Le soleil, à l'horizon, déclinait. L'air semblait chargé d'un orage qui détonnait avec l'hiver d'ores-et-déjà bien entamé, le ciel dégagé et la brise froide qui soufflait sur la brûlure de ma joue meurtrie. Essuyant d'un revers de main le sang déjà coagulé, je réprimais une grimace douloureuse. Mes mains non plus n'avaient pas été épargnées, et portaient sur elles les stigmates d'une bataille difficile. Mes vêtements s'étaient usés sur les pierres, salis dans la poussière et la boue. Nova, devant moi, boitait pas, et je l'accompagnais dans sa démarche claudicante sur le sentier aux reliefs irréguliers.

L'horizon nous couvait d'un crépuscule chaleureux aux couleurs éblouissantes et le ciel, au dessus de nous, étirait la toile de ses infinies constellations. Le spectacle aurait attendri n'importe qui - du rêveur candide au réaliste le plus aigri. Il nous aurait presque soustraites au poids des carcasses de nos corps endoloris que nous traînions avec misères sur les aspérités du chemin.

Je me surprenais à redonner du sens aux beautés singulières du monde - aux cieux et aux océans, depuis qu'ils me rappelaient ses yeux. Parce qu'ils portaient tous, en eux, les mêmes promesses de demain, les mêmes douceurs, les mêmes tourments. Ils étaient sublimes et paisibles - capables de condamner aux plus terribles ouragans. L'homme n'était fait ni pour la mer, ni pour les airs - mais quelques uns, et ils étaient rares, avaient appris à les apprivoiser.

Ils avaient fait de ces imprévisibles des alliés qui, un jour peut-être, les tueraient aussi.

J'avais accepté le risque. Comme un accepte une épreuve dont on sait qu'on ressortira grandi ; comme on accepte un danger salvateur. J'avais accepté le risque qu'aimer représentait, parce qu'il m'était plus insupportable d'imaginer fuir que d'envisager l'idée d'être blessée. Déjà bien abîmé, mon cœur était habitué à être brisé - j'avais l'impression d'avoir grandi toujours amputée d'un morceau ; le myocarde rabougri.
Je n'avais de toute façon plus rien avant qu'il entre dans ma vie pour bousculer ma trajectoire toute tracée de gamine malheureuse à en crever - et, du peu qu'il me restais, j'étais prête à tout perdre, pourvu que reste gravé en moi le souvenir des regards qu'il me destinait.

De loin, le bruit des cascades devenait persistant. Nous approchions. Nous y passerions sans doute la nuit - l'endroit, de toute façon, était connu pour être paisible en cette saison. Hantées par les touristes dès qu'approchait la saison estivale, les berges froides étaient désertées dès que l'automne venait chatouiller l'épiderme des plus frileux.
Je ne rêvais que de m'écrouler - de rincer ma peau de la poussière et du sang de mes écorchures, de m'allonger et de dormir jusqu'au jour levé.
Pourvu que l'aube se lève encore sur moi des milliers de fois.

Clopin-clopant, nous parvînmes enfin jusqu’àla rive. Comme je l’avais autant prédit qu’espéré, on n’y trouvait pas âme qui vive, pourvu que l’on oublie les quelques Pokemon qui reprenaient leurs droits lorsque les hommes s’en allaient. Plus loin, sur ma gauche, les cascades formaient un mur d’eau épais sous lequel je n’aurais pas eu l’idée de m’aventurer. Leur bruit, même à distance pourtant respectable, était assourdissant.

J’hésitais.
Était-il prudent de rester ici ? Ne ferions-nous pas mieux de descendre plus à l’aval, de nous éloigner du boucan qui couvrirait tout bruit en approche ?
À mes pieds, Nova s’était allongée, pansant ses plaies à coups de langue précautionneux.
Balayant d’un regard perplexe les alentours, indécise, je finis par m’accroupir (non sans grimaces prononcées) pour la flatter. « Allez, ma belle, c’est pas fini. Faut qu’on continue encore un peu. »

Elle se redressa un instant après mois, et nous reprîmes notre marche boiteuse, malgré tout hâtive. Il nous tardait de laisser derrière nous les cascades et les courbatures - bien qu’elles ne nous épargneraient pas au réveil, la faute à nos muscles mordus par le froid nocturne.
Mieux valait encore ça, plutôt que d’errer toute la nuit.

Le bruit, dans notre dos, s'amenuisa finalement bien assez pour que nous nous arrêtions. Nous n'irions, de toute façon, plus bien loin, même si nous nous acharnions. Nous étions épuisées, poussiéreuses, blessées - et, si je ne me permettrais pas de parler en le nom de Nova, moi, je ne rêvais plus que de paix.

Laissant mon sac s'échouer à mes pieds, je m'avançais en direction de la rivière. Le courant, ici, s'était apaisé - l'eau coulait encore mais, si l'on n'y avait pas prêté attention, on aurait pu croire à une étendue paisible et inanimée. Agenouillée au bord, je plongeai les mains dans l'eau froide, et me rinçai nuque, bras et visage, savourant la morsure glaciale sur mes écorchures brûlantes.

Vivifiée par la fraîcheur bienvenue, je m'allongeais à même l'herbe grasse, dans un grognement satisfait. Nova, couchée près de moi, releva les oreilles d'un air curieux. Le ciel, au dessus de nous, s'était finalement défait de ses nuances brûlantes pour s'abandonner à ses apparats constellés...