Si les traits d'Hayato demeurèrent insensibles à l'évidente détresse de son challenger, son regard, lui, fut traversé d'une ombre de doute et de crainte. Les poings serrés, ignorant d'où venait le mal qui bousculait ainsi son adversaire, son inquiétude l'aurait certainement poussé à reporter le combat s'ils n'avaient pas été si proches de la fin. Si près du but. Ils étaient allés trop loin pour qu'Hayato lui fasse l'affront de le congédier maintenant. Il n'était plus temps de faire marche arrière, plus temps de renoncer – il fallait que Thetford gagne, ou bien toute la douleur aurait été vaine. Bien malgré lui, le champion se laissait chavirer par ses affects.
Il avait vu beaucoup d'hommes flancher, lors de ses années d'apprentissage au camp militaire – lui-même avait parfois cru bon d'abandonner ; il s'était laissé séduire par l'idée jusqu'à ce que sa raison le force à se ressaisir et qu'il se souvienne pourquoi, en premier lieu, il s'était engagé. Sa fierté l'avait tenu debout, et l'idée obsédante qu'il ne pouvait pas avoir fait tout ça pour rien. S'il avait tourné les talons, s'il était rentré chez lui, la mine grise et la tête baissée, qu'aurait-il fait de tous les jours passés à serrer les dents, de toutes les douleurs, de tous les doutes, de toutes les remises en question ; qu'aurait-il fait de toutes ces victoires, de toutes les fois où il avait gardé la tête haute, de toutes ces autres où, au bord du gouffre, il avait continué d'avancer ?
S'il avait abandonné, tout ça n'aurait plus eu aucun sens – tous les sacrifices auraient été vains.
Il ne l'aurait pas supporté.

Assez !

Les sourcils froncés, Hayato était resté silencieux. Il ignorait les ombres contre lesquelles Ethan dressait les armes, il ignorait à quelles violences il ordonnait de se taire. Il ne savait rien des monstres qui menaçaient de l'emporter – ce n'était pas sa bataille. La sienne était plus tangible – moins invisible. Dans les aspérités d'un terrain ravagé par les assauts, dans le souffle court des créatures au combat qui n'avaient pas fini d'en découdre, dans le picotement du froid qui venait mordre chaque parcelle de peau nue du champion de la serre.

Les gestes qui suivirent, Hayato les reconnut aussitôt – un rictus s'étira au bord de ses lèvres tandis que, déjà vaincus, ses poings se desserraient. Serperior, la tête haute, vit arriver l'assaut ultime sur elle sans l'esquiver – elle se savait, elle aussi, dépassée. Privée de son unique Abri déjà employé, livrée sans défenses au laser de glace qui s'éprit d'elle, elle s'échoua bientôt aux pieds de son dresseur. Les feuilles brûlées par le gel, épuisée, à bout de forces, elle fut arrêtée dans sa tentative de se redresser par la main de son dresseur qui se posa doucement sur sa tête. Levant vers le champion un regard désolé, elle inclina la tête avant d'être rappelée dans sa pokéball.

Autour d'eux, même le bourdonnement des Pokémon peuplant l'endroit s'étaient tu. Silence presque solennel, tandis que le challenger s'écroulait. Hayato, silencieux, demeura immobile quelques instants puis, lentement, se ranima. Un pas après l'autre et sans un mot, il s'avança en direction de son adversaire, saluant d'un regard le Lapras lorsqu'il le dépassa. Parvenu à sa hauteur, il s'accroupit, et posa une main sur l'épaule d'Ethan.

Challenger, souffla-t-il, la voix basse pour que les bruits ne viennent pas le heurter plus violemment que nécessaire. Relève la tête. Je veux voir le regard de celui qui m'a vaincu.

Qu'importait la douleur – qu'importaient les larmes.
Un homme vulnérable n'était pas moins digne ; un homme qui mettait le genou à terre n'avait pas moins d'honneur que celui qui tenait debout en tremblant. Ceux qui se brisaient sous le regard des gens, Hayato les admirait – c'était une force que de s'avouer fragile.
Faillible.

C'était une force, aussi, d'admettre une défaite durement défendue – c'était honorable, sans doute, même, de perdre quand on avait tout donné.

Sa main quitta l'épaule du challenger pour venir décrocher de sa boutonnière le badge de son arène, qu'il serra au creux de son poing. Tandis qu'il relevait la tête dans sa direction, il ne retint pas le sourire qui s'étira au bord de ses lèvres.

Ethan Thetford, clama-t-il, solennel. Tu es arrivé ici perdu, brisé, et pourtant mué par une rage de vaincre sans pareille. Les dresseurs comme toi, qui ont ployé sous les coups du sort, font généralement de redoutables adversaires, puisqu'ils ont déjà vu trop d'horreurs pour craindre les aléas des champs de bataille. Tu as su faire de tes blessures une force, aujourd'hui. Je te souhaite de guérir, sans jamais perdre cette ambition qui te fait.

Il tendit le badge en direction d'Ethan – argent et morceaux de jade et d'émeraude.

C'est avec fierté que je te remets le Badge Pétale, désormais tien. Je retiendrai ton nom, pourvu que je l'entende bientôt me parvenir de nouveau. Va donc, challenger – prends soin de toi, et détrône donc Capucine Alambra.

Détrône donc les violences qui t'ont fait ployer ;
les mémoires qui t'ont blessé –
va donc, challenger,
et détrône ceux qui ont cru t'avoir vaincu.

L’arène plante était vide de présence humaine lorsqu’entre Ginka. Hayato était occupé plus loin, dans une serre à l’arrière. Mais il entendu son challenger et se dirigea vers le lieu de l’affrontement en retirant ses gants de jardinier, laissant sa petite pelle à l’entrée de sa serre, les gants juste à côté. Il marcha d’un bond pas, un sourire bienveillant sur son visage.

Le terrain autour de l’arène avait souffert ses derniers temps. Des traces de brûlure étaient visibles sur les arbres, mais il ne s’agissait pas de brûlures dues aux flammes. De nombreuses fleurs n’avaient pas survécu au froid. L’hiver était généralement une période difficile pour les plantes à l’extérieur, mais l’arène était généralement un havre pour elle, sauf que l’hiver en personne pénétrait dans le lieu.

Le sourire se fana un peu. Bonjour Ginka. Bienvenu. Je peux demander à ton Typhlosion de se décaler de quelques pas ? Il est presque sur mon parterre de Bégonia. Ou plutôt ce qu’il en reste. Pas grand-chose, certes. Mais avant il était très beau. J’aimerai laisser reposer la terre. Un accident est si vite arrivé.

Puis il se redressa. Assez parler de fleur. Tu es venu m’affronter. Alors que le combat commence. Tengalice, à toi l’honneur.

Le champion libéra son Pokémon Plante Ténèbre pour engager le combat.

Incorruptible dans ses songes obscurcis par l'idée obsédante d'un échec cuisant sur lequel il ne pourrait jamais revenir, le challenger lui faisait l'affront de contrer le moindre de ses arguments. Hayato l'avait compris, dans un soupir las : rien de ce qu'il pourrait dire ne saurait apaiser le cœur ni l'âme de son adversaire, tourmenté par trop de choses plus grandes que lui. Il y avait des histoires, comme celles-ci, qui dépassaient l'entendement. Les hommes n'étaient pas préparés aux drames qui frappaient trop près, aux apocalypses de fictions qui éclataient à portée de leurs mains fragiles. Les ravages étaient imprévisibles et dévastateurs. Personne n'en ressortait indemne : ils avaient, tous autant qu'ils étaient, sur le paquebot et dans la centrale, payé le prix fort de leurs décisions.
Hayato avait accepté une invitation anonyme parce que les dorures des arabesques ne pouvaient être malveillantes ;
et Ethan avait fendu la foule en sens inverse en direction de la centrale tandis que la population répondait à l'appel à l'évacuation.
Ils avaient leurs raisons – stupides, insouciantes, braves ou égoïstes.
Et, depuis, ils s'endettaient l'âme sur le revers des choix qu'ils avaient faits.

Serperior cilla sous le premier assaut, violent et sans appel, du Blizzard qui la piégea dans l'hiver – blessée par la grêle, ankylosée par le froid, ses feuilles brûlées par le gel, le serpent s'écroula sur le sol abîmé par le combat de la serre. La seconde vague vint s'échouer contre un Abri vivement déployée à la demande pressée de son dresseur, et la déchéance du reptile rapporta la concentration d'Hayato sur le combat – sur son alliée qui venait de tomber. Les sourcils froncés, il observait comme la poitrine de la Serperior se soulevait lourdement. Levant le bras, prêt à rappeler son alliée à sa Pokéball, il s'immobilisa dans son geste quand elle se redressa en sifflant.

Ce n'était pas encore terminé.

Accordant à son Pokémon un temps mort pour qu'elle reprenne son souffle, Hayato redirigea son attention sur son adversaire.

Pourquoi étais-tu dans cette centrale ? Pourquoi y es-tu entré ? Pourquoi n'a tu pas évacué, comme le reste de la population ? Rien que ça suffit à faire amende honorable de tes torts. Qu'importe ce qu'il s'est passé à l'intérieur, tu fais partie de ceux qui sont restés. De ceux qui ont essayé. De ceux qui ont mis leur propre vie entre parenthèses au nom de celle des autres.

Tout le monde ne l'aurait pas fait.
Ils n'étaient qu'une poignée, dans les entrailles de la centrale, des volontaires dépêchés sur place, des bénévoles dont ce n'était pas le rôle – et d'avoir à compter sur des civils, des gamins pour se débarrasser de terroristes, c'était bien la preuve que quelque chose ne tournait pas rond sur cette prétendue terre sainte qu'était Lumiris.

Toutefois, tu sembles avoir compris comment utiliser ces remords comme un moteur. Hâte-toi donc de me mettre hors-jeu, tu n'es plus qu'à un coup d'échec ou deux pour remporter ton badge. Serperior ! Soigne-toi.

Le reptile siffla, ondulant doucement au dessus du sol, tête haute et regard digne. Tout allait se jouer dans les secondes qui suivaient ;
perdre ou gagner,
renoncer ou continuer.