En avance et bien préparée (comme toujours !), Astelle accueillit son amie à l’orée du bois.
C’était une belle journée. Le vent doux qui soufflait sur Exilar atténuait la moiteur du mois d’août. La petite postière portait son uniforme d’été, casquette incluse, ainsi que son petit Draco qui - assommé par la chaleur - pendouillait mollement autour de son cou.  

Après de chaleureuses retrouvailles, Astelle et Manon traversèrent ensemble la forêt.
Ayant harcelé le comité d'organisation pour obtenir autant d’informations que possible (elle n’aimait pas beaucoup ne pas savoir où elle mettait les pieds), Astelle Dumas en savait un petit peu plus que les autres participants à propos du “Camp camp”. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle elle s’était portée volontaire pour accueillir les gens, et les guider à travers les bois. Ce qu’elle allait tout de suite arrêter de faire, maintenant que Manon était arrivée.
Un sourire jovial aux lèvres, la jeune fille faisait visiter les lieux à son amie.
En reprenant exactement les termes qu’on lui avait indiqués.
C’était un curieux spectacle, écoutez plutôt :

— Donc ici, c’est le coin veillée, et puis là-bas, le coin cuisine, et ensuite, dans l’ordre : le coin toilettes sèches, le coin vaisselle, le coin repas, le coin combat, le coin soins, le coin construction, le coin travaux manuels…

...et puis, voyant un Psykokwak passer, la jeune fille termina sa litanie.
— ...et enfin, le coin coin !

Fière de sa bêtise, Astelle hocha la tête pour elle-même.
Puis se retourna vers Manon avec un grand sourire.

— Par quoi est-ce que tu veux commencer ? On a deux heures devant nous pour nous installer, visiter un peu (ou trouver un coin discret pour boire une bière) avant le lancement des activités. Ils ont prévu une sorte de jeu pour briser la glace avec les autres participants, je crois !

Sur le sentier d'une forêt dense, une voix s'élève. C'est la mienne.

« Mais tu vas voir Ophé', ça va être super ! On va rencontrer du monde, tu vas te faire chouchouter, on va apprendre à faire de bons p'tits plats ...
»

J'ai beau tenter de convaincre Pingoléon, rien y fait. Elle fait toujours la gueule. L'impératrice aurait largement préféré rencontrer des coordinateurs et des pokémons qui lui apprendrait à exécuter de jolies chorégraphies. À la place, elle va devoir fréquenter des grosses brutes sans cervelle qui ne pensent qu'à taper pour redorer leur estime de soi. Je pousse un soupir abattu, doutant de mon choix de compagnon pour l'évènement. PP, Mama, Chouchou ou même Shenron aurait adoré être ici, alors pourquoi avoir choisit Ophélia ? J'estime que nous avons besoin de passer du temps ensemble toutes les deux, lui faire découvrir mon univers est le meilleur moyen de la motiver à combattre Bunji. En effet, bientôt viendra le moment où je devrai défier ce type. Je veux lui prouver que mes pokémons sont moins bêtes qu'il ne le pense et que le lien nous unissant est plus puissant que sa médisance. En attendant, il y a du boulot.

Voilà qu'au loin j'aperçois une silhouette familière. Au fur et à mesure que j'avance, ses traits se dessinent de plus en plus nettement : impatiente de rencontrer cette personne, je n'ai plus la patience de trotter au rythme d'Ophélia finissant par carapater vers la jolie silhouette.

« Astelle ! »

Je la serre fort contre moi. Aucune chance que ce soit une erreur : je reconnais son parfum, sa peau et ses cheveux doux. C'est bien Astelle. C'est ensemble que nous reprenons la route jusqu'au campement.

***

La brunette me fait visiter le campement, toute guillerette. Je rencontre quelques dresseurs, majoritairement des gaillards qui font le double de notre taille. Ceci dit, je n'en suis pas moins intimidée et je me présente à chacun avec la même réplique sur le même ton :

« Yo ! Moi c'est Manon Dubell ! Tu veux v'nir picoler avec nous pour faire connaissance ? On va s'amuser ! »

Mon bras entoure l'épaule de ma brunette, faisant comprendre aux autres qu'elle est mienne. Pas touche. Évidemment qu'Astelle a le droit de se faire des amis mais si une personne malveillante ose poser sa main sur elle, ça va barder sévère. Nous terminons la visite par une rencontre impromptue avec un Psykokwak.

« ... et enfin, le coin coin ! »

Je ricane comme une ahurie. La demoiselle est trop mignonne lorsqu'elle fait des blagues – après réflexion, elle est adorable dans tout ce qu'elle fait –, je ne contrôle pas mes airs de gaga ni mon comportement de débile. Il faut croire que je suis d'excellente humeur aujourd'hui, contrairement à Ophélia qui traine derrière nous.

« Par quoi est-ce que tu veux commencer ?, me demande Astelle avec un sourire qui s'étire jusqu'aux oreilles, on a deux heures devant nous pour nous installer, visiter un peu (ou trouver un coin discret pour boire une bière) avant le lancement des activités. Ils ont prévu une sorte de jeu pour briser la glace avec les autres participants, je crois !
- Héhéhé ... »

J'ôte mon énorme sac à dos sur les épaules, farfouillant à l'intérieur pour dégoter des canettes de bières.

« J'en ai prévu quelques unes, on pourra les partager avec nos collègues Pulsars ! »

Je range mon bazard avant de balayer l'environnement du regard.

« Mais avant d'les rejoindre ... on devrait préparer notre nid douillet, ouais. Ton p'tit programme est pas mal. »

Les tentes sont déjà installées, certaines sont occupées, d'autres disponibles. J'en repaire une un peu à l'écart, abritée par un pin. Alors que je commence à m'enthousiasmer, je suis emparée par un doute qui me refroidit.

« On dort ensemble ... hein ? » dis-je timidement en tournant ma tête vers la brunette.

Après tout, nous sommes officiellement en couple. Mais sait-on jamais, Astelle a peut être envie de faire chambre à part.

...c’était agréable de la voir comme ça.
Manon était pétillante, aujourd’hui. Il n’y avait qu’à la regarder : à l’intérieur de la tente, son amie arrangeait soigneusement leurs sacs de couchage, disposait leurs affaires, cherchait la glacière où entreposer leurs packs de bières. Bref, elle s’activait comme une vraie petite fée du logis !

Tandis qu’à l’extérieur, en compagnie d’Ophélia (qui était le Pingoléon maussade de Manon) et de Senpai (le petit Draco rose qui lui servait littéralement d’écharpe), Astelle observait faire son amie tout en la couvant d’un regard attendri. ...sans doute Manon voulait-elle se rattraper de leur dernière excursion en camping. Un désastre !
Et justement : passant la tête à l’extérieur de l’ouverture, son amoureuse aux joues soudain écarlates venait timidement lui demander...
— On dort ensemble ... hein ?
...probablement parce qu’elles avaient passé une bonne partie de leur dernière nuit de camping à crapahuter dans la neige et l’obscurité. Et même en retrouvant enfin leur tente, elles s’étaient assoupies aussi loin que possible l’une de l’autre, dans un silence boudeur et glacial. Se grattant la joue d’un air embarrassé en voyant son amie si pleine d’espoir, Astelle acquiesça sur un ton volontairement léger.  
— Ben oui ! Je ne saurais pas quoi faire de mes petits pieds froids si tu n'es pas à côté de moi !

Après lui avoir gentiment tiré la langue, la jeune fille proposa à son amie de rejoindre le comité d’organisation. Il était temps de se faire expliquer les règles du jeu !

***

— Aloooooors, pour commencer, disait la petite postière, qui finissait de compiler ses notes sur son pokématos, nous avons : une course d’obstacle et une chasse au trésor ! Ce qui ne devrait pas présenter trop de difficultés, vu que j’ai mis à jour les données gps de la région avant de venir. ...mais il nous faut d’abord trouver un équipier !

Le pokématos d’Astelle.



Il s'agit de la réédition d’un vieux modèle, mais c’est du solide !
Ses applications en matière de géolocalisation sont à la pointe de la technologie (comme on pourrait l’attendre du matériel distribué par la Dracoposte).

Récapitulatif:

La réponse d'Astelle fait rayonner mon visage.

« Ben oui ! Je ne saurais pas quoi faire de mes petits pieds froids si tu n'es pas à côté de moi ! »

Je pouffe un rire discret, tapotant deux oreillers bien confortables sur les sacs de couchage.

« Ça s'ra un plaisir de réchauffer tes petons gelés, même si je risque d'avoir froid à mon tour ... »

C'est le meilleur prétexte pour dormir collé-serré contre ma copine. Je n'ai qu'une hâte, c'est me délecter de ce petit moment d'intimité. En attendant, ouvrons-nous aux autres. La brunette me fait le topo des activités qu'elle a soigneusement noté dans son pokématos. Le Camp Camp propose une course d'obstacles puis une chasse aux trésors par groupe de trois à quatre personnes. L'avantage d'avoir crapahuté des montagnes, voyagé sur les plaines et nagé dans les océans c'est que mon corps est prêt à tout exercice physique. Mon expérience et celle d'Astelle feront de nous des intouchables : plus que jamais, je suis motivée à appliquer mes apprentissages sur le terrain !

« ... mais il nous faut d’abord trouver un équipier !
- Exacte !, je m'exclame en me retirant abruptement de la tente, allons faire un p'tit tour, on va recruter un part'naire ma belle ! »

Je tends ma main vers Astelle pour l'aider à se redresser, jusqu'à être interrompue par une bête curieuse.

« BOUAH ! » je sursaute de manière ridicule, ne m'attendant pas à ce qu'une touffe poilue nous saute dessus.

À vrai dire, le pokémon n'est pas agressif : il nous renifle pour apprendre à nous connaître. Attendrie par sa bouille de Feunec inoffensif, je m'accroupis à son niveau en tendant doucement le bras.

« Heey, salut p'tit gars ! T'as pas l'air très sauvage ... il est où ton dresseur ? »

En effet, il n'est pas commun de croiser ce pokémon feu dans cet environnement. Rapidement, mon interrogation est vite répondue lorsqu'une jeune demoiselle arrive vers nous. Sans surprise, elle nous annonce que l'intrus est bel et bien son compagnon. Les mains sur les hanches, je scrute la dresseuse de haut en bas. Son visage pétille de vie, ne laissant transparaître que sa gentillesse et sa joie de vivre. Loin des tronches hypocrites que je connais, cette fille est loin d'être une chipie prête à nous pourrir. Un peu gênée par cette incruste, l'inconnue s'excuse puis se présente.

« ..., au fait je m'appelle Sheila Sakurai enchantée de vous rencontrer !
- Enchantée, Sheila !, je m'exclame fort avec ma voix rauque de fumeuse, moi c'est Manon et elle c'est Astelle, c'est ma copine. »

Voulant passer mon bras autour de la brunette, mes chevilles perdent l'équilibre et mes fesses m'entrainent sur le sol. L'air de rien, je reviens vers ma petite amie en enroulant mon bras sur ses épaules. Pour m'assurer que le message est assez explicite, je renchéris.

« C'est ma p'tite copine. »

Je libère enfin Astelle de mon emprise pour m'asseoir correctement. C'est avec un grand sourire sur les lèvres que je propose à Sheila :

« T'es une Pulsar pas vrai ? Viens avec nous ! On cherchait justement un part'naire. Tu vas voir, ensemble on va tout défoncer ! »

Je suis toute excitée à l'idée de commencer cette nouvelle aventure, tellement que je ne tiens plus en place. Je me relève dans un bond enthousiaste, cette fois-ci en tendant mes mains aux deux jeunes filles.

« Allons y ! On va faire du r'pérage pour voir ce qui nous attend. »

Aussitôt, nous quittons notre nid pour découvrir la zone.

***

« Tu fais quoi dans la vie ? » je papote avec notre nouvelle recrue.

À une centaines de pas de notre abri, un hasard ironique se produit. Une femme accompagnée d'un homme me rappelle une connaissance.

« Be ... Becky ? »

En se rapprochant de cette personne, je remarque sa chevelure blanche comme de la neige et sa grande silhouette svelte et musclée comme une lutteuse. J'en connais qu'une comme ça : c'est Becky la grande sœur ! Je hurle son prénom avec une joie immense.

« Becky ! »

Je cours au ralenti avec un air innocent au visage. Mais lorsque j'atteins la demoiselle, je change brusquement de faciès, me transformant en catcheuse professionnel. Je bondis sur la dame, lacère sa taille avec mes jambes puis bascule mon poids vers l'arrière en croyant l'emporter. Malheureusement, ma prise de catch étant médiocre, la dame aux cheveux immaculés ne bouge pas d'un poil tandis que je me mange, une fois de plus, le par-terre. N'étant pas plus sonnée que lorsque je suis bourrée, je parviens à me lever comme si de rien est avant de faire une tape amicale à ma chère Becky.

« 'tain c'est ouf qu'on s'revoit ici ! J'savais pas que le dressage de pokémon t'intéressait ! »

Ne voulant pas mettre les deux jeunes filles qui m'accompagnent de côté, je les présente à la lutteuse albinos.

« J'vous présente Becky ! C'est ma bestah depuis qu'j'suis ado, je trainais souvent avec elle à Unys ! »

Balayant d'un coup de manche le sang qui s'échappe de ma narine, je continue à blablater avec beaucoup d'enthousiasme.

« Oh faut qu'tu nous rejoignes Becky ! Astelle et Sheila sont trop gentilles, toutes les quatres y'a moyen qu'on se tape des barres. »

Puis, je me rapproche discrètement de l'oreille de Becky pour lui susurrer discrètement :

« D'ailleurs, c'est elle dont j't'ai parlé, mon regard se fixe sur mon amoureuse, c'est elle ma p'tite amie. »

C'est une belle journée qui s'annonce, ni la pluie ni le vent peuvent enrayer ma bonne humeur.

Les joues roses et brûlantes, Astelle se demandait si ça allait devenir une habitude.
Quelque part, ce n’était pas désagréable de se sentir ainsi revendiquée. De constater que Manon n’avait aucune honte à afficher leur relation au vu et au su de tous (ça pour sûr, elle était drôlement courageuse la Manon : tant qu’il ne s’agissait pas d’aller se présenter aux parents de sa dulcinée…)

...mais la petite postière ne savait pas bien comment réagir.
C’était encore trop récent. Trop précipité. A côté de Manon, elle se sentait toujours comme... inadéquate. Il existait toujours la crainte qu’on pense à une plaisanterie. Que les autres ne voient pas davantage que la petite fille plate, aux fausses-allures de garçonne, qu’elle voyait elle-même dans le miroir. Dépourvue de charme ou de toutes sortes d’appâts féminins.

— C'est ma p'tite copine.
— 1m51, confirma Astelle avec un sourire qui ne trahissait rien de ses appréhensions. On fait difficilement plus petite copine que moi !

La petite postière se présenta également à Sheila, le sourire facile et les yeux rieurs.
...mais en dépit de cette jovialité de façade, elle ne lâchait pas une seule seconde la main de Manon.

***

De fait, Astelle traînait un petit peu des pieds.
Elle restait à l’arrière du groupe, en compagnie d’une Ophélia boudeuse, qu’elle évitait de laisser trop seule. En tenant gentiment le pingouin par la nageoire.

Bien entendu, elle répondait poliment à toutes les questions qu’on lui posait. Et elle semblait affable et chaleureuse. A simplement la regarder, on ne pouvait pas se douter que c’était une terrible petite cachotière. Une vraie fausse-extravertie qui voilait ses secrets de traits d’esprit et de petits commentaires rigolos. Qui réfléchissait trop. Et compliquait tout.

Elle était incapable de s’ouvrir aux autres comme le faisait Manon, qui de son côté... était une vraie petite sirène de bistrot. Qui abordait pratiquement chaque résident du camp en leur proposant une nuit de beuverie.

D’ailleurs, son amie accostait déjà quelqu’un d’autre… avec une prise de catch, cette fois.



— J'vous présente Becky ! C'est ma bestah depuis qu'j'suis ado, je trainais souvent avec elle à Unys !

Astelle leva de petits yeux abasourdis vers la grande dame blanche.
— Madame ! Un plaisir de vous rencontrer. Je suis Becky Caledonia Panabaker, duchesse de la famille Danvers d’Unys. Manon est une amie de longue date, nous nous sommes rencontrées dans un bar et j’ignore toujours qui a gagné le plus grand nombre de verre de whisky bu durant la soirée.
— Astelle Dumas… répondit la petite postière d’une voix un peu intimidée, sans quitter des yeux la façon dont Becky enserrait le cou de son amie. Intérimaire à la Dracoposte de Lumiris, d’ailleurs…

La jeune fille se rapprocha, pour d’un geste ferme, qui ne souffrait d’aucune contestation, libérer la nuque de Manon de l’étreinte de la catcheuse.  
— ...ce colis est à moi. Et il est plus fragile qu’il n’en a l’air. Si je vous revois le manipuler n'importe comment, je vais me fâcher.

Sans lâcher Manon, dont elle tenait solidement le bras (comme pour l'empêcher de se remettre à courir et d'accoster encore quelqu'un d'autre... sait-on jamais), elle commença à prendre la direction du bois.
— La course d’obstacles, c’est par-ici, grommela Astelle.

En dépit des apparences...
...la petite postière n’était pas un animal facile à apprivoiser.

Doublement mise K.O par la contre-attaque de Becky, je rigole comme une imbécile, étalée par terre. À ce moment là, je me sens heureuse. Entourée de bonnes personnes, dans un cadre idyllique, loin des problèmes qui me rongent de l'intérieur. Plus le temps va passer et plus ils seront loin de moi. Ce rire est la symbolique de mon lâcher prise.

Une fois redressée, toute pimpante, je fais les présentations. Alors que je murmure deux trois mots à ma copine de beuverie, celle-ci ne se gêne pas pour me foutre la honte.

« Oh ? Cette mignonne postière est l’élue de ton cœur ?!
- ShhSHhh, t'es pas obligée de l'dire comme ça et aussi fort ! »

Maintenant, notre couple n'est plus un secret, c'est obligé que tous les gens du camp sont au courant. Alors que je supplie du regard Becky pour qu'elle n'en fasse pas des caisses, celle-ci fait tout le contraire : elle s'adresse à Astelle telle une personnalité monarchique avant de lui révéler nos honteux concours de whisky. Je rougis jusqu'aux oreilles en claquant ma main sur ma face.

« T-t'es vraiment pas obligée de faire ça Becky ... »

Heureusement, l'attention est vite détournée par Sheila qui salue à son tour notre nouvelle recrue. Dans leurs réactions tendres et amicales, les deux jeunes femmes semblent se connaître, ce qui facilite d'avantage l'intégration de chaque membre du groupe ... sauf Astelle. Cette dernière dégage le bras de Becky qui enroule ma nuque avant de de la menacer.

« ... ce colis est à moi. Et il est plus fragile qu’il n’en a l’air. Si je vous revois le manipuler n'importe comment, je vais me fâcher. »

Et il n'y a rien de plus terrifiant que de subir les réprimandes d'une Astelle en colère. La petite demoiselle étreint fermement mon bras, prenant l'initiative de bouger jusqu'à la course d'obstacles.

« La course d’obstacles, c’est par-ici. » ronchonne ma petite amie, visiblement contrariée.

« Oui, allons y les amis ! » je m'exprime avec un enthousiasme qui sonne un peu faux, voilant mon embarras.

Je n'ai eu le temps de saluer ni notre accompagnateur, ni le pokémon de Becky. Prenant un instant ma mie à part, je tente de me justifier sans connaître la source de sa contrariété.

« T'en fais pas ma belle, c'est comme ça tout l'temps avec elle, lui dis-je en zieutant Becky, t'sais qu'ch'uis rodée niveau bagarre, je suis pas un colis fragile ! »

Je contracte le bras qu'elle serre pour lui exhiber mes faibles muscles. Un peu vexée d'avoir été comparé à un colis à la poste, j'essaie de lui prouver le contraire alors que mon nez se met à goutter. Je chope un morceau de mouchoir traînant dans ma poche avant de le coincer dans ma narine.

« Dis ... ça va Astelle ? T'es contente d'être ici ? Ou y'a que'que chose qui va pas ? »

Je n'ai rien trouvé de mieux pour aborder le sujet. En effet, je ne suis pas aveugle : je vois bien que quelque chose la tracasse, au point de rejoindre Ophé' dans sa bouderie. Je ne sais pas si c'est le meilleur moment pour en discuter mais je veux que ma copine sache que je suis à l'écoute. Mes doigts cherchent discrètement les siens pour les enlacer tendrement.

En attendant, nous sommes en groupe et nous avons atteint le lieu de rendez-vous. La zone est un peu plus dégagée, laissant place à un parcours où les troncs d'arbres bloquent le chemin.

« Wouhou, mais c'est un peu comme de l'accrobranche en fait, mais sans les harnais de sécurité ! »

Je trépigne d'impatience mais tout d'abord, nous devons nous concerter. Pour moi, le topo est vite fait.

« Bon askip' faut traverser les obstacles pis y'a une clé dans un arbre ou ch'ais pas quoi, au pire on va traverser les obstacles pis on avisera. Faut pas qu'on s'fasse dépasser par les autres groupes ! Vous êtes ok ? »

Étant tout le contraire de ma copine, je laisse place à l'improvisation. Toujours attachée à elle, c'est ensemble que nous débutons la course.

Tout commence simplement : il suffit de bondir de tronc en tronc pour atteindre l'étape suivante. Pour moi qui ait de longues pattes, l'action est aisée. Or pour Ophélia, l'affaire est toute autre.

« Allez Ophé', tu peux le faire ! »

Mes encouragements ne suffisent pas. Les petits bonds et les exercices d'équilibre, ce n'est pas son truc, d'autant plus que son corps n'est absolument pas adapté à ce type d'activité. Ses pattes trop courtes ne lui permettent pas de réceptionner son gabarit lourd comme il faut, ce qui lui fait perdre l'équilibre. Alors que j'ai déjà fini, je décide de retourner sur mes pas pour lui apporter mon soutien. Au début, l'impératrice a du mal à concevoir le fait de se faire aider mais elle réalise vite qu'à deux c'est plus facile. L'attrapant en dessous de ses nageoires, nous bondissant ensemble sur les morceaux de bois jusqu'à atteindre la terre ferme.

« Tu l'as fais Ophé' !! Tu vois ! Tu pensais pas être capable mais tu l'as fais ! »

Pingoléon détourne la tête, embarrassée. C'est dure pour elle de réaliser qu'elle a eu tort, qu'elle a eu besoin de mon aide pour réussir. Je gratouille derrière sa couronne – son endroit favori – en la rassurant comme une maman.

« Tu te rends compte que, même si c'est pas l'environnement idéal pour tes capacités, t'arrives quand même à t'adapter ? Allez ma belle, on continue ensemble. »

J'observe toutes mes partenaires, attendant les derniers arrivants avant de poursuivre. Alors que je crapahute sans aucun soucis, j'engage la conversation avec mes partenaires.

« Eh les filles ! On a pas d'nom d'groupe. Ça vous dit on s'en trouve un ? »

Mon esprit est détraqué : mes idées de nom de groupe sont soient stupides, soient vulgaires. Mais vu que ça me fait rire, je partage mes idées avec mes acolytes.

«  Les supernanas ? Les lutteuses de la forêt ? Les John Cena des bois ? The Rock ? Les défonçeuses de rect*m ? »

Je pouffe de rire comme une enfant avant de féliciter mon Pingoléon pour sa prouesse, ce qui n'a rien à voir.

« J'espère que vous avez des meilleures idées que moi ! Mais siouplaît, pas d'nom ringard, faut un truc qui déchire. »

Finalement, nous terminons l'épreuve un peu plus tard que prévu. Il faut dire que la disposition des obstacles n'ont pas toujours été évidentes et certains ont eu plus de mal que d'autres. Cependant, je m'éclate comme une gamine, impatiente de commencer la deuxième épreuve. Nous voilà donc face à un pin gigantesque, là où se trouve la clé suspendue à trois mètres du sol.

« Ah, va falloir qu'on s'démerde pour faire la courte échelle. »

Il y a deux grandes filles dont une très costaud, une un peu moins longue et un peu lourde – oui, c'est moi – et la dernière plus petite et légère. Il est évident qu'Astelle sera celle qui chopera la clé, mais est-il nécessaire qu'on soit quatre ? Puis, à force de réflexion, j'en conclus qu'un pokémon vol pourra totalement faire l'affaire. Je me tourne vers mes copines, constatant que nous n'en avons aucun à disposition. Ceci dit, c'est une option à garder à l'esprit : les pokémons ont probablement des capacités très utiles.

« Bon, comment on s'arrange ? »

Je garde mes réflexions de cotés pour savoir ce qu'en pense mes partenaires. Je remarque à peine le soleil disparaître derrière les nuages noirs et le vent souffler plus intensément.

— T'en fais pas ma belle, c'est comme ça tout l'temps avec elle, lui dit-elle avec un air bravache.
T'sais qu'ch'uis rodée niveau bagarre, je suis pas un colis fragile !
— Tu t’es cassé la binette deux fois en moins de cinq minutes. C’est digne de Bambi le Vivaldaim. Et en plus, tu saignes du nez. Ce n’est vraiment pas le moment idéal pour qu’on s’amuse à te soulever et faire des cabrioles.

Une amertume singulière faisait trembler sa voix.
Manifestement, Astelle n’avait pas apprécié le spectacle auquel elle venait d’assister.
Et Manon n’était pas dupe… il y avait bien un problème.

— Dis ... ça va Astelle ? T'es contente d'être ici ? Ou y'a que'que chose qui va pas ?

Marchant un petit peu à l’écart du reste du groupe, leurs doigts s’entrelacèrent.
Elle appuya la tête contre l’épaule de son amie.
...et juste un peu, sentit son amertume refluer.
C’était peu de choses, et pourtant, c’était suffisant.
— Non… ça ne va pas très bien, répondit-elle franchement. Je suis en train de penser à des choses désagréables. Et peut-être même de tirer des conclusions injustes.
...elle resserra un petit peu sa prise, sur les doigts de Manon.
...nicha plus étroitement sa tête au creux du cou de son amie.
...et profita même de l’occasion pour la serrer dans ses bras, déambulant toutes deux aussi maladroitement qu’un Girafarig en goguette.  
— ...c’est le flou dans ma tête. Je peine encore à mettre des mots sur ce que je ressens…

Elle esquissa un pauvre sourire.
— ...mais c’est sûrement juste moi qui ai un problème. Car même si c’est vrai que ça me fait un petit peu peur quand tu m’affiches comme ça devant tout le monde… ben, ça me fait plaisir aussi. De te voir, sans faire de mystères, t’assurer… veiller à ce que chacun sache bien que tu m’aimes.

Après une œillade discrète en arrière, où Sheila et Becky suivaient le mouvement, elle ajouta tout bas.
— ...du coup, je me sens coupable de gâcher les efforts que tu fais pour que ça se passe bien.
Voire même carrément odieuse.
Pour autant, elle ne se sentait pas encore le courage de se joindre au groupe.
Cette seule idée lui mettait la boule au ventre. Une pression, une souffrance qu’elle n’était pas encore certaine d’identifier. Un mal-être gluant, qui semblait remonter des profondeurs de ses entrailles.

— ...c’est inutilement compliqué, hein ? Allez, va faire de l’accrobranche ! coupa une Astelle faussement enthousiaste en donnant une petite tape dans le dos de son amie. Laisse-moi encore un instant pour que je démêle les nœuds que j’ai dans le cerveau.

Regardant Manon s’éloigner, la jeune fille sentit son sourire retomber.
...elle n’avait plus aucune envie d’être là. Elle se sentait possessive, injuste et méchante.
...et même trop immature pour former un couple.

Au loin, un éclair de blancheur déchira le ciel.
Comme une balafre lointaine, sur l’horizon. Si éloignée de leur position que le cri du tonnerre leur demeurait inaudible. Pourtant, Astelle…
...elle, pouvait presque l’entendre.
Cette lamentation, qui faisait écho à la douleur sourde qu’elle sentait battre dans sa poitrine.

Autour de son cou, le petit Draco rose leva le museau vers les nuages.
Il plissa les yeux. Ce n’était que le début de l’orage…

***

La course d’obstacles fut un désastre.
Astelle était sportive et assidue. Et plus encore depuis qu’elle envisageait sérieusement d’obtenir une licence de Ranger Pokémon. ...mais pour autant, la petite postière était loin de posséder le physique de l’emploi. Sa maigreur, sa petite taille, sa faible endurance… autant de failles qu’il lui faudrait surmonter pour exercer en tant que dresseur pokémon.
Elle compensait habituellement ses faiblesses par sa vivacité d’esprit et sa capacité de concentration. Mais aujourd’hui… ces deux qualités s’étaient envolées. Gauche et inattentive, elle rata un saut, et eut toutes les peines du monde à finir le parcours. Sa chute lui laissait un genou douloureux, qui lui lançait à chaque mouvement… mais la jeune fille n’avait aucune envie de recevoir de l’aide.

S’éloignant en silence du groupe, tandis que celui-ci considérait le moyen de récupérer la clé, Astelle trouva un rocher moussu sur lequel s’asseoir et… se prit le visage dans ses mains.

La pluie commençait à tomber.
Le gémissement du vent gagnait en profondeur.
Autour de son cou, Senpai s’agitait. Peut-être plus que nulle autre créature, les Draco étaient passés maîtres dans l’art de commander au climat. Et à ses yeux, la tempête qui couvait derrière ces nuages noirs n’augurait rien de bon. Sa dresseuse, sa petite-soeur de clan, cependant… n’était pas aussi alerte qu’elle aurait dû l’être. Embourbée dans ses tourments, elle ne percevait rien de la menace à venir.

Ses pensées tournaient en rond.
J'vous présente Becky ! C'est ma bestah depuis qu'j'suis ado, je trainais souvent avec elle à Unys !
— Il y a quelques temps encore, c’est moi que tu appelais ta bestah… chuchota-t-elle dans le silence trouble de la forêt, sûrement ai-je fait l’erreur de croire que ça voulait dire quelque chose de plus spécial que ça ne l’était vraiment…

Elle-même se trouvait risible… ses troubles naissaient de préoccupations si futiles…
Pourtant, être “la meilleure amie de Manon” avait été important pour elle. Une fondation sur laquelle s’aimer et se construire. Un refuge qui l’avait aidé à ignorer le regard des autres. Qui lui avait permis de rassembler soigneusement les lambeaux rapiécés de son estime de soi, de les nouer solidement ensemble, une pièce après l’autre... jusqu’à former la tapisserie radieuse qu’elles composaient aujourd’hui.

Alors c’était d’autant plus dur de se rendre soudain compte…
...que ce n’était rien d’aussi spécial aux yeux de Manon. Rien d’aussi important. Rien d’aussi exclusif.
Juste un mot. Facilement interchangeable.
Claire, Becky, Astelle.
Quelle importance ?

La petite postière releva le regard pour découvrir que Manon la regardait.
Peut-être soucieuse qu’elle se soit blessée lors de sa chute. Peut-être inquiète de la voir s’isoler à nouveau… rongée par ses idées noires. Ses pensées négatives se nourrissaient les unes des autres, pour devenir plus lourdes et plus mauvaises, à mesure que le temps s’écoulait. Son amie l’avait déjà vu se torturer comme ça… mais c’était une vision qui remontait à bien longtemps déjà.

— Manon…

Du bout de l’index, Astelle désigna la dame blanche au loin. Celle qui, il y a quelques dizaines de minutes à peine, n’était encore qu’une illustre inconnue… mais qui déjà lui volait quelque chose qu’elle avait longtemps considéré comme son plus précieux trésor.

— ...si c’est quelqu’un d’aussi important pour toi… “ta bestah” depuis pratiquement toujours, pourquoi est-ce que je n’ai jamais entendu parler d’elle avant que cette duchesse catcheuse ne débarque soudain dans ma vie pour s’amuser à te manipuler comme si tu étais un gros sac-à-patates ?
...pourquoi est-ce que tu lui fais des confidences à mon sujet quand j’ignore jusqu’à son nom ?
Est-ce que tu trouves que c’est juste...? Ou que c’est normal...?

Des “amies de longue date” passées sous silence.
Tout comme l’étaient déjà les amants, les actes crapuleux et les secrets honteux…
De tout ça, elle en avait plus qu’assez. Et plus que de la colère, c’était une lassitude profonde et douloureuse qu’elle sentait croître dans son coeur.

— Tu as une tendance à ne jamais parler de toi. A ne jamais rien confier. Et tu penses peut-être que tu protèges l’une ou l’autre de nous deux en agissant comme ça, mais après tout ce temps passé ensemble... je peux t’assurer que ton attitude… que ta réserve... me fait simplement du mal.
Sa voix s’était éteinte sur ces derniers mots. Elle avait cessé de la regarder.

Inséparables pendant un an et demi pour n’obtenir - au mieux - qu’une poignée de confidences. Souvent vagues, et parfois seulement provoquées par l’alcool. Manon refusait de lui parler de sa vie d’avant, et en temps normal, elle pouvait le tolérer. Astelle pouvait prendre son mal en patience, chercher à lui inspirer davantage confiance, à lui prouver qu’elle pouvait supporter ces confidences.
...mais quand cette vie d’avant débarquait sans crier gare avec un Power Bomb, alors toute cette attente, cette patience, cette considération... tous ces efforts semblaient vains.

Juste… vains.

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