J’avais le souffle court et la vision trouble. Je n’aurai jamais cru avoir à courir comme ça dans ma vie. Ou alors pas comme ça. Je m’en veux terriblement pour cette inattention. Non, ce n’était pas de l’inattention, mais de la prétention. Je suis trop sûre de moi, trop forte et trop puissante, pour pouvoir imaginer perdre ou être en danger. C’est vrai, en y repensant. Même enceinte, j’ai réussi à tuer un homme qui me menaçait d’un fusil à pompe tout en blessant un salopard. Même dans une position que j’estime être impotente, je suis plus dangereuse que n’importe qui. Alors évidemment, un sentiment d’invulnérabilité s’est installé dans mon esprit et sans m’en rendre compte, je suis devenue imbue de moi-même et sûre de ma force.

Et cette prétention a failli coûter cher, très cher. Je m’en veux bien plus qu’on pourrait le croire. Je ne suis pas passé loin de la mort, et ce n’est pas un euphémisme. Et ma mort aurait été bien plus tragique que ma simple disparition. En tant que championne, je suis remplaçable, j’ai même entrainé quelqu’un pour le faire. Ethan est un nul, mais c’est le meilleur des nuls et il ne veut pas rester médiocre. Sans compter son amour pour les Pokémons et surtout, les types Glace, qui ferra de lui un très bon gardien de l’arène et de la forêt qui l’entoure. Non, ce n’est pas mon rôle de championne qui me retient sur terre, et certainement pas ma simple personne. Ma disparition fera certainement beaucoup plus d’heureux que de gens tristes, et de très loin.

Mourir, ce serait abandonné Ange, laissée mon bébé, ma petite fille, vivre le même enfer que moi. Ce serait ne pas la voir grandir, lui dire que je suis fière d’elle, l’aimer de tout mon cœur, la consoler, jeter des pierres dans les fenêtres des garçons qui lui briseront le cœur, jouer, lire des contes. Je meurs trop tôt, elle m’en voudra pour l’avoir laissée. Je ne veux pas qu’elle grandisse en ce demandant ce que j’aurai pensé de ses actes, ou qu’elle gâche sa vie à essayer de me ressembler sans savoir ce que j’étais.

J’ai couru dans la neige, dans une fuite éperdue. J’ai couru pour éviter qu’Ange ne vive ce cauchemar. La neige a ralenti mes pas, devenu lourd par la fatigue. Après ma grossesse, j’ai rapidement repris les entrainements et presque retrouvé ma forme passée. Presque. Tout est dans ce mot. J’ai trébuché sur la poudreuse et me suis étalée de toute ma longueur. Poussant sur mes bras, j’ai repris ma course effrénée, laissant derrière moi une trace rouge à l’odeur ferreuse. J’avais du mal à voir devant moi, un œil fermé, et l’autre commençant à voir trouble. Une racine dissimulée dans la neige attrape mon pied et je m’écroule de nouveau.

Deux fois. Je suis tombée deux fois. Ça n’arrive jamais. La douleur des coups que j’ai reçus vibre dans tout mon corps alors que je percute le sol enneigé. J’ai pourtant l’impression d’être sortie de mon corps, de me regarder au sol. Est-ce que j’ai froid ? Aucune idée. Mais il faut que je me relève.

Derrière moi, j’entends des pas lourds approchait. Est-ce mes poursuivants ? Je me redresse, me mets sur mes pieds mais oscille dangereusement. Il faut que je reprenne ma course, pour me mettre à l’abri. De la neige s’est glissée dans mes vêtements et bientôt, je serai trempée en plus d’être épuisée et blessée. Et dans la forêt, ce n’est pas une bonne chose. C’est généralement la dernière chose qui nous arrive.

Je fais un pas mais dois m’appuyer contre un arbre pour ne pas tomber de nouveau. Les bruits se rapprochent mais je reconnais le rythme. C’est Pouiky, ma Mammochon. Elle a retenu nos poursuivants, pour me faire gagner de la distance puis m’a rejointe. Plus grande et plus lourde, elle est aussi plus forte. Elle est passée là-haut je n’aurai pas pu car gêner par la neige et la poudreuse ne l’a pas ralenti comme moi. Elle a pu me rattraper.

Je regarde autour de moi. Je suis encore loin de l’arène. La forêt s’est étendue beaucoup à l’opposé de la ville. Ma main se referme sur le pelage de ma Mammochon. Je commence à tirer sur les bras, mais je n’arrive pas à grimper. Un vertige me prend et je manque de lâcher prise. Il ne faut pas que je reste là.

Je serre les dents et essaye encore une fois. Laborieusement, je me hisse sur le dos du Pokémon qui reprend sa route, une fois que je suis installée. Il faut que je fasse quelque chose pour ce problème de Pokémon. Mais seule, c’est dangereux. Je pourrais y arriver. En regroupant tous mes Pokémons, et frappant en force. Mais les blessures seront graves et nombreuses. Je ne peux plus me permettre de prendre pareils risques. Ça me fait mal d’avouer ça, mais j’ai besoin d’aide.

Amarelys serait prête à m’aider, mais elle est vraiment trop nulle et son manque de connaissance risque de la mettre plus en danger, sans que son aide change grand-chose. Ethan a toujours son truc à la tête et je ne veux pas mettre en danger ce garçon. Hors de question d’appeler Leonard. Si on meurt tous les deux, Ange sera seule et rien que l’idée me donne envie de taper dans des trucs. Yokoss est aussi hors de propos. Lui demander de l’aide se serait lui donner l’autorisation de me le rappeler et me faire la leçon pour les cinquante prochaines années et je n’ai vraiment pas besoin de ça.

Il n’y a qu’un nom qui hurle dans ma tête, et je ne veux pas faire appel à ce nom. C’est compliqué. Mais d’un autre côté, je ne connais personne qui soit aussi fort et qui ne soit pas Yokoss. Mais… Je n’aime pas cette fille. C’est juste une… tiens, je n’arrive pas à trouver ce que je lui reproche. Ah si, elle est violente, agressive et bon sang, ce qu’elle est prétentieuse. J’ai juste envie de lui éclater la tête contre un arbre.

Mais actuellement, c’est surtout ma tête qui a un arbre qui cogne à l’intérieur. J’ai envie de vomir et le mouvement de Pouiky ne m’aide pas. Je respire profondément mais c’est pire.

Si je ne fais rien, je ne sais pas où cette horde d’étranges Pokémons va aller et ravager la forêt. C’est de mon devoir de préserver l’endroit.

A contrecoeur, je sors mon téléphone de ma poche. Il me faut bien quelques minutes pour réussir à voir correctement l’écran. Où est son numéro. Historique… le message pour qu’elle vienne à l’arène. Là ! Appeler. Je suis bien incapable d’écrire un message dans mon état et hors de question qu’elle lise mes fautes de toute manière.

Lauriane. C’est Capucine Alambra. J’ai besoin d’aide de toute urgence. Viens à l’arène. Tout de suite. Il y a une porte derrière le bâtiment. Dépêche-toi. Puis après un petit silence. S’il te plait.

J’ai essayé de donner à ma voix un ton glacial, et autoritaire, mais je l’ai entendue chevroté légèrement, et les intonations n’étaient pas celle de quelqu’un de mettre de soi, mais de quelqu’un de malade.

J’ai somnolé sur la route du retour, pour finalement me laisser tomber de Pouiky devant la porte menant directement chez moi, derrière l’arène. Je titube dans le couloir de glace et débouche dans la seule pièce à vivre de la demeure. Une table, un lit, un fauteuil, une chaise, un poêle à bois et des étagères de cuisine. Je me laisse tomber sur la seconde porte et manque de tomber dans les escaliers, menant à la salle de bain et au sauna enterrés. Là, il y a mon armoire à pharmacie. C’est une idée débile de la mettre là. Je prends ce dont j’ai besoin. Il me faut de quoi manger aussi. Je me regarde dans le miroir.

J’ai reçu un coup à la tête et du sang a coulé et séché sur mon visage et dans mon œil. Il faut que je nettoie ça. Je retire mes vêtements, et me retrouve en sous-vêtement. J’ai des nouveaux bleus, et une nouvelle bosse à l’arrière du crâne. J’ai mal quand je respire, peut-être des côtes fêlées ou une de cassée. Je ne sais pas trop, je n’arrive pas à réfléchir. Il faut que je nettoie le sang pour voir à quoi ressemble ma plaie à la tête.

Les mains tremblantes, j'ouvre l'armoire à pharmacie. Il n'y a pas grand-chose dedans, mais je n'ai généralement pas besoin de choses compliqués. Pas de médicament, je n'ai pas confiance et je ne sais pas comment les prendre. Je me saisis de coton et d'alcool. J'ai cru entendre qu'il ne fallait plus utiliser ça pour désinfecter les plaies. Parce que ça faisait mal et pour d'autres trucs que je n'ai pas compris. Je m'en fous. Je me suis toujours soignée à l'alcool, et je ne vais pas changer maintenant sans bonne raison.

Le bouchon de la bouteille me résiste. Il faut appuyer et tourner, mais en temps normal, j'ai des difficultés. Cette fois, c'est pire. J'ai l'impression que mes doigts n'arrivent pas à serrer et mes mains n'arrêtent pas de trembler. Je ferme les yeux et respire profondément.

C'est le choc. C'est juste le choc. Un choc qui dure très longtemps car j'aurai du le faire passer sur le chemin du retour. Mais rien n'y fait. J'ai toujours le cœur qui bat aussi vite, et une boule au ventre. Oh non, c'est du stress. Je ne suis pas stressée d'habitude. Je suis même l'opposé de stresser. Sauf quand il s'agit de Ange. Et de choses que je ne comprends pas. Mais là... ce sont des Pokémons, je devrais comprendre. Sauf que c'est des Racaillou tout bizarre et qu'ils sont super nombreux et super forts. Ils menacent ma réserve. Il faut que je regroupe mes forces et que je reparte pour les dégager.

Je rouvre les yeux. J'essaye de nouveau d'ouvrir le flacon lorsqu'une voix à l'étage me fait sursauter. Je me retourne, lâcher le flacon. Les jambes fléchies, la main sur mon couteau, prête à dégainer et me battre, j'entends le flacon toucher terre.

Merde.

Qui ça peut bien être ?

Je me dirige vers l'escalier et monte doucement. Tout ça pour tomber sur Lauriane. Sa sale gueule est bien la dernière chose que j'aurai voulu voir.

Qu'est-ce que tu fous là ? crache-je.

Mais quelque chose fait son chemin dans mon esprit embrouillé. Y a du gaz dans l'air non ? Je m'en rends compte seulement maintenant. La maison m'est tellement connue que je m'y déplace sans vraiment regarder, mais en voyant Lauriane, je constate que ses traits ne sont pas net, comme à travers du brouillard.

Je cligne rapidement des yeux et me frotte la tempe. Un drôle de petit craquellement se fait sentir sous mes doigts gourds. C'est du sang séché. J'étais partie me désinfecter avant son arrivée. L'arrivée de Lauriane. Que j'ai appelé. Parce que j'ai besoin de renfort.

Avant qu'elle puisse répondre à ma première question, je reprends la parole.

Tu as fait vite.

J'ai les jambes qui tremblent. C'est bizarre. Je devrais me redresser maintenant, me détendre, car Lauriane n'est pas vraiment dangereuse. C'est ce que je fais, mais je n'aurai pas dû avoir à le formuler aussi longuement avant de m'exécuter. Je marche jusqu'à mon lit pour m'y asseoir.

Je... Il y a un truc dans les bois. Et... Ça m'a surprise. Je ne peux pas m'en débarrasser toute seule sans prendre de gros risques et... j'ai une fille qui ne veut pas grandir sans sa maman. Est-ce que tu peux m'aider ?

C'est difficile de dire tout ça. Il fait assez bon dans la pièce. Je ne me souviens pas avoir fait un feu. Je cligne plusieurs fois des yeux. Le fait de m'asseoir m'a détendue et j'ai encore plus de mal à faire la focalisation sur mes pensées. Je plisse donc les yeux pour essayer de retirer le flou, tout en regardant Lauriane.