Ça ne te bottait pas vraiment.
Mais à Eden oui. (Fallait vraiment que tu cesses de tout rejeter sur les épaules d’Eden)
Tu n’avais jamais mis les pieds dans un safari. Ça ne t’intéressait pas, ça t’horripilait d’être entouré de tant de pokémons… À chaque fois, tu avais l’impression d’y revoir ceux que tu avais abandonné, ceux pour qui tu n’avais pas été foutu de te battre. Tu t’étals enfui de Johto sans une pensée pour eux et pour ce qu’ils avaient sacrifié pour ta gueule. Tu les avais fuis à la manière d’un mauvais souvenir, d’un fardeau dont tu ne pouvais plus supporter la pesanteur. Tu avais été lâche.
Mais pas assez lâche pour reproduire deux fois les mêmes erreurs. Tu avais compris la leçon (C’était bien là la seule leçon que tu eus vraiment apprise), tu ne comptais pas reproduire à nouveau le fruit de ta stupidité.

Pourquoi avait-il fallut qu’Eden y tienne autant ?

Comme tout le monde, tu avais reçu le ticket par la poste.
Tu n’avais pas vraiment lu les modalités, tu l’avais abandonné sur la table de la cuisine avec la promesse négligeable de le jeter aux vidanges dès que tu repasserais dans le coin. (Tu étais devenu doué dans l’art de tout remettre à plus tard) … Sauf que la gamine était tombée dessus avant que ça n’arrive. Elle n’avait pas lu. Eden ne savait pas lire, encore heureux… Mais elle t’avait demandé ce que c’était et tu avais compris en jaugeant la situation que tu ne parviendrais pas à broder de mensonge aujourd’hui.
Voici où ça vous avait mené. Ton incapacité navrante à d’adaptation aux imprévus venait de te condamner à un passage dans un safari. Et tu n’avais pas le cœur à ça. Tu n’avais pas le cœur à voir Eden s’extasier devant des pokémons que vous ne ramèneriez pas à la maison… Alchemy suffisait. Pourquoi ne savait-elle pas s’en contenter ?
Ta barpau n’était pas l’être le plus captivant du monde, mais c’était un Pokémon comme un autre. Elle n’avait qu’à la mettre dans le bain et la regarder nager. Tu étais même certain qu’en discutant un peu avec elle, tu parviendrais à convaincre Alchemy de lancer des jets d’eau pour captiver l’attention de ta progéniture. (L’idée était nulle, Alchemy n’était pas conçue pour animer les foules)

En arrivant, tu te penches immédiatement vers la gamine afin de planter ton regard dans le sien. « Tu ne t’éloignes pas. » Signes-tu avec le plus grand sérieux. Esquissant d’abord une moue un peu boudeuse, Eden finit toutefois par se soumettre à ta volonté lorsqu’elle voit un pokémon passer au loin.
Elle savait, même du haut de ses deux ans et demi, que vous feriez demi-tour si elle venait à te désobéir. Si tel était son désir : soit, tu ne comptais pas t’y opposer… Mais si elle restait rester, c’était selon tes conditions et aucune autre. (Tu l’avais déjà perdue une fois, tu ne comptais pas remettre le couvert)
Cette journée s’annonçait aussi épuisante qu’ennuyante, tu n’avais pas envie d’ajouter à ça une course poursuite après une gamine de deux ans sourde et trop frivole.

Tout. Sauf. Ça.

Malheur à toi ; tu n’avais rien vu venir.
Certes, tu envisageais déjà la journée avec un brin d’amertume et d’ennui… Mais tes pires prédictions ne rendaient pas justice à l’horreur qui t’y attendait réellement. Tu avais espéré pouvoir en tirer quelque chose d’un peu positif, quelque chose capable de justifier ta présence en terres hostiles.
À la place, tu t’étais fait sauter dessus par une gamine.
Enfin, Eden s’était fait sauter dessus par une gamine. Ce qui était, soyons franc, quasi pire que si tu t’étais fait agresser toi-même.
Est-ce que tu avais déjà précisé ne rien ressentir pour les enfants qui puisse s’apparenter à de l’affection ou même de la compassion ? Maintenant, c’était dit. Alors forcément.

« Coucou monsieur, tu vas bien ? Salut toi, moi je suis Yuna & elle, c’est Rikku, enchantée. » Regard de dédain à peine masqué jusqu’à ce qu’elle soit rejointe par un homme manifestement plus vieux et moins… spontané. « Yuna, ne dérange pas les gens sans prévenir. Excusez là, elle ne voit pas souvent d’enfants. » La suite n’en est que plus prévisible. Prenant une grande inspiration, tu tentes de te calmer au moins un peu. Il fallait se rendre à l’évidence ; tu ne pouvais pas envoyer tout le monde se faire voir sous prétexte que tu étais quelqu’un de naturellement très désagréable. Inutile de te causer des problèmes quand les gens ne t’en cherchaient pas. « … » Il te fallait faire un effort Ezy. Tu n’arrêtais pas de dire que tu avais changé (C’était probablement faux) depuis que Achille était revenu dans ta vie alors prouve-le. « Il n’y a pas de soucis. Je suis Ezekiel Fitzgerald et voici Eden… Elle est sourde. » Tu avais toujours une manière si délicate d’amener le sujet, Ezy.

Mais tu estimais que cela suffirait peut-être à dissuader l’autre mioche de jouer avec Eden. En parlant du loup. Curieuse, celle-ci s’accroche à ta main comme à une bouée alors que son regard parcourt tantôt Yuna, tantôt Kei. Loin d’être aussi insensible que toi, elle se risque toutefois à adresser un sourire à la première. Elle dégage un truc. Une sorte de sympathie, de gentillesse innée à laquelle Eden ne pouvait pas restée indifférente… Ta fille avait toujours eu ce défaut, cette sensibilité extrême aux bonnes ondes. Elle aimait les gens souriants, les gens qui dégageaient un truc de plus.
Toi, ça te saoulait ; tu détestais naturellement tout le monde.

Perdu dans tes pensées, tu ne remarques même pas l’attaque du rubombelle sur le lockpin ni la victime collatérale de cette crise de jalousie.
Tu ne remarques le produit qu’une fois que Kei te demande de veiller sur Yuna et qu’il fonce vers un jeune homme.
Voici un autre magnifique imprévu ! C’est que tu avais toutes les raisons d’être heureux, aujourd’hui, Ezekiel.
Seul avec l’enfant, tu lui décroches un regard en biais alors qu’Eden lâche ta main pour s’approcher d’elle et commencer à signer des mots que tu distingues un peu mal dos à toi. Tu aimerais lui dire que la jeune fille ne comprend sans doute pas la langue des signes, que c’est vain que d’essayer de communiquer avec elle de cette manière, mais peut-être est-il temps pour ta progéniture d’apprendre ce genre de chose par elle-même. « Pardonne-là… Elle n’a jamais appris à parler… » Tu n’as pas honte, mais tu as parfois le sentiment d’avoir raté une part de son éducation alors que ce n’est en rien ta faute. « Elle te demande si tu veux être son amie, je pense qu’elle t’aime bien… »

Toi pas, mais qu’en a-t-on à foutre de tes problèmes ?

Tu ne voulais pas.
Voilà, au moins, comme ça, c’était dit.
Sa familiarité mettait ta patience à rude épreuve et voir sa gamine toucher Eden, prendre sa main dans la sienne et partir avec elle t’écorchait les nerfs comme une insulte à ta personne.
Ton expression s’était un chouia renfrogné après ça. Tu avais croisé les bras, prenant une grande inspiration afin de garder ton calme. Tu avais expressément demandé à ta prunelle de ne pas s’éloigner et voilà qu’elle venait de prendre ses jambes à son cou en compagnie d’une parfaite inconnue. Tu venais définitivement de perdre toute crédibilité et autorité sur elle. À quoi ça ressemblerait, lorsqu’elle serait adolescente ?
Si, du haut de ses deux ans et demi, elle ne t’écoutait déjà plus… Alors tu étais en droit de t’inquiéter pour l’avenir.
Que tu le veuilles ou non, Eden deviendrait sans aucun doute une jeune fille très influençable et facilement impressionnable. Tu ne la voyais pas faire opposition à un plan foireux.

D’ici quelques années, tu te rongerais les sangs à chaque fois qu’elle sortirait plus loin que le bout de la rue. D’ici quelques années, tu serais le père normal d’une adolescente normale. Voilà tout.

Lorsque le dommage collatéral se présente à toi, tu ne peux t’empêcher de rigoler légèrement. Un brin pince-sans-rire, tu hausses doucement les épaules en décrochant un regard vers les jeunes gamines non loin de vous. « Heureux de faire ta connaissance Dommage Collatéral. Si ça peut te rassurer, je pense que nous le sommes tous un peu. » Tu étais le dommage collatéral de Kei, Eden était celui de Yuna et Wallace celui du pokémon.
Franchement, tu ne voyais pas le problème. Vraiment.
Disons simplement que ce Kei et son petit groupe brassaient beaucoup d’air et happaient beaucoup de gens sur leur passage. Avec un peu de chance, ta sortie au parc ne finirait pas en rassemblement général. (À ce rythme, tu commençais à craindre le pire)

Quant au café… Pourquoi pas ?
Tant que personne ne te demandait de parler. (T’avais pas envie de parler. T’étais plus sauvage qu’autre chose, rien de nouveau sous le soleil.)

« Pourquoi p… » Acquiesçant d’abord, tu arrêtes toutefois ton geste dans la foulée pour dévisager le rouquin. « Kirishima, hein ? » Éclair de lucidité, incroyable.
Surprenant venant de toi.
Parce que si tu te fichais bien de connaître le champion local de la ville où tu habitais, c’était toujours un peu différent lorsqu’il s’agissait d’une famille fortunée et un peu trop célèbre à ton goût. Jamais les Fitzgerald n’avaient prétendu à la même importance que les Kirishima, mais ils connaissaient bien. De nom, surtout, mais ça avait été suffisant pour que tes parents te cassent les oreilles l’exemple à suivre ; des familles plus parfaites que la vôtre, il y en avait un paquet dont ils n’hésitaient pas -à l’époque- à faire l’étalage pour te rappeler jusqu’où tu devais guider les rangs familiaux.
Finalement, il avait été plus simple de te déshériter.

Soupirant, tu jettes un œil à Wallace dont l’existence rend la tienne un peu moins pénible. (Le dommage collatéral était, selon toi, davantage ton sauveur, mais qu’importe.)
« Mign-… Ouais, si on veut. Et toi, qu’est-ce que tu étais venu chercher avant de te faire agresser ? »

Quelqu’un le faisait forcément exprès.
Que ce soit Arceus, la lockpin ou le role player une force qui vous surpassait, quelqu’un le faisait forcément exprès. Tendu comme un nouveau marié (Vraiment ? Tu n’avais aucune comparaison plus exacte ?), tu fixes les deux fillettes avec la mort dans les yeux. Tu ne savais plus comment cacher ton malaise.
Ta respiration manquait de fluidité et l’air qui se bloquait dans tes poumons à chaque nouveau saut trahissait ton incapacité à lâcher prise.
Mais ça, il en avait toujours été. Tu étais père monoparental d’une fillette de deux ans et demi sourde et muette qui ne connaissait rien en dehors de toi. En gros, tu étais la définition même d’un papa poule, d’un géniteur incapable de laisser quatre mètres de liberté à sa prunelle par crainte qu’il ne lui arrive quelque chose pendant qu’il cligne des yeux.
Ce que Kei t’obligeait à vivre était plus apparenté à la torture qu’au plaisir. Comment étais-tu censé profiter de cette insupportable rencontre (Déjà que tu n’en avais nullement envie.) en sachant que tu ne contrôlais rien ?

Impossible.

Difficile, néanmoins, de rester indifférent au sourire estampillé sur le visage d’Eden. Vaincu, tu laisses retomber tes épaules.
Tu aurais tout le temps de râler plus tard.

Une bière pourrait te calmer un peu, mais tu crains de trop en faire. Embêté, tu susurres dans soupir agacé : « Un verre de vin rouge, n’importe lequel. » Tu pries pour qu’ils en aient, mais tu ne quittes pas les fillettes du regard pour le vérifier. D’une seconde à l’autre, tu t’attends à entendre la serveuse indiquer que ton choix n’est pas sur la carte, qu’il va falloir en désigner un autre… Mais rien ne vient.
Satisfaction.
Tu n’aurais pas su quoi prendre en l’absence de vin. Bien sûr, tu ne t’attendais pas à y retrouver les bouteilles du cellier de tes parents, mais n’importe quoi ferait l’affaire. Littéralement n’importe quoi qui puisse te faire oublier quelques secondes le cri des gamines.

« Tu ne viendrais pas de Sinnoh, Ezekiel ? J’ai remarqué que tu as tiqué sur mon nom de famille plus tôt, tu connais les Kirishima ? » Ah.
Retroussant légèrement le nez, tu tentes de feindre l’indifférence voire l’ignorance. Tu pourrais faire comme si de rien n’était, prétendre n’avoir jamais fait de fixation sur son nom de famille.
Pire, tu pourrais pousser le vice jusqu’à dire quelque chose du genre : « Pourquoi ? Je suis censé les connaître ? » avec le plus beau regard de surprise jamais immortalisé par l’homme… Mais tu n’y arriverais pas. À la place, tu hausses doucement les épaules, tente de trouver une feinte pour t’en sortir, mais t’avoue vaincu avant même d’avoir voulu détourner le sujet. « Non, je suis originaire d'ici et de Kalos. C’est simplement un nom courant dans la haute… Troisième fortune mondiale, célèbre grâce aux recherches révolutionnaires du patriarche sur les fossiles, un fils particulièrement doué en bourse qui a su faire fructifier la fortune familiale, et cetera, et cetera. » Ce manque de discrétion navrant.
Les Kirishima étaient une sorte d’idéal pour les Fitzgerald dont le compte en banque n’était pourtant pas en reste à côté. Forcément, vous étiez moins connus… Forcément, tes parents entendaient à faire mieux encore.
Tu avais grandi dans les attentes insurmontables de Victoria et Alexander Fitzgerald. C’était derrière toi désormais. (Vraiment ?)
La haute te manquait, parfois.

« Jus de tomate ? Vraiment ? » Fidèle à toi-même, tu te retournes vers Wallace dans le simple but de fuir la conversation. Il a une tête sympathique, il ne vient pas d’une famille quadruplement plus riche que la moyenne mondiale, ça te suffit.
Vraiment. Ton véritable allié contre la folie, c’était lui.