Il avait fallu que Zeus et Arès fassent une scène.

T’avais absolument pas envie de sortir. Il s’était passé beaucoup trop de choses les dernières fois que t’avais pointé le bout du nez hors de ton appartement ; hors de question de prendre un risque en réitérant l’expérience. Ton karma était encore plus merdique de d’habitude en ce moment, alors pourquoi le provoquer ? Pour dire, tu te bougeais uniquement pour récupérer de quoi boire (et éventuellement manger) chez Gladys (qui occupait l’appartement mitoyen).

Au moins tu te sentais en sécurité dans ton chez toi. Personne pour t’aborder trop familièrement, personne pour te prendre la tête, et surtout aucun fantôme du passé prêt à te jeter des souvenirs trop vivaces (des reproches trop véraces) en pleine face. Evidemment il y avait des inconvénients : le premier était que moins tu voyais l’extérieur, moins t’avais envie de le voir. Le second était l’impact sur ta santé (quoi que ça encore tu t’en fichais).
Et le troisième, t’avais en ta compagnie deux surexcités qui n’appréciaient pas la quarantaine forcée.

Oh, ils s’étaient tenus les trois premiers jours. Ils voyaient bien que t’étais pas d’humeur, que c’était pas la bonne période pour faire des caprices. Seulement après cinq jours passés à tourner en rond dans ton antre, ils atteignaient leur limite. Les pauvres devenaient nerveux, ils se lassaient de jouer ensemble, et quand ils venaient te voir tu réagissais pas assez à leur goût. De fil en aiguille l’ambiance tourna au vinaigre, tes deux compagnons se chamaillèrent un peu ; la première victime fut ton mobilier.

T’étais en train de comater dans ta chambre quand l’incident se produit. Un gros boum, quelques bruits suspects, des cris pokémonesques. Tu débarquas dans le salon avec un horrible pressentiment qui ne fut pas démenti. Deux armoires renversées et un canapé éventré, nouveau record… En voyant le carnage tu passas une main sur ton visage, déjà lassé du bordel et agaçé (par eux mais surtout par toi).
Tu pouvais pas vraiment leur en vouloir. Ils avaient fait n’importe quoi certes, cependant t’avais déconné en les abandonnant à un triste sort. Il fallait te reprendre, rien qu’un peu.

Après un sermon et une séance ménage, t’avais donc pris sur toi pour les emmener dans un coin agréable où ils pourraient se défouler. Et de préférence pas trop fréquenté.
Direction le champ de tournesols.

Une fois arrivés tu t’étais contenté de marcher lentement, en les laissant faire la course ou se rouler par terre. Les voir s’amuser fit naître (à ton insu) un sourire sur tes lèvres asséchées. Tu savais plus ces bonheurs simples, profiter les beaux ciels bleus comme ce jour-là, t’extasier devant la beauté des fleurs.
Peut-être que tu devrais tirer une leçon de ces dernières ; même elles savaient que la lumière est nécessaire à la vie.

En revanche, la tranquillité des lieux te permit de te détendre un minimum.
Jusqu’à ce que tu n’aperçoives une petite fille surgir entre les grandes tiges.

Elle t’observa. Tu l’observas. Vous vous observèrent plusieurs secondes en silence.
(Qu’est-ce qu’elle faisait là ?)

Finalement tu quittas ton mutisme en voyant ton Ecaïd courir comme un boulet de canon derrière la gamine. Le connaissant il ne l’avait sans doute pas remarqué et allait lui foncer dessus. « Arès, doucement ! » L'enjoignis-tu pour éviter un accident, avant de continuer ta route sans prêter plus d’attention à cette présence humaine inattendue.

Tu remarquas alors que tes deux partenaires jouaient avec d’autres pokémons, qui n’avaient pas l’air sauvages. Tiens… ?

L’éclat de voix faillit te causer une crise cardiaque. Tu tressaillis puis fermas les yeux en crispant les poings dans tes poches pour retenir toute réaction excessive.

T'aimais pas les gosses, c'était définitif. Trop bruyants, trop énergiques, toujours excités pour un rien ; t'avais pas la patience pour supporter ces êtres si opposés à toi. Leur présence te fatiguait. Seulement tu savais que chercher des noises au premier venu qui criait un peu fort n'était pas une solution (ni ton rôle, d'ailleurs tu te demandais où étaient ses gardiens). En adulte mature (ironie bonjour) tu continuas donc ton chemin sans te retourner vers la petite. Plus vite tu t'éloignerais, mieux ce serait.
Du moins c'était ton plan. A ton grand dam, le sien était bien différent.

Pourquoi approchait-elle ? Certainement pas à cause de ton air affable, t'étais loin du titre de face la plus sympathique de Lumiris (bien volontairement). Cette réaction te paraissait si illogique que tu ne pus que la mettre sur le compte de son âge. Une fillette aussi jeune n'avait pas forcément conscience des risques qu'elle prenait en approchant un inconnu patibulaire… Quoi que selon ses dires, vous n'étiez pas si inconnus que tu le pensais. Parce qu'elle t'avait donné son prénom ? Tu fronças les sourcils, perplexe. Vraiment, sa psyché t'échappait.

Une minute. Ne dites pas qu'on lui avait appris à ne pas parler à n'importe qui mais que c'était sa manière de contourner cette règle ? A quel point n’en faisait-elle qu’à sa tête ? (Non pas que tu puisses parler, t'étais pareil si ce n'est pire à son âge).

Bref, dans tous les cas tu n'eus pas le loisir de l'envoyer paître puisqu'elle s'arrangea pour vous embarquer - toi et tes camarades - à l'aide d'une attaque psy. Tu protestas vivement les premiers instants, jusqu’à comprendre que ça ne servait à rien. Elle était déterminée à vous kidnapper, pour une raison obscure. Tu croisas donc les bras en attendant que la gamine se lasse, que le mentali fatigue, ou que vous arriviez à destination.

Finalement vous furent libérés lorsqu’un jeune homme à la chevelure flamboyante (qui ressemblait fort à un Carmin plus âgé, et un peu à toi) l’ordonna. Lui aussi se demandait pourquoi vous aviez fini tous fers en l’air, alors que c’était sa petite sœur la coupable. « Demande à la gamine, c’est elle qui nous a amenés. » Grommelas-tu en époussetant les manches de ta veste. Mais avant que vous ne puissiez continuer la discussion, la dénommée Yuna provoqua Zeus dans une partie de chat.

Tu les regardas courir en te demandant pourquoi tes pokémons étaient aussi sociables et joueurs, puis te résignas dans un soupir. Ils finiraient par s’exténuer et vous pourriez vous éloigner de ce petit monstre. En attendant, ton regard retomba sur l’autre inconnu. Il avait l’air aussi ouvert aux autres que tes deux hyperactifs ou la demoiselle qui jouait avec eux.
Sauf que c’était pas ton cas. Tout ce que tu trouvas à dire, c’est « Fais-moi signe quand ils en auront marre. Et surveille-la un peu mieux. » - cette dernière phrase prononcée en pointant vaguement la tête blonde du pouce.

Puis tu t’éloignas vers un arbre proche, bien décidé à t’allonger dessous pour y trouver un peu de calme. Que tes monstres s’amusent ne te posait pas de souci, mais comme on dit, t’es trop vieux pour ces conneries.
Une fois posé, un bras sous le crâne et les yeux fermés, tu laissas tes sens s’éloigner de cette après-midi ensoleillée ; t’entendis même pas les vagues bruits de bagarre.