Esil ne s’était pas préparée à une telle colère, à une telle déferlante de haine et d’animosité.
Quelque part, elle n’en aurait même pas crû Lyanora capable.
Cette aura de candeur solaire qu’elle dégageait lorsque l’assistante était entrée sur le terrain s’était complètement éclipse au profit d’une noirceur spectaculaire.
D’une franchise vindicative.

Et si, au final, Lise ne récoltait que le fruit mur de ses actes?

Réduite au mutisme par l’éclat de tonnerre qui envahit le château, Esil admire.
Elle n’ignore pas la présence des caméras; fruit de l’égocentrisme de sa patronne. Les mots de Lyanora se gravent entre les murs de l’arène, s’impriment sur l’écran des spectateurs et s’immortalisent dans l’univers.
Maintenant, l’assistante en est convaincue : il ne lui reste que quelques heures à servir Lise.
À son retour, nul doute possible que son licenciement sera le premier mandat de la reine… Et comment pourrait argumenter contre tant de preuves accablantes?
Dans sa trop grande honnêteté, Esil a été maladroite. Elle a alimenté la rivalité que partagent les deux femmes; s’est improvisé actrice dans la mauvaise scène.

Elle aurait pu se taire.
Elle aurait dût, même.
Elle ne l’a pas fait.

“Montrez-lui votre valeur.”, répond-t-elle simplement. “Prouvez-nous à quel point vous êtes méritante et faites de l’ombre à ce que que vous exécrez.”
Siffle-t-elle en dardant son regard sur son adversaire.
“C’est votre seule chance de briller, Lyanora.”, en l’effaçant.
En la réduisant au simple souvenir, en s’élevant plus haut que Lise.

Quelques secondes plus tard, lorsque Nova s’écroule au sol, exténuée, Esil ferme doucement les yeux.
Immobile, elle prend une grande inspiration.
Sa main glisse vers la pokéball dans laquelle elle rappelle la dragapult. Reconnaissante, elle pose ses lèvres contre le métal froid de l’objet puis le couvre d’un regard tendre. “Repose-toi, Nova. Tu as merveilleusement combattu.”
Sa voix n’est qu’un murmure, n’a pas pour ambition d’être entendu par quiconque de l’autre côté du terrain. Sous la lumière des lampions, le silence et le calme règnent de nouveau sur l’arène.
La scène est presque surréaliste, comme une accalmie volée aux sentiments éclatés. C’est étrange, de se dire que tout est terminé.

Malgré tout, Esil ne reste pas longtemps dans la contemplation.
Relevant son regard vers Lyanora, elle lui adresse un sourire sincère : “Félicitations, tu as réussi.” Comme si elle avait fait sa toute sa vie, Esil claque alors des doigts à l’attention d’un autre employé qui se précipite aussitôt à sa rencontre. Entre ses mains un peu tremblantes, une petite boîte noire que la « maîtresse des lieux » lui reprend d’un mouvement respectueux et de remerciements silencieux.
Face à Lyanora, elle l’ouvre alors; dévoilant les contours parfaitement scintillant du badge…. Du badge de Lise dont j’ignore le nom. Le badge hairflip.
Peu importe.

À la lumière des flammes, les reflets orangés mettent en valeur les teintes assombries de violet. Il est magnifique, pas besoin d’en apprécier la détentrice pour le reconnaître. “Il est à toi désormais, prends-en grand soin.”, déclare-t-elle humblement. “Bonne chance pour la suite de ton aventure Lyanora…” Elle a bien aimé leur rencontre, leur tête-à-tête improvisé.

“Pense à moi, le jour où tu seras enfin championne.”

C’était un récit fascinant.
De ceux dont Lise ne se serait définitivement jamais vanté.

Maintenant, Esil comprenait mieux le voile de mystère qui entourait les événements de la croisière. Comment pouvait-on garder la face devant un tel échec?
L’assistante elle-même n’aurait pas osé exposer les détails de son escapade… Et dire que c’était pour ce genre de personne qu’elle travaillait.
Prenant une grande inspiration, elle rive son regard sur Lyanora. On ne pouvait pas improviser une telle histoire. La jeune femme avait parfaitement discerner la haine qui liait la championne et sa challengeuse, c’était des sentiments que l’on ne pouvait inventer.

Lise exécrait Lyanora et il y avait forcément une raison à cette colère sans nom.

Maintenant, Esil la comprenait. L’humiliation, la frustration; tant de sentiments liant les deux Némésis. Au final, en remplaçant Lise, c’était à un véritable affrontement par cent fois plus grand qu’un arène qu’Esil avait mis fin… Et, quelque part, cela la rendait mal à l’aise.
Ce n’était pas sa faute, bien entendu.
Elle n’était qu’une victime placée au centre d’un terrain déjà miné, mais tout cela la dépassait. Et elle n’était pas assez stupide pour ne pas le remarquer.

“Vous connaissez le principe du mensonge par omission, mademoiselle Lyanora?”, s’informe-t-elle d’une voix assurée. Malgré tout, sur le territoire de sa patronne, Esil n’était pas en droit de s’exprimer comme elle l’aurait souhaité, “Madame Lise ne nous a jamais parlé de vous ni même n’a mentionné votre existence.”

La croisière n’était peut-être pas un tabou, mais elle n’était pas le sujet favoris de la maison.

“Tout ce que nous savons, c’est qu’elle a on ne peut plus mal vécu votre victoire lors de Miss Lumiris… Apparemment que mademoiselle Kisara aurait été plus méritante que vous à l’obtention de ce titre.”

Haussement d’épaules détaché alors que la remplaçante au titre se craque le cou puis roule les épaules.

“Ma patronne ne parle pas de ses échecs. Cela vous surprend-t-il?”

Le combat lui parait presque secondaire, quant bien même Lyanora a fait tout ce chemin pour l’obtention de la broche symbolique. Quelque part, Esil est en colère.
En colère d’être au service d’une illusion, de se damner pour une fausse idéologie. Et cela lui donne au moins la force de reprendre l’affrontement de plus bel.

Serrant les dents, Esil assiste, impuissante, à la chute de la Flapple sur Nova. Celle-ci, sonnée, met un temps à réagir à ce qui vient de lui arriver.
Malgré tout, pas question d’offrir le champ libre à son adversaire pour l’achever sans s’être défendue. “Nova! Feu follet, maintenant!”, hurle-t-elle en profitant de l’interlude pour placer sa propre attaque.
Le souffle-court, elle regarde le dragon hanté par les flammes fantomatiques alors que le soulagement s’empare d’elle. Il n’y a qu’ainsi que Nova peut se permettre de résister à l’attaque bien sentie du dragon sur l’autre.
“Pas mal, vous avez bien failli m’avoir…”, siffle-t-elle.

Elle a déjà perdu l’avantage de la situation.
Nova peine à se tenir debout, à continuer l’affrontement.
Ça ne lui plaît pas.

“Finissons-en, maintenant!”

Lyanora est un drôle de personnage.
Esil le comprend enfin.

Sa spontanéité et sa franchise heurtent les habitudes déjà bien installées d’Esil qui, disons-le, n’est pas accoutumée à tant de clarté.
Et en apprenant la vérité sur sa patronne, sur le voile levé des événements de la croisière, elle ne peut s’empêcher de grimacer. Est-ce vraiment à ce type de personne qu’elle a accepté de dédié sa vie? Dans lequel elle a investie son avenir? Esil doute.
Privée de l’envers de la médaille, toutefois, l’assistante ne dit rien de plus. Dans sa tête, les pièces s’agitent; se replacent entre elles. Les mots de Lyanora la travaillent, certes, mais il est encore trop tôt pour dire à quel point.

À la place, elle tente de se concentrer sur le déroulement du combat.
Comme prévu, l’attaque de Nova fait beaucoup de dégâts dans le camp adverse. La panique qui traverse le regard de la challengeuse n’est pas pour déplaire à la pseudo championne dont l’unique souhait est de prouver que, elle aussi, elle sait se battre.
Oh, pas au point de mener Lyanora à la défaite à tous prix… Mais assez pour qu’elle comprenne qu’elle n’est pas à sous-estimer. Qu’Esil n’est pas une amatrice, que son statut d’assistante n’est pas une excuse pour la mépriser.
Et visiblement, son agressivité porte fruit.

“Je peux comprendre que le caractère de ma patronne puisse déranger...”, déclare-t-elle au bout d’un moment, “ Elle n’est effectivement pas toujours facile à vivre.”

Et si Esil possédait devant-elle l’ouverture vers une nouvelle vie? Et si… Lyanora essayait de la manipuler?

“Dites-moi, mademoiselle Lyanora, comment vous en êtes-vous tirée d’affaires finalement?”

Elle a besoin d’approfondir le récit, elle ne peut pas se permettre de laisser le nom de son employeur être sali si les faits ne sont pas exactes ou avérés.
Esil n’est pas une petite chose facile à influencer, elle a plus de caractère que ça… Et elle se refuse le luxe d’être simple d’esprit.

Voyant le Flapple de l’adversaire revenir sur le terrain, Esil arque doucement un sourcil : “Vous aviez tout prévu… Fascinant.”, murmure-t-elle avec amusement.
L’assistante a assisté au match depuis les coulisses, elle en connaît le déroulement et, surtout, elle sait que la pomme dragon n’était pas en aussi bon état lorsque, quelques minutes plus tôt, elle avait affronté l’exagide de la maîtresse des lieux.

“Nova! Prend l’offensive et offre lui un accueil digne de ce nom. Ça lui donnera un avant-goût de ce qui l’attend!”

Amusement.

“On verra combien de temps il peut encaisser.”

Esil n’avait toujours eu que Lise comme patronne, elle en connaissait donc chaque travers et chaque défaut.
De ce simple fait, elle comprenait le soulagement sur le visage de Lyanora. Il fallait des épaules solides et un dos large pour supporter Lise plus de quelques minutes… Mais peut-être devrait-elle s’abstenir de tout commentaire.
Après tout, assistante ou pas, Esil demeurait employée de l’arène.
Ses fins de mois, c’est en grande partie à Lise Grey qu’elle les devait.

L’excitation de la jeune femme à son arrivée ne laisse pas la championne remplaçante de marbre : Lyanora a de l’énergie, ça lui servira.
Et ça rendra sans aucun doute l’affrontement palpitant.

“Je te laisse en juger.”, répond-t-elle humblement.
La prochaine question, toutefois, la prend de court. Surprise, Esil fronce légèrement les sourcils en détaillant son adversaire du regard.
Évidemment, Lise ne s’était jamais vanté de cet exploit; ne s’était jamais spécialement épanché sur les événements marquants de la croisière. En tous cas, pas auprès de la jeune femme.
Les références lui manquaient.
“Eh bien… Je ferais mon possible pour t’aider et ferais regretter à ton agresseur d’avoir osé.”, hasarde-t-elle, “Je déteste la lâcheté de ceux qui ont besoin de se cacher derrière un otage pour parvenir à leurs fins...”
Ce dernier commentaire, c’est surtout à elle-même qu’elle le souffle. Parce qu’Esil possède son propre bagage et passé qu’aucune présentation n’a jamais détaillé, mais qui suffisait à justifier un caractère vengeur et sanguin.
Un caractère qui ne craignait pas d’en arriver aux poings.
“Je lui ferais bouffer le  prix de son affront et m’organiserait pour qu’il ne puisse plus jamais enfanter… Tout simplement.”, qu’importe qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme.

L’ombre d’un sourire pour seule conclusion, elle ramène alors son attention sur l’affrontement. Satisfaction.
Esil connaissait bien Liligant, un vieux traumatisme – sans aucun doute.
Elle avait prévu que Lyanora se focaliserait sur les dégâts de statuts, qu’elle veillerait à soigner plutôt qu’à attaquer… Mais aussi que les pokémons plantes comme sa charmante étaient souvent de très mauvais attaquants physiques.
Au contraire de Lanssorien. C’était exactement ce qu’elle voulait.

Serrant légèrement les dents, Esil regarde Nova se prendre de plein fouet la pluie de graine qui s’abat avec violence sur elle. Soucieuse de la santé de son Pokémon – Du pokémon de sa patronne, la championne remplaçante la fixe d’un œil protecteur.
“Tout va bien, Nova?”, s’enquit-elle, d’une voix réservée.
Heureusement, le Pokémon ne tarde pas à se relever; l’air d’avoir été à peine éraflé.
“Bien...”
Heureusement que l’affrontement n’est pas terminé, un KO aussi rapide l’aurait certainement humiliée.

“Nova, tu es la plus rapide des deux. Profites-en, ne lui laisse surtout pas l’opportunité de se soigner!”
Plus Liligant s’attardait sur le terrain, plus elle était redoutable. L’expérience d’Esil le lui avait appris.
Elle ne comptait pas lui offrir la moindre ouverture.