La nouvelle maison
Je me suis perdu vers Voltapolis.
Qu'est-ce que j'ai à faire là-bas ? Je sors pas, d'habitude.
Oui, y'a jamais rien qui me pousse à sortir depuis longtemps. Pourtant depuis quelques semaines j'ai besoin d'air ; besoin d'aller loin, de m'égarer en chemin. Oublier les problèmes comme on peut oublier les choses, apaiser un peu la peine sur mon cœur si rien ne suffit à s'en débarrasser. Et mes Pokémons ont besoin d'air, ils ont besoin d'être proches de la nature pour l'apprécier.
Alors qu'est-ce que j'espérais accomplir, en venant près d'un lieu de haine, complètement dévasté ?
Parfois je me demande si j'avais pas juste tout qui déraillait.
Je devais juste aller vers Némérya ; m'y rendre déposer un colis comme on me l'avait demandé, c'était tout ce qu'il y avait. Endormi sur le sofa comme à mon habitude j'avais entendu sonner à l'appartement, et en quelques secondes on avait déchargé quelque chose dans mes bras avant de me laisser seul avec ça. Sur le dessus une lettre ; c'était de ma collègue qu'elle provenait, celle qui me prêtait son appartement parce qu'elle était toujours à l'étranger.
« Mon petit Arya,
je devais envoyer ce colis à ma cousine mais je voudrais que tu t'en charges. Je sais que c'est pas la forme en ce moment alors je me disais que ça te ferait du bien de sortir. Elle vit à Nemerya, ce n'est pas très loin de Sunyra. Fais-y attention, c'est précieux !
Et ne t'avises surtout pas de l'ouvrir. »
Mais quand j'avais pris mon vélo pour repartir c'est comme si une force invisible m'avait poussé à m'éloigner plutôt que de me rapprocher de là où je devais aller ; les ruines de la cité déchue n'étaient pas si loin et au fond,
je voulais savoir à quoi ça ressemblait.
Quel spectacle désolé.
Un terrain vague et quelques habitations qui subsistaient encore -ça faisait bizarre de ne plus voir resplendir sa gloire d'antan. En quelques instants j'imagine à nouveau l'horreur que ça aurait pu être de s'y retrouver ;
l'horreur que ça devait être pour ceux qui y étaient.
Ça faisait beaucoup de peine, de la voir dans cet état-là.
Et j'arpente la cité fantôme avec le cœur un peu lourd, l'esprit un peu sombre ; je me sens pas vraiment triste parce qu'au final, je la connaissais à peine et je suis toujours un peu vide,
depuis que l'été s'est fini.
C'est ironique, quand même, de voir le soleil colorer ces décombres, comme s'il se vantait de la splendeur qu'il avait toujours, cette splendeur qu'à elle on avait volée. J'imagine même pas ce que ça pouvait être d'y avoir vécu ou d'y vivre encore. Sans doute les spectres du passé continuaient-ils de hanter cette ville à jamais, condamnés à n'être plus que l'ombre d'un rêve qui s'était envolé.
Tout était terne et mort,
difficile de croire qu'un jour ça ai pu être un endroit illuminé.
Et finalement je m'égare au creux de l'après-midi, dévoré par l'horizon qui avale chacun de mes pas, chacune des traces que mon vélo laisse sur le sol alors que j'avance. Grâce sommeille dans mon sac à dos, depuis longtemps elle a pris la place que tenait Arabesque à l'époque où elle n'avait encore que sa plus jeune forme. Je me demande comment elle parvient à rester sereine, alors que je pédale si vite que je tangue dans tout les sens.
Ça m'arrive, parfois, de subitement accélérer.
Sans raison apparente,
juste pour me défouler quand les émotions confuses viennent me submerger.
J'ai tracé ma route sur un chemin qui se faufile au creux des arbres, dans une petite forêt, pensant que l'air si familier de la nature pourrait m’apaiser. C'est la seule chose que je parvenais réellement à aimer, quand je sortais.
Quitte à me perdre ici autant que ça serve, je voulais en profiter pour libérer un peu mon équipe -et pour me reposer. Au bord de la route mon vélo dérape et je manque de tomber ; j'ai mal géré mon arrêt. Un soupir agacé et je pose pieds à terre, mon véhicule s'appuie contre un arbre et je m'y laisse glisser. Réveillée par la secousse, Grâce a déjà sauté et maintenant elle gambade joyeusement au sol, ravie de savourer sa nouvelle liberté. Arabesque la rejoint parce que dans mon semblant de chute sa Pokéball s'est envolée, et les autres roulent maintenant sur le sol, elles sont tout près.
Quelque chose m’interpelle avant que je n'esquisse le moindre autre geste ;
il y a comme de l'agitation non loin derrière mais elle est faible, je sais pas vraiment ce que c'est. J'y porte pas beaucoup d'attention cela dit, si c'était dangereux ça m'aurait déjà attaqué.
J'ai jamais été très prudent, je sais.
Tous se libèrent, Lullaby et Jazz visiblement ravies, et une main hésitante glisse sur la balle de Nocturne, elle encore captive. Mes yeux rivés sur elle je sens mon cœur se serrer.
C'était Damien qui me l'avait confiée...
et c'était comme si un rien suffisait à me ramener à lui.
J'ai des remords -d'avoir fait tout ce que j'ai fait. M'occuper d'elle c'était la seule chose que je pouvais encore correctement faire, pour me prouver que malgré la distance je l'avais pas abandonné ; mais c'est difficile, j'ai du mal à la gérer.
Pourtant cette fois je lui laisse la liberté de sortir parce que je suis pas un tortionnaire,
et elle en a besoin
je le sais.
«
Désolé de t'avoir autant gardée enfermée... »
Le regard rempli de remords je l'observe se défouler ;
heureusement elle ne s'en prend pas aux autres, elle a juste besoin de beaucoup bouger. Et les bruits d'agitations se font comme un peu plus présents, caché où je suis j'avais pas vraiment remarqué. Quand je tourne la tête je vois qu'il y a quelqu'un, au milieu d'un attroupement de pokémons et ils ont l'air de s'entraîner ;
pas menaçants, donc,
j'ai pas de raisons de m'en soucier.
Mais Nocturne et moi on a jamais partagé les mêmes pensées.
L'agitation, elle veut s'en approcher.
Alors quand dans sa course je la vois dériver du chemin, je sens une boule de panique m'envahir et même si c'est maladroit, je suis obligé de la rattraper. Et si elle se blessait ? Qu'elle se mettait en danger, ou même qu'elle se perdait ?
S'il lui arrivait quelque chose Damien me le pardonnerait jamais ;
moi aussi, je me le pardonnerais jamais.
Il ne me faut pas trop de temps pour l'atteindre et je me jette dans sa direction, parvenant à la garder dans mes bras -mon étreinte la calme un peu, même si elle essaie de se dégager. Ma tête tourne et mon souffle est court, autant d'efforts ne m'a jamais bénéficié. Je reprends ma respiration comme je peux ; et le décor flou reprends forme autour de moi, j'ai enfin conscience de là où je me suis retrouvé.
Un groupe de Pokémon, et face à moi un Nidoking et une femme que je n'ai pas encore osé regarder.
Occupé à garder les yeux rivés sur mes mains je me confonds en excuses, balbutiant des signes dont je n'ai pas encore conscience de l'inutilité.
-
Je suis désolé d'avoir interrompu votre entraînement, je l'ai sortie pour se défouler et... elle a voulu voir ce qu'il y avait ici de plus près. Il me faut à peine quelques secondes en me rendant compte que des chances qu'on me comprenne, y'en a pas vraiment ;
je sais que je dois stopper ce réflexe mais c'est pas ma faute,
c'est ma langue
et je m'exprime en la parlant.
Ft. Capucine-Arya signe en italique
-Arya écrit en gras
-Arya pense entre « »