A l’aide du pinceau, appliquer juste une légère rougeur sur la pommette.
Pas de couleur pour les lèvres, mais peut-être un petit coup de gloss quand même.
Juste de quoi se mettre en valeur.

Papillonnant des cils face au miroir, Astelle se contemplait dans sa jolie robe rouge.
Elle était "mignonne", mais elle n’aurait pas dit qu’elle était "belle".
Elle avait dix-huit ans mais paraissait à peine entrer dans l’adolescence.

Avec un sourire pincé, elle éteignit son pokématos, sur lequel tournait une vidéo-conseil pour apprendre à se maquiller.  

Elle avait donné rendez-vous à Manon à 9h30, sur la plage. Le programme pour la journée était réglé comme sur du papier à musique. La petite postière connaissait le plan des installations de la Contrée de l’Amour sur le bout des doigts. Chaque activité, chaque propriétaire. Elle avait préparé cette sortie comme on préparait un plan de bataille.
Et cette bataille, Astelle Dumas entendait la gagner.

— Aujourd’hui, Manon va rien comprendre de ce qui va lui arriver… murmura la jeune fille, une lueur farouche dans le regard.

Plus d’un an que les deux amies s’étaient rencontrées.
Déjà six mois qu’Astelle sentait brûler cette flamme dans le secret de son cœur.

— Aujourd’hui… je vais la draguer.

D’un geste énergique, la jeune fille se jeta son sac sur l’épaule. A l’intérieur : une lettre de Saint-Valentin, du chocolat fait-maison, et un carnet recensant les tactiques les plus fourbes et les plus efficaces à employer contre Manon.
Pas de pitié.

Afin de financer mon prochain combat d'arène, je travaille dur en tant que serveuse remplaçante à mon café-restaurant favori.

♪♬ KOKORICO C'EST MOI TON SUPER RÉVEIL JE VIENS TE RÉVEILLER DANS LA JOIE ET LA BONNE HUM–♫♩

Ne supportant plus la pauvreté, j'ai décidé en cette année 2021 d'être une bosseuse prête à tout pour atteindre ses objectifs.

« Mhmhrr tu veux pas la fermer ta grande g#ele d'enc*l€ de tes grands morts ...» je ronchonne en galérant à éteindre mon portable.

Rentrée à une heure du soir, je me suis couchée illico pour pouvoir me lever tôt le lendemain.

« ... QuOI 8H40 !? Oh maï gode j'vais jamais être à l'heure put... »

...ce explique ma panne de réveil.

C'est la tête dans le pâté que je rejoins la jeune fille à la contrée de l'amour. J'ai même pas pu me débarbouiller le visage ni même me laver les dents, c'est la honte.

Apercevant une silhouette familière, je fais un grand signe de la main, l'autre étant occupée à tenir ma clope.

« Salut ! »

Par précaution, j'applique avant de la rejoindre du baume à la baie Pêcha sur mes lèvres, probablement l'unique touche féminine de ma tenue – et ma solution miracle aux mauvaises haleines.

« Comment qu'tu vas ma belle ? Dis donc t'es bien jolie dans ta p'tite tenue, tu comptes draguer un minet en boîte ? »

Je l'interroge avec un rire taquin un peu essoufflée après mon marathon de 10 mètres.

Soudain, les yeux de la jeune fille s’illuminèrent.
Décoiffée, les paupières crottées et probablement encore en pyjama : Manon faisait son entrée-en-scène dans la Contrée de l’Amour. Les battements du cœur d’Astelle s’accélèrent. Son amie paraissant presque courir au ralenti sur la plage, sa longue chevelure formait comme un halo rayonnant autour de son visage.
Toute cra-cra qu’elle était ce matin, Manon Dubell apparaissait baignée de soleil. (…aux yeux d’Astelle, en tout cas.)

 
— Comment qu'tu vas ma belle ? Dis donc t'es bien jolie dans ta p'tite tenue, tu comptes draguer un minet en boîte ?
— Peut-être bien ! répondit la petite postière au sourire radieux.
Mue par un doux empressement, Astelle s’empara du bras de son amie. Qu’elle serra étroitement contre sa poitrine. Après un petit échange de banalités, elles empruntèrent ensemble l’itinéraire de promenade qui s’étirait en bordure de la Plage Mystique, serpentant entre les palmiers décorés de guirlandes fleuries et ces couples qui flânaient main dans la main.

Le plan d’Astelle commençait ici.
— On va prendre le petit-déjeuner au Café-Rondoudou, expliquait-elle d’une voix forte, comme pour attirer sciemment l’attention des plagistes amoureux qui flirtaient aux alentours. Aujourd’hui, ils pratiquent une réduction de -70% pour tous les couples ! Je compte sur toi pour jouer le jeu. Pour que ça fasse plus authentique, n’hésite pas à m’appeler ton petit « Toudoudou d’Amour », ton « Charmilly en sucre », voire même ta « Bavette de Frison sauvage »…
Astelle releva un sourire adorable (et à peine manipulateur) vers son amie.

La demoiselle est incroyablement pétillante et coquette aujourd'hui. Elle sous entend que sa tenue est pour plaire à quelqu'un sans vraiment m'avouer son identité. Je fais la moue, quelque peu contrariée par ses cachotteries :

« Rhoo tu veux pas m'dire ? »

Si celle que j'apprécie le plus n'est pas capable de me révéler son crush, c'est probablement parce qu'elle ne me fait pas assez confiance. Vexée et n'osant pas lui exprimer ce que je ressens, je me contente de courber l'échine en gonflant mes joues.

Mais très vite, ma bouderie disparaît à l'annonce des activités d'Astelle.

« On va prendre le petit-déjeuner au Café-Rondoudou,
- Chouette, ça tombe bien j'ai pas pris mon macciato c'matin.
- Aujourd’hui, ils pratiquent une réduction de -70% pour tous les couples !
- T'as bien dis RÉDUCTION ? -70% ???
- Je compte sur toi pour jouer le jeu. Pour que ça fasse plus authentique, n’hésite pas à m’appeler ton petit « Toudoudou d’Amour », ton « Charmilly en sucre », voire même ta « Bavette de Frison sauvage » ... »

Sa phrase s'interrompt lorsque mon bras enlace le sien. Je la ramène contre moi avec le même sourire éclatant de mon amie.

« Une chouette journée s'annonce dis moi ! T'es la meilleure pour m'tirer de mon train-train quotidien. »

Plantant mes yeux dans les siens, je lui fais une révérence digne d'une gentlewoman.

« Puisque c'est comme ça ... »

Je lui fais un clin d'oeil, les lèvres s'étirant jusqu'aux oreilles.

« Je serai ravie d'être ta p'tite amie de la journée, Astelle. »

Je finis par griller une clope avant d'entreprendre le pas vers le Café-Rondoudou.

— Je serai ravie d'être ta p'tite amie de la journée, Astelle.

Astelle accueillit cette déclaration, et ce clin d’œil, comme si on l’avait foudroyée sur place !

Silencieuse, elle essaya frénétiquement de tempérer son petit cœur, qui s’était mis à danser la gigue dans sa poitrine. Lorsqu’elle parvint finalement à répondre, la jeune fille avait les yeux brillants.
— Oui… ! s’exclama-t’elle, la gorge nouée par l’émotion.

Tout au long du trajet, Astelle reposa sa tête contre l’épaule de son amie, méditant la situation.
Bon… Manon ne paraissait pas trop déstabilisée. Mais cela n’avait rien d’étonnant. La jeune femme était toujours prompte à rebondir d’une situation à l’autre. Cette spontanéité était d’ailleurs une des qualités qu’Astelle lui enviait. Et aimait.
La petite postière, elle, avait davantage besoin de prendre le temps de la réflexion. Sans quoi, il lui était difficile d’opérer en toute sérénité.

Le Café-Rondoudou était une petite bâtisse coquette, bâtie sur pilotis. Le soleil s’invitait sur la terrasse et l’écume mousseuse des vagues chuintait sous les planches. Voyant arriver le couple que composait Astelle-en-robe et Manon-en-pyjama, un serveur les installa au bord de l’eau, puis leur ramena le menu.

— Qu’est-ce qui te ferait plaisir, n’amour ? roucoula une Astelle aux yeux pétillants.

La première partie de son plan n’était pas très compliquée.
Selon le guide best-seller qu’elle s’était procurée pour se documenter sur sa situation personnelle, intitulé « Sortir de la FriendZone », le plus important dans une opération de séduction : c’était de pouvoir se projeter.

Si Manon passait la journée à envisager Astelle comme sa petite amie… peut-être apprendrait-elle à la regarder sous un nouveau jour ?

Nous entamons une balade digne d'un couple de tourtereaux. Honnêtement, je ne songe qu'à me remplir la panse car le réveil a été quelque peu précipité. Mon bidon cri famine et pour cacher ses complaintes, je parle pour ne rien dire.

« Oh ! T'as vu ce couple de Poichigeon ? Ils sont choux ... » je fais la remarque à Astelle en pointant les ziozios du doigt.

Au même moment, un des deux pokémons pigeons grimpe sur son acolyte pour accomplir la vie. Comme une gamine, je pouffe de rire en me foutant de leur gueule.

« Y manque pas d'pudeur ces deux là ! T'vois Astelle, si un jour t'as envie de t'amuser avec quelqu'un, évite de le faire en haut d'un arbre à la vue de tout l'monde. »

J'éclate une nouvelle fois de rire en passant mon bras dans le dos de la brunette. Finalement, nous atteignons rapidement le café-Rondoudou. À vrai dire, je n'y suis jamais allée mais j'apprécie grandement la vue sur la mer, c'est très romantique.

« Qu’est-ce qui te ferait plaisir, n’amour ? »

Étonnamment, les surnoms affectifs sont très mignons venant de la bouche d'Astelle. Quand elle les prononce, mes joues ne peuvent s'empêcher de rosir tellement elle semble sincère.

« B-beh écoute, j'sais pas trop mon p'tit BEYBEY D'AMÛR, ch'ui p'têt' tentée d'faire ma grosse avec une glace Leuphorie mais j'réfléchis encore. »

D'un oeil complice, je regarde Astelle en peinant à ne pas pouffer de rire.

« Et toi ... mon ... ma ... ma grosse MINOUTE ? »

Soudain, mon regard croise la formule petit déj avec une coupe glacée au choix. Ma décision est prise, ça sera le menu « Matin Rongourmand » aujourd'hui !

— B-beh écoute, j'sais pas trop mon p'tit BEYBEY D'AMÛR, ch'ui p'têt' tentée d'faire ma grosse avec une glace Leuphorie mais j'réfléchis encore.
Ses zygomatiques lui démangeaient.
Astelle mobilisait toutes ses ressources pour ne pas éclater de rire. Le fait que Manon soit aussi en train de se retenir n’aidait pas ! Se mordant l’intérieur de la joue, la petite postière crut être parvenue à ravaler sa crise de rire… quand Manon porta le coup fatal !

— Et toi ... mon ... ma ... ma grosse MINOUTE ?
La jeune fille s’effondra sur la table, étouffant son hilarité dans un des coussins décoratifs en forme de cœur.

— Un menu Lovdisc pour moi !

Une fois les plats arrivés, et les larmes essuyées : il était temps de passer à l’offensive.
Astelle se prépara à employer… sa Technique Secrète n°1 !

— Dis-moi, mon sucre de Florges... tu me fais goûter ton pancake aux noisettes ?

Technique secrète n°1 ! Toujours selon « Sortir de la FriendZone », peu de choses étaient aussi intimes que de donner la becquetée à son aimée ! De plus, en demandant la première à tester le plat de Manon, il paraîtrait naturel de lui suggérer ensuite de goûter le sien !

Astelle se redressa donc, les deux mains posées sur la table, puis se pencha vers son amie en fermant les yeux.
— Haaa… fit-elle, avec une innocence soigneusement calculée*.

*…elle était allée jusqu’à répéter devant un miroir, et se filmer pendant qu’elle faisait « Haaa… », pour être sûre d’obtenir l’effet escompté.
Telle une chasseuse face à sa proie ; la préparation d’Astelle était sans failles !

Alors qu'on rit à s'en tordre le ventre, les clients du restaurant nous fusillent du regard. Je me sens désolée pour ces gens qui ne savent pas rire et profiter de la fête des amoureux : il est clair qu'Astelle et moi formons un bien meilleur couple que ces personnes aigries au bord du divorce.

Une fois la commande prise et le repas servi, je m'empiffre sans me soucier des conventions. La jolie postière, curieuse de goûter mon assiette, me fixe avec ses yeux de Ponchiot adorable avant de me demander :

«  Dis-moi, mon sucre de Florges ... tu me fais goûter ton pancake aux noisettes ?
- Mais bien sur ma poupette <3 »

Je chope une grosse cuillerée de mon pancake avant de le fourrer dans la bouche d'Astelle. Il faut dire que je suis un peu maladroite et bizarrement stressée don je crains lavoir enfoncé un peu trop loin.

« Ah ! Ça va ? Promis je voulais pas te tuer ! »

Je retire ma cuillère, les yeux coupables, avant de poursuivre ma dégustation. Je fixe un bref moment ma cuillère en réalisant que je vais faire un bisou indirecte avec Astelle. Les joues rosées, je secoue ma tête comme pour chasser mes pensées avant de dévorer normalement mon repas.

« ... C'est bon au moins ? » je l'interroge avec un air de PP battu.

Une cuillerée de délicieux pancake aux noisettes prit son envol et…
— Gwop ! s’étrangla Astelle, après s’être faite poignarder le gosier par son âme-sœur !
— Ah ! Ça va ? Promis je voulais pas te tuer !

La jeune fille avala tout rond ce petit morceau de douleur sucrée, qu’elle fit passer d’une grande rasade de jus de Baie Mago.
— ... C'est bon au moins ?
— Voui… et je te crois : pour me tuer, tu aurais pris la fourchette !

Astelle reprit d'une petite voix, mi-taquine, mi-désarçonnée.
— Mais tu manques sacrément de pratique, dis donc ! Tu ne faisais pas ça avec TES MILLIONS DE CONQUÊTES ? Je prends note qu’il faut que je t’entraîne à me donner la becquetée.
La jeune fille piqua une baie Framby au bout de sa mini-fourchette.

— Attends, ouvre la bouche…
Se penchant à nouveau vers Manon, elle rapprocha délicatement le fruit de ses lèvres…
...insistant du regard pour qu’elle se prête à l’exercice…

…avant de retourner soudainement la fourchette pour gober la petite baie innocente !
Tel le Flambusard qui fond sur sa proie !

— Miam-miam !

...

...

...

La jeune fille tira la langue.



— Ben quoi ? Je partage tout, mais pas les baies Framby.
Je sais bien qu’on s’aime, mais quand même, il ne faut pas exagérer !

Astelle s’amusait tellement qu’elle en avait les larmes aux yeux.
L’espace d’un instant, elle avait complètement oublié son plan. …mais celui-ci était toujours en motion.
En effet, elles n’étaient pas venues au Café Rondoudou par hasard.
Dans les coulisses de l’établissement, se préparait un événement qui donnerait bientôt à Manon des frissons…

« Voui … et je te crois : pour me tuer, tu aurais pris la fourchette ! »

Je pousse un petit soupir de soulagement.

« Mais tu manques sacrément de pratique, dis donc ! Tu ne faisais pas ça avec TES MILLIONS DE CONQUÊTES ? Je prends note qu’il faut que je t’entraîne à me donner la becquetée. »

J'éclate de rire, de quoi attirer davantage les regards. Ne m'attendant pas à une telle réaction, je peine à rétorquer.

« Mes millions de conquêtes, tu m'fais rire. 'Faut dire que j'étais plus du genre à faire des rendez-vous galants sur le canapé avec un vieux McDo donc la becquetée c'est pas mon fort. »

Voilà que ma pseudo-petite-amie me renvoie la balle, portant la baie Framby à mes lèvres. Un peu timide, j'ouvre grand la bouche, espérant qu'Astelle ne prendra pas note de la vilaine carrie qui sévit dans ma molaire droite. M'apprêtant alors à dévorer la baie, la postière s'empare de ma proie sans m'en laisser une miette !

« Maiiiis ma baie Framby ! » je râle comme une gamine de 5 ans, tirant une tronche de dix pieds de long.
« Miam-miam.
- T'abuseuuh ...
- Ben quoi ? Je partage tout, mais pas les baies Framby. Je sais bien qu’on s’aime, mais quand même, il ne faut pas exagérer !
- Je suis vexée. Tiens, pour la peine ... »

D'un coup de fourchette véloce, je lui pique sa glace Lovdisc avant de la mettre dans ma bouche. Soudain, le choc thermique me fait frissonner, me donnant un mal de crâne une fois tout avalé.

« Elle déchire la glace mais j'aurai pas du t'en prendre autant. C'est donc ça le karma ... »

Machinalement, j'engloutis mon café qui se trouve à l'inverse de la glace, brûlant, empirant mes vertiges.

« Bzjsidkeojqis– »

La serveuse passant miraculeusement par là, je lui demande un grand verre d'eau. La douleur s'estompant petit à petit, je soupire d'exaspération.

« Tu vois Astelle, quand j'ai encore la tête dans l'c*l, je fais vraiment n'importe quoi et encore là j'ai d'la chance de pas faire mon p'tit déj' ... »

— Mes millions de conquêtes, tu m'fais rire. 'Faut dire que j'étais plus du genre à faire des rendez-vous galants sur le canapé avec un vieux McDo donc la becquetée c'est pas mon fort.  
La jeune fille sentit un petit sourire lui venir aux lèvres. Quelque part, c’était rassurant d’entendre Manon minimiser l’affaire. De l’entendre dire que ce n’était pas la même chose. Astelle n’était pas bien sûre de ce qu’elle avait espéré en évoquant le sujet, mais au moins… elle ne se sentait pas aussi jalouse que prévu.

— Moi, même sur le canapé pour regarder un film : j’aurais la tête sur tes genoux et je m’attendrais à ce que tu me donnes mes frites une à une ! Et il faudra que tu les trempe toi-même dans le ketchup avant de me les donner. Prépare-toi !

Pour se venger de ces facéties, Manon lui chipa une large portion de sa glace ! Et dut apprendre à ses dépens que le crime ne payait pas. Réussissant la prouesse de se faire mal à la fois avec son sorbet et avec son café, la jeune femme n’en menait pas large. Ecoutez plutôt :
— Bzjsidkeojqis–  
Astelle eut un regard compatissant pour son amie. Et puis, profitant du fait que sa dulcinée d’aujourd’hui demandait un verre d’eau, déplaça discrètement sa chaise pour s’installer juste à côté d’elle.  

— Tu vois Astelle, quand j'ai encore la tête dans l'c*l, je fais vraiment n'importe quoi et encore là j'ai d'la chance de pas faire mon p'tit déj' …

En opinant du chef, la petite postière posa sa petite main fraîche sur le front de Manon.
C’est vrai qu’elle n’avait pas l’air en forme.  



— Oui... tu fais des horaires difficiles au travail ? Tu as l’air fourbue. J’avais prévu certaines petites choses, mais vu ton état... je pense qu’on va plutôt s’éclipser sur un petit coin de plage pour que tu fermes les yeux un instant. Je te prêterai mes genoux, si tu veux !

Juste avant de m'étouffer comme une bouffonne, Astelle a une réponse qui m'attendrie : elle s'imagine la tête sur mes genoux en attendant telle une pacha une bouchée de frites. Je note qu'un rencard au fast food du coin ne la déplaît guère. Après tout, le plus important c'est qu'on soit ensemble.

Peinant à récupérer de mes bêtises, la brunette me tapote le front d'une mine soucieuse.

« Oui ... tu fais des horaires difficiles au travail ? Tu as l’air fourbue. »

Je soupire avant de rétorquer :

« Ouais, c'est pas facile d'être serveuse, surtout qu'ils servent aussi le soir ... »

C'est en travaillant à la place de Janine que j'ai pu comprendre à quel point le métier de serveuse est éprouvant. Cette dernière doit se réjouir d'être chouchoutée h24 par son mari avant l'arrivée du bébé ! Elle a bien de la chance.

« J’avais prévu certaines petites choses, mais vu ton état ... je pense qu’on va plutôt s’éclipser sur un petit coin de plage pour que tu fermes les yeux un instant. »

Soudain, mes yeux fatigués se ravivent de plus belle. Je me redresse subitement en raclant sans élégance ma gorge.

« Ah nan mais en vrai t'inquiètes hein ! Chuis parée pour toutes les surprises du monde. Quand il s'agit de s'amuser, je suis toujours en forme ! »

Avec plus de prudence cette fois-ci, j'avale ma boisson chaude.

« Moi après ce p'tit déj' chuis chaud pour qu'on bouge ! »

Alors que je dévore mon encas, je zieute d'un œil prédateur la glace de mon amie.

« Et ch'i t'en veux plus d'ta glache, ch'veux bien te la chiper ! »

Pauvre Astelle, il est difficile pour elle de déguster tranquillement son repas sans qu'une Manon sauvage rode autour. Imaginer ma tête sur un Votutrice qui harcèle la petite postière me fait spontanément rire. Puis, une question primordiale s'échappe de ma bouche :

« Au fait Astelle ... y'a des trucs qu'tu sais cuisiner ? Genre, des spécialités que tu sais faire et dont tu m'as jamais fais goûter ... »

Puisque c'est un date, autant poser les questions qui me taraudent l'esprit avant de sortir ensemble.

— Ah nan mais en vrai t'inquiètes hein ! Chuis parée pour toutes les surprises du monde. Quand il s'agit de s'amuser, je suis toujours en forme !

Astelle eut un petit sourire coupable.
Est-ce que la série de plans machiavéliques qu’elle avait prévue pour conquérir Manon comptait comme de bonnes surprises ? Du coin de l'œil, elle nota la présence de l’Employé Rondoudou qui se promenait entre les tables en distribuant de petites enveloppes. Car la remise de 60% accordée aux couples n’était pas sans conditions… Epuisée comme elle l’était, est-ce que Manon ne risquait pas de tourner de l’œil si on la brusquait de trop ?

A la suggestion de son amie, Astelle récupéra sa coupe de glace pour lui en faire cadeau. Le sucre aidait à combattre la fatigue, et cela lui faisait plaisir de constater que Manon avait si bon appétit. Voilà qui lui redonnerait peut-être un peu de peps, car elle risquait d'en avoir besoin !

— Au fait Astelle ... y'a des trucs qu'tu sais cuisiner ? Genre, des spécialités que tu sais faire et dont tu m'as jamais fais goûter … lui demanda son amoureuse d'aujourd'hui, dans un effort héroïque pour lui faire la conversation tout en continuant de boulotter son dessert aux baies Framby.
Même les bajoues pleines de sorbet aux fruits, Manon était une parfaite gentlewoman !

Une petite bouffée de bonheur vint gonfler la poitrine d’Astelle.
Elle bomba légèrement le torse. Voilà un an déjà qu’elle s’efforçait de combler ses lacunes en matière de cuisine, en grande partie pour que son amie ne soit pas toujours la seule à s’occuper du pique-nique. Studieuse, comme à son habitude : la petite postière avait fait des progrès considérables.

— Yup ! J’ai profité de mon séjour à la maison pour apprendre les vieilles recettes de maman. En plus des classiques comme la soupe miso et les gyozas, je connais trois recettes de sukiyaki aux baies (c’est une sorte de ragoût familial), et celle du mabodofu (un plat épicé au tofu) comme on le prépare à Hoenn. Pour les desserts, mon anmitsu (c’est de la gelée de haricot rouge sucrée) n’est pas trop-trop mal, et les gâteaux au thé vert sont actuellement mes favoris à l’heure du goûter !

Son sourire se fit rayonnant.
— Et je n’ai pas l’intention de m’arrêter en si bon chemin ! J’envisage même de m’occuper de la cuisine moi-même pour ton anniversaire... Tu vas voir, je vais me retrousser les manches et te préparer un festin !

Son enthousiasme l’avait rapprochée de plus en plus près de Manon, au point où il devenait dangereux pour celle-ci de jouer de la cuiller sans risquer de lui crever un œil. Se rappelant les concepts basiques d’espace vital, Astelle se dégonfla un petit peu, et se réinstalla plus calmement.

Plus légère qu’une plume, elle pressa délicatement sa joue contre le bras de son amie.
— Tu n’as pas à t’inquiéter, reprit-elle plus doucement, avec un sourire plein de tendresse, tu ne seras pas toujours de corvée de cuisine, n’amour.

(Astelle Dumas, 18 ans et toujours célibataire.
...déjà en train de fantasmer sur sa future vie de couple.
...avec un(e) partenaire qu’elle n’a toujours pas pris soin de mettre au courant.)

J'écoute attentivement la réponse d'Astelle avec la bave au coin de la lèvre. Je suis définitivement séduite par ses promesses culinaires, il me tarde de goûter ses mets ! Toute enthousiaste, je claque mes mains avant de m'extasier :

« Bordel ce que tu m'dis me mets l'eau à la bouche ma belle ! J'ai vraiment trop hâte de goûter les spécificités de la région de ta maman ! »

Je racle avec gourmandise mon assiette. Au même moment, le visage d'Astelle s'approche anormalement du mien, faisant rougir mes pommettes. Remarquant probablement mon embarras, la demoiselle se ravise et se place à côté de moi avant de coller sa joue contre mon bras.

«  Tu n’as pas à t’inquiéter, me dit-elle tout sourire,  tu ne seras pas toujours de corvée de cuisine, n’amour. »

La sincérité avec laquelle elle m'appelle "n'amour" me déstabilise. Cependant, je ne me dégonfle pas et continue à jouer le jeu. C'est avec un rictus aguicheur que j'attrape ma boisson avant de rétorquer :

« Ça sera avec plaisir que je goûterai tes p'tits plats ma chérie ! Au moins ça nous évitera de choper une intoxication alimentaire. »

Je glousse avant d'avaler cul sec mon verre d'eau. C'est avec une rapidité fulgurante que j'engloutis le reste du dessert d'Astelle.

« Ça y est, je suis prête pour la suite ! J'ai trop envie de voir ce que tu me réserve, tu m'rends trop curieuse ! »

Je la regarde tendrement, les étoiles pleins les yeux. Ma joie se lit sur mon faciès tant je passe un bon moment avec la brunette. C'est la seule qui m'accepte réellement comme je suis et non pas pour ce qu'elle projette sur moi. À force d'y réfléchir, je devrais lui rendre la pareille et lui montrer ce que je ressens pour elle. Ceci dit, je suis vraiment une quiche pour exprimer mes sentiments.

 
— Ça sera avec plaisir que je goûterai tes p'tits plats ma chérie ! Au moins ça nous évitera de choper une intoxication alimentaire.
— Tu exagères, Manon… répondit doucement Astelle.
Elle se rappelait avec un certain bonheur leurs pique-niques au Parc Safari...
...où elle-même se contentait alors d’amener ce qu’elle avait acheté à la boulangerie, tandis que son amie préparait salades et sandwiches. Non, Manon ne cuisinait pas mal ! Ou alors, à l'époque, elle avait fait de sacrés efforts pour impressionner sa jeune amie !

— Ça y est, je suis prête pour la suite !
J'ai trop envie de voir ce que tu me réserve, tu m'rends trop curieuse !

— La suite… oui, répéta-t’elle lentement.
Et sa voix avait un petit quelque chose de lugubre.
— A ce propos, Manon…

Le moment était donc venu…

Le Rondoudou emblématique du Café se réceptionna mollement sur la table des deux amies.
Il avait de grands yeux innocents, et une petite enveloppe à la main, qu’il confia joyeusement à Manon.
— ...tu sais, la réduction est réservée pour les couples, alors… pour s’inscrire ici, il fallait remplir deux petites conditions.

Rien de grave, semblait indiquer le ton de sa voix. Juste l'équivalent d'un pacte avec le diable. A l’intérieur de l’enveloppe que tenait Manon, se tenait une jolie carte de Saint-Valentin, accompagnée d’un chocolat fait maison qu’on venait de retirer du motis-frigo du restaurant.

— ...la première, c’était de fournir des voeux de Saint-Valentin ...et de permettre leur rediffusion dans tout le restaurant.
Au moment où la jeune fille prononça ces mots, les écrans suspendus aux coins de salle s’allumèrent. Faisant lentement défiler les messages d’amour et de tendresse des clients, photos à l’appui.

Celles d’Astelle et de Manon apparurent en gros plan.
La jeune fille déglutit. C’était trop tard pour les regrets.



Elle était venue avec l’intention de sortir l’artillerie lourde à Manon.
Et c’est ce qu’elle allait faire.

Carte de Saint-Valentin Pour Manon:

— La seconde condition, reprit-elle d’une voix égale, n'hésitant pas à continuer d'attaquer, sans même laisser le temps à Manon d'encaisser, c’était d’accepter de participer à la petite animation du café. Un employé va bientôt passer entre les tables, et nous demander de répondre devant tout le monde à une question tirée au sort… que tu devrais également trouver dans l'enveloppe que te remets Rondoudou.

Question pour l’adorable Manastelle:

Avec un sourire rayonnant de fraîcheur, l’animateur fit son apparition dans un costume tiré à quatre-épingles.
— Bonjour mes jolis rondoudous !
Vous avez bien mangé ? C’est le moment pour l’attraction phare de notre beau café !
Par qui allons-nous commencer ? Montrez-moi vos jolies joues roses ? Oooooh… mais c’est que je vois d’adorables bajoues cramoisies par-ici !
Cherchant manifestement le couple qui serait le plus timide, et le moins à son aise, l’animateur se rua vers la table d’Astelle et Manon. Les écrans affichèrent les deux jeunes filles en gros plan, ainsi que le mot d’amour rédigé par Astelle, et la question qui leur était posée.
— Dites-nous tout ! s’exclama le monsieur avec un sourire bienveillant, approchant délicatement son micro du couple de jeunes filles.

Voilà ! Le missile atomique était lancé !
...mais quand même, elle y allait un petit peu fort.

Manon n’était pas très forte pour parler en public.
De tout cœur, Astelle espérait que son amie n’allait pas s’effondrer sous la pression.
— Pense à la réduction, Manon…!

(Astelle Dumas, tendrement amoureuse.
...et prête à tout pour parvenir à ses fins.)

« À ce propos Manon ...
- Hm ? »

Je relève la tête, toute nigaud. Soudain, un Rondoudou sorti de nulle part, bondit sur notre table avant de me tendre une enveloppe.

« ... tu sais, la réduction est réservée pour les couples, alors … pour s’inscrire ici, il fallait remplir deux petites conditions. » me dit Astelle d'une voix enjouée.

Je regarde mon amie en grimaçant. Il est vrai que les conditions d'inscription sont assez obscures pour moi, mais je vais bientôt le découvrir. Malheureusement.

« ... la première, c’était de fournir des voeux de Saint-Valentin ... et de permettre leur rediffusion dans tout le restaurant. »

Je décortique du regard la lettre rose. Astelle semble l'avoir écrite, je vais donc la lire consciencieusement. Dedans, la jeune fille me relève de manière subtile ... ses sentiments pour moi. Je lis une seconde fois pour m'assurer et, en effet : je suis l'homme de sa vie. Sans m'en rendre compte, mes yeux brillent et mes mains se mettent à trembler. Cependant, je n'ai pas le temps de digérer que je me prends le coup de massue.

« La seconde condition, c’était d’accepter de participer à la petite animation du café. Un employé va bientôt passer entre les tables, et nous demander de répondre devant tout le monde à une question tirée au sort … que tu devrais également trouver dans l'enveloppe que te remets Rondoudou. »

Ne disant pas un mot, je me contente de suivre les recommandations d'Astelle. En fouillant dans l'enveloppe, je découvre un petit papier qui va chambouler ma relation avec Astelle.

“Quand et comment avez-vous réalisé que vous étiez amoureuses l’une de l’autre ?”

Puis, tout s'enchaîne : l'animateur rejoint notre table tel un commentateur télévisé. Il braille dans nos oreilles, attirant l'attention de tout le monde sur notre couple. Les caméras braqués sur nous, cette tafiole nous colle le micro à la bouche, attendant notre réponse. Astelle ne rétorque pas, c'est à moi de prendre les devant. C'est mort. Il faut que je fuis.

«  Ouuff excusez moi mais j'crois qu'j'vais aller poser ma pêche donc si vous voulez bien ... »

Les sentiments, ce sont des faiblesses. Je préfère me ridiculiser à la télé plutôt que de les exposer. Merci à mon ventre d'avoir fait des gargouillis peu ragoûtant à ce moment là. Ne voulant pas assister aux réactions des personnes autour de moi, surtout celle d'Astelle, je m'enferme dans les toilettes.

Dans la cabine, je m'effondre. Le visage cramoisi le cœur tambourinant, je cache ma tronche honteuse entre mes cuisses. Je ne peux pas supporter d'être affiché de la sorte. Pas encore une fois.

***

« Heh !? Vous sortez vraiment ensemble ?
- Ou–
- Quoi ? T'es folle !! Pfouahaha moi j'sors qu'avec des mecs moi.

Sale p*te. Tu ne disais pas ça quand j'avais ma tête dans ta culotte.

« Bah, Manon m'avait dit que vous avez fait des trucs ... »

Claire me fusille du regard avant de tirer à balle réelle.

« Alors là euuuh nan, haha, elle tourne son visage vers moi pour me défigurer, je sais que c'est ton délire Manon de vouloir te taper ta meilleure amie mais chuis pas une perverse comme toi. »

Je suis complètement désemparée. Pas un son ne veut sortir de ma bouche.

« Bah ... Manon ? Pourquoi tu m'as raconté ça ?
- C'est parce que c'est une obsédée, elle t'as pas dis qu'elle s'est fait pécho par Esteban à l'anniversaire de Priscilla !
- Qu.. ? »

Je fixe le sol, honteuse. Le tapis devient flou et mes joues ruissellent de larmes.

« C-c'est n'importe quoi, arrête ça ...
- Quoi, t'assumes pas ? Pourtant t'assumais bien quand t'étais bourré et qu'vous avez n#qué dans la piscine !
- Sérieux !? »

C'est faux, ce mec est venu me faire chier parce qu'il a pensé qu'il me plaisait. Et Claire connait très bien la vérité : elle s'amuse juste à m'humilier parce que je vais nuire sa réputation à cause de notre aventure. Je n'ai compris que plus tard que cette meuf n'assumait pas ses tendances, alors elle tente de me détruire, fuyant la réalité pour retrouver un semblant d'ego. Le pire, c'est que ça a marché.

***

C'est insupportable d'être mise à nue. Si c'est pour me faire juger par des personnes qui ne me connaissent même pas, alors non merci. Je n'ai pas signé pour ça.

Je balaye ce souvenir traumatique d'un revers de la main. Il faut que je me ressaisisse, c'est pas cool de planter Astelle comme ça. J'ai beau en vouloir aux personnes qui ont organisé cet évènement pourri, mais pas à la brunette. Elle, elle mérite des explications.

C'est à toute vitesse que je reviens au restaurant. Je sors l'argent de mon sac, payant plein pot mon repas et celui d'Astelle.

« Gardez la monnaie. »

Fissa, je choppe le bras d'Astelle pour la conduire vers l'extérieur.

Posées derrière le restaurant en bois, je libère le bras de la jeune fille. Lui tournant le dos, je m'allume une cigarette afin de décharger le stress accumulé.

« J'aurai dû t'le dire que les caméras me mettent mal à l'aise. »

Je sers le poing, énervée.

« Je ne SUPPORTE pas qu'on me force à répondre là comme ça, alors que moi j'ai même pas encaissé ton message. »

Je serre la lettre que j'ai gardé tout du long. Je prends une grande inspiration comme pour me donner du courage, avant de refaire face à Astelle.

« Tu sais quand j'ai commencé à t'aimer ? »

Je tire longuement sur ma cibiche pour me laisser le temps de réfléchir. Moi même j'ai du mal à le savoir. Et je compte bien dévoiler le fond de la pensée à la petite postière.

« Est-ce que le camping a été le moment décisif ? Ou à la Centrale quand tu m'a embrassé ? Ou est-ce que c'était bien avant ? Lorsque je t'ai vu affronter pour la première fois Solochi dans ta p'tite tenue de sportive ? Franchement je sais pas Astelle. »

Je la dévore du regard d'un air digne d'un prédateur. M'approchant lentement d'elle jusqu'à la bloquer contre le mur, je poursuis ma tirade.

« Mais t'sais, y'a bien un truc dont chuis sûre. T'sais c'est quoi ? »

Par respect pour elle, je mâche en deux-deux un chewing à la menthe. Faisant abstraction de mes doigts qui tremblent, je pince doucement le menton de la demoiselle pour approcher son visage du mien.

« C'est que moi aussi, j'ai des sentiments pour toi.  »

Le souffle coupé, je me lance. Mes lèvres se pressent contre les siennes tandis que ma main se pose sur sa hanche, faisant légèrement pression pour attirer la jeune fille contre moi. Après ce long bisou, je la laisse respirer avant de poursuivre, l'air de rien :

« Bon elle est où la suite ? J'espère qu'cette fois-ci on va pas passer dans le JT d'20h. »

Je suis sûre que la petite postière a tout orchestré. Elle a voulu prendre le dessus  sur la situation mais j'ai renversé la tendance. Qu'en penses-tu de cela, Astelle ?

Je me tiens là. Et je suis pétrifiée.
Pour moi, le temps s’est arrêté quand Manon s’est levée.

Qu’est-ce que j’ai fait ?
Est-ce que je suis finalement allée trop loin ?
A force de pousser, pousser et pousser encore… ce devait bien finir par arriver.

On ne devrait pas jouer avec les gens, avec leurs sentiments.
Et encore moins se jouer de ceux qui nous sont chers.
...mais ce sont également ceux qu’il est le plus facile de manipuler.

Je crois… que je me déteste.
Je viens d’envoyer la personne que j’aime pleurer dans les toilettes.

Je renifle devant les reliefs de mon menu Lovdisc. Il règne une ambiance de malaise dans le café.
L’animateur fait de son mieux, il continue d'interroger les autres couples, aussi loin que possible de moi, pour me laisser un peu d’intimité.
Les clients me regardent avec pitié.

Je sais de quoi j’ai l’air.
Ma partenaire s’est enfuie en lisant ma lettre de Saint-Valentin.
Ils se disent que je l’ai attirée ici pour la mettre devant le fait accompli, que j’espérais sûrement que la pression la pousse à se prêter au jeu…

...et ils ont raison. Je m’efforce de ne pas laisser mes larmes couler.
Ils ont raison. C’était exactement ça, mon plan.
Qu’est-ce que je suis en train de faire…? De devenir...?

La blesser, c’est la dernière chose que je voulais.
Mais le problème, c’est moi.
Moi qui en veut toujours plus.
Moi qui en veut trop.

Je me sens si idiote...
Manon me fait assez confiance pour me montrer ses cicatrices, sa fragilité. Elle s’est si bien dévoilée que je peux toucher ses failles du bout des doigts. ...alors pourquoi est-ce que je profite de ses faiblesses ? Que je continue à appuyer, encore et encore ? Au risque de lui faire du mal...

Est-ce que je suis si égoïste ?
Est-ce que je suis si désespérée ?

Je sais depuis longtemps que Manon va faire partie de ma vie.
D’une façon ou d’une autre, quoi qu’il arrive.
Je la veux à mes côtés.

...mais c’est seulement le minimum. Ça ne me suffit pas. Je veux aussi choisir de quelle manière nous serons ensemble. Je ne veux pas me voiler la face, la chérir simplement comme une amie, ou comme une grande-sœur
Pas quand j’éprouve quelque chose de tellement plus fort...
Et avec cet égoïste pour seule raison… je suis en train d’essayer de la duper. Je lui coupe toute échappatoire. Une manigance après l’autre, je cultive ses sentiments pour moi. Je tente de forcer le destin.
Alors qu’au fond de moi… je sais bien que c’est inutile.

Manon ne m’aime pas.
Comment expliquer, autrement… qu’il ne se soit jamais rien passé entre nous ? En plus d’un an ? Avec une personnalité pareille ? Je l’aime, mais soyons honnêtes : de ma vie, je n’ai jamais rencontré une personne plus vicieuse. Si elle m’aimait… comment aurait-elle pu rester passive pendant si longtemps ? ...elle n’ignorerait pas ainsi mes approches timides et maladroites. Elle en serait incapable, elle ne pourrait pas.  
...je pense qu’au fond, elle s’est rendu compte de ce que j’essaie de faire.
Et qu’elle temporise. Qu’elle cherche une porte de sortie. Un moyen de mettre un terme à ce jeu du chat et de la souris… sans me blesser.

Parce qu’elle aime notre amitié. Notre proximité.
Mais qu’elle ne m’aime pas, moi.

Le moment où j’accepte cette vérité… est aussi celui où je me mets à pleurer. Follement.
La digue éclate, et les sanglots semblent irrépressibles. J’attire les regards et la pitié… mais je m’en fiche.
Huit mois depuis la Centrale. Huit mois depuis que j’ai réalisé qu’elle tient la première place dans mon cœur. Huit mois que je garde le secret… et depuis tout ce temps… sur mes actes, sur mes paroles, toute mon attitude… pèsent cette étrangeté mensongère.
Ces attentes que je la force constamment à subir.

Elle ne veut pas d’une deuxième Claire. ...si je croise cette fille, je lui colle mon poing dans la figure.
Elle ne veut pas perdre sa meilleure amie. ...pas encore une fois.
Elle ne veut pas que ça recommence. ...alors, ça ne recommencera pas.

Je comprends bien tout ça. Alors, pourquoi j’insiste ?
Dans ma tête, tout semble très raisonnable. Je mets juste un maximum les chances de mon côté avant de me déclarer. Pour que mes sentiments ne soient pas un mensonge, parce que Manon mérite ma sincérité. Je veux lui dire ce que je ressens, juste une fois…
...je ne souhaite pas la harceler.
...et après son refus, je n’insisterais pas.
Manon et moi, nous serons amies pour toujours.
Je lui prouverais qu’elle n’a rien à craindre. Que ça ne change rien.
Qu’elle ne me perdra jamais.

...c’est ce que je me dis, pour rationaliser, pour me rassurer…
...mais en vérité, je repousse sans cesse le moment fatidique… et les stratagèmes s’accumulent.
Quel était le plan d’aujourd’hui, déjà ? La mettre dans une situation où elle devrait faire semblant de m’aimer ? La forcer à dire des choses qu’elle ne pensait pas vraiment ? La pousser à simuler ?

...je suis vraiment quelqu’un d’horrible.
Depuis combien de temps est-ce que je lui tourne autour comme ça ? Depuis combien de temps est-ce que je lui mets la pression ? Alors même qu’elle a déjà perdu une amie de cette manière, qu’elle est convaincue qu’en me cédant, elle risque de tout faire capoter.
...c’est parce qu’elle tient à moi qu’elle fait de son mieux pour éviter de déraper…
Pour ne jamais rien faire de déplacé. C’est sa façon à elle de choyer notre amitié.
Et plutôt que de respecter son souhait, je continue à la harceler.

Je déteste les secrets.
La manière dont les cachotteries distordent mes pensées.
Cette façon de se mentir à soi-même, je m’étais promis de ne plus jamais y succomber…

...mais cette fois, je n’avais simplement pas le courage de faire autrement.
Je ne voulais pas risquer qu’elle me dise non.

— Astelle… je murmure, dans un souffle.
Ça suffit, non…?
Ça suffit, tu ne crois pas ?

Oui, la comédie... a assez duré.

...quand elle sortira des toilettes, dis-lui simplement que tu es désolée.
Dis-lui que tu l’aimes. Ma voix se bloque dans ma gorge, mais je continue à me morigéner…
Ces mots que je prononce à voix-basse, c’est la première fois que j’ose les formuler.
Accepte qu’elle ne t’aime pas en retour. Et puis laisse tomber.
Que ce soit la toute dernière fois que tu lui causes de la peine à ce sujet.

C’est ce que je peux faire de mieux pour elle.
Pour mon amie. Ma meilleure amie.
Celle que j’appelle mon trésor.

Ma précieuse, ma si précieuse…
Manon...

La porte des toilettes s’ouvre et je tremble comme une feuille.
J’ai à peine le temps de sécher mes larmes. Manon revient dans la salle comme une furie, et m’arrache à mon siège.
C’était quand, la dernière fois que je l’ai vue fâchée comme ça ?
Au moulin. Quand j’ai refusé de m’excuser. Quand je me suis attendue à ce qu’elle me pardonne, simplement parce que je pleurais. La manière dont cet incident s’est clos compte pour l’un de mes plus précieux souvenirs. Après notre bagarre, c’était la première fois que Manon me parlait d’elle-même avec une telle sincérité. C’était la première fois qu’elle se montrait fragile. Qu’elle arrêtait de jouer la dure.
...c’est peut-être aussi la première fois que je l’ai vue pour ce qu’elle était vraiment.

Nous nous isolons à l’arrière d’une cabine déserte, elle me tourne le dos pour se mettre à fumer.
Je n’ai que ce que je mérite. Elle ne veut même pas me regarder.

— J'aurai dû t'le dire que les caméras me mettent mal à l'aise.
Sa voix est brusque. D'une rudesse qui me fait trembler.
Manon a les poings crispés. Les épaules tendues.
...c’est parce qu’elle se doute bien que j’étais parfaitement au courant. Depuis le temps, elle sait de quoi je suis capable. ...mais peut-être croyait-elle que je n’utiliserais jamais ses sentiments pour la piéger de cette façon-là.
...peut-être qu'elle avait confiance en moi.

— Je ne SUPPORTE pas qu'on me force à répondre là comme ça, alors que moi j'ai même pas encaissé ton message.
Je sais. Je l’ai su dès le premier jour. Ce jour, au Banquet d’Anniversaire, où je t’ai emmenée sur l’estrade, et où tu t’es complètement décomposée face au public. Je savais bien que c’était une de tes faiblesses… et j’en ai profité.

Je baisse les yeux sur ses mains.
Elle tient ma lettre d’amour crispée entre ses poings. Comme si elle allait la déchirer.
Et mon coeur avec. Mes yeux s’embrument à nouveau. Je dois mobiliser toute ma volonté pour lui cacher que je suis à deux doigts de pleurer.
Je veux partir... La voix de Manon sonne maintenant trouble à mes oreilles, un petit peu déformée.
Comme si pour me protéger, pour minimiser l’ampleur du rejet… mon corps se refusait à l’écouter.

Elle respire fort. Furieuse. Et se retourne vers moi.
Je me demande si elle va me gifler. A bout de patience, si elle en a plus qu’assez de mes petits jeux sournois…
Je me demande si… si je peux encore sauver quelque chose de cette situation.
Son regard est intense. Ses lèvres s’arrondissent. Je la contemple, éplorée, et…

— Tu sais quand j'ai commencé à t'aimer ?

Tout devient blanc.
Mon cerveau… vient de cesser de fonctionner.

— Est-ce que le camping a été le moment décisif ? Ou à la Centrale quand tu m'a embrassé ? Ou est-ce que c'était bien avant ? Lorsque je t'ai vu affronter pour la première fois Solochi dans ta p'tite tenue de sportive ? Franchement je sais pas Astelle.

Je secoue mollement la tête. Non, il n’y a rien à faire… je n’arrive plus à penser à rien.
Manon ne dit rien de ce que je m’attends à entendre. Il doit y avoir une erreur.
Ce n’est pas ce que j’avais prévu. Pas ce que j’avais imaginé.
Je ne peux pas me tromper.
Parce que je connais Manon, je la connais par cœur.

J’ai touché chez elle un point sensible et elle s’est fâchée de mes petites manigances. Après avoir saisi le prétexte que je lui fournissais pour éviter de prendre ma déclaration au sérieux, elle a l’intention de m’expliquer ce que j’ai fait de travers, et puis, elle attendra des excuses. C’est ce qui se passe.
C’est… ce qui aurait dû se passer.

...ce n’est pas du tout ce qui est en train de se passer.

— Mais t'sais, y'a bien un truc dont chuis sûre. T'sais c'est quoi ?

Je crois que…
...je suis en train de me tortiller bizarrement contre la paroi.
Manon s’est rapprochée. Très près. Trop près. Elle est si proche... que le poids de son corps pèse contre le mien.
...elle me coupe toute possibilité de retraite. Je ne peux pas m’échapper.
...pourquoi est-ce que je suis en train d’essayer de la fuir ? Je ne sais pas. Je ne comprends pas.

Elle… est en train de mâchouiller un chewing-gum à la menthe ? Une partie de moi vient de pousser un grand cri d’hystérie. Ses doigts pincent mon menton. Me forcent à la regarder.

— C'est que moi aussi, j'ai des sentiments pour toi.

Les larmes que je retenais se sont remises à couler.
Tout est blanc. J’ai arrêté de penser.

***

Son cœur était en train d’exploser dans sa poitrine.
Elle tremblait, mais ne savait plus si elle avait chaud ou froid. Et c’était sans importance.
Tout ce qui comptait, c’était...
Ses mains eurent un mouvement avide. Désespéré. Elles se refermèrent dans le dos de son amie. Elles serrèrent. Fort. Tellement plus fort que ces petits bras n’auraient dû pouvoir serrer.

Tout son corps était baigné d’une douce sensation de tiédeur. Une langueur réconfortante, dont ses pensées étaient captives, subjuguées. Et puis… trop tôt, le charme se rompit. La fin d’un moment de magie qui laissait Astelle chancelante, haletante, et si rouge que sa peau en paraissait brûlante.
Sans son amie pour la retenir, sûrement serait-elle tombée sur les fesses.

— Bon elle est où la suite ? J'espère qu'cette fois-ci on va pas passer dans le JT d'20h.
— ...la suite ? répéta Astelle, avec l’air benêt de celle qui vient de perdre cent points de QI en un seul bisou.

Elle pressa faiblement son front contre l’épaule de son amie.
Elle avait tant de choses à dire, et si peu de souffle pour parler.
— P-...pour la suite, il y a une petite boutique sur la plage qui vend des maillots de bain. L'étape suivante du plan, c’était de t’inviter à m’en choisir un. ...mais avant d’y aller, est-ce qu’on pourrait juste… s’asseoir quelque part…?

Je crois que j’ai besoin d’un moment au calme… pour respirer.

J’ai l’impression d’avoir fait un sprint aller-retour entre l’enfer et le paradis…
J’ai envie tout à la fois de te taper dessus et de te serrer dans mes bras. De t’enguirlander et de roucouler comme un Poichigeon.

Astelle, prise au dépourvue, a du mal à retrouver ses esprits. Elle repose sa tête contre mon épaule pour ne pas me montrer son visage cramoisi.

« P-...pour la suite, il y a une petite boutique sur la plage qui vend des maillots de bain. L'étape suivante du plan, c’était de t’inviter à m’en choisir un.
- Chic alors ! Ça me plait bien comme activité ... »

Il suffit que d'une évocation d'Astelle en maillot de bain pour que je l'imagine dans différentes tenues mignonnes et sexys.

« ... mais avant d’y aller, est-ce qu’on pourrait juste … s’asseoir quelque part … ? »

Je glousse de rire en passant mon bras autour de son cou.

« Je crois que j’ai besoin d’un moment au calme … pour respirer.
- J'veux bien t'croire ma belle. Allez, viens.
- J’ai l’impression d’avoir fait un sprint aller-retour entre l’enfer et le paradis … J’ai envie tout à la fois de te taper dessus et de te serrer dans mes bras. De t’enguirlander et de roucouler comme un Poichigeon.
- Hahaha ! Eh bien, tu peux faire les deux en même temps si tu veux. » je lui offre un câlin affectueux avant de décoller.

Nous partons doucement en direction de la plage. Au début, je n'ose pas lui parler, ne sachant plus si je dois la considérer comme une amie ou amante. Mon regard se noie dans le ciel bleu qui, en contemplant l'horizon, épouse la mer pour ne devenir qu'un.

Toujours silencieuse, j'amène Astelle à escalader des rochers. En s'aventurant hors des sentiers battus, nous pouvons nous dégoter une crique, bien loin du brouhaha de la petite ville.

« Fais attention à ne pas glisser ! »

Je tiens la main de ma nouvelle chérie, en menant la danse. Je bondis de rocher en rocher, m'agripant sur des cailloux crochus. Dès que j'atteins le sable, je tends mes bras vers Astelle.

« Tu peux sauter ! Je te rattraperai. »

J'ai les yeux pétillants et un sourire tendre me colle au visage. Le paysage est idyllique : seules, sur une plage cachée par les falaises, nous sommes seules face à la mer, face au monde. Va-t-elle se jeter dans mes bras ou trouver une autre solution pour atteindre le sol ? Si elle a un pokémon vol capable de la déposer, j'aurai l'air d'une sotte.

Une fois n’est pas coutume, les mots lui manquaient.
Cheminant sur la plage, Astelle se tenait cramponnée au bras de son amie. Elle serrait fort, comme pour ne pas la laisser s’échapper.
Combien de fois avait-elle fait ce même rêve ? Avait-elle songé déclarer ses sentiments à Manon, pour voir son amie onirique lui retourner son amour... et le rêve lui échapper avec le lever du soleil. Mais cette fois, elle ne rêvait pas, n’est-ce pas ? Comme pour s’en assurer, la petite postière devenait plus collante qu’un Dodoala.

Le sable laissa place aux galets léchés par l’écume. Crapahutant à distance de toute l’agitation mercantile de cet événement de Saint-Valentin, les deux amies rejoignirent une crique discrète, protégée par un évent de hauts rochers noirs et abrupts.
— Fais attention à ne pas glisser !
Astelle acquiesça. Il n’aurait pas été difficile de s’y blesser. Escaladant la pierre à la suite de sa valentine, la jeune fille semblait perdue. Le regard vague et brumeux. Un air absent remplaçait son expression vive et éveillée.

— Tu peux sauter ! Je te rattraperai.
Elle contempla un moment Manon. Juchée sur son rocher.
En contrebas, son amie lui ouvrait les bras. Si le rêve devait s’achever, alors ce serait à ce moment-là. Quand elle plongerait dans son étreinte aimante, pour se réveiller seule, dans son lit, avec ces sentiments qui pesaient toujours sur sa poitrine, son cœur comme pris dans un étau : impatient d’être libéré.
Astelle ferma les yeux, très fort.
Puis elle se laissa tomber.

La réception lui fit un peu mal.
...mais ce n’était pas pour cette raison que la petite postière sentait lui monter les larmes aux yeux. Étreinte et aimée, vivant pour la toute première fois la continuité d’un rêve qui n’avait cessé de la tourmenter, Astelle passa ses bras autour du cou de son amie, et commença à sangloter. Son petit nez était rouge, ses yeux humides, et sa voix incertaine tandis qu’elle s’exclamait.
— ...c’est pour de vrai, d’accord ? Ce n’est pas une blague, ce n’est pas juste pour aujourd’hui… je t’ai offert tous les prétextes possibles et imaginables pour te débiner, mais maintenant, c’est terminé ! Mon amour, il n’est ni repris, ni échangé !

Finalement, la demoiselle chute de la falaise. Les pieds calés contre la roche, je me concentre sur la mission la plus importante de toute ma vie : rattraper ma dulcinée et éviter de finir à l'hôpital. La voyant tomber, je ne peux m'empêcher d'imaginer les pires scénarii : et si elle me glisse des mains ? Et si je me ramasse avec elle ? Ça risque de finir très mal non ? Puis, la demoiselle atteint ma hauteur. Plus le temps de réfléchir : les bras grands ouverts, je la réceptionne parfaitement. Même si la gravité a failli l'emporter, j'ai contre balancé mon poids sur le roc afin d'éviter de glisser, quitte à tomber sur le postérieur. Même si mes biceps n'ont pas apprécié la charge brutale, je suis heureuse d'avoir Astelle dans mes bras, saine et sauve.

L'imagine parfaite : moi-même, tenant ma belle dans les bras alors qu'une vague claque le rocher, nous éclaboussant au passage. Je ne quitte pas la demoiselle des yeux, même si je suis rouge comme une tomate. Soudain, Astelle se met à pleurer, entourant mon cou avec ses petits bras. Que se passe-t-il ? Je lui ai fais mal lors de la réception ? Est-ce que j'ai été blessante ? Alors que je me mets à gigoter, toute déboussolée par sa réaction, la jeune fille me demande entre deux sanglots :

« ... c’est pour de vrai, d’accord ? Ce n’est pas une blague, ce n’est pas juste pour aujourd’hui … je t’ai offert tous les prétextes possibles et imaginables pour te débiner, mais maintenant, c’est terminé ! Mon amour, il n’est ni repris, ni échangé ! »

Je m'apaise instantanément et je me remets à sourire. La blottissant un peu plus contre moi, les yeux clos, je lui révèle ce que j'ai tout au fond de mon cœur.

« Je ne blague pas avec les sentiments, Astelle. Je suis vraiment amoureuse de toi et ça ne date pas d'hier. »

Je la dépose tout doucement sur le caillou, prenant le temps d'essuyer ses petites larmes chaudes.

« Arrête de pleurer, va. Nos sentiments sont réciproques, tu n'as plus besoin de passer par quatre chemins pour me dire ce que tu ressens. »

Prenant sa main dans la mienne, nous bondissons de rocher en rocher jusqu'à atteindre une crique assez intimiste. Une fois sur le sable humide, j'enlève ma veste pour l'étaler sur le sol, invitant ma bien aimée à y poser ses fesses.

Puis, le son des vagues comble le silence. Je n'arrive pas à enlever ce pourpre de mes pommettes, ni même à dégainer une cigarette pour me détendre. J'ai besoin de voir plus clair sur la situation. Triturant une de mes mèches comme une lycéenne timide, je me confesse.

« T-tu sais Astelle, j'suis pas aussi expérimentée que ça ... »

Cette fois-ci, je n'arrive plus à croiser son regard. Maintenant que j'ai parlé, je vais jusqu'au bout.

« Je n'ai jamais eu de relations sérieuses avec une fille ... ni un garçon d'ailleurs ... »

Je scrute la menotte d'Astelle, mourrant d'envie de la saisir dans la mienne. Malheureusement, la paralysie m'en empêche : je ne me comporte absolument pas comme d'habitude. Je suis troublée.

« C'est tout nouveau pour moi alors ... »

Je ne sais pas comment finir ma phrase. Devrais-je lui demander d'être indulgente avec moi ? M'excuser pour mes futures maladresses et quiproquo ? Je crois être tout aussi paumée qu'elle. C'est alors que je me mets à rire nerveusement, cherchant à apaiser mes tensions internes.

« Ça va être une toute nouvelle aventure pour nous deux, en fait ! »

Finalement, je parviens à sortir une cigarette, sans oser l'allumer. J'en crève d'envie mais je préfère embrasser ma dulcinée avec une bonne haleine plutôt que de lui irriter les poumons.