« Êtes-vous sûre que vous n’avez pas froid Mademoiselle ? »

Un soupir qui s’éteignit sur les lèvres de la noble. Il n’était pas possible qu’elle se rende aussi loin sans Dichotomie et la domestique qui l’accompagnait depuis toujours. Madame Ophélie avait toujours pris soin d’Alice, depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui. Madame Ophélie avait dans la cinquantaine, mais n’avait jamais révélé exactement l’âge qu’elle portait - les rides sur son visage ajoutaient à son charme, à l’avis de l’anthropologue qui se marchait dans les rues de Nemerya pour aller récupérer de bonne heure les papiers nécessaires pour la fouille de cette matinée. Dichotomie s’envola quelques instants de l’épaule d’Alice pour attraper un fruit dans un arbre et le manger plus loin, sur un banc. Il revint rapidement sur la Fiercastel.

« J’en suis certaine, Madame Ophélie. Je vous remercie. La température n’est pas si basse et je vous rappelle que, notre destination étant le désert, tout ce qui sert à réchauffer le corps sera sans doute de trop. » Madame Ophélie acquiesça silencieusement tandis que toutes deux poursuivèrent leurs routes en silence.
Une fois la destination atteinte, Alice se dirigea vers l’accueil en demandant sans détour les documents qui avaient été réquisitionnés la veille. La secrétaire leur demanda de patienter quelques instants après avoir posé quelques questions pour s’assurer de leur identité. Intérieurement, la noble eut envie de lever les yeux au ciel - elle travaillait depuis un moment au laboratoire de Nemerya, mais cette secrétaire était nouvelle. Extérieurement, son visage n’avait pas bougé d’un trait. Des années d’expérience à intérioriser chaque parcelle de sentiments pour ne jamais faire de vague.
Les apparences avaient toujours été ce qui comptaient. Il ne fallait jamais s’en déroger, ne pas attirer une mauvaise attention sur la famille.

Elle remercia la secrétaire qui lui remit les documents et nota sur son téléphone de lui envoyer une carte postale le lendemain pour la remercier encore une fois. C’était de convention de remercier une nouvelle fois vingt-quatre heures plus tard. D’une façon différente de la première fois.
Alice s’entretint rapidement avec sa domestique qui gagna la bataille. Il fallait dire que la noble n’avait pas véritablement argumenté. Madame Ophélie allait suivre Alice dans les ruines d’Akéos, il fallait bien que quelqu’un soit présent pour veiller sur la sécurité de la femme accomplie qu’Alice était. Même à trente-et-un ans, elle ne pouvait échapper à la protection qui incombait aux êtres de son statut. Ce fut donc Madame Ophélie qui appela le chauffeur pour qu’elles se rendent aux ruines. Enfin, pas exactement. Elles devaient d’abord arriver tout près d’un poste où un homme les attendait avec un carrosse tiré par des Chamalots. Considérant que les voitures ne pouvaient pas se rendre dans le désert sans caler.

Le trajet se fit en une journée. Ils passèrent une nuit dans le désert, tous dans la calèche qui possédait un dessus pour les protéger des vents violents du désert. Le lendemain, ils repartirent et prirent quelques heures pour arriver aux ruines. Alice s’enquit alors des coordonnées du chauffeur en le remerciant au passage. La domestique et Alice descendirent et entreprirent leur avancée pour arriver aux ruines. Ici, des ossements étaient supposés se trouver. Ils n’avaient pas su lui dire si les ossements appartenaient à un être humain ou à un pokémon.
« Soyez prudente, Mademoiselle. Il ne faudrait pas que vous vous brisiez quelque chose. Vous savez que je n’apprécie pas trop les dangers de votre travail. » Haussant les épaules, la noble continua d’avancer dans les ruines lorsque son regard s’accrocha sur une tente érigée. Alice s’y approcha doucement. « Bonjour, Madame… ? » Sa domestique restait en arrière alors que Dichotomie demeurait sur l’épaule de la noble. Ilium, elle, reposait dans sa pokéball dans la poche d’Alice. « Navrée de vous déranger. Êtes-vous arrivée depuis longtemps ? Je ne voudrais pas vous déranger, mais j’ai l’autorisation légale de fouiller les lieux. »

Dichotomie fut le premier à bouger, étirer sa tête pour observer le pokémon qui se trouvait dans la tente de l’autre être humain, alors qu’Alice avait préservé le silence quelques instants, devant se souvenir que tous n’avaient pas eu les mêmes moeurs et éducations qu’elle. La politesse ne résidait pas dans les mêmes gestes et mots pour tous - Alice l’avait compris au fil des années. L’anthropologue judiciaire ne s’était pour autant pas très souvent entretenue avec d’autres personnes; enfermée dans les laboratoires et portes de musées, considérant davantage l’importance des os que ceux des êtres humains. Elle les comprenait beaucoup mieux. Elle parlait pour les morts, pour les ossements qu’on lui amenait - n’avait jamais su parler pour les vivants.

« Ravie de l’apprendre. » Madame Ophélie se tenait en arrière, avec le sac de provision nécessaire, comme elle avait tant tenu à l’apporter pour la noble et Alice, elle, gardait son regard posé sur la femme à qui appartenait la tente. Elle riait, cette étrangère, mais Alice prit tout de même sérieusement la réponse. « Fouiller les ruines, bien entendu. Navrée de la confusion. » Alice, elle, ne riait pas. Ce n’était pas fréquent de la voir rire, souvent, elle ne comprenait pas les marques d’humour alors elle ne riait pas.

Néanmoins, son regard brilla lorsque le thé fut mentionné. Et si dans ses yeux, on pouvait comprendre tout l’amour que la noble possédait envers le thé et les diverses saveurs - toutes les possibilités que ça occasionnait; sa voix était mesurée. Aucun débordement. « Volontiers. Il est vrai que la chaleur est incommodante, mais c’était à prévoir en explorant ce lieu. Vous êtes arrivé depuis longtemps ? » Elle observa cette femme qui avait replongé dans son bouquin en se demandant quel était ce livre qui semblait l’absorber. La curiosité tenaillait. Mais elle n’eut pas le temps d’y céder que l’autre se livra à des présentations. « Je suis ravie de faire votre connaissance, Madame Amarelys. Et vous aussi, Monsieur Xion. » Elle fit un léger signe de main au pokémon qui accompagnait Madame Amarelys et Dichotomie leva une aile pour les saluer, de son côté. « Vous avez raison. Je suis Alice de Fiercastel. » Il avait toujours été de coutume que le nom de la famille soit énoncé, bien que dans les soirées nobles, les couleurs pouvaient parfois indiquer et répondre à la place de certaines présentations. Alice ne pouvait pas s’empêcher d’avoir les habitudes des présentations qu’on lui avait imposé, éduqué, dès son plus jeune âge, même auprès des roturiers. « Je suis anthropologue judiciaire, je n’ai point conscience d’à quel niveau je suis connue en dehors du laboratoire. Quel est ce livre que vous lisez ? » Elle avait pris son thé en trempant délicatement ses lèvres dans le liquide encore fumant. « Je vous remercie pour le thé à la menthe. »

La politesse voulait qu’elle prenne le temps de s’excuser lorsqu’il y avait ne serait-ce qu’une mince possibilité qu’elle se retrouve à déranger; si bien qu’Alice avait pris le temps de présenter ses excuses à la demoiselle qui se trouvait dans la tente. Après tout, Alice n’avait point attendu d’y être invité; pouvant ainsi aisément ne pas être la bienvenue dans ce lieu. La noble n’avait pas contredit Amarelys sur la gravité de la situation - elle avait raison, ce n’était pas grave; mais il ne s’agissait pas de savoir si ce l’était. Par respect, par politesse, elle s’excusait, lorsqu’elle dérangeait; lorsqu’elle s’imposait. On le lui avait appris - elle poursuivait ainsi.
Attentive à ce que son interlocutrice pouvait bien lui dire, elle fit signe à Dichotomie de demeurer tranquille sur son épaule; ce que la Sonistrelle écouta sans aucune difficulté; habituée aux indications non-verbales. Ce qui était logique; tout compte fait. Ses parents ne lui auraient pas passé un pokémon incapable de se tenir, qui pourrait faire des vagues en public. Les pokémons étaient recueillis petits, éduqués puis sortis. “Effectivement. Je viens de poser les pieds ici, nous n’avons pas encore monté notre tente.” Ce sera à faire avant que le soleil ne disparaisse dans le haut du ciel. La noirceur n’était pas une amie pour ce type d’activités.

“Si vous me permettez mon opinion…” Elle prit une légère pause, donnant le temps à la personne de refuser si celle-ci le désirait. Alice n’imposait jamais ses avis. “Je suis d’avis que la lecture permet d’appréhender d’un nouveau regard ce qui nous entoure, sans nous voler les délicats instants des voyages et les doux miracles sur lesquels nous pouvons tomber. Jamais un livre n’indiquerait clairement la trace d’un trésor ou, par exemple, dans mon cas, d’un squelette et pourtant, ces livres peuvent permettre d’en comprendre leur signification.” Mais chaque personne avait le droit d’appréhender la lecture et la documentation de la façon dont elle; dont elle le sentait. Si cette jeune femme considérait que ça lui retirait le plaisir d’une aventure; soit. Alice n’était tout simplement pas entièrement d’accord. Les bouquins ne décrivaient pas tout; ne disaient pas tout - l’expérience concrète était seule mérite de toutes les découvertes.
Seulement, Alice comprenait que cette position ne soit pas partagée par tous - concevait que l’on puisse ne pas être d’accord; davantage préférer ce que le concret pouvait amener, et considérer que le littéraire venait voler quelques amusements aux moments passés à explorer.

“Si un jour, vous venez à vouloir le prêter, pourriez-vous penser à moi ?” Les légendaires, l’histoire de Lumiris, ce qui composait la région et ce qui avait fait d’elle ce qu’elle était aujourd’hui, Alice voulait savoir - Alice voulait connaître. En dehors des os, les légendaires et fabuleux représentaient une passion impossible à apaiser - un besoin de connaissance en permanence.
Elle porta à ses lèvres le liquide encore chaud, souffla légèrement pour pouvoir en prendre une gorgée par la suite. Le goût de la menthe était bien présent, mais pas rebutant, pas trop fort. Juste suffisamment. “Il est très bon, je vous remercie encore.”
Elle n’était pas la seule à être curieuse, Alice. C’était visible lorsque son interlocutrice se décida de lui poser des questions sur la raison de sa venue ici. Elle n’était pas la seule à être curieuse et c’était toujours agréable de se le dire, de le penser - de pouvoir réaliser que les questions posées ne seraient pas une source de problème, d’inconfort. “Vous avez raison. Mes supérieurs ont eu vent d’une possibilité de squelettes dans les alentours et m’ont dépêché pour vérifier les dires. Et vous, que cherchez-vous en particulier ici ? Je pourrais vous aider.”
Le savoir, Alice le désirait. Le pourchassait. Au niveau de son travail, ça en faisait la meilleure : toujours pourchasser la vérité peu importe laquelle celle-ci se révélait être, et rectifier toutes les erreurs possibles lorsqu’elles étaient commises. “Vous comptiez passer combien de temps par ici ? ”