Les rayons du soleil traversent la fenêtre pour me réveiller. Mes yeux s’ouvrent timidement et je grommelle. Je me retourne dans mon lit pour m’emmitoufler dans la couette quand soudain un bec monstrueux vient me tirer les cheveux.

« AÏEUH »

Ophélia agite ses petites ailes devant ma face. Ses gestes et ses pioupious stridents m’arrachent des bras de Morphée. Je lève mon buste et saisis le pingouin pour cesser ses attaques. Elle est tellement rigolote à gigoter ses papattes que cela me fait décrocher un sourire.

« T’es beaucoup trop choouu. »

Je la contemple avant de comprendre ce qu’elle essaie de me dire. Ophélia est toute excitée et elle est impatiente de partir ! En effet, j’ai pris la décision de partir explorer l’île aujourd’hui. Je souhaite m’émanciper de ma sœur et découvrir ce nouveau monde dans lequel je vais grandir ! Puis je dois me faire de la tune.

« Tu as raison Ophélia, c’est aujourd’hui ! »

Je bondis de mon lit et repose Ophélia par terre. Je regarde mes affaires préparées avant d’esquisser un sourire.

« On va bientôt partir, ne t’en fais pas ! »

Mais pour se faire, je vais avoir besoin d’une bonne douche. Mon pingouin me suit jusqu’à la salle de bain pour pouvoir profiter de l’eau : il adore ça.

Fredonnant en séchant mes cheveux avec la serviette, ma sœur m’appelle pour le petit déj’. Il faut dire que c’est mon moment préféré de la journée : le petit déjeuner préparé avec amour par quelqu’un qu’on aime -le préparer seul ne compte. Je carapate jusqu’à la cuisine avec enthousiasme.  Grande sœur sait que c’est le jour j et elle est très fière de moi. Elle me donne un tas de conseils sur des choses dont je m’en fous ou que je sais déjà mais je sais que c’est important pour elle de jouer l’aînée. J’avale mon jus de Baie Mago avant de me lever.

« Je devrais y aller. J’aimerais atteindre la prochaine ville pour y manger ce midi.
- Oh ! T’es sûre que tu veux pas rester encore un peu ?
- Oh non c’est gentil mais depuis le temps que je veux bouger ! Ça ne peut plus attendre. »

À vrai dire, j’ai hâte de ne plus avoir à supporter les crises d’hystéries de ma sœur. Ce mois-ci j’ai du plus m’occuper de son gosse que de moi-même.

«  Je comprends. On continue à s’envoyer des textos hein ?? »

J’acquiesce avant d’aller chercher mes affaires. Je remarque Lucas tituber dans le couloir en direction de la chambre de sa mère. Je l’attrape sous les bras avant de lui poser un bécot sur la tête. Il va me manquer ce petit bonhomme. Une fois dans ma chambre, je vérifie une dernière fois si j’ai bien tout : mes clopes, mon carnet, des pokéballs, des affaires de rechanges et deux trois barres de céréales en cas de coup dur. Niquel j’ai tout.

« Ne t’en fais pas Anna, on reste en contact. Et puis, rien ne dit que jamais je ne reviendrai ! »

Au pied de la porte, je ricane doucement. Je vois que ma sœur est affectée par mon départ à la limite d’éclater en sanglot. Elle me fait un grand sourire avant de me prendre dans les bras.

« Reviens quand tu veux, la porte te sera toujours ouverte ! »

Je me démêle de ses bras avant de m’accroupir face à Lucas. J’ébouriffe ses cheveux avant de lui faire un bisou sur la joue.

« Toi aussi tu vas me manquer p’tit gars ! Tu me fais un bisou ? »

Je tend la joue alors que les yeux du bambins fixent les feuilles tombant de l’arbre. Son envie irrésistible de les attraper le pousse à se diriger vers le hêtre.

« Ok, il en a rien à foutre. »

Ma sœur et moi rigolent un bon coup. Alors que je m’apprête à partir, Anna m’offre son bracelet porte-bonheur : il est orné d’un petit têtard avec une émeraude incrustée.

« Je le portais tout le temps lors de mon expédition à Unys. Ça sera ton porte-bonheur comme pour moi et ta grand-mère !
- Oh mais, fallait pas … Merci Anna, j’en prendrai soin ! »

J’ai les étoiles pleins les yeux. Ce bijou a appartenu à ma grand-mère, le portant pendant son voyage autour du monde. On dit qu’il lui aurait apporté quelques miracles et heureux évènements. Chaque filles de la famille partant à l’aventure le porte en guise de porte-bonheur et aujourd’hui, c’est mon tour ! Je ne crois ni aux gri-gris ni aux superstitions chanceuses ou malchanceuses mais je porte celui-ci en l’honneur de ma famille et au bon-goût de l’accessoire.

Finalement, je remercie ma sœur par une dernière accolade. Je prends une grande inspiration avant de définitivement quitter la maison d’Anna.

L’aventure peut enfin commencer. J’avance d’un pas rapide sur le petit sentier. Ophélia me suit gaiement derrière, s’arrêtant de temps en temps pour voir si il n’y a pas une baie à gober. J’en profite pour feuilleter mon guide de débutant et observer la faune et la flore qui m’entoure. À vrai dire, c’est la première fois que je me balade dans une nature aussi verdoyante. Habituée aux parcs de Volucité depuis toute petite, c’est un véritable spectacle écologique auquel j’assiste.

« Ophélia, regarde là-bas ! On voit la mer, on y est presque ! »

Le parfum marin me titille les narines. Je m’engage sur le sentier qui longe la côte : je peux contempler de loin Port-Corail. Mes yeux cherchent Ophélia qui se traîne. Elle geint pour que je la porte.

« C’est ça aussi de pas vouloir rentrer dans sa pokéball. Maintenant tu le ferais ? »

Je sens mon pingouin faiblir mais la petite dame ne veut pas s’avouer vaincue. Le regard déterminé et fougueux, elle se tape un sprint pour descendre la colline. Le sourire aux lèvres, je descends comme une folle avec elle vers la ville portuaire.

Port-Corail

J’allume ma cigarette en contemplant d’un œil curieux le chalutier. Nous y sommes ! La première ville que je découvre. Elle n’est pas très dépaysante puisqu’elle ressemble à Volucité en beaucoup plus modeste. Cette odeur de moule peu fraîche et le bruit des drisses qui claquent me rendent nostalgique.

« PIOU PIOU »

Ophélia becque mon jean tout neuf. C’est une très mauvaise habitude qu’elle a pour me dire qu’elle a faim. Je secoue ma jambe pour que l’oiseau me lâche avant de m’accroupir à sa taille.

« On va manger t’en fais pas. Je finis ça et on y va, d’accord ? »

Je tire une dernière fois sur ma cibiche avant de l’écraser sur une poubelle. Nous nous dirigeons vers le coin commerçant de la commune. On y trouve bons nombres de vendeurs beuglant et de mamies indécises. Il y a de bons produits frais comme de mauvais produits et il n’est pas toujours facile de déceler les bons et mauvais commerçants. Et pour cela, j’ai ma botte secrète ! Je saisis mon Tiplouf dans les bras et lui met sous le nez les produits à notre disposition. Son flair et son œil détectent les meilleurs aliments pour notre repas. De plus, le charme d’Ophélia rend le contact social plus facile avec les marchands. À ce moment-là, j’ai pensé que tout se passerai bien.

« Ça vous fait 80. »

Quoi ? Nan mais il rigole hein ? Je vais pas payer 80 boules les 3 baies Marons. Même Ophélia est choquée. Le pire, c’est que j’ai même pas les tunes me les payer ! Évidemment la chose qu’il faudrait faire c’est pousser une gueulante ou négocier le prix. Or, je suis toute tremblotante et mon regard est fixé sur mon porte-monnaie. D’une voix faible, je m’exprime :

« M-mais, je, c’est cher quand même, enfin je, j’ai pas l’argent pour acheter tout ça ...

- Bah t’as qu’à en prendre une j’vois qu’t’as 30 pour te la prendre. »

Des gouttes de sueur perlent à mon front. Le sale margoulin, je sais faire des divisions pour dire que tu vas me carotte 30 ! Tu crois que je vais dépenser mon fric de bienvenu dans ta baie bourrée d’OGM ?! J’ai beau imploser dans ma tête, rien ne sort de ma bouche. Alors, c’est Ophélia qui joue.

SLAP

Sans pudeur, le pingouin fait tomber le sac de baie tendu par le gars. Ophélia lui balance des yeux de la mort tandis que le monsieur devient rouge.

« Nan mais c’est quoi ça tu sais pas tenir ton Pokémon ou quoi ?! Il les avait tombé donc tu les prends. »

Je déglutis sans rien dire. Si Ophélia peut s’exprimer, elle aurait insultée ses morts et volée le sac du requin. Or elle se débat dans mes bras sans que je puisse la libérer. Je sais qu’il faut que j’agisse mais mon cerveau est en ébullition et ma bonne conscience me dit qu’il faut que je reste courtoise et compatissante.

Le pire, c’est que la bonne femme du mec se la ramène et ose me faire la morale. Il me traite comme une gamine et je subis tel une enfant qui se fait punir.

« D-désolée, mais j-je peux pas payer ... »

J’essaie de calmer le jeu et je jette un regard désespéré aux gens autour de moi.

Soudain, la voix d’une jeune fille retentit. Quelqu’un à répondu à mon appel ! Tu te tournes vers la source. C’est une jolie blonde qui fusille du regard le sale marchand. Je l’admire, les yeux qui lui disent milles fois merci. Il faut du cran pour s’interposer comme cela, sachant que le margoulin commence à devenir tout rouge. La jeune fille lui tient tête.

Dans ses bras, il y a un adorable œuf vivant, un pokémon que je ne connais pas. Celui qui m’attire le plus l’attention c’est le formidable manchot qui se tient à ses côtés. Il n’y a pas que moi qui a des étoiles dans les yeux : Ophélia est complètement paralysé par le charisme haut level du pokémon. Celui-ci, je l’ai déjà vu dans les bouquins sur Sinnoh : c’est la troisième évolution de Tiplouf. Je ne cesse de penser à Ophélia qui deviendra une impératrice aux airs fiers mais sages.

Soudain, l’homme s’apprête à mettre une droite à la jeune femme. Mais quelle créature oserait faire cela ?! Un gasp d’effroi sort de ma bouche, m’empêchant d’agir. C’est alors que l’incroyable manchot défend sa maîtresse de l’agression. Le choc de la main contre l’aile arrache un couinement du malotru.

Il grogne dans sa barbe avant de sortir de sa pokéball un énorme panda. Il engage immédiatement le combat, fonçant sur le Pingoléon. Je recule de quelques pas pour anticiper les attaques ; je me mets derrière la jeune fille qui ordonne l’attaque. Le sol se met à trembler ne manquant pas de me faire perdre l’équilibre. Je cherche Ophélia pour la prendre avec moi, or elle se trouve à quelques mètres du Pingoléon, contemplant sa performance.

« J'ai dis : Arrête. Arrête de t'en prendre à plus faible que toi. Ou tu vas le regretter. » menace ma sauveuse.

Le margoulin a un rire gras. Il la regarde de haut, nous méprisant.

« Écoute, on fait un marché. Si tu gagnes, t’auras le droit de repartir avec les baies qu’la gamine a fait tomber. Mais si j’gagne, va falloir que tu paies les dégâts que vous avez causés. On pourra s’arranger ... » dit-il le regard lubrique.

L’homme contre-attaque et exige à son Pandarbare de frapper l’adversaire. Le poing du pokémon se met à briller et se dirige droit vers l’empereur.

Je suis tellement en colère. Cet homme est malsain et mérite carrément une bonne raclée. Si c’était possible, Ophélia lui aurait mit une raclée. Or, ce n’est qu’un p’tit bébé. Je ne connais pas les motivations de l’inconnue, mais j’ai l’impression qu’elle a la même rage que moi. En même temps, ce gars lui a clairement fait des avances. Mes dents se serrent et je me rapproche de la jolie blonde pour lui murmurer entre deux attaques :

« Je suis trop faible pour lui faire face seule mais sache que tu as toute ma reconnaissance. Si tu as besoin d’aide dis le moi, je suis de tout cœur avec toi ! »

Je commence à l’encourager. Le peuple s’agglutinant autour de la scène clame la personne qu’ils soutiennent, tandis que les commerçants râlent du bordel causé.

La demoiselle me rassure par quelques susurres tandis que son Pingoléon encaisse comme un beau gosse. Je zieute mon bébé pingouin qui n'a d'yeux que pour ce combattant. Suite aux ordres de sa maîtresse, ce dernier expulse un gros jet d'eau venant sonner le Pandarbare. BLAM, dans le stand !

« Je te conseille d'abandonner. Ou j'ordonne à mon pingoléon de noyer, toi et tes marchandises, dans une immense vague d'eau. » lui dit ma sauveuse avec une telle badassitude.

Le margoulin est furieux mais il a trop de fierté pour se mettre par terre à ramasser sa marchandise. Sa rage et son impulsivité le pousse à aller jusqu'au bout : il exige au Pandarbare de spammer comme un gros bourrin Casse-Brique. En plus d'être un sale escroc, il sait même pas se battre. Le Pingoléon n'aura pas de mal à l'envoyer au tapis jusqu'à ce que le sagouin déclare forfait.

Sauf qu'après la mise au tapis, nous avons le droit à une magnifique scène de ménage : sa mégère vient lui donner des coups de raclette — elle tient un stand de bonbon plus loin — en pestant contre lui. Ce moment est si embarrassant que la foule finit par se dissiper et l'homme à remballer ses produits. Le vieux s'adresse à nous en s'apitoyant :

« *snif* Cette nuit, vous dormirez pas sur vos deux oreilles après avoir mit un homme à la rue ! »

Il a beau faire culpabiliser la demoiselle et moi-même, je suis plus que satisfaite d'avoir vu cet homme se faire victimiser par sa femme et une jeune fille devant tout le monde. Préférant nier ces accusations, je prends les mains de la blondinette pour m'exclamer avec un grand sourire :

« Merci, merci mille fois ! J'étais dans la mouise et tu l'as ruiiiné comme jaja ! »

Je lâche ses menottes en reculant un peu, ne voulant pas empiéter sa distance minimale. Je réfléchis un instant, l'index sur mes lèvres.

« J'aimerais pouvoir te remercier comme il se doit ... »

En y songeant, je devrais peut-être m'introduire, c'est la moindre des choses. D'une voix un peu plus douce, je me présente.

« Au fait, moi c'est Manon. »

Je chope Ophélia sous les nageoires, encore en train de phaser sur le grand manchot.

« Et elle c'est Ophélia ! Dis bonjour Ophélia ♪ »

Cette dernière me picore la main dans l'espoir que j'arrête de saluer avec sa nageoire. J'affiche un rictus pour cacher ma douleur.

Je finis par la poser par terre, la laissant admirer son nouvel idole. La dernière fois que je l'ai vu dans cet état, c'est quand j'ai affiché mon grand poster de Britney Spears dans ma chambre d'ado. Il faut savoir que cette star a une place particulière dans son cœur, alors si elle lorgne l'empereur de la même façon c'est qu'elle a une immense considération. Dans son esprit, Britney et ce manchot sont au-dessus de moi.

« C'est fou, j'ai rarement vu Ophé' comme ça. C'est vrai qu'il est incroyablement beau ton pokémon ! Il a un petit nom ? »

En croisant mon regard avec le concerné, j'esquisse un sourire chaleureux.