Ce n’est pas une bonne idée.
Non, sans doute pas.

Mais alors… Pourquoi ?
Eh bien… Pourquoi pas ?

Mana’arii faisait rarement les choses en considérant le caractère sécuritaire de ses actions. Pas parce qu’il était con ou limite suicidaire, mais parce qu’on ne vivait pas avec une tête trop lourde de pour et de contre.
Réfléchir trop, c’était s’amputer d’une partie des possibilités.

En plus, il avait toujours eu un faible pour les plans foireux.
Il n’était absolument pas un amateur de sensations fortes – sortir après 22h00 la nuit, c’était déjà largement intense pour lui –, mais quand il était temps de faire des idioties… Mana’arii manquait cruellement de limites.
D’un crâne sur les épaules.

C’est la raison pour laquelle il avait fait tout ce chemin jusque-là.
Pour laquelle il était revenu sur les lieux de leur rencontre, cimetière dans lequel reposait désormais leur éphémère amitié.

Sur place, Mana’arii hésite un court instant. Il fixe l’eau trouble par l’impact violent de la chute dans ses entrailles, se remémore difficilement les conséquences d’une noyade dans un tel environnement – d’une noyade tout court, d’ailleurs…
Se baigner près d’une chute avait un charme certain, un romantisme indéniable… Mais le cadre, derrière son aspect agréable, cachait en réalité de bien sombres conséquences potentielles. Il l’avait réalisé le jour où il avait arraché Ketty de ses griffes acérées, du mordant impitoyable de son influence sur le courant.

Depuis, il s’était montré un peu plus méfiant.
Avant aujourd’hui.

Prenant une grande inspiration, Mana’arii se penche légèrement pour caresser la surface de l’eau.
Il est seul. S’il lui arrive quelque chose, personne ne pourra en témoigner.
Nul n’a conscience qu’il est ici... Au mieux, Ethan sait que – out of nowhere – il a commencé à s’intéresser à la plongée, mais, dans l’éventualité un peu sombre où il pourrait ne jamais rentrer chez lui, combien de temps mettront-ils à fouiller tous les points d’eau de la région? Après tout, Lumiris est une archipel.
L’eau n’y manque pas. Il y a plus d’endroit où se noyer que de terre à fouler…

Froid., maugré-t-il d’un air mécontent.
Il serait sage de prévenir quelqu’un, d’envoyer un SMS à Damien ou à Ethan pour les prévenir de ses plans – histoire qu’ils sachent où chercher son corps en cas d’accident.
Mais il ne le ferra pas. Mana’arii est comme ça : ses idées, lorsqu’elles ont un sens, ne concernent nul autre que lui. Tant pis si on ne le retrouve jamais, si son nom sombre dans l’oublie.

Retirant son pull puis son chandail, il prend une grande inspiration.
Il n’a pas envie de tremper là-dedans, de se remémorer le contact de la froideur de juin sur sa peau… Il n’a pas envie de savoir pourquoi ils ne se sont jamais rappelés ni pourquoi il est incapable de ne pas y penser.
Les gens le marquaient rarement… Mais lorsque c’était le cas, son cerveau en faisait visiblement une obsession. Ça ne l’arrangeait pas. Même pas ça le touchait.

Oh et puis merde.
Il a besoin de penser à autre chose, de cesser les questions incessantes.
Attrapant la pokéball que Ethan lui a prêté, il s’empresse d’appeler le pokémon qu’elle contient à la surface du lac. Intrigué, il regarde la créature s’extirper de la prison technologique dans un rayon blanc puis rattrape adroitement l’objet qu’il range dans sa poche.
Il peut bien se faire voler tous ses vêtements, pas question qu’il se fasse subtiliser le seul truc qu’on lui a prêté.
Coucou Toshinori, tu vas bien?, s’enquit-il d’une voix douce en tendant une main vers le lokhlass. La splendeur du Pokémon l’impressionne.
Sa propre équipe ne brille pas de la même prestance, de la même magnificence.
À côté, même Gaoma’asa lui parait un peu fade et insipide – sans vouloir être vexant. T’es prêt?, s’enquit-il d’une voix rassurante.

Lui-même n’en a pas envie. Explorer les fonds marin ne lui inspire rien qui vaille et, plus que jamais, il craint le polaire d’une eau qui n’est pas alimentée par un chauffe-eau.

Mais pas question de rebrousser chemin, n’est-ce pas?
Il a toujours eu beaucoup trop d’orgueil pour ça, alors, d’un geste un peu maladroit, il se hisse finalement sur le dos du Lokhlass. Essaie de rejoindre le milieu…
On verra bien ce qu’on y trouvera.

La solitude lui avait toujours pesé.
Il n’était jamais parvenue à l’apprécier ou à en comprendre la nécessité… Parfois, Mana était effrayé. Effrayé à l’idée que les secondes passées seul deviennent des heures, des jours et puis, qui sait, des années.
Il craignait de devenir négligeable, d’être oublié.
Il craignait que les yeux glissent sur sa peau, que les sourires cessent de l’apprécier. Il avait toujours été terrifié, la peur avait toujours régit sa vie si mouvementée.
Depuis sa tendre enfance, il redoutait le jour où il ne serait finalement plus assez. C’est ce qu’il avait toujours jalousé de ses frères et sœurs beaucoup plus assurés.
Eux ne seraient jamais oubliés, ne seraient jamais quelconque dans un monde qui ne cesserait de les admirer… Alors pourquoi lui? Qu’avait-il de moins que les autres, que lui manquait-il pour se départir des craintes qui le gangrenaient?

Mana’arii disait souvent qu’il était un 8/10.
Il s’en amusait, prétendait qu’il en était plus que satisfait… Mais aurait-il besoin de frôler la perfection pour que, enfin, s’éteigne le feu ardent des craintes injustifiées?

Prenant une grande respiration, Mana’arii regarde le bassin d’eau. Perché sur le dos de Toshinori, il hésite à lui demander de plonger.
Une part de lui redoute l’immensité de ce qui se trouve juste sous ses pieds. Pourtant, il est bien entouré… Il ne risque rien. Même si Damien et Ethan ignorent où chercher sa dépouille, c’est sans importance, car il ne peut pas mourir. Pas aujourd’hui, pas comme ça.
Toshinori le sauvera avant qu’il en arrive là, avant que l’eau remplisse ses poumons et que ses yeux s’éteignent d’une étincelle… Il ne connaîtra pas le même sort que Ketty, il ne sombrera jamais sans savoir si quelqu’un sera là pour le rattraper.

Il a besoin d’une main et d’une promesse – Je ne te laisserai pas tomber.

Frissons.
S’accrochant au cou du lapras, Mana’arii secoue doucement la tête. Je ne peux pas..., soupire-t-il d’une voix étranglée.
Il n’a malheureusement pas la chance de s’attarder ni de préciser sa pensée qu’un acteur extérieur à la scène vient les rejoindre. Surpris, il décroche un regard chargé d’interrogations au Gastrodon venu lui tourner autour. Coucou toi… Tu es seul? Interrogation légitime. Le pokémon lui semble bien trop sociable pour être sauvage… Ou peut-être a-t-il un sixième sens.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas surpris de voir une autre silhouette – plus humaine cette fois – se rapprocher… Même si elle est accompagnée d’un second pokémon au look beaucoup moins sympathique que le premier.
D’un geste mué par l’inquiétude, il ne peut s’empêcher de porter sa main à sa ceinture de pokéballs. Et si c’était un piège? Il n’a rien à perdre ni à voler… Mais s’il arrive quelque chose à Toshinori et que lui-même y survie, il ne pourra pas assumer.
Ethan n’aura pas sa peau, Mana’arii est largement capable de faire le sale boulot. Ce pokémon est à vo- Voix étouffée.
Prenant une grande inspiration, l’insulaire lève les yeux tout juste à temps pour admirer le passage d’un magnifique Primarina aux écailles étincelantes sous les rayons solaires.
Un sifflement d’admiration pourrait sans aucun doute franchir ses lèvres pincées par l’incompréhension s’il n’y avait pas tant… tant.
Tant de gens, tant d’imprévus, tant de mouvements.
Entre la jeune femme – c’est une femme, du moins… Ça en a tout l’air, mais peut-être se fourvoie-t-il. Un humain. C’est un humain ou, au pire, une personne.

Voilà. Bref.

Entre la personne et l’apparition soudaine du Primarina, ses tentatives de fuite sont déjà réduites à néant. Il n’a plus d’autres choix, il doit assumer.
D’autant plus que le pokémon semble déterminer à attirer leur attention, voire leur curiosité. Il semble y avoir une grotte un peu plus bas, je crois qu’il veut qu’on le suive...
Mana, expert dans l’art du langage pokémon depuis 202-… Depuis deux minutes. Au mieux.
Mais ils ne nous laisseront jamais passer, soupire-t-il d’une voix fatiguée. Il ne connaît même pas la personne qui l’accompagne, mais il ne peut s’empêcher de s’adresse à elle comme si cette situation était leur problème   à tous les deux.
Comme quoi il aime bien embrigader les gens dans ses plans foireux.

À moins que... C’est tellement bourrin que Mana’arii regrette un peu les esquisses de sa propre solution. Malgré tout, il décroche doucement la pokéball de Gaoma’asa à sa ceinture puis adresse l’ombre d’un sourire à son ami.e du jour. Il sait qu’il risque de se faire détester, mais il n’a pas vraiment de meilleur idée à proposer donc… Il y a un pokémon électrique là-dedans… Donc si vous n’avez pas de meilleure idée, je vous conseillerais de grimper sur le dos de Toshinori avec vos pokémons. Il ne ressent pas vraiment de fierté.
Il était venu pour relaxer, pour se remettre en question… Et voilà qu’il menace d’électrocuter la quasi totalité de la faune locale. Ce n’est pas tout à fait le genre de recueillement qu’il avait imaginé. Au fait, moi c’est Mana’arii. Et vous?

Il savait que ses méthodes manquaient de raffinement et qu’il était, généralement, plus barbare que sage.
Même si Mana’arii aimait bien croire à un semblant d’intelligence factice, il n’en restait pas moins un idiot à qui l’on donnait trop de droits.
L’école, ça n’avait jamais été son truc. Enfin, pas que l’intelligence soit uniquement une histoire d’éducation, mais quand même… Ça n’aidait pas.
Ça  ne l’aidait pas.
C’était un abruti, peu importe comment on tournait ça.

Et c’est ce que l’expression de l’étrangère trahit à l’instant même où il a le malheur d’ouvrir la bouche, prêt à choisir la facilité à quelque solution plus réfléchie.
… Et plus respectueuse du vivant.

Grimaçant légèrement, il l’écoute d’une oreille attentive.
Il n’a jamais été quelqu’un de stratégique et ça lui avait énormément coûté par le passé. Certains diront qu’il n’était jamais trop tard pour changer, mais Mana’arii était  d’avis qu’Einstein ne s’était pas levé un matin en se disant qu’il deviendrait un génie.
Parfois, il fallait accepter ses limitations.
Accepter que les portes n’étaient pas toujours ouvertes et qu’il n’était pas toujours possible de les défoncer. Même si les récits aimaient raconter le contraire, prétendre qu’il suffisait de se damner pour atteindre ses objectifs… Ce n’était pas toujours aussi facile.

Plus souvent qu’autrement, on s’écorchait l’âme et les doigts pour accéder à une zone qui n’était pas la nôtre.

Que pensez-vous de cette idée ? Vous convient-elle ? Mes deux pokémons possèdent armure, donc ils peuvent même servir de barrage si nécessaire. Esquissant l’ombre d’un sourire botoxé à l’humilité, Mana prend une grande inspiration.
Oui, c’était mieux. Forcément que c’était mieux.
Cachant son embarras, l’insulaire glisse alors une main derrière sa tête; se prête à l’attitude désinvolte des gamins que l’on gronde. Des gamins qui n’ont pas pensé aux conséquences des actes qu’ils s’apprêtaient à perpétuer. C’est une excellente idée!
D’une main en mal d’assurance, il glisse la pokéball à sa ceinture. Pardon si je t’ai paru un peu… brute dans mon approche., soupire-t-il finalement.
Il n’avait pas envie d’être jugé ou d’être catalogué comme l’abruti de la journée. Sa première intention, en venant ici, était de faire le point sur sa vie et sur ce que son passage à Alola lui avait appris… Pas pour faire de nouvelles rencontres. Peut-être ses intentions étaient-elles trop profondes pour lui permettre de consolider les deux, après tout.
Il était vraiment de la plus grande inutilité.
Et donc, tu as un nom ou il vaut mieux que je me contente de te désigner plutôt que de t’appeler? Je comprendrais, j’ai vraiment dû t’apparaître comme un pauvre con.
Il n’était pas découragé, mais presque.
Ça ne s’était pas passé ainsi avec Ketty… Peut-être était-ce parce qu’il avait eu la chance de l’arracher aux griffes de l’enfer, mais il se souvenait d’une douceur presque candide à côté de cette rencontre.
À moins qu’il ne grossisse le trait, qu’il ne s’imagine une aversion qui ne prenait racines que dans sa propre perception de lui-même. Pour être franc, Mana’arii ne savait pas.
Il se sentait décontenancé, comme si la journée ne l’avait pas préparé à ce qui l’attendait.

Lui d’ordinaire si solaire et si charmant venait de subir le croche pied de sa vie, tout droit en bas de son piédestal.

Il faudra faire vite… Veux-tu que je laisse un pokémon avec le tien pour le couvrir au besoin?, murmure-t-il l’air penseur, ses yeux s’étant redirigé vers le rideau de pokémon qu’ils s’apprêtaient à franchir. Juste au besoin hein...

Il aurait aimé lui dire qu’il n’était pas un barbare, que l’option « violente » n’était pour lui une solution que lorsqu’il n’en voyait aucune autre…
Mais il craignait qu’insister davantage le décrédibilise.
À trop ramener le sujet, il passerait pour un prisonnier soucieux de plaider sa cause sans avoir été accusé et ce n’était pas dans son avantage. Malgré tout, il aurait aimé s’assurer qu’elle le croyait; qu’elle ne le prenait pas pour un idiot.

Mana détestait cette idée.
L’idée d’une perfection tachée, d’une image ébréchée…
Même s’il parvenait à s’en émanciper sur bien des sujets, l’opinion des gens sur sa personne l’avait toujours mené par le bout du nez. C’étaient ces murmures étouffés, ces regards gorgés de jugement qui le tenaient éveillé une fois la nuit tombée…
Et, parfois, il se demandait s’il était vraiment assez.

Ne t’en fait pas, il s’est passé pas mal de trucs… J’aurais eu du mal à suivre aussi., tente-t-il de la rassurer, imperceptiblement motivé par ses propres paroles sécurisantes. Mana’arii, mais tu peux simplement m’appeler Mana. Ça suffira.
Ses lèvres s’ourlant d’un léger sourire, il couvre alors les pokémons présents autour d’eux d’un regard intrigué en se demandant si la technique proposée par Lys fonctionnerait réellement…
Il n’était pas du genre sceptique, au contraire, mais il était intrigué par la suite des événements. Inutile de se mentir : Mana’arii était du genre à gober aveuglément les paroles de quiconque lui paraissant plus expérimenté. Il hochait la tête, assimilait et croyait naïvement jusqu’à ce que le déroulé des opérations finissent fatalement en queue de poisson. Après quoi, il remettait son existence en question… Puis replaçait sa confiance en les affirmations de n’importe qui trois jours plus tard.

Go back and repeat.

Toutefois, quelques secondes plus tard, en voyant le rideau de Pokémon se mettre à la poursuite du Kabutops, il ne peut réprimer un sifflement d’admiration. Incroyable! Ça a réellement fonctionné! Réalisation.
Virant au rouge pivoine, il s’empresse de tourner vers son accompagnatrice un regard remplit de désarroi. Enfin, pas que j’en doutais, au contraire!, se rattrape-t-il d’une voix aux notes appuyées.
Il se sent stupide, mais, visiblement, c’est le mot d’ordre de la journée.
Sera-t-il vraiment capable d’aligner deux mots qui ne le feront pas passer pour un connard avant que le soleil n’ait disparu? Il n’a jamais autant douter.
Allons-y avant que le rideau ne se reforme..., déclare-t-il simplement.

Prenant une grande inspiration, il bloque alors l’air dans ses poumons. À Alola, il avait toujours aimé nager… L’archipel était la destination de rêve de tous les surfeurs de la planète, comment aurait-il pu se passer de la fraîcheur de l’eau de mer et des merveilles qu’elle emprisonnait?
D’une petite tape, il indique enfin à Toshinori de plonger. Il ignore quels secrets le bassin renferme, mais il a hâte de le découvrir… Et s’il craignait d’être confronté à la déception, alors ses craintes sont rapidement balayées lorsque ses pupilles caressent les innombrables coraux qui ont conquis le fond de la cascade.

Derrière ses lunettes, Mana’arii ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux devant les beautés qui s’offrent à lui. Ce qu’il s’imaginait brun et fade renferme bien d’autres trésors qu’il n’aurait jamais eu l’imagination de décrire.
À cette profondeur, le soleil reflète doucement sur couleur chatoyante des plantes ayant pris racines sous le remous de la cascade. Ensemble, ils colorent le ballet des vagues; incendient le tapis de sable qui recouvre le sol.
Mana en est convaincu : il n’a jamais rien admiré d’aussi beau de sa vie.
Même au cœur de sa terre natale, au centre de ses poumons végétaux, il n’a jamais rencontré de pigments aussi pétillants… À ses yeux, c’est comme si les fonds marins scintillaient sous le joug du soleil.

Et soudain, même la fraîcheur de son environnement semble s’estomper devant l’admiration dont il est la victime.

À son plus grand regret, Toshinori ne le laisse toutefois pas s’émerveiller plus longtemps, au risque d’en mourir. Accroché à son cou, Mana voit s’effacer les reflets et la poussière d’étoiles… Jusqu’à ce que tout devienne noir.
Complètement noir. Inquiet, il ressert son étreinte autour du Pokémon.
Il ne comprend pas.
Où sont passées les couleurs? La beauté?
Pourquoi ne reste-t-il que le noir pour l’étouffer?

Le temps s’égraine lentement, trop lentement, et, bientôt, Mana’arii a besoin de respirer.
Dans le noir, il est incapable de savoir s’il y a un endroit où respirer… Ou s’il est tout simplement condamné. A-t-il fait une erreur? D’un coup de talon nerveux, il indique au lapras la nécessité de regagner la surface.
Il insiste.
Toujours plus.
Les secondes s’additionnent…

Jusqu’à ce qu’il se sente enfin émerger.
Ouvrant brusquement la bouche, il incite l’air à remplir de nouveau ses poumons. Ses bras tremblent légèrement. Dans l’obscurité, il n’a aucune idée de l’endroit où il est… … Lys?, s’enquit-il d’une petite voix.
Est-il seul? Existe-t-il quelqu’un pour l’aider? L’a-t-elle abandonné? Lys? Tu es là?
Faites qu’elle réponde...

Avait-il… peur?
Sentait-il vraiment l’adrénaline traverse ses veines, lui comprimer les poumons?
Mana’arii ne savait pas. La seule chose dont il était conscient, c’était de n’avoir jamais ressenti ce sentiment auparavant. Cette panique et cette crainte indicible de ne jamais entendre la voix de Lys percuter les parois de leur prison improvisée: il ne les avait jamais expérimentées.
Aurait-il dû faire demi-tour? Après tout, il ne la connaissait pas assez pour laisser sa vie reposer entre ses mains… La nova n’était qu’une improbable rencontre fortuite et, pourtant, son absence lui était douloureuse. Il était terrorisé à l’idée d’être seul dans ce vide dont il ignorait les limites.

Et il n’y a que lorsque l’écho de ses mots tranche le silence de la grotte que l’insulaire se remet à respirer normalement. Fermant les yeux malgré le peu de différence qu’initie son geste, il accote doucement son front contre Toshinorii pour prendre une grande inspiration.
Peu à peu, la pression se relâche. Peu à peu, il sent le courage le regagner.
Mais pour combien de temps? Je suis content de t’entendre…, siffle-t-il, encore ébranlé, Retournons-y.
Sa déclaration lui fait mal. Même s’il se sent capable de s’abandonner aux griffes d’un gouffre sans fin, il craint que, plus loin, la grotte se rétracte et cesse définitivement de lui offrir des bulles d’oxygène comme celle-ci.
Mana’arii n’est pas un plongeur expérimenté, il n’a pas prévu l’équipement pour survivre dans les profondeurs… Et pourtant, il ne s’imagine pas faire demi-tour.

Pas sans avoir retrouvé l’oratoria ni sans avoir compris ses motivations…

Tapotant doucement l’encolure du lapras, le jeune homme remplit bruyamment ses poumons d’air : comme si le bruit caractéristique du gaz pénétrant dans son corps suffirait à le rassurer, à lui en offrir plus que ce que son corps pouvait en contenir…
Mais c’était naïf, lui-même le savait.
Une fois la tête sous l’eau, il doit se faire violence pour ne pas remonter précipitamment: juste au cas où.
L’inconnu l’effraie, ranime de vieux démons qu’il n’avait plus fréquenté depuis la petite enfance… Gardant son calme, il fait son possible pour ne pas crisper ses doigts autour de Toshinorii et pour ne pas le transformer en martyr.
Mais c’est difficile, il le sait. Sans repères et sans direction à suivre, il est complètement abandonné aux éléments. C’est effrayant. Bien plus qu’il ne peut le décrire.

Heureusement, une lueur finit par déchirer les abysses dans lesquelles ils se noient.
Rassuré, Mana’arii écarquille les yeux de soulagement alors que ses pupilles embrassent le mouvement illuminé des vagues. Il ne sait pas où il va… Mais, à ce stade, il n’a pas d’autres choix que d’y aller.
S’il fait demi-tour ici et maintenant, il n’a aucun chance de s’en sortir rescapé.

Au moment d’émerger, Mana abandonne le dos du lapras d’Ethan pour précipiter son retour à la surface.
Brusquement, il abandonne l’air qui encrassait ses poumons; le remplace par une bouffée d’oxygène qui ne risquera pas de le tuer. Satisfait, il laisse ses yeux caresser la surface mystique de la grotte dans laquelle ils ont fait irruption. Les cristaux encastrés à même la pierre n’échappent pas à son regard intrigué, à ses prunelles fascinées.
Semblables à une voie lactée, à quelque millier d’étoiles parant le mur de la cité souterraine qu’ils viennent violer de leur présence impure, les pierres brillent de mille feux sous le couvert de la lumière qui les embrasent.
Impressionné, l’insulaire pousse un sifflement d’admiration. Il est si troublé, si fasciné par le travail de mère nature, qu’il n’ose même pas bouger.
Il a cette drôle d’impression qu’il n’a rien à faire ici, que sa présence est une offense à la beauté des lieux. C’est incroyable...

Ce sont les seuls mots qu’il a le courage de prononcer, comme si l’écho de sa voix risquait de briser l’ambiance irréaliste de la caverne.
Et, au final, obnubilé par la beauté féerique du décors qui les entoure, il ne remarque même pas l’oratoria perché non loin d’eux. Ses yeux et son attention sont entièrement redirigé vers cet indicible tableau qu’il ne verra qu’une seule fois de son vivant…

Dis… Tu crois qu’il voulait que l’on découvre cet endroit?
Valent-elles quelques choses, tu crois?, demanderait-il si sa pauvreté ne faisait pas affront au temps qui s’est arrêté.