C'était une journée comme les autres, ou presque.

Tu comprenais pas ce client. Il devait forcément avoir des actions au Parc, ou bien faire partie du comité de préservation. Sinon pourquoi te filerait-il des tickets aussi régulièrement ? Surtout quand tu pensais lui avoir fait clairement comprendre que ça t'intéressait pas tant, comme cadeau.
(Peut-être a-t-il simplement eu pitié de ton teint cadavérique, d'autant plus que vous ne vous étiez parlé qu'en visio et que la caméra de ton ordinateur n'aidait absolument pas à te donner bonne mine).

Quoi qu'il en soit, parce qu'encore une fois tu n'avais pas envie de gâcher ce ticket obtenu comme bonus pour ton dur labeur, te voilà au parc. Sur le même banc que la dernière fois, thermos entre les mains, prunelles scrutant sans grand intérêt les alentours. La chaleur de ton café diffusant à travers les parois du gobelet te faisaient du bien, le temps était frais en ce moment - surtout quand, comme, toi, on était dehors à huit heures du matin.
Pour ta défense tu ne t'étais même pas couché.

Bref, tu te demandais bien qui allait interrompre ta quiétude aujourd'hui. Tu ne te faisais plus d'illusions, vu comme tes dernières visites s'étaient déroulées.
Au moins il y avait un point positif : la rumeur disait que le safari avait étoffé sa population, on y trouverait encore plus d'espèces différentes que d'habitude. De quoi attiser un minimum ta curiosité.

Tu t'étais mis à converser avec ta jumelle par message ; elle venait de débarquer chez toi à l'improviste pour te proposer un petit-déjeuner ensemble et était surprise de ne pas t'avoir trouvé devant ton ordi. Il est vrai que tu la prévenais rarement lorsque tu sortais, c'était une mauvaise habitude - après tout Gladys passait sa vie à se faire du mouron pour toi, la moindre des choses que tu pourrais faire pour la soulager un peu, c'est la tenir au courant de tes allées et venues. C'n'était pas comme si vous n'étiez pas voisins, hein.

Bref, t'étais occupé à expliquer à ta chère sœur que tu allais parfaitement bien lorsque tu sentis quelque chose t'escalader jusqu'à la tête. Curieux, tu levas juste les yeux - sans bouger plus pour ne pas faire tomber ce qui se trouvait là - mais ne put voir de quoi il s'agissait. Qu'à cela ne tienne : téléphone, appareil photo, mode selfie.
Outre ta sale tête de macabé, tu pus voir à l'écran de ton smartphone un coupenotte qui semblait bien curieux de savoir ce que tu faisais. Il fixait ton téléphone avec intérêt.

Sans trop savoir pourquoi, tu rapprochas l'objet du pokémon - juste assez pour qu'il puisse le toucher du bout de la patte. C'est d'ailleurs ce qu'il fit, actionnant ainsi l'appareil photo ; le bruit du déclencheur fit sursauter le petit dragon qui glissa sur le côté. Il atterrit près de toi, sur les fesses.
La scène te fit sourire. Il avait l'air marrant, celui-là.

Maintenant, le coupenotte regardait ton smartphone avec méfiance. Comme s'il s'agissait d'un appareil maléfique destiné à absorber son âme, une engeance maléfique dont il fallait se tenir loin.
Ça te donnait envie de le taquiner un peu.

Petite mimique au bord des lèvres, tu fouillas ton téléphone à la recherche d'une vidéo sur la famille tranchodon. Ton bonheur trouvé tu tournas de nouveau l'écran vers le petit dragon, en épiant ses réactions. Comment aurait-il réagir, en voyant ses congénères au travers de ton écran diabolique ?

La réponse fut qu'il poussa quelques cris d'alarme au début, comme s'il leur disait de sortir de là au plus vite, que c'était dangereux. Cependant au fil du temps il commença à comprendre que ça ne servait à rien ; à partir fr là il contempla donc le spectacle avec curiosité, en comparant sans doute ce qu'il voyait là avec ce qu'il connaissait. Est-ce que la maman là-dedans ressemblait à la sienne ?