qui le paralyse. Je râle de frustration avant de poursuivre tant bien que mal ma course. Mais lorsqu'Astelle se trouve à mon niveau, je me précipite comme possible sur sa cheville pour la faire tomber. Fort heureusement, la pente est suffisamment inclinée pour que la chute ne soit pas trop douloureuse. Sans me rendre compte qu'on a franchi la ligne, je me vautre sur la brunette pour ne pas la laisser partir.

« J't'ai eu !!»

Remarquant quelques égratignures sur ses genoux, je commence à m'inquiéter. Je la laisse respirer, me positionnant au dessus de son minois, les yeux inquiets.

« A-Astelle, est-ce que ça va ? J't'ai pas blessé hein ? »

Je regarde sur le côté, la mine coupable.

« Désolée, j'aurai pas dû te malmener comme ça, c'est vraiment n'importe quoi, alors que c'est le jour de ton anniversaire ... »

Je me redresse avant d'aider Astelle à se relever.

« Je ... j'crois bien qu'on est arrivé ex-æquo. Mais bon, on verra après pour les gages, rejoignons le campement, on y est presque. »

J'esquisse un sourire gêné, en prenant délicatement la main d'Astelle. J'espère sincèrement qu'elle n'a rien de grave. Je suis vraiment la pire !

Modération:

Victoire ! Shyo était parvenue à faire tomber Manon !
Astelle se sentait désormais en confiance. Il ne lui restait plus qu’à pousser fort sur ses petites jambes de poképoulet, et gravir la pente enneigée aussi vite que possible ! Les joues rougies par l’effort, la petite postière tâcha de marcher dans les pas de son amie. Ainsi, elle s’enfoncerait moins dans la poudreuse, et perdrait moins d’énergie dans la montée.

De son côté, empêtrée dans les tentacules, Manon laissait parler son sens de la poésie.
— Hiyaa !! Shyo, dégage de là ! Va plutôt postuler pour devenir actrice dans un film p–
— N-...namého Manon ! se récria une Astelle, outrée. On ne dit pas ces choses-là à mon petit poulpe d’amour !

Mais son amie faisait la sourde oreille. Obsédée, sinon possédée par la victoire, elle poussait des beuglements de fauve furieux tout en s’efforçant de ramper en direction de la ligne d’arrivée !
— VAS YYY LÀÀ C'EST MOI LA PREMIÈRE C'EST MOI LA PREMIÈRE TU PASSERAS PAS C'EST MORT
Astelle en avait froid dans le dos. Quel genre de gage est-ce que son amie prévoyait-elle pour viser la première place avec une telle obsession ?! Inquiète à l’idée de perdre ce défi, la jeune fille suivit le chemin le plus court qui la mènerait au sommet. Une terrible erreur ! Car passant à proximité de son amie… cette dernière s’empara vicieusement de sa cheville !

— J't'ai eu !!
— gwop…!
Astelle perdit l’équilibre et se gaufra la tête la première dans la poudreuse !



Désorientée, elle poussait à peine sur ses mains pour se relever qu’en vraie catcheuse-du-dimanche...
Manon lui tomba dessus avec une Power Bomb improvisée !

Et ainsi…:

...écrabouillée, il lui fallut quelques instants pour reprendre ses esprits. Fichtre, Manon pesait son poids ! Elle tâcha cependant de penser à la manœuvre suivante. Avec son amie d’avachie sur son dos, il lui était un peu difficile de respirer. Elle pouvait bouger les jambes, mais pas suffisamment pour avoir un espoir de se dégager. Son bras gauche était coincé sous son corps, mais le droit restait libre. Refermant sa main sur une poignée de neige, Astelle se prépara à lancer sa contre-attaque, lorsque…!

...Manon se dégonfla comme une baudruche.  
— A-Astelle, est-ce que ça va ? J't'ai pas blessé hein ?

Son amie la retourna, puis se tint au-dessus d’elle comme pour l’ausculter… avant de détourner le regard d’un air chagrin.
— Désolée, j'aurai pas dû te malmener comme ça, c'est vraiment n'importe quoi, alors que c'est le jour de ton anniversaire …

Sa boule de neige dans la main, Astelle reprenait laborieusement sa respiration.
— Je vais bien…! répondit-elle d’une petite voix essoufflée.

Et elle aurait voulu en dire davantage, mais elle avait besoin d’un peu plus de temps.  
— Je ... j'crois bien qu'on est arrivé ex-æquo. Mais bon, on verra après pour les gages, rejoignons le campement, on y est presque.

Avec une culpabilité évidente, Manon l’aida à se relever, puis la mena délicatement par la main en direction de la zone de campement.
Astelle fit la moue. Cette sollicitude soudaine lui inspirait des sentiments contradictoires, mais elle pouvait presque lire les pensées de son amie. Évidentes sur son visage : “Qu’est-ce qui m’a pris de m’emporter comme ça ? Au risque de lui faire mal ? Le jour de son anniversaire, en plus ! Je suis vraiment la pire !”.
Le refrain habituel. Cela faisait si longtemps qu’elles étaient ensemble qu’Astelle reconnaissait immédiatement les accès d’auto-dévalorisation de sa meilleure amie. Mais ça n'allait pas se passer comme ça ! Pas aujourd'hui !

D’un geste sec, la petite postière dégagea sa main de celle de son amie.
...puis lui envoya sa boule de neige en pleine face !

— Ne prends pas ton air de Pépé battu avec moi, Manon !

Aidée par Shyo, qui lui préparait des projectiles, Astelle lui lança d'autres boules de neige à la figure !
Tandis qu'elle faisait mouche, la jeune fille sentit son sourire s’élargir de plus en plus.



— Nos défis, c’est la guerre ! L’ULTRAVIOLENCE ABSOLUE !
Le ton de sa voix devint de plus en plus jovial alors que son amie reculait sous ce déluge glacé !
— On s’était même accordées ensemble, avant de commencer, sur le fait que tout était permis !

La tempête de boules de neige se calma un peu.
Et la voix d’Astelle se fit plus douce. Et plus sincère.
— ...et tu sais, je suis contente que tu ressentes le besoin d’y aller à fond quand tu joues contre moi.

Son sourire aussi, se fit plus patient. Gagna en tendresse.
— C’est un signe que tu me prends au sérieux. Et pour autant que je sache, tu es peut-être la seule au monde à le faire.

Après tout, elle avait connu les traitements de faveur toute sa vie.
Avec sa taille réduite. Son physique de poupée.
Son petit grain de folie douce. Et sa langue agile qui était si prompte à dire des bêtises.
Rares étaient ceux à regarder au-delà des apparences, et à voir le petit soldat courageux qu’elle était vraiment.

— Alors même si la prochaine fois, tu retentes de m’arrêter avec une prise de catch tueuse, tu n’as pas besoin de t’excuser. D’ailleurs, si tu n’avais pas mis fin au combat, je t’aurais fourré une boule de neige sous ton t-shirt, puis j’aurais fait tomber ton pantalon sur tes chevilles pour t’attacher avec ! Ensuite, j’en aurais profité pour te chatouiller à mort ! Et moi, je ne me serais même pas excusée ! Mouhahahaha !

Rigolant comme un petit génie diabolique tout en lui expliquant les contre-mesures vicieuses qu’elle avait préparées, Astelle vint tranquillement reprendre la main de son amie pour poursuivre l’ascension. Le rythme de leur marche se fit plus doux, car elle était bien fatiguée, et leurs pokémons-porteurs l’étaient tout autant.
Senpai, de son côté, se réenroula proprement autour de son cou. Afin de bien protéger sa petite gorge fragile du froid. Ses écailles ventrales étaient chaudes et confortables. Et toutes doudouces.

— On est bientôt arrivées, tu disais ? Par quoi est-ce que tu veux qu’on commence ? interrogea la petite postière avec une grande curiosité. Est-ce qu’on monte la tente ? Qu’on cherche d'abord du bois pour allumer un feu ? Ou alors, qu’on consolide nos provisions d’eau fraîche ? C’est la première fois que je fais du camping (ailleurs que dans mon jardin) !

Un petit sourire de bonheur malicieux jouait sur ses lèvres.
Aujourd’hui, c’était son anniversaire.

Et Manon était venue la chercher.
Juste pour passer ce moment avec elle, et rien qu’avec elle.

Alors peu importait qu’elles se trompent de train, qu’on manque de l’assassiner avec une prise de catch mortelle, voire même que leurs chamailleries aient déclenchées une avalanche.
Astelle n’avait besoin de rien d’autre pour être heureuse. Et rien au monde n’aurait pu gâcher cette journée.

Avant de repartir, je prends soin de ranger Shenron dans sa pokéball, dépoussiérer la tenue d'Astelle, remettre ses mèches en place et analyser sa bouille en espérant qu'elle n'a aucune égratignure. La brunette fait la moue avant de dégager sa main de la mienne.

« Ne prends pas ton air de Pépé battu avec moi, Manon ! »

Désolée Astelle, je ne peux pas m'empêcher d'avoir la mine triste. Je me sens vraiment idiote parce que tu aurais mérité d'être mieux traitée. Soudain, sortie de nulle part, une boule de neige vient s'écraser sur mon visage, m'obligeant à reculer de deux pas en arrière.

« Nos défis, c’est la guerre ! L’ULTRAVIOLENCE ABSOLUE ! »

Mon corps frissonne au contact de l'eau gelée sur ma peau et un rire nerveux s'échappe de ma bouche. Pendant que je croule sous la neige, Astelle m'explique avec plus de légèreté ses sentiments : ce qui différencie notre relation par rapport aux autres, c'est que je considère Astelle comme mon égal et non pas comme une petite fille qui nécessite d'être protégée. Malgré ma maladresse, Astelle apprécie la façon dont je la considère et il est clair qu'on s'était mise d'accord sur les conditions de notre course : après tout, tous les coups sont permis ! Son discours et son sourire si apaisant finissent par me rassurer.


« Alors même si la prochaine fois, tu retentes de m’arrêter avec une prise de catch tueuse, tu n’as pas besoin de t’excuser. D’ailleurs, si tu n’avais pas mis fin au combat, je t’aurais fourré une boule de neige sous ton t-shirt, puis j’aurais fait tomber ton pantalon sur tes chevilles pour t’attacher avec !
- Oh purée ! T'es redoutable quand même. J'ai plutôt bien agi, finalement, j'ai évité le pire !
- Ensuite, j’en aurais profité pour te chatouiller à mort ! Et moi, je ne me serais même pas excusée !
- OH NON BORDEL PAS LES CHATOUILLES »

La demoiselle pousse un rire diabolique qui me contamine aussitôt. Enfin, l'atmosphère s'est adoucie et la main d'Astelle revient se serrer contre la mienne. À force de blablater, PP et Mama parviennent à nous rattraper. À tous les coups, ils ont dû perdre dix kilos à prendre le raccourci et malgré tout, ils ne rechignent même pas. Ce soir, les deux pokémons auront le droit à un festin.

« Courage mauvaise troupe, on est presque arrivé ! » j'encourage tout le monde pendant que je claque des dents. Il me reste encore de la neige sur mes cheveux.

« On est bientôt arrivées, tu disais ? Par quoi est-ce que tu veux qu’on commence ? Est-ce qu’on monte la tente ? Qu’on cherche d'abord du bois pour allumer un feu ? Ou alors, qu’on consolide nos provisions d’eau fraîche ? C’est la première fois que je fais du camping (ailleurs que dans mon jardin) !
- Héhé, tu vas voir, ça va être super chouette. D'autant plus qu'on a du soleil ! On va d'abord commencer par monter la tente et ensuite, on va manger. »

Je balance gaiement nos bras en guettant l'entrée du camping. Ça y est, j'aperçois le toit du chalet ! Nous y sommes presque.

***

Nous atteignons une immense clairière jonchée de mobilhome en tout genre. À l'entrée, un immense chalet en bois qui accueille les campeurs et fait office de restaurant et de supermarché. C'est bien d'aller dans la nature mais avoir des services et des personnes à proximité, c'est tout aussi important – si ils nous arrivent malheur, on saura à qui s'adresser.

Après avoir signalé notre présence à l'accueil, nous avons un espace attribué. Loin des petits pavillons en bois, près d'un ruisseau et la vue sur le volcan Eneka.

« Alors, qu'est-ce 't'en dis ma p'tite Astelle ? C'est pas genre magnifique et reposant ici ? »

Mes deux pokémons peuvent enfin se libérer du poids sur leur dos. Même si il fait encore frais en cette saison, cela ne les empêche pas de faire trempette dans le cours d'eau. Quant à nous, il est temps de monter la tente ! Fraîchement achetée chez Décap'thlon, elle se monte très facilement soit, comme indiqué sur l'emballage, en deux secondes. Moi qui me torturait jadis à monter des tentes qui se pètent la gueule toutes les cinq minutes, je peux vous dire que mon investissement va me changer la vie.

« Ça va être easy de monter la tente ! J'en ai acheté une toute neuve et t'as juste à la déplier, la planter et profiter ! Attends regarde, recule un peu ... »

Je la déplie soigneusement avant qu'elle prenne sa forme initiale.

« Tadaaa ! Y'a plus qu'à planter ! Aller on fait ça en deux deux et on va manger ! J'nous ai réservé une table pour ce midi et après, on ira acheter de quoi se faire des grillades pour ce soir ! »

Je donne trois crochets à Astelle et un marteau. La terre est un peu dure mais je parviens à les enfoncer dedans, jusqu'à la dernière attache. Malheureusement, ce qui doit arriver est arrivé : le marteau glisse sur mon pouce.

« AAAHH OUAÏïLLE UUGH P@TA*N, SA GRAND MÈRE LA P#*E ÇA FAIT MAAL »

Je m'en vais me consoler auprès d'Astelle.

« Buuh ch'uis pas douée, j'me suis fais mal avec le marteau ... Tu veux pas me faire un bisou magique ? »

La jeune fille a elle aussi ramené quelques sacs, je me demande quelles surprises se cachent à l'intérieur.

Modération:

— Alors, qu'est-ce 't'en dis ma p'tite Astelle ? C'est pas genre magnifique et reposant ici ? demanda joyeusement Manon.
Leur emplacement de camping avait tout d’un petit coin de paradis.
Astelle respira à pleins poumons. L’air était frais et délicieux. Le soleil, qui leur réchauffait la peau, faisait briller la neige d’un éclat doux. Une couronne de sapins vert sombre délimitait la zone tout en leur promettant un petit peu d’intimité, et le murmure du ruisseau qui s’écoulait à proximité avait quelque chose de chantant et de mélodieux.
La jeune fille avait de petites étoiles dans les yeux. ...elle allait rester ici, toute la journée avec Manon ? C’était…
— ...c’est parfait, Manon… dit-elle dans un souffle.
Astelle pressa doucement la main de son amie dans la sienne.

Après avoir fait signe à la jeune femme de se rapprocher un peu, afin d’épousseter les quelques flocons qui persistaient au sommet de sa tête, Astelle rejoignit la berge au petit trot. Extirpant son pack de Beerachu de sa besace, elle plongea les bières sous l’eau glacée, bien calées entre deux pierres.
— Je pense que comme ça, elles seront bien froides pour ce soir ! s’expliqua-t-elle auprès de son amie, en revenant l’aider à monter la tente.

Écoutant Manon, la grande spécialiste du camping, lui expliquer à quel point c’était du gâteau de s’installer, elle reçut trois crochets et un petit marteau des mains de son idole. Astelle était baba d’admiration.

— Tadaaa ! Y'a plus qu'à planter ! Aller on fait ça en deux deux et on va manger ! J'nous ai réservé une table pour ce midi et après, on ira acheter de quoi se faire des grillades pour ce soir !

Des grillades et de la bière fraîche pour le dîner…
Des marshmallow grillés et du chocolat chaud pour le dessert…
Ce soir, elles dîneraient en tête à tête sous les étoiles.
Juste toutes les deux, face à un bon feu de camp confortable, propice aux confidences.
En toute intimité. Astelle sentit son visage s’enflammer. Oui, dans ce genre de cas, elle oubliait systématiquement la demi-douzaine de pokémons qui seraient là, à observer par-dessus leurs épaules. Bonjour l’intimité.

Prétextant la fraîcheur du soir, peut-être même que la jeune fille aurait une occasion pour se rapprocher de son amie. Pour que celle-ci la prenne dans ses bras… ou alors, lui propose de partager ensemble une couverture.

(Notez bien que pendant qu’elle se perd joyeusement dans ses pensées…
...Manon trime toute seule pour monter la tente.)

D’ailleurs, las de voir sa petite dresseuse ne rien glander, Draco avait fini par perdre patience.
S’étant emparé des crochets puis du marteau d’Astelle, en y entourant sa queue, il était descendu se tortiller jusqu’au piton pour stabiliser la toile de tente de quelques coups bien sentis.
Cela faisait depuis ce matin qu’ils étaient en route, et après le Draco-Météore de tout à l’heure, le pokémon rêvait d’un bon repas chaud. Ses attaques avaient manifestement tendance à lui fatiguer très vite la gorge, car s’il était encore tout petit… et presque prématuré dans son évolution, la puissance avec laquelle il maniait ses capacités draconiques était à peine moins élevée que celle d’un Draco de taille plus régulière. Dans ces conditions, ce n’était pas étonnant qu’il ait si souvent tendance à se gripper !

— AAAHH OUAÏïLLE UUGH P@TA*N, SA GRAND MÈRE LA P#*E ÇA FAIT MAAL s’exclama soudain Manon, qui, décidément, ne ratait jamais la moindre occasion de se pulvériser les pouces ou les orteils.

— Oh non…! se récria Astelle, pas surprise pour deux sous. J’avais espéré réussir à conjurer le mauvais sort en t’offrant de meilleures chaussures de rando ! ...zut alors. Est-ce que je dois aussi te prendre des moufles ? Des gants en cuir de motarde, peut-être ?

— Buuh ch'uis pas douée, j'me suis fais mal avec le marteau ... Tu veux pas me faire un bisou magique ?

Astelle ouvrit gentiment les bras, laissant Manon venir à elle pour lui montrer l’ampleur des dégâts.
Remplaçant bien vite son petit air triste, un sourire doux vint éclairer la frimousse de la jeune fille. Elle aimait bien quand Manon était comme ça... Quand elle mettait un peu de côté sa façade plus macho (qu’elle adorait aussi !) et réclamait timidement un peu de tendresse. C’était d’autant plus rare qu’elle ne dévoilait sa fragilité qu’à condition de se sentir à l’aise. A condition de ne pas se sentir jugée.
La petite postière prit délicatement la main de son amie dans les siennes.  
—  Bien sûr que je veux te faire un bisou magique, chuchota-t’elle.
Et puis, du bout des lèvres, elle effleura délicatement l’ongle du pouce de Manon. Qu’elle embrassa peut-être un petit peu plus longtemps que nécessaire (mais qu’est-ce que vous y connaissez en bisous magiques, vous d’abord ?). Après quoi, libérant la main de son amie, Astelle tendit son propre pouce.

— Et moi ? Je peux en avoir un aussi ? demanda-t-elle avec un empressement qui n’avait… pas grand chose d’innocent, avant de réaliser que quelque chose clochait dans sa démarche. Parce que, euh… ah oui ! Ouille-ouille-ouille-le-marteau-de-sa-race ! Moi aussi, j’ai très très mal au doigt !

...
...
...

...ce gros mensonge déclencha un petit moment de silence gênant, seulement entrecoupé du bruit des coups de marteau que le petit Draco était encore en train de donner. Pour fixer la tente. A sa place. Pendant qu’elle se la coulait douce.

Astelle tourna la tête en direction du dragon rose, et eut la décence de rougir.



De son côté, Senpai rendait leur regard aux deux jeunes filles, l’air profondément blasé.
En ayant terminé avec les travaux, il fit tournoyer le marteau dans sa gueule, d’une façon qui lui donnait un petit peu l’air de dire…


— Si vous en avez bientôt fini avec la parade nuptiale, les poupettes…
...peut-être qu’on pourrait aller grailler quelque chose ?


Derrière-lui, Mamarex et Pépé semblaient du même avis...

Comme une maman, Astelle analyse mon bobo d'une mine soucieuse. Prenant ma main avec délicatesse, la jeune fille dépose un long bécot. Le contact de ses lèvres sur ma peau libère de l'enképhaline dans mon corps, se frayant un chemin jusqu'à mon cerveau pour apaiser la douleur. Magique.

« Aah ! Merci Astelle, ça va beaucoup mieux maintenant. J'pense que pour un cadeau d'anniv', des gants en cuir sont pas mal. D'autant plus que j'aimerais passer mon permis moto ...
- Et moi ? Je peux en avoir un aussi ? Parce que, euh… ah oui ! Ouille-ouille-ouille-le-marteau-de-sa-race ! Moi aussi, j’ai très très mal au doigt ! »

Tout d'abord surprise puis hilare, je suis prise d'un fou rire incontrôlable.

« T'es une superbe actrice ma belle ! Tiens, pour la peine ... »

Faisant la révérence telle une gentlewoman, je saisis sa main en douceur avant de lui donner un baiser. Jusqu'à me rendre compte que ce n'est pas exactement sur son pouce mais cela conviendra. Mes yeux fripons contemplent la demoiselle au visage cramoisie. Ce qu'elle est chou quand elle a les joues pourpres.

Me retournant pour reprendre les travaux, je constate que Draco s'est tapé tout le sale boulot. Les pokémons commencent à s'impatienter parce qu'ils ont faim et je les comprends car moi aussi j'ai la dalle. Avant d'aller manger, je m'approche de Mini-Senpai pour le féliciter.

« Merci Senpai, t'as géré ! Ch'ais pas comment tu t'es démerdé, mais t'as fais ça bien.

Je tapote gentiment sa petite tête.

« Tu vas pouvoir manger comme un roi ! Tu m'diras c'est quoi ton plat préféré, t'auras le droit au repas du chef. C'est moi qui régal ! »

Finalement, je reviens saisir la menotte d'Astelle pour l'emmener avec les pokémons manger.

***

Le chalet est très chaleureux. Il accueille une tonne de campeur venue passer le séjour ici. Le menu promet, nous n'avons plus qu'à nous installer. Une serveuse nous amène à une table, près d'une fenêtre avec la vue sur les montagnes. Le crépitement du feu trônant au milieu de la salle rend cet endroit d'autant plus cosy.

« T'as vu Astelle, cette vue ! On a sûrement la meilleure table du resto' ... »

Très vite, un serveur nous apporte le menu et nous propose quelque chose à boire. Pour fêter l'anniversaire, je demande carrément un verre de champagne.

« T'en voudras aussi du champagne ma belle ? Sinon ils ont du Champomy, si tu préfères. »

Après avoir pris en considération notre demande, nous pouvons choisir nos plats.

« Qu'est-ce qui te tente ? J'ai vu qu'ils font une superbe salade végétarienne, ils ont un menu assez variés et minimaliste à la fois ! »

Personnellement, je vais jeter mon dévolu sur le choux farcis à la viande, accompagné d'une purée de pomme de terre à l'ail, à la crème fraîche et aux morceaux de Tome. Un plat typique de la région qui me met l'eau à la bouche ! Le choix étant fait, je repose la carte sur la table. En attendant qu'Astelle prenne une décision, je contemple par la fenêtre le magnifique paysage qui s'offre à nous.

Modération:

— T'es une superbe actrice ma belle ! Tiens, pour la peine …
Avec l’élégance d’un prince, Manon récompensa son jeu d’acteur (et sa bêtise) d’un doux baise-main, qui fit remonter de petits frissons agréables tout le long du corps d'Astelle. Ramenant précieusement son pouce contre sa poitrine, la jeune fille… se demandait s’il y avait moyen d’en réclamer un deuxième lorsque son amie décida qu’il était plus que temps d’aller manger !

Se préparant à suivre Manon jusqu’au restaurant, elle tira discrètement la langue à son Draco.
...qui fit de même en sa direction.

***

— T'as vu Astelle, cette vue ! On a sûrement la meilleure table du resto' …
La jeune fille hocha la tête avec le sourire.
La fenêtre s’ouvrait sur un monde de blancheur absolue. La vue, vertigineuse, les précipitait tout en bas de falaises glacées, sur lesquelles les rayons du soleil s’écoulaient en ruisseaux de lumière. Sur les sentiers enneigés, de petits pokémons d’hiver se retranchaient vers les profondeurs des gorges. Là où le froid serait le plus intense, et le plus confortable pour eux.

Plus important, maintenant qu’elles étaient installées, Manon lui proposait de choisir sa boisson !
Alors, champagne ou… champomy ? Astelle fit la moue.
— ...comment ça, du champomy ? Namého, tu m’as bien regardé, Manon ? Allez, fais couler les bubulles ! lança joyeusement la petite postière en avançant son verre.
Ses yeux pétillaient. Elle avait dix-huit ans aujourd’hui… et n’avait donc plus besoin de boire de l’alcool en cachette ! Elle remercia Manon de lui faire le service, mais seulement après s'être assurée que celle-ci remplissait son verre à ras-bord.

— Qu'est-ce qui te tente ? J'ai vu qu'ils font une superbe salade végétarienne, ils ont un menu assez variés et minimaliste à la fois !
S’emparant également du menu, la jeune fille fit son choix.

Pour Senpai, de grosses pancakes moelleuses, à engloutir sous plusieurs garnitures au choix : du bon miel d’Apitrini, de la chantilly vanillée, des baies Remu et une banane bien mûre de Tropius coupée en tranches. Pour qu’il n’en mette pas partout, Astelle voulut prendre soin de lui découper des petits morceaux… avant que le Draco ne lui fasse remarquer qu’il savait très bien se servir d’un couteau et d’une fourchette.

L’air vaguement suffisant, le pokémon commença son repas.
Ses bonnes manières étaient impeccables.

Et puisque c’était l’occasion rêvée, Astelle imita son amie et sélectionna également un plat typique de la région : roboratif, recouvert d’une avalanche de fromage coulant et odorant, qu’elle aurait toutes les peines du monde à terminer !

(Au cours du repas, il lui faudrait pas moins de deux interventions de Manon pour l’empêcher de s’étouffer avec ses pommes de terre, son gratin et ses légumes noyés sous le fromage fondu. C'était pas de la rigolade, ces repas d'alpinistes chevronnés !)

— J’espère que tu n’as pas prévu trop de sport pour le reste de la journée, car je ne suis pas sûre que je serais encore capable de bouger après avoir mangé tout ça !
Néanmoins, en attendant, la petite postière redemanda à ce qu’on remplisse son verre de champagne, et dévorait son gratin avec bon appétit !

Astelle est une grande fifille, pour sûre elle prend du champagne ! Un énorme sourire s'affiche sur mon visage : bienvenue dans mon monde ma petite, tu verras, tu n'arriveras plus à t'en passer. Tout comme Draco, Mama et PP ont le droit à un menu. Granbull choisira de la moelle bien juteuse tandis que Kangourex optera pour une salade aux graminées et à l'écorce ainsi qu'une glace à la Baie Pêcha pour son petit. Nous nous régalons avec le plat régional. Le fromage au lait d'Écremeuh me bourre l'estomac mais mon appétit est toujours grandissant. Comment résister à ces patates nappées de fromage fondu ?

« J’espère que tu n’as pas prévu trop de sport pour le reste de la journée, me dit Astelle en dégustant son repas de montagnard, car je ne suis pas sûre que je serais encore capable de bouger après avoir mangé tout ça ! »

Je me vautre sur mon siège, le bidon à l'air. Je pousse un long soupir d'aise avant d'avaler d'une traite le champagne qu'il me reste.

« Aaah je sais pas si c'était une bonne idée ! T'façon je voulais qu'on fasse un truc plus posé aujourd'hui, qu'on profite de l'instant présent tu vois ... on est pas toujours obligé de se chamailler et d'faire des courses dans la boue ! »

Un reflux gastrique perturbe ma réponse. Mes pokémons semblent tout aussi heureux de manger un si bon plat. Ce restaurant est super, je comprends pourquoi ce camping est aussi bien noté. Je me ressers un verre d'alcool après avoir rempli celui d'Astelle, puis je questionne la demoiselle avec un sourire hilare aux lèvres.

« Dis moi ma belle ... Ça te fait quoi d'avoir 18 ans ? Y'a des ... trucs que t'as envie d'essayer mais que t'avais pas l'occasion de faire avant ta majorité ? À part boire de l'alcool ... »

Je fais tourner le liquide dans mon verre, les yeux au plafond et le regard devenu lubrique.

« Moi, avec des potes on est allé en boîte de nuit ... pis dans un bar à hôtesse. Et j'avais l'impression d'être une adulte en faisant ça ! C'était plutôt rigolo. »

Je pouffe de rire en avalant une gorgée de champagne. Il faut dire qu'Astelle et moi n'avons pas forcément eu le même vécu ni la même personnalité, ses envies doivent être toutes autres et j'aimerai les connaître.

Soudain, des cris fusent dans la salle. Des enfants paniqués, des mamans apeurés et des darons qui tentent de faire les braves mais qui n'y arrivent pas. Les serveurs, désemparés par la situation, s'en vont appeler le manager. Car, planté devant l'entrée, un Rhinocorne un peu pataud déambule dans le restaurant.

Pauvre Gégé. Attiré par la bonne odeur de bouffe, il ne peut s'empêcher de chiper dans les assiettes des clients. Ignorant les cris et les missiles jetés sur lui, Gégé s'aventure dans le restaurant. Il finit par venir voir la fondue des deux jeunes filles, appâté par l'odeur du fromage. Pas de chance, le pokémon est mal tombé : une spécialiste du type Roche s'éprend de lui. La jeune fille aux tâches de rousseurs lance une Pokéball dans sa direction.

« Viens par là toi ! »

N'étant pas très agile ni rapide, le Rhinocorne se laisse attraper. Manon récupère la pokéball qui s'agite. Elle lui murmure :

« Promis, si tu restes avec moi, tu pourras avoir autant de fromage que tu souhaites. »

La jeune fille, les yeux brillants, se tourne vers Astelle avec un grand sourire pour lui exhiber sa trouvaille.

« T'as vu comment il est trop mignooon ! J'espère qu'il va rester avec moi ... J'pense l'appeler Gégé. Il fera parti de ma super team de cailloux balaises ! »

C'est aussitôt décidé.

Modération:

Astelle dévorait de bon appétit.
Les pommes de terre au four étaient moelleuses, le fromage fondant et les légumes grillés croquants à souhait. La nourriture formait un piton dans son assiette, laquelle était noyée d’une sauce alpine blanche et crémeuse : de quoi prendre dix bons kilos d’un seul coup !

— Dis moi ma belle ... lui demanda Manon. Ça te fait quoi d'avoir 18 ans ? Y'a des ... trucs que t'as envie d'essayer mais que t'avais pas l'occasion de faire avant ta majorité ? À part boire de l'alcool …

Voilà qui demandait réflexion. Une énorme patate plantée sur sa fourchette, Astelle médita la question. Ne plus avoir à boire en cachette dans le verre de son amie à chaque fois qu’elles allaient au restaurant lui changerait certes la vie, mais il y avait d’autres petites choses qui lui venaient à l’esprit.
Des projets que son jeune âge ne lui permettait pas de concrétiser.

— Moi, avec des potes on est allé en boîte de nuit ... pis dans un bar à hôtesse. Et j'avais l'impression d'être une adulte en faisant ça ! C'était plutôt rigolo.
Un… bar à hôtesses ? Astelle se gratta la joue.
Non, l’idée ne lui disait trop rien. Ses souhaits, ses désirs à elle, étaient plus... ambitieux ?

— Je voudrais décrocher une licence pour travailler en tant que Ranger. Maintenant que j’ai dix-huit ans, il y aura beaucoup moins de restrictions compliquées. Je voudrais voyager aussi, et puis…
Astelle s’interrompit, et après une hésitation, couva son amie d’un regard attendri.

— ...quitter la maison pour emménager quelque part dans le Centre de Lumiris.
Avec toi.

— Un endroit d’où on pourrait facilement accéder à l’ensemble des destinations de l’île. Se servir de ce pied-à-terre pour poursuivre plus sérieusement la collecte de badges, et peut-être préparer une participation future au tournoi de la ligue.
Zut. Elle n’osait pas le lui dire. Lui proposer d’emménager ensemble. L’inclure dans ces projets...
C’était trop tôt. Trop risqué de lui demander ça maintenant, en plein week-end de camping : elle ne saurait pas comment se comporter si Manon se dérobait.
...déçue d’elle-même, Astelle noya sa lâcheté dans son verre de champagne.  
Et replongea dans son assiette de pommes de terre. Leur goût crémeux faisait du bien à son cœur, fragile et terrorisé à l’idée qu’on puisse le briser.

Ce repas paisible, toutefois, n’allait pas durer.
Un Rhinocorne égaré fit bientôt son apparition dans le restaurant. Rien de bien menaçant, de prime abord. Le bestiau rocailleux se contentait de fureter d’une tablée à l’autre pour quémander un peu à manger. Et si sa corpulence et la gourmandise avec laquelle il fourrait sa gueule dans les assiettes, au risque de fracasser la vaisselle, avaient de quoi impressionner les touristes, n’importe quel dresseur un peu habitué à croiser le chemin de pokémons sauvages ne s’en serait pas inquiété. Cependant…

...tout changea lorsque Manon essaya de le capturer.

Se libérant presqu’aussitôt de la pokéball, le Rhinocorne poussa un puissant Hurlement !
Leurs instincts stimulés par ce cri, les pokémons de l’assistance eurent tous un mouvement de recul, Draco-senpai compris, qui abandonna ses pancakes pour promptement s’enrouler autour du cou d’Astelle.
Parmi les pokémons qui assuraient le service, un Lipoutou et un Mr. Mime de Galar lâchèrent promptement les plateaux qu’ils apportaient aux clients, et se recroquevillèrent avec effroi. Les gens commencèrent à pousser des cris de panique. A se lever brusquement pour s’éloigner de l’intrus. Et toute cette agitation ne fit que stimuler davantage sa colère.  

Rhinocorne chargea. Ses pas pesants laissèrent de profondes empreintes sur le plancher. Lancé à travers le restaurant, il rencontra une table, qu’il encorna sauvagement, projetant des débris de bois, de vaisselle et de nourriture dans les airs. La nappe se prit sur les protubérances rocheuses de son crâne, et aveuglé, sans pourtant s’arrêter, le pokémon exécuta un virage maladroit, percutant un obstacle après l’autre. Gêné par la nappe qui bloquait son champ de vision, il tâchait manifestement de s’en débarrasser en ruant comme un forcené, laissant une nouvelle série d’impacts sur le plancher, mais sans parvenir à ses fins.

Choquée par ce déchaînement de violence soudain, Astelle était d’abord restée bouche-bée. Aussi paralysée que les autres pokémons par le premier Hurlement. Toutefois, les cris de la clientèle la rappelèrent bien vite à la raison. Sans réfléchir, la petite postière bondit de sa chaise et s’élança à travers le restaurant, à la poursuite du Rhinocorne forcené.