« Non. Pervane, suivez, sinon vous retournez dans votre balle. » menaçai-je avec assurance à ma Pomdrapi. Je voulais bien qu’elle ait du mal à tenir en place, qu’elle soit agitée, je le comprenais, mais il y avait de réels dangers en cette zone. Je ne voulais pas qu’elle s’éloigne trop. La pauvre avait évolué depuis peu et j’avais toujours autant de mal à la contenir. Les autres marchaient pourtant en rang. Ils avaient pourtant écouté mes demandes lorsque je leur avais demandés de se joindre à moi : Restez à proximité et calmes en tout temps. C’était tout, des règles bien simples que mon dragon avait du mal à comprendre. C’était pourtant justifié : ces boisées étaient vastes, voire même dangereux à certains endroits. Nous n’étions pas venues nous perdre ou camper, au-delà de la promenade je voulais les visiter comme je le faisais souvent pour mémoriser le chemin jusqu’à l’arène Plante, pour que ce soit rapide de m’y rendre le jour où je serais prête. Chaque fois, j’emportais avec moi Altesse et cinq autres de mes Pokémons, la peur au ventre, d’intrépides envies me prenant la tête.

Parfois, il m’arrivait d’imaginer cette rencontre avec Hayato, de me perdre dans mes pensées, puis de m’imaginer triomphante, comme si ça avait été d’une facilité. Tout était facile dans mon imaginaire. Tenir ma Pomdrapi sans laisse aussi. « Pervane ! J’ai dit ici. Cessez tout de suite vos fourberies. » criai-je avec puissance. Je n’étais pourtant pas du genre autoritaire, mais là, maintenant, je m’impatientais, elle refusait d’écouter et je haussais le ton. Chaque fois, je sentais l’étreinte de ma Larveyette se resserrer contre mon béret. Je la sentais s’écraser avec l’espoir que je ne produise pas plus de décibel. La pauvre était habituée au calme, elle avait l’habitude de m’entendre parler doucement, pas de m’entendre apeurer les oiseaux qui avaient trouvé refuge dans les arbres avoisinants. Pour elle, ce cri était effrayant. Pour un passant, il aurait pu être celui d’un appel à l’aide ou d’une querelle musclée qui tournait au vinaigre. J’y avais été fort. Je le savais. Je le reconnaissais. Je n’avais pourtant pas l’intention de m’excuser… ces bois me changeaient. C’était comme si chaque fois que je les traversais, je devenais un peu plus comme Hayato, le champion d’arène Plante. Je devenais droite, presque militaire. Autoritaire, voire insensible aux émotions véhiculées par mes Pokémons.

Il n’en était rien.

Je restais la même, j’étais toujours cette souriante femme candide et gentille, mais je voulais paraître plus forte. J’agissais comme si Hayato m’espionnait constamment, étudiant ma force de caractère. Après tout, pour plusieurs, de par mon titre, je n’étais qu’une superficielle femme victime de la mode. Je voulais montrer le contraire. Je n’étais pas comme ma prédécesseure, j’étais plus près des gens, à leur écoute… On semblait, malgré tout, en douter. Et ici, dans cette zone forestière, je me sentais libre de purifier le peu de hargne qui hantait mes tripes. Celle qui entrait en moi lorsque je contemplais ma propre inaptitude dans tous les contextes qui soit, du combat à la capture, en passant par les relations amoureuses. La forêt était devenue la zone où je pouvais me défouler, où j’avais vraiment l’impression d’être seule et de pouvoir faire ce que je voulais. À une exception près… même si elle m’avait échappé cette fois. J’avais toujours refuser de crier sur mes Pokémons pour les dresser et cette fois, j’avais été incapable de contenir une colère qui n’était probablement même pas causé par ma Pomdrapi. Je voulais m’excuser, mais le faire m’aurait fait perdre le peu d’autorité que j’étais parvenue à asseoir en hurlant de telle sorte à ce qu’on écho résonne dans la forêt.

La dragonne volante s’était posée sur la tête de ma Cacturne et me regardait, le regard triste. Je savais ce qu’elle voulait, mais je n’avais pas envie de la laisser l’emporter pour cette fois. Du bout des doigts, je caressai Majestée sur ma tête et me tournai vers les cinq autres Pokémons qui me suivaient. Ma Vivaldaim et ma Doudouvet peinaient à suivre et fermaient la marche alors qu’Altesse, ma Fragilady emboîtait le pas à mes autres Pokémons. J’ignorai la moue boudeuse de Pervane et les regardai l’une après l’autre des les yeux. « La dernière fois, on s’est arrêtées ici. Aujourd’hui, on ira plus loin. L’arène devrait être par-là selon ce qu’on m’a dit. » Je voulais simplement m’approcher. Toucher l’arène. Toucher ce qui, éventuellement serait mien. Je me penchai pour dénouer le foulard que j’avais utiliser lors de ma précédente visite pour marquer le terrain et je souris. « Vous êtes prêtes ? » Je n’attendis même pas leur réponse. Je commençai à sprinter dans la direction que j’avais pointée, endurant les complaintes de ma pauvre Majestée qui n’appréciait guerre les bourrasques de vent.

J’imagine que c’est dans ce genre de situation que je devais me sentir choyée d’avoir cette poignée de compagnon à mes côtés. J’aurais pu tomber, j’aurais pu me blesser. Il n’en fut rien.  Mes Pokémons m’avaient, à nouveau, évité le pire. Le pire, c’était quoi ? Tomber au sol dans une forêt aussi sale que ravissante, évidemment. C’était, du moins, le pire que je parvenais à imaginer à ce moment. Évidemment, j’étais nerveuse, j’avais eu peur, je ne me sentais pourtant pas agressée. Une légère stupeur, un frisson, c’est tout ce que j’avais eu. Rien de plus. Cet homme avec qui j’étais entrée en contact était au sol lui. Allait-il bien ? L’avais-je blessé ? Il était la vraie cause derrière mon sentiment de panique. Un sentiment avéré considérant la vitesse de ma course. « Non, moi ça va… et vous ? » Ce fût rapide, vif. Je posai les mains sur lui cherchant un indicateur de blessures aggravantes. Ça le gênerait probablement, pourtant je continuais, comme s’il avait été un ami de longue date. Il y avait dans ma spontanéité quelque chose de pur, mais aussi d’intrusif et nous le vécûmes ensemble. J’espérais vivement qu’il n’ait rien et pourtant au moment où je palpai sa hanche je me retournai en vitesse. Promptement. Cet incident m’avait fait oublier mon espiègle Pomdrapi. Elle aurait dû être ma première pensée : Il n’en fut point. Je la connaissais pourtant, je connaissais son côté opportuniste et qu’était cet instant si ce n’était pas une opportunité ?

Évidemment. Elle n’était plus sur son trône. La tête de Dauphine était déserte. « Pervane ! » hurlais-je une nouvelle fois comme une damnée. J’étais sans réponse. Je paniquais. Je sentais lentement ma vision se brouiller. Je me sentais tressaillir. L’adrénaline de la collision couplée à l’anxiété que mon Pokémon ait fugué me rendait grandement inconfortable. Majestée, sur ma tête perchée, lâcha une complainte. Je savais bien qu’elle souffrait à chaque que je beuglais de la sorte et pourtant je continuais, insouciante. J’avais besoin d’extérioriser… aux dépends des autres.

La Larveyette lâcha une nouvelle complainte et je succombai cette fois. Je la pris et la présentai à l’inconnu. « Vous pouvez la surveiller un peu ? »  Je n’expliquai rien. Qui était Pervane ? Pourquoi devait-il la garder ? Qui étais-je ? J’avais omis de lui mentionner tout ça. Involontairement, évidemment, mais ça il n’en savait rien. J’étais simplement une tête en l’air qui paniquait, qui craignait pour son Pokémon et qui ressentait le besoin de partir à sa recherche in extremis. « Pervane ! Où êtes-vous allée ? »  Un cri eut tôt fait de me rassurer. Un petit cri d’amusement, celui du reptile. Je l’aurais reconnu entre milles. Je me retournai vers sa direction. Quelle ne fut pas ma surprise de la découvrir, trônant au sommet d’un arbre, un regard espiègle fusant dans ses yeux. Elle me provoquait. Elle savait que je n’aurais pas la même aisance qu’elle à la rejoindre et elle voulait me faire payer mon ton colérique. Elle avait voulu me faire peur, c’était fait. Elle avait voulu me faire paniquer, c’était fait. Elle voulait maintenant me narguer, c’était en cours.

Mon regard devint celui d’une demoiselle en détresse. Je n’avais pas la volonté de mon jusqu’à là-haut et hormis ma Doudouvet, mille fois plus légère, aucun de mes Pokémons n’avaient les atouts pour rejoindre la Pomdrapi. « Je vous attendrai ici alors. »  lui dis-je, un peu complaisante. Espérant la provoquer. C’était ce qu’elle souhaitait. Elle se nicha sur une branche et fit mine de s’endormir. Il y avait de ces jours où je regrettais un peu de l’avoir recueillie. Je posai les yeux sur l’inconnu en retournant Majestée sur son trône, ma tête. J’eus un sourire. Mon inquiétude avait disparu, comme si j’eus oublié l’incident un peu plus tôt. « Ça ne vous gêne pas de patienter un peu avec moi… » dis-je avec aisance comme si c’eut été normal d’inviter un étranger duquel on ne connaissait ni le nom ni les intentions à s’asseoir avec nous. « Je veux dire quitte à attendre… aussi bien passer le temps comme on peut et comme vous êtes déjà ici, autant en profiter… non ? » J’envoyai un sourire sympathisant, tentant de le pousser à accepter ma demande, espérant qu’il daigne prendre de son temps pour attendre que mon espiègle Pokémon se calme et me rejoigne. Il n’en avait pas l’obligation, il avait probablement planifier des activités : personne ne venait ici pour rien, mais espérer n’avait rien de malsain. « Je suis Lyanora. Enchantée. Qu’est-ce qui vous amène ici ? » lui dis-je tout sourire en cambrant légèrement le dos pour lui faire une révérence.

Le rouge me monta aux joues presque instantanément. Si il m’avait entendue, c’était probablement le cas pour d’autres aussi. J’avais probablement dérangé plus d’une personne quelque eut été leur occupation. À trop agir pour ma propre pomme, j’avais semé une panique dans cette forêt, sans m’en rendre compte. J’eus voulu trouver refuge dans mes paumes, mais je n’osai pas, de peur de manquer un mouvement de mon Pokémon. Espiègle comme elle était, je savais qu’elle n’attend qu’une occasion pour changer de perchoir et me faire tourner en bourrique. Elle avait ce don de me rendre folle et inquiète à chaque fois qu’elle levait, même gauchement, l’aile. Malgré ma gêne, malgré que j’eus honte, malgré que j’eus envie de fondre tant je sentais la chaleur peser en mon intérieur. Anxieusement, je cherchais un filon. Un simple filon qui me permettrait de bondir sur un autre sujet. Je ne pouvais pas simplement dire que c’était bien moi, que Pervane me faisait des misères, comme toujours. On m’aurait jugée, j’aurais eu l’air de la mauvaise dresseuse et je ne voulais pas. Les apparences, on en dira ce qu’on voudra, ça a une certaine importance, une incidence certaine sur les perceptions et les réputations. Je ne voulais pas de cette réputation de la dresseuse qui ne savait pas se faire obéir. Il avait bien parlé de l’arène, serait-ce suffisant ? « Ooh ! Vous cherchez l’arène ? » balbutiai-je finalement en panique, le regard fuyant. La suite de sa phrase ? Quelle suite ? Je ne l’avais pas entendue. Je ne pouvais pas répondre à quelque chose que je n’avais pas pu entendre. Non ?

Ma logique était infaillible, si tant était qu’il ne m’avait pas vue paniquer. J’osais espérer, je croisais les doigts. J’aurais pu mentir. J’aurais pu dire que ce n’était pas moi, j’en étais malheureusement incapable. J’aurais ri, j’aurais cafouillé, j’aurais été nerveuse, je n’aurais pas été crédible. « C’est justement par-là que j’allais, avant que cette chère Pervane ne se décide à se dérober de ma garde ! » dis-je en prenant bien le temps d’appuyer sur mes mots lorsque je parlai de mon Pokémon, cherchant à la faire culpabiliser. « Je me prépare à affronter monsieur Hayato donc je rôde souvent par ici. » concluai-je en ramenant ma voix à son volume normal. Cela l’intéressait-il ? probablement pas. J’avais pourtant ressenti le besoin d’en parler, de partager la raison de ma venue en cette zone dangereuse avec l’espoir que la conversation dévie, qu’il soit enfirouapé par cette déclaration et que l’on ne mentionne plus le cri que j’avais laissé sortir plus tôt.

Je souris à mon interlocuteur et me tournai vers mon Pokémon. J’avais entendu son offre, mais elle me faisait un peu peur. J’avais peur que le fait de forcer sa descente, de la forcer à obéir ne la rende mauvaise. Il y avait quelque chose dans son hyperactivité, dans sa volonté à toujours s’amuser et amuser les autres qui me ressemblaient et je me sentais plutôt mal d’empêcher cet aspect d’elle de vivre. Un instant, je la réprimandais, puis le suivant je culpabilisais. « Je ne sais pas. Autant je sais qu’elle restera là-haut longtemps, autant je n’ai pas envie de lui forcer la main. J’ai l’impression que plus j’oppose à elle, plus elle prend plaisir à me voir sortir de mes gonds. C’est un peu le mouton noir de mon équipe. » dis-je en tendant une gâterie que j’avais prise dans mon sac à Larveyette. « J’ai tendance à laisser agir mes Pokémons en fonction de leur propre nature. Moi-même je ne tiens pas vraiment en place et, comme elle, je cours partout. Je crois que je vois un peu en elle et que je m’agace moi-même. » dis-je en riant. Je refusais son aide, j’en avais pourtant bien besoin. Mais mon cœur de mère serrait à l’idée de l’apeurer, de la contraindre par la force. Était-ce seulement maternel que de penser ainsi ? Je me raidis légèrement à l’idée de voir ma Pomdrapi crispée de pleurs et de colère.

Je balançai la tête de gauche à droite pour m’enlever cette vision et commençai à observer mon invité de fortune – ou était-ce mon hôte ? – Il était pâle, sa pilosité comme sa peau ? Était-ce normal ? J’avais bien déjà entendu parler d’une condition qui conférait ses traits, mais en était-il hôte ? La question ne se posait pas vraiment, elle n’était pas adéquate dans un contexte social où l’on connaissait peu la personne ? « Vous êtes albinos monsieur Mikhail ? » Ou alors, pour moi, on pouvait la poser sans scrupule dès lors que c’était justifié par la candeur. J’échappai une légère stupéfaction et portai ma main à ma bouche. S’il était effectivement atteint d’albinisme, ce n’était probablement pas un sujet que l’on pouvait aborder aussi légèrement… non ? Ce n’était pas tabou, mais certainement pas bien accueilli. D’un geste vif, j’attrapai ma Larveyette et la collai contre mon visage, la laissant échapper un petit cri de stupéfaction. « Pardonnez-moi ! Ma pensée a excédé mes paroles… je ne voulais pas vous brusquer. » Au diable les premières impressions, n’est-ce pas ? Je n’avais jamais été douée pour le premier contact, mais parfois, comme c’était le cas à l’instant, je me surprenais à échapper de ces absurdités. Je savais pourtant, j’étais de bonne famille. Je savais ce qu’il ne fallait pas dire, je savais qu’il ne fallait pas s’excuser à tout va, mais chaque fois je me surprenais à devenir de plus en plus stupides, comme si c’eut été un muscle que je déclenchais par réflexe dès lors que je rencontrais quelqu’un de nouveau.

J’étais une cause perdue.

« Ah non ! Mais je ne l’affronte pas maintenant. Je marche ici au moins une fois par semaine pour mémoriser le chemin. Je me prépare. » dis-je en insistant sur le dernier mot. Ce n’était effectivement pas prévu pour tout de suite. Viendrait un jour où je l’affronterais pour le détrôner, ou je lui enverrais chacun de mes Pokémons pour le vaincre et faire de l’arène plante mon propre territoire. Ce jour n’était pas encore venu. J’avais fait une promesse, j’allais la respecter. Monsieur Auguste, madame Lise et monsieur Kei. Dans cet ordre. Je n’en dérogerais pas. « Mais j’ai bien prévu certaines choses. J’ai une Rosélia qui ne demande qu’à évoluer et participer à ce combat, il y a bien Majestée aussi, cette Larveyette sur ma tête, et mon Granivol qui sera prêt le jour où j’entrerai dans cette arène. » Évidemment, une stratégie ne pouvait tourner autour de trois Pokémons sur une équipe de six. Je le savais. Évidemment que je savais ce genre de chose. J’étais parfois étourdie, j’étais candide, mais j’avais un minimum d’intelligence pour savoir que chacune de mes fleurs joueraient un rôle dans cette conquête. « Vous voyez, en fait, ce qui est joli avec le type plante, c’est qu’il se joue beaucoup des problèmes de statut comme le poison, la paralysie ou le sommeil et qu’il a une capacité curative hors du commun. Vous voyez, ma Fragilady, dans son précédent combat, a envoyé deux adversaires au tapis avant d’être mise hors jeu par une malédiction. » J’expliquais comme s’il n’avait jamais rencontré de Pokémon de type Plante. J’expliquais comme s’il était un débutant. Je ne m’en rendais pas compte, mais j’avais tellement mis de temps à documenter sur la chose que je me retrouvais rapidement éprise et emportée par ma passion. « J’ai étudié son équipe et quand je viendrai conquérir son arène, j’aurai de quoi l’affronter et cette forêt deviendra mon territoire. » dis-je en souriant et me mettant un frein. Je ne voulais pas me lancer dans une tirade interminable sur la contrepartie de chacun de ses Pokémons. L’équipe qu’il voyait là, aujourd’hui, était loin d’être l’entièreté de mon équipe et je cachais de nombreuses surprises pour me préparer à ce jour où j’atteindrais mon but. But que je venais d’exposer avec fierté. Je m’approchais lentement de celui-ci, je pouvais bien en parler un peu.

Je souris en l’écoutant parler des problèmes de comportement de ces Pokémons. On se comprenait. Vraiment. Dans son ton comme dans ses mots, je sentais qu’il aimait ses Pokémons, malgré qu’ils eurent été intenables par moment. « Oui. Les mouvements migratoires de ces Pokémons ont eu lieu il n’y a pas si longtemps. Elle vient de Galar à la base. C’est une Pomdrapi, un pokémon à la fois Plante et Dragon. Je l’adore…. Mais elle était moins dure à suivre avant qu’elle n’évolue. En Verpom, elle ne pouvait que rouler, elle ne volait pas. J’ai beau la laisser sortir souvent, c’est difficile de la contenir et de la sortir de la maison, sinon elle me fait des crises comme ça. » Je soupirai. Par désespoir. Je l’aimais, mais il était si difficile de la gérer convenablement. Mes autres Pokémons s’éloignaient peu, voire jamais, elle était mon enfer, mais un enfer que j’appréciais sincèrement.

Le visage toujours collé contre la peau ma Larveyette, j’échappai un sourire nostalgique et j’écoutai l’homme répondre à ma question. « Oui… pardonnez-moi. Vraiment. Parfois je crée des quiproquos sans le vouloir. C’est plus fort que moi, ça sort tout seul et je me morfonds ensuite avec l’espoir que l’on ne m’en voudra pas. » J’articulais beaucoup, je prenais la peine de prononcer chaque mot, avec fluidité, mais je ne voulais rien écorcher. Pourquoi ? Parce que j’essayais de me contenir, de m’éviter de pleurer comme j’avais si souvent le réflexe de le faire. J’avais gâché tellement de premières impressions de cette façon et j’essayais de m’exercer à ne plus le faire. J’en avais marre de décevoir, de mettre la honte à Alaric, d’impacter les autres en ne sachant résister à mes impulsions. J’essayais d’éviter d’être moi, comme si c’eut été un péché… mais j’y revenais toujours. « Du coup, monsieur Hayato, c’est un finalité en soi ? Après l’avoir battu, vous ferez quoi ? Vous prendrez votre retraite, vous allez capturer d’autres Pokémons, vous en avez déjà des sym… » La requête du Salamèche me sortit de mon élan.

Je n’avais pas encore pris le temps de l’observer. Je n’avais pas encore pris le temps de voir qui le suivait. Je n’avais pas réalisé quand il avait parler de ne pas brûler la serre, mais tout s’éclaircissait dans ma tête maintenant. « L’arène feu ? Monsieur Aedan ? C’est ce que vous visez ? » Je n’étais normalement pas très perspicace, mais à force, avec toutes les soirées mondaines auxquelles j’avais pris part, j’avais rencontré une partie des célébrités de Lumiris, Aedan en faisait partie. Je lui avais brièvement parlé, à peine une salutation, mais j’avais pu mettre un visage sur son nom, une personnalité sur le type. Le type qui, dans un combat, me faisait le plus peur. « Du coup… on sera rivaux, non ? » observais-je, le ton léger. L’idée d’une rivalité ne m’avait jamais vraiment traversé l’esprit, mais voilà qu’elle m’amusait. Voilà que je me disais qu’il pouvait être divertissant d’avoir quelqu’un avec qui compétitionner, quelqu’un que je ne serais probablement jamais capable de battre considérant les types dominants de nos équipes respectives. Je lui souris, de toutes mes dents. Je n’étais pas d’un naturel compétitif, je m’expliquais mal cette idée, mais au fond, je m’expliquais mal vie point. Une seconde, j’étais craintive, l’autre, je devenais courage. Un instant, je pleurais de colère, le suivant, je souriais en riant.  J’étais dure à suivre.

Je ris de bon cœur. Oui, en effet, Altesse était forte. Je l’admirais de plus en plus au fur et à mesure que j’apprenais à connaître ses capacités. Je bénissais ce jour où devant le professeur Baobab je l’avais choisie, simplement parce qu’elle était mignonne et que son aura de petite diva capricieuse m’avait rire. Il ne me faisait certes plus autant rire, mais je continuais de l’admirer. Pour sa force de caractère, sa volonté. Ses caprices étaient devenus exaspérants, mais elle était devenue forte, bien plus que je n’aurais pu l’imaginer. D’une certaine façon, c’était la seule attente que j’avais réellement à l’endroit de mes Pokémons : Qu’ils m’aident à monter les échelons et qu’ensemble on arrive jusqu’au but que je m’étais fixée. Chacune de celles que j’appelais mes divas avaient des qualités desquelles j’étais fière et qui, j’osais espérer, serait remarquées un jour. Je me fichais d’être la meilleure, je voulais simplement que par la mer mon nom combatte le courant. Qu’il démolisse chaque vague qu’il croiserait et qu’il se rendre jusqu’à l’oreille de mes parents. Je voulais qu’ils se mordent les doigts de m’avoir poussée jusqu’à les quitter. Je voulais qu’ils voient que j’avais pu devenir quelqu’un sans eux et peu tout ce que je faisais était guidé par ce leit motiv. Les impressionner, c’était impossible. Je me contenterais du peu que je pourrais avoir. Un sourire au coin des lèvres, je regardai ma Larveyette. Je déposai un baiser sur son front et la déposai sur mes genoux. Avec enthousiasme, je me tournai vers Mikhail avec hâte. « Pourquoi le feu spécifiquement ? Pourquoi une arène, pourquoi pas rester un aventurier et conquérir la ligue ? Qu’est-ce qui explique votre choix ? » C’était curieux d’entendre ça de ma bouche, mais j’étais intriguée, cet homme, dans sa gentillesse, avait piqué ma curiosité et il y avait mille choses que je souhaitais comprendre. Des réponses que je cherchais moi-même auxquelles je n’avais pas encore trouvé réponse. La plupart du temps, mes réponses étaient simplettes, voire idiotes ; parce que c’est joli, parce que je pourrai croiser la route de nouveau dresseur et les aider ou les influencer. Je me trouvais toujours crédule de croire qu’il s’agissait de réponses un tant soit peu convenables. Elles me semblaient incomplètes et je tâchais de les améliorer par ces rencontres que je faisais, via ces gens qui, comme moi, s’étaient engagés sur le chemin laborieux des arènes.

Parfois, il m’arrivait de me comparer à eux, de me sentir minable car je n’avais toujours aucun badge. Je ne combattais même pas encore si souvent, je n’avais qu’une expérience, après tout. Ce que je faisais qui ressemblait le plus à un entraînement pour la conquête des arènes, c’était de marcher ici, de discuter avec d’autres aspirants. « Il vous arrive de vous demander ce que vous ferez après ? J’entends par-là, quand vous aurez pris possession de votre arène, vous continuerez vos aventures ? Pourquoi ? » Je ne le semblais pas, mais je me posais tellement de questions dans ma situation d’éveil. Je m’évertuais à complètement remettre en question l’entièreté de mon existence. Caressant du bout des doigts mon Pokémon insecte, j’avais le regard vide. Comme si j’eus été en transe. Je cherchais à comprendre, à décortiquer ce qui m’attendait après. Je n’avais pas ces réponses et j’espère que Mikhail saurait me les partager. J’espérais qu’il puisse me dire qu’il y avait quelque chose une chose que nos buts étaient atteints. Serais-je seulement capable d’errer sans but ? Ou cela m’attristerait ? Serais-je capable d’aller plus loin ? D’atteindre un niveau supérieur et d’appartenir à ces gens qu’Iris avait qualifié d’élites ? D’un sens, je craignais cette position, de l’autre, je l’espérais. Pourquoi ? Pourquoi ? Ça revenait toujours. Au-delà d’impressionner mes géniteurs, pourquoi je continuais de faire ça ? « Je ne suis pas encore très douée en combat, je ne serais probablement pas à un grand défi pour vous. Surtout que le type dans lequel je me spécialise est particulièrement affecté par le vôtre. Le feu a ce côté ravageur et destructeur que les plantes n’apprécient guère. Je vous avoue préférer le terme de futurs collègues. C’est plus convivial… Et une rivalité n’existe que s’il y a un défi pour les deux partis. »

J’eus un bref soupire. Dans cet élan réflexif, j’en étais venue à croire que je n’avais plus le niveau. J’avais mis du temps à me préparer, à me dire que j’était prête, j’avais mis un peu plus d’une année, mais c’était précaire. Tout dans ma tête était précaire avait dire. Je savais bien que mon équipe ne me laisserait pas tomber, mais étais-je capable de prendre les bonnes décisions ? Pervane m’écouterait-elle le moment venu ? Altesse cesserait-elle d’exécuter pour demander plus en retour ? Majestée deviendrait-elle plus forte ? Il y avait tant de doutes qui planait en mon âme sur chacun de mes Pokémons. Je les chérissais, mais j’ignorais si elles seraient vraiment capables de livrer la marchandise comme je l’entendais. J’avais rencontré pratiquement tous les champions d’arène de la région depuis que j’étais devenue Miss Lumiris. J’avais eu une conversation avec presque chacun d’eux et je n’arrivais pourtant toujours pas à statuer quant à mon calibre. Je savais certains flexibles, d’autres pas. Je savais certains stratégiques, d’autres fonceurs. Mais tous avaient une qualité que je n’avais pas… la confiance. « Vous, monsieur Mikhail... » je marquai une brève pause. Allais-je vraiment lui poser cette question ? Allais-je vraiment lui demander s’il avait confiance en lui ? S’il disait qu’oui, allais-je me morfondre et me torturer à nouveau ? J’avais déjà commencé. J’avais cessé de flatter ma chenille et j’avais posé mes mains sur mes cuisses. Je me pinçais. Fort. Je grimaçais de douleur, trahissant le traitement que je m’infligeais à moi-même. « … Vous avez confiance en vous ? »

Mon souffle fut coupé. Ma langue se retira au fond de ma gorge. Mon front se trempa, je devins blême. J’avais osé et je craignais maintenant sa réponse, j’avais mille appréhensions. Ç’aurait été facile s’il me répondait non. Ç’aurait été déchirant s’il me répondait oui. S’il affirmait qu’oui… allais-je me sentir seule à baigner dans mes incertitudes ? Allais-je, une fois de plus, m’isoler et changer de rêve ? Allais-je vouloir former un duo de champion coordinateur avec Alaric ? On faisait de belles prestations, on arriverait probablement à un truc incroyable ensemble, ça pouvait valoir le coup ? Même si ça impliquait de marcher dans les traces de mes parents. J’aurais aimé regarder Mikhail dans le blanc des yeux et lui dire « Moi pas, comment vous faites ? » Je n’avais pas ce cran. J’étais une dégonflée qui avait du mal à se faire face à elle-même, comment pouvais avoir l’espoir de faire face à quiconque se présenterait devant moi, dans une arène à bien faible réputation. Je baissai les yeux. Mon regard s’humectait. Je ne voulais pas qu’il voit ça. Je lui fis dos. J’avais honte. Ma Cacturne s’approcha et se glissa entre Mikhail et moi, comme si elle avait compris ma volonté. Altesse, ma Fragilady se glissa derrière moi pour me serrer contre elle. Ma Doudouvet et ma Vivaldaim restèrent, quant à elle figées. Trop jeunes pour comprendre ce démon qui m’affligeait. Arrivées trop fraîchement dans l’équipe pour sentir ma misère.

Ses mots m’apaisèrent sans que je puisse m’expliquer pourquoi. C’était comme si dans cette sagesse qu’il dégageait, je me retrouve confrontée à moi-même. Prise entre une Lyanora morte de trouille qui couvait constamment la peur de ne pas suffire à ceux qu’elle aimait et une Lyanora Miss Lumiris qui n’avait que ça de la confiance. Je vacillais souvent entre ces deux êtres. Elles étaient les deux seules habitantes d’un océan infini qui me suivrait probablement tout ma vie en laissant s’écouler quelques rivières çà et là. Je nageais vers l’une puis vers l’autre sans jamais savoir si l’une était mieux que l’autre. Devais-je réellement choisir entre l’angoisse de plaire et l’arrogance ? Pouvais-je prendre le meilleur des deux mondes. Pouvais-je seulement prétendre que ces deux êtres étaient une dualité et qu’ils ne côtoyaient pas constamment mon être. Je les avais divisés, mais l’étaient-ils vraiment. Dans mon soudain élan de tristesse, je m’étais surprise à délaisser la conversion, à me réfugier dans ma date. Cette peur qui m’affligeait constamment, celle d’être en retard sur les autres, par sa simple réponse il venait de me dire qu’elle était normale, qu’il arrivait à peu tout le monde de douter. Était-ce vrai ou le disait-il seulement pour me faire plaisir ? Parce que malgré ma Cacturne, il avait pu comprendre ce léger moment de malaise flottant qui s’était installé ? Celui où je m’étais mise à douter, une fois de plus, comme je savais si bien le faire ? « Donc il vous arrive de douter ? » observais-je, la voix nouée par ce chagrin qui m’avait traversée.

Je me tournai à nouveau vers Mikhail en faisant signe à ma Cacturne qu’elle pouvait se retirer. Elle s’exécuta rapidement. Son instinct protecteur étant très porté sur ce lien de confiance et d’écoute mutuelle qui nous habitait. Le spectacle que j’offris était déprimant. J’avais pleuré. J’avais laissé tomber des larmes et je me retrouvais les yeux rougis, bouffis, attristés par ce traitement psychologique que je m’auto-infligeais. Je lui montrais toute cette sensibilité, cette précarité intellectuelle avec l’espoir qu’il ait les bons mots pour apaiser mon âme. Pourquoi comptais-je sur lui alors que je le connaissais à peine ? Pourquoi je m’évertuais à croire qu’il daignerait m’aider alors que je n’avais rien à lui reporter. J’essayai néanmoins d’être intéressante, de réfléchir. J’avais ignoré ses précédentes questions, peut-être devrais-je y répondre ? Peut-être devrais-je prendre le temps de lui donner des réponses suffisamment poétiques pour qu’il voit que je n’étais pas qu’une gamine impulsive qui se laissait aller à des sentiments plus ou moins lumineux.

Je soufflai un moment, essuyant mes yeux puis frottant ma Larveyette contre mon visage comme si de rien était. Puis je le regardai, portant mes yeux marrons vers son cou. Pourquoi ? Parce que je ne me sentais pas d’affronter son regard simplement. J’avais un semblant de sourire, c’était déjà ça. « Pardonnez-moi… ça me prend parfois, c’est le pollen. » Oui. Bien sûr. Très crédible. Une allergie au pollen pour une dresseuse spécialisée en Pokémons de type plante. J’étais une piètre menteuse, il fallait se l’avouer. Ça n’avait jamais été mon plus grand talent non plus et je n’avais jamais prétendu le contraire. Je me savais bien mauvaise pour faire croire ce qui était faux, j’avais d’autres qualité, heureusement. Je me râclai la gorge et commençai, enfin, à articuler une réponse. « Partout où je vais, il y a toujours une chose qui m’absorbe par sa beauté. Les fleurs. Dans les histoires comme dans la réalité, elles sont toujours belles, on reconnait la richesse d’un patelin par sa flore. Cette même flore qui nous approvisionne en oxygène par leur petite magie bien à eux. On ne dirait pas à première vue, mais je suis une personne assez aérienne, une personne candide… » Faux. Ça se voyait. N’importe qui pouvait voir à quel point je croyais la moindre chose. C’était à peine si j’avais cessé de croire à la fée des dents et ces autres histoires que l’on me racontait plus jeune. Il suffisait de quelques mots pour qu’on comprenne que j’avais l’imaginaire fertile. « … Et dans les fleurs, dans la végétation, il y a quelque chose de féérique de beau qui me charme. J’aime respirer leur parfum… » N’étais-je pas allergie au pollen un instant plus tôt ? Oups. « … les voir grandir, les cultiver. En voyage, on dit toujours, regarde ce paysage, c’est verdoyant, c’est impressionnant… Vous voyez, en choisissant des plantes pour me suivre, j’ai l’impression de faire voyager la beauté du monde. De livrer à domicile toutes ces choses qui nous enchantent par leur parure, leur côté majestueux, leur diversité et leur altruisme. Après tout, chacune d’elle aide les gens à respirer, à vivre. Je trouve beau de me dire que j’aide la vie à se propager dans la région, que j’aide ceux qui ne peuvent se déplacer pour les admirer à voir la variété de merveilles qui vivent sur notre Terre. Mais en plus, ces plantes, elles ne sont pas destructrices, elles cohabitent avec nous, elles s’adaptent, quand elles s’étendent, on s’emballe généralement d’admiration… Une maison avec des vignes, un arbre qui trône au centre d’une ville, un fruit qui fait la fierté d’un village. Elles ont autant de raison d’être admirées que j’en ai de les aimer. » C’était complet. J’avais livré bien plus de marchandise que ce que le client avait demandé. Pourtant j’étais fière. J’avais même remonté les yeux. J’observais sa réaction, une étincelle dans les yeux. J’avais improvisé cette réponse, je m’étais laissée bercer par ce sentiment que j’avais ressenti lorsque j’avais choisi Altesse comme partenaire. Cette beauté que j’avais vu alors qu’elle n’était qu’un petit bulbe à peine développé.

Chacune des membres de mon équipe – à l’exception de mon espiègle Pomdrapi – m’avait écouté et s’était laissé bercé par mes mots. Il est vrai que je n’avais jamais pris le temps de leur dire pourquoi je les avais choisies, pourquoi où que je fusse allé, j’étais toujours revenue vers des Pokémons de type Plante. J’avais certes quelques autres Pokémons, la plupart des cadeaux, mais je me promenais davantage avec mes divas vertes qu’avec les autres. Je jetai un nouveau regard vers Mikhail et lui souris. Réellement cette fois, j’avais une fois de plus changé d’état. « Ça me ferait plaisir d’un jour vous affronter. Quand je me sentirai prête si ça vous va. » Quand était-ce ? Demain ? Dans six mois ? Jamais ? Je ne saurais le dire, mais je savais que s’il avait pu m’apaiser là, ils sauraient détruire certaines de mes craintes. Après tout, il me semblait évident que j’aurais tôt ou tard à affronter des Pokémons de type feu dans mon arène. N’importe qui se présentant sans un Pokémon d’un type auquel les Pokémons plantes étaient vulnérables étaient un peu cancre. Les champions avaient, après tout, un fort niveau de combat. L’anecdote de Mikhail à l’endroit de Yokoss en faisant foi.

Mon discours avait été complètement décousu, j’avais répondu dans le désordre à chacune de ses relances, j’avais du mal à suivre le fil, comme si le fait de mener une discussion sur plusieurs flans comme celle-ci m’égarait. Mille autres questions me venaient, mais je tentais de m’apaiser, de me calmer. Une question me semblait néanmoins essentiel. Jamais je n’avais entendu parler de ranger. Qu’était-ce donc ? Ça échappait à ma culture, moi qui croyais être plutôt calée en culture Pokémon. « Ça fait quoi un Ranger ? Pourquoi vous voulez l’être ? » J’eus un nouveau sourire et tendis l’oreille pour l’écouter, posant même une main sur son genou. Ce n’était pas très maniéré, mais je ressentais le besoin de le faire, comme si ce lien physique donnait une importance quelconque à ce partage. Mon corps tentait-il de lui dire que j’appréciais sa présence et son réconfort ? Ou j’avais simplement encore été trop loin sans m’en rendre compte. Pour sûr, ma Larveyette scrutait ma main avec attention. Par ce geste, j’avais cessé de lui accorder davantage d’attention, elle en voulait pourtant plus elle qui, normalement, n’en souhaitait pas plus que ça.

J’hochai doucement la tête en écoutant sa réponse. Le ranger était donc celui qui agissait comme un policier, mais pour les Pokémons ? Je souris. Cette interprétation m’allait. Je trouvais mignon de le croire. Un bref moment, j’eus même le loisir de m’imaginer exercer cette profession. Je n’avais clairement pas les nerfs, j’aurais bien vite craqué, mais il n’y avait rien de mal à fabuler. Au moins, dans ce rêve éveillé, ma Pomdrapi m’écoutait, elle descendait de cet arbre, elle me suivait, j’étais respectable et forte. Bien plus que je ne l’étais en réalité. J’eus un bref moment où j’avais envie de suivre Mikhail, qu’il m’éduque et me forme à ce métier qui l’intéressait pour lequel je n’avais probablement aucune affinité. « C’est beau… » dis-je contemplative. Ce qu’il disait m’inspirait. Je retirai ma main pour caresser la tête de ma Larveyette et jetai un œil vers la cime de l’arbre où s’était perchée ma dragonne alors qu’il me parlait de sa mère. Je l’écoutais en contemplant ma Pomdrapi qui avait cessé de feindre une sieste et qui nous observait en silence, comme si elle espérait que quelque chose se passe. Était-ce ce contact qui l’avait poussée à croire à une telle éventualité ? J’échappai un rire à cette idée. Si elle croyait vraiment ce scénario, alors elle était bien naïve.

Rire que je couvris aussitôt de mes mains. Ce n’était pas le moment. Il me partageait une confidence, l’heure n’était pas à ce rire espiègle. « Était ? » dis-je ? Ce n’était pas la seule information que j’avais retenue, mais c’était celle qui m’avait le plus marqué. Sa mère était-elle décédée ? Cette question m’avait brutalement frappée. J’avais échappé un frisson de frayeur. Si je n’étais pas des plus proches de mes parents, je ne pouvais, malgré tout, pas m’imaginer sans eux. Ils m’avaient élevée, m’avaient guidée et m’avaient offert cet inestimable cadeau qu’était la vie. Pour Mikhail, je n’avais marqué ni sympathie ni condoléances, j’avais été prise au dépourvue, je m’étais laissée enfirouapée à imaginer la peine que je ressentirais si ma mère, ou mon père, avait été. Si l’un ou l’autre avait été un artefact de mes souvenirs, une « chose » du passé que je devais enterrer et de laquelle je devais tempérer la peine qu’elle m’inspirait.

Je marquai une pause de quelques secondes, incertaine de quoi dire, incertaine de comment réagir. C’était un sujet fort sensible. « Navrée de l’apprendre… elle peut être fière de ce que vous devenez au moins ? » C’est tout ce que je trouvai à dire. J’avais trouvé moyen de l’interroger sur un deuil, le sujet même que jamais il ne fallait questionner. Ce sujet si sensible qu’il affectait même les plus brutes. J’avais gaffé et je m’en rendais compte. Il me fallait une diversion, quelque chose à quoi me rattacher, quelque chose pour me sortir de cette eau chaude… et ce serait Pervane. D’un geste vif, je me levai. « Mademoiselle Pervane ? Venez ici. Je vous en prie. Il est l’heure de rentrer. » J’avais décidé ça, sur un coup de tête, je voulais éviter cette confrontation, si tant était qu’il y en avait une à avoir. Je ne voulais pas lui faire ressasser des souvenirs qui devaient l’envahir déjà assez souvent. J’aurais pu parler de mes parents, mais ça ne m’avait pas traversé l’esprit sur le moment. Ma Pomdrapi était la solution facile, celle que j’avais privilégié. Agaçante comme elle était, elle ne sortit pourtant que sa tête du feuillage. Et je soupirai, m’affalant sur ce siège de fortune que j’avais choisi, au grand plaisir de sa Majestée.

Je me tournai vers Mikhail « Elle ne semble pas d’accord… » J’aurais pu simplement la rappeler à sa balle, mais je ne voulais pas la contraindre et lui enlever sa liberté de choix. « Mes parents à moi sont deux coordinateurs plutôt célèbres… Leurs Pokémons leur obéissent au doigt et à l’œil… pas comme les miens. Ils m’ont élevée dans cet esprit de devenir un jour coordinatrice et de prendre leur suite. Je fais des concours parfois, celui de Miss Lumiris notamment, mais je ne suis pas la meilleure. » Dans tout ça, je ne mentionnai pas que j’avais remporté ce concours, que j’étais Miss Lumiris. Je m’en abstins bien, trouvant le titre trop pressurisant pour constamment le mentionner. J’eus un bref sourire et je tendis la main vers mon sac pour sortir des friandises. Mes Pokémons devaient avoir faim, il y avait bien quelques heures que nous étions partis. Ce fut immédiat. Dès le sac se froissa sous l’étranglement de ma paume, Pervane jaillit de son perchoir et posa à cet endroit même où j’avais posé ma main plus tôt… le genou de Mikhail. Je ris. « Elle semble vous apprécier, elle ne se perche jamais ainsi sur mon fiancé et moi. » Je lui caressai la tête, comme toute cette guerre avait été oubliée. À tour de rôle, je présentai les friandises à mes Pokémons et tendis le sachet vers Mikhail « Vous en voulez pour les vôtres aussi ? Normalement cette saveur est bonne pour tous les types de Pokémon. » Un nouveau sourire et je me tus, profitant des gazouillis de mes Pokémons.

Récemment ? Sa mort était-elle si récente qu’elle ait pu vouloir l’enterrer il y a peu ? Ou alors il l’avait tué en voulant se défendre. J’ouvris grands les yeux, paralysée par cette soudaine réflexion. Il ne semblait pas bien méchant et il disait cette chose avec tellement de légèreté. Je devais halluciner, je devais me faire des idées, forcément. Même les êtres qui avaient la plus horrible relation qui soit avec leurs parents ne parlaient jamais aussi légèrement du meurtre de ceux-ci… ou de leur mort. Il avait pourtant bien fallu que je me secoue la tête, que je prenne le temps de penser à l’absurdité de mes réflexions. Encore là, il restait une partie de doute en moi. Un infime doute qui tournait dans ma tête. Les apparences sont parfois trompeuses. J’eus un léger mouvement de recul. Sur ce rondin que nous avions traité comme un banc, je donnai un coup de passion pour mettre une distance d’environ un bras entre lui et moi. J’étais probablement paranoïaque, mais on n’était jamais trop prudents. Je continuai, pourtant, à lui sourire, espérant qu’il ne se doute de rien. Si j’avais raison, il ne devait pas savoir que je savais. Si j’avais tort, il ne devait pas savoir que cette pensée m’avait traversé l’esprit. Elle le blesserait incommensurablement.

Je tendis des friandises à ses Pokémons, continuant de me montrer polie et bien intentionnée. Je souris en déposant une bouchée pour sa Salamèche, bien qu’il m’eût dit qu’elle n’en voudrait. Je m’essayais, ne savait-on jamais. Je lui souris puis en rangeant le sachet je sortis l’une de mes balles pour rappeler ma Pomdrapi. Oui, pour qu’elle ne refasse plus des siennes, mais aussi pour l’éloigner de lui. S’il était dangereux, c’était important de le faire. Pour elle, comme pour moi. « Voilà ! Comme ça je règle le problème. » dis-je en riant nerveusement. Je rangeai la balle puis me gratter le coude, trahissant mon soudain stress. J’avais beau essayé, ma légèreté s’en était allée. Il se douterait bien de quelque chose. Forcément. J’angoissais, je cherchais comment éviter quelconque soupçon… « Ça a fait mal, quand elle a voulu vous… tu… enterrer ? » cafouillai-je nerveusement. J’étais stupide. J’attirais son regard directement sur le pot-au-feu. Je pointais directement ce qu’il ne fallait pas pointer comme si cette question était normale. Je serrai les poings, pinçant mes cuisses par le fait même. Ma Larveyette commença à geindre parce que j’avais cessé de la cajoler. Je ne recommençai pourtant pas. J’étais concentrée. Guettant les éventuels signes d’agressivité ou de sympathie.

« Pardon… j’ai l’imagination fertile je… j’essaie d’imaginer la scène. » Pourquoi ? Pourquoi est-ce que chaque fois que je parle, je ne fais qu’empirer les choses ? Pourquoi est-ce que chaque fois que j’ouvre la bouche c’est pour lancer une étourderie stupide. Pourquoi est-ce que j’avais ce cerveau tordu duquel personne ne voulait, clairement ? « Non ! Pardon je… » Je commençai à bouger les bras comme s’ils avaient été de grande baguette, trahissant une nouvelle fois cette soudaine angoisse. S’il ne s’était douté de rien, c’était probablement trop tard. J’étais trop sotte pour réprimer le truc, trop sotte pour parvenir à étouffer mes craintes et ce scénario que je m’inventais. Je commençais à me fâcher, pas contre lui… contre moi-même. Je me fâchais parce que je n’arrivais à dissiper ces imbécilités, à revenir à cette conversation qu’on avait l’instant d’avant. Un tueur ne m’aurait pas raconté tout ça. Un tueur ne m’aurait pas écoutée. Un tueur n’aurait pas laissé mes Pokémons l’approcher. Pourtant, quoique je dise, je n’arrivais plus à m’enlever cette image de lui martyrisant sa pauvre mère.

Il avait parlé au présent. Rien à faire. Il avait montré un certain regret. C’est ce que je voyais. C’est tout ce que je voyais. Je devais trouver autre chose, un nouveau sujet, de quoi me distraire, de quoi éloigner cette idée et faire tomber ces barrières invisibles que j’avais commencé à dresser. « Vous connaissez le séquoia ? » Nul. Nul. Nul. Nul. Nul. J’avais paniqué et j’avais parlé d’arbre. Pourquoi ? Pourquoi ? Sors-toi de ce merdier Lyanora, réfléchis. « C’est l’arbre le plus grand monde, tant en diamètre qu’en hauteur. » Si au moins ça avait eu un sens. « On dit que lorsque l’on en grimpe un à Kanto on peut voir Johto au loin, minuscule. » Où allais-je avec ces déclarations ? Pourquoi est-ce que je parlais d’arbres alors que l’instant précédent, il me parlait de Pokémons… pourquoi… pourquoi… « On dit aussi qu’on est alors si proche des étoiles que Jirachi peut nous entendre et exaucer un vœu, que la comète millénaire soit de passage ou non… » j’arrivais à quelque chose. Enfin ! « Votre vœu, le plus cher, ce serait quoi ? » Quelle question indiscrète formulée maladroitement pour un étranger. « Ramenez votre mère ? Vous regrettez ? La ! La regrettez ? Pardon… » Raté. Une nouvelle fois. Ça m’amenait au moins à mon propre vœu : celui-ci d’avoir une meilleure tête sur les épaules.

L’entièreté de mon corps s’était détendu à son annonce. Un simple quiproquo. Oui. Ça me semblait bien plus logique. Ce qui plutôt avait été des sueurs froides dans mon dos s’estompa lentement et mon sourire revient. Il n’y avait plus d’inquiétude, plus rien qui ne soit négatif. Je lui faisais à nouveau confiance. Le moindre doute s’en était allé et la possibilité qu’il m’aie menti ne me semblait pas envisageable. Il était forcément honnête. Il était forcément gentil s’il était parvenu à capter cette angoisse soudaine qui m’avait emportée dans une marée de craintes. Je m’étais sentie immensément vulnérable, stupide. Pourtant, je semblais fière. Fière parce que je n’avais pas cédé aux larmes. Fière parce que j’avais su conserver une certaine droiture. La panique m’avait gagné, certes. Mais elle n’avait pas gagné son chemin jusqu’à mes yeux et pour ça, je pouvais être fière. Je tendais à croire que je pleurais trop souvent, que j’avais toujours l’air trop vulnérable et stupide. J’eus une grimace timide pour Mikhail. « Vous avez bon fond… » peut-être au fond ce qui m’avait convaincue. Son long discours sur l’envie de protéger ses proches plutôt que de souhaiter quoique ce soit pour sa propre gueule. J’admirais son souhait. Fortement. Jamais je ne m’étais sentie comme celle qui pouvait protéger les autres. Octroyant toujours ce pouvoir aux autres autour de moi. Valencia, elle me protégeait. Alaric, de même. Je me peinais à trouver une seule personne que j’affectionnais que je pouvais protéger. Ivy ? Peut-être. Mais on se s’était plus revus depuis des lustres, depuis ma rencontre avec Princesse qui, depuis, avait bien grandi. Je me promis un instant de la recontacter bientôt puis je reportai mon attention sur Mikhail.

Bercée par mon réconfort, j’avais oublié, un instant qu’il était toujours là. Je m’étais perdue dans mes pensées. Combien de temps ? Pas très longtemps, mais suffisamment pour qu’un léger malaise flotte dans les airs. « Je suis sincèrement désolée pour le quiproquo… et d’avoir cru que vous pouviez… enfin, vous voyez… ». Je m’approchai à nouveau de lui sur le billot de bois, laissant, malgré tout, un espace entre nous deux, pour ne pas m’imposer dans son espace personnel. Cet espace que j’oubliais trop souvent avec quiconque, qu’il me soit inconnu ou non. Comme si je tentais de me faire pardonner ma maladresse.

Je portai une nouvelle fois mon regard vers les cieux dans lesquels on pouvait maintenant voir la forme affirmée de la lune. Il commencerait bientôt à faire sombre. Les Pokémons, iraient bientôt vers leur nid respectif, les étoiles s’éveilleraient et la route deviendrait difficile à braver. Le retour serait pénible et contrairement à ce que j’avais pu faire au début de mon périple, dormir dans une tente ne me semblait plus réellement envisageable. Plus maintenant que j’avais ce foyer somptueux à portée de mains. Port-Corail était à toujours accessible par Sunyra. Tout au plus, je serais rentrée d’ici une heure si le ferré était au rendez-vous. « Vous comptez dormir ici ? » dis-je enfin en ramenant mes mirettes vers lui. Probablement qu’oui. Je m’attendais à cette réponse affirmative. Étrangement. Seulement, en connaissant ses plans, je me doutais bien qu’il se lèverait tôt à l’aube pour venir affronter Hayato. Pourtant, je m’embêtais à lui demander, à vouloir lui offrir mon hospitalité, alors que je ne serais qu’un bien grand détour sur sa route. « Si ça vous dit, je peux toujours vous accueillir chez moi. J’ai bien une chambre d’invités à vous offrir… pour me faire pardonner. » Personne n’invitait un étranger chez soi comme ça. Personne.

J’étais têtue.

Je le faisais. Je le ferais encore. Je ne voyais pas le danger. Je ne le voyais jamais. C’était comme ça. Avant même qu’il ne puisse répondre, je commençai à rappeler mes Pokémons un après l’autre, à l’exception d’Altesse, comme toujours. Bébé gâtée, elle n’avait pas à subir l’inconfort de sa claustrophobie. « On pourra parler plus longuement de votre mère et de ses pokémons plante, si vous voulez. Mon fiancé fait d’excellents déjeuners. » dis-je en souriant, comme si j’essayais de le convaincre. Je tentais de me rattraper pour ce malheureux quiproquo dont j’étais l’origine. Un sourire au visage, je me levai et lui tendis la main pour l’aider, comme s’il avait été un vieillard.

J’acquiesçai en contemplant la fourrure d’ébène et d’ivoire de l’Arcanin. Majestueux Pokémon qui ne pouvait que m’impressionner. Je l’approchai passant ma main dans sa fourrure, déliant les longs poils de son torse. Comme une enfant, j’avais les yeux plein d’émerveillement. J’avais oublié toute cette colère qui m’avait envahie plutôt et je n’arrivais plus qu’à regardant l’animal. « Oui… je veux bien, je dois prendre le traversier jusqu’à Port-Corail… » dis-je en pointant l’animal comme s’il avait été une bête tirée de mes rêves. Ce n’était pourtant pas le premier Arcanin que je voyais, mais celui-là était encore plus beau que les autres de son espèce. Ébaubie, j’avais longé le flan de l’animal. Je n’avais pas l’habitude de chevaucher des Pokémons, aucun des miens n’avaient une taille adaptée à de telles prouesses et je m’étais habituée aux longues marches depuis mon arrivée à Lumiris. J’avais beau avoir des transports à disposition, à moins d’être attendue, j’avais tendance à préférer prendre mon temps.

Non sans difficulté, je pris place sur le dos de l’Arcanin et je souris. Je ris. Comme une enfant. Il ne bougeait même pas que j’étais déjà dans une extase inexplicable, en train d’apprécier un vent fictif dans mes cheveux, en train de me complaire à imaginer la vitesse rocambolesque de l’animal. L’image que j’en avais était forte. Je l’imaginais courir aussi vite qu’un jet. J’imaginais que je verrais les bâtiments qualificatifs de Sunyra en à peine cinq secondes. J’imaginais l’impossible à travers ma candeur. Je n’avais ni peur ni inquiétude. J’imaginais qu’il était facile de se mesurer à de telles vitesses et jamais je ne m’étais posé cette question ; qu’est-ce que ça fait quand on est sur le dos d’un Arcanin qui court ? Si les gens y arrivaient, forcément, je serais moi aussi capable de tenir sur ce Pokémon, sans difficulté, sans crainte.

« Je suis prête. » dis-je enroulant mes mains dans le poil du Pokémon. Sans soulever de questionnement, je m’étais assise juste un peu au-dessus de ses pattes postérieures et j’imaginais que ma prise était idéale. « Vous me parlerez de ces dresseurs de passage que vous affrontez ? Je dois avouer avoir bien peu combattu. » dis-je comme si j’imaginais une ballade dans le doux vent de la forêt. Sans risque et sans possibilité que l’on ne puisse pas parlé.

Je n’étais définitivement pas prête. Pas que je ne le voulais pas, mais plutôt parce que je ne savais pas ce qu’il m’attendait. Mes Pokémons se déplaçaient plutôt lentement et avait à peu près la même vitesse qu’un humain normalement constitué. « En un rien de temps » était, pour moi, une expression vide de sens que Mikhail avait utilisé pour extrapoler la vitesse du Pokémon, parce qu’il ne voulait pas que je marche seul dans le noir, parce qu’il voulait me convaincre, parce qu’il craignait pour ma sécurité. Nos chemins se sépareraient, de toute façon, une fois à Sunyra. Il irait au centre Pokémon, alors que j’irais vers la traverse pour regagner Port-Corail et rejoindre mon fiancé qui devait commencer à s’inquiéter. Il savait où j’étais et c’était bien suffisant pour lui permettre de se faire un sang d’encre pour moi. Cette forêt, après tout, était suffisamment dense pour abriter de nombreux dangers desquels je ne me méfierais pas. Seule, j’étais trop vulnérable à son goût, et je pouvais le comprendre, d’une façon : j’avais un don particulier pour les embrouilles. Il en avait été témoin.

Télépathiquement, je me plaisais à lui dire que j’allais bien. Comme si j’avais cru qu’il avait pu percevoir ces messages mentaux. Je n’étais pas télépathe, lui non plus, je le savais… mais ça me rassurait de le croire. Je jetai un nouvel œil vers l’Arcanin et souris. Pour Alaric. Cette fois, j’étais réellement protégée. Cette fois, j’étais réellement en sécurité. Je rentrerais même plus rapidement que je ne l’aurais estimé. On mangerait même ensemble. Je souris à Mikhail. « C’est quand vous êtes prêt monsieur Mikhail. Cap vers Port-Corail ! » dis-je comme si j’avais été une héroïne de fiction qui partait vers une nouvelle aventure. Je n’étais qu’une enfant dans l’âme. Rien de plus. On ne pouvait pas m’en vouloir.

Ma poitrine se serra dès l’instant où le Pokémon fit un bon. J’étais surprise. Coupée dans le désir de parler par ce bond simple et rapide. Aussitôt, j’avais resserré ma poigne sur la crinière du Pokémon. Aussitôt j’avais eu envie de fermer les yeux. Je n’en fis rien. Le spectacle des arbres qui défilaient devant moi m’en empêchait. Tout allait si vite. On m’avait dit que rien n’égalait la vitesse des voitures et je me permettais maintenant d’en douter. Je n’avais même pas le temps d’observer l’écorce que nous avions déjà dépassé les arbres. Je n’avais même pas le temps de voir si d’autres Pokémon nous regardaient que nous avions déjà avancé beaucoup plus loin… jusqu’à ce qu’il ralentisse sans que je puisse m’expliquer pourquoi. Un danger ? Je n’en voyais aucun. Avait-il humé une odeur qui m’échappait ? Non. J’en fus convaincue quand Mikhail me parla. Un simple aperçu ? Et j’en voulais plus. Comme si c’eut été un quelconque manège. Comme si cet animal était un manège destiné à me faire aller toujours plus. J’aurais pu avoir peur, mais non. Je me sentais en sécurité, perchée entre Altesse et Mikhail, son odeur suffisait à me retirer tous les doutes qui auraient pu m’envahir, toutes ces peurs de chuter et de me faire terriblement mal. Dans un autre contexte, j’aurais probablement eu peur. Dans l’actuelle, je voulais en vivre encore plus… toujours plus. Comme lui. Comme l’Arcanin. « On peut refaire un tour ? » dis-je comme s’il avait été un carrousel mobile.

Je commençai à sautiller, comme si j’avais été sur un dada de bois. Un immense sourire dans le visage. J’étais une enfant, une pure enfant qui découvrait une merveilleuse attraction. Dangereuse, mais amusante. La naïveté dans ma question à l’endroit de Mikhail était complètement pure, je m’amusais. Il voulait me négliger, je ne voulais pas. La rapidité, l’agilité et la concentration du Pokémon me captivait. Il y avait de quoi. Aucun des miens n’avait cette finesse, aucun des miens ne pouvait supporter mon poids et celui-ci était tellement parfait dans son exécution. J’étais admirative. « C’est quoi le plus vite qu’il peut aller ? Il s’est déjà pris un arbre en pleine tronche ? Vous le arcanichez souvent comme ça ? Il est beau. » Une enfant. Une pure enfant. Si bien que j’en étais venu à utiliser un néologisme mélangeant le nom de l’espèce du Pokémon et le verbe chevaucher, comme s’il avait d’usage de faire de tels mots-valises.

J’avais oublié ses combats, je n’en avais plus rien à faire, tout ce qui comptait maintenant, c’était cette course captivante. Tout ce qui comptait, c’était le trajet du retour. Ni l’avenir ni le passé. Le présent. Le vent dans mes cheveux, les complaintes de ma Fragilady, effrayée. Parce qu’elle, elle n’éprouvait pas le même plaisir. Parce qu’elle, elle ne voyait pas ces mêmes merveilles que je découvrais, elle ne voyait qu’une course effrénée et périlleuse, un décor défiler trop vite et dans ses manières hautaines, dans tout sa noblesse et sa superficialité, elle peinait à garder la fleur sur sa tête en place. Je l’entendais penser, crier à l’atrocité de sa coiffure, au fait qu’elle ne serait pas présentable pour je-ne-sais-quel rendez-vous galant imaginaire. Elle ne parlait pas, mais dans sa façon d’agir, elle me faisait penser à ma mère et c’Est-ce que ma mère aurait crier. Attention à ma coiffure chauffeur ! Quelle bête sauvage à nuire ainsi à la beauté d’une dame ! Contrôlez ce truc, il est ignoble, inconsidéré ! C’est un danger.

Pas moi.

Pour une fois, la pomme était tombée loin de l’arbre. La pomme était un fruit complètement différent. Un fruit qui s’amusait, qui profitait de la situation… qui s’en excitait. « Monsieur Geroy l’Arcanin ! Utilisez extrême vitesse ! » hurlais-je en pointant l’horizon, lâchant ma prise, comme s’il avait été mon Pokémon, comme s’il m’avait obéi. M’écouterait-il ? Je croisais les doigts pour qu’au pire Mikhail lui intime la même commande et qu’il l’exécute. Par une bordée d’adrénaline que je ne m’expliquais pas, comme si je n’avais pas été fatiguée de ma journée, comme si j’étais cette enfant terrible qui ne voulait jamais dormir parce qu’elle était trop curieuse, parce qu’elle voulait continuer d’étendre ce qu’elle vivait dans l’instant.

Une journée radieuse, surprenante…

J’aurais pu regretter mes paroles, j’aurais pu me dire ô combien j’avais eu une terrible idée d’accélérer encore plus alors que je sentis mes yeux s’enfoncer tout au fond de leur orbite et ma langue valser avec ma luette. Je plaignais Mikhail derrière moi qui recevait ces interminables coups de fouet créés par ma chevelure. La vitesse était trop forte et pourtant je souriais. Un sourire figé dans le temps de mon précédent état euphorique. Je n’avais pas peur. J’étais surprise. Simplement surprise par le décor qui défilait devant moi bien plus vite que même mon rêve le plus candide n’aurait pu l’imaginer. Stupéfaite par la puisse dans les pattes de cet animal, par sa concentration, par cette chaleur qui émanait de lui. Incapable de parler, le visage figé dans cette expression de plaisir. La même que l’on a dans une montagne russe. C’était comme ça. Un manège amusant, mais pétrifiant, trop irréaliste pour avoir été imaginé au préalable. Mikhail l’avait dit, on atteindrait Sunyra rapidement. Naïvement, je ne l’avais pas cru. C’était pourtant le cas. Rapidement, nous vîmes les bâtiments poindre à l’horizon, avant même que le soleil ne se couche. Il l’avait pourtant dit. J’eus cru à une exagération. Terrible erreur que ce fût.

L’animal ralentit jusqu’à complètement s’arrêter et sans tenir compte des complaintes de ma Fragilady, j’applaudis. J’applaudis la prestation, la vitesse, le dresseur. J’applaudis comme on applaudissait à la fin d’un spectacle. « C’était magique ! » commentais-je candidement en ramenant ma jambe gauche sur le flan droit de l’Arcanin pour bondir au sol après avoir déposé Altesse. « Merci beaucoup monsieur Mikhail ! C’était vraiment impressionnant. » lui dis-je en le serrant contre moi. L’enlaçant comme s’il avait été un éternel ami. Un câlin qui n’avait absolument rien de naturel si on était le moindrement étranger à la nature tactile de certaines personnes. Ça ne me faisait rien. Je faisais complètement fi de la possible réticence au contact physique des uns quand une telle impulsion me prenait. Je ne demandais pas la permission, voyant la chose comme étant plus naturelle que le contraire. Posant les mains sur ses hanches, je me retirai quelque peu et déposai un léger bécot sur sa joue. Un geste que je savais purement amical.

Puis je me retirai, m’éloigner, subissant les complaintes intempestives de mon Pokémon. « Vous n’aviez qu’à accepter votre balle votre Altesse. C’est votre faute ! Pas celle de monsieur Geroy ou de monsieur Mikhail. » Elle croisa les bras contre sa poitrine et fit demi-tour pour entamer la marcher vers l’embarcadère. Elle coupait court à cette rencontre, boudeuse. Peste. « Je… je vais devoir y aller monsieur Mikhail. Désolée ! J’espère qu’on se reverra bientôt… » je jetai un œil vers mon Pokémon qui lentement ne devenait qu’une ombre. « Dans votre arène ? » concluai-je, à moitié confiante. S’il y arrivait, j’aurais peur de l’affronter, du moins, jusqu’à ce que la Comtesse ne soit suffisamment forte.

Je lui souris et lui envoyai un large signe de main. Le saluant. Mettant fin officiellement à notre rencontre de la manière la plus abrupte possible, courant pour rattraper ma Fragilady qui écoulait sa colère sur tous les passants. Misère. Cet homme n’aurait, décidément, vu que les mauvais côtés, les indomptables manières de mes petites divas, de quoi douter de mes rêves, de ma capacité à devenir une dresseuse avec la moindre renommée comme championne d’arène.

Je rattrapai mon Pokémon. « Désolée votre Altesse, je ne voulais pas vous insulter. Promis. C’était pour les apparences. Je voulais avoir l’air forte. » C’était faux. Elle s’en doutait. Elle pestait deux fois plus. Je devrais la subir ainsi encore un moment.

Tant pis.