Les rayons du soleil traversaient négligemment la fenêtre du bureau d’Alice, illuminant l’intérieur de la pièce sans regard aux yeux qui se plissaient et au soupir qui s’éteignaient sur des lèvres asséchées par déshydratation que l’oubli causait. Il lui arrivait souvent, à l’anthropologue judiciaire, d’oublier simplement de prendre de l’eau - pas par non-envie ou quelque prétexte qui pouvait être sorti, seulement parce que ça ne venait pas traverser son esprit alors qu’elle se concentrait sur le travail qu’elle menait.
Alice se leva en soufflant de nouveau pour venir tirer les rideaux et plonger le bureau dans une semi-obscurité bien plus agréable pour les yeux, seule lumière demeurant étant une lampe à la lueur tamisée. Lorsque ce fut fait, elle revint s’installer dans son bureau et reposa son regard sur l’écran d’ordinateur - qui possédait le filtre de lumière bleu, pour apaiser ses yeux. Elle se pinça légèrement l’arrête du nez en observant les mots qui s’affichaient devant elle. Elle ne comprenait pas certains détails. Des os étaient mal classés. L’agacement pouvait se voir dans ses yeux alors qu’elle annotait chaque ligne où elle se souvenait que l’os ne devait pas se trouver là. Le fémur 234 se retrouvait dans le tiroir 52 alors qu’il aurait dû être dans le 53. De petites erreurs, certes, mais des erreurs qui pouvaient en entraîner de bien plus grandes. Elle allait devoir faire un mémo pour rappeler aux travailleurs que la minutie était de mise et que ce n’était pas des erreurs acceptables.

Dichotomie s’envola dans le bureau pour rejoindre la fenêtre aux rideaux fermés. Ici, l’air devenait lourd; et Alice avait capté le message sans qu’il n’ait eu à faire entendre son cri - elle s’était relevée, d’un geste aussi fluide que l’étaient ses déductions. Une fois un filet d’air parcourant le lieu clos, elle retourna à sa place, et reprit ce travail régulier, routinier, notant et surlignant indéfiniment avec l’éclat irrité dans ses prunelles.
Souffler. Travailler la patience qui était largement usée. Pourtant, elle pourrait attendre des heures - sans jamais le réaliser, faisait preuve d’une patience à toute épreuve sur une base régulière. Mais ici, maintenant, celle-ci s’effondrait et, derrière la porte close, le masque se soulevait.
((Légèrement))

Masque ébréché, masque à moitié - habitudes et comportements ancrés, conditionnés, par une enfance dictée - sans jamais que le souffle de la liberté ne soit accepté. Elle avait grandi dans un endroit où exister rimait avec obéir. Enfant rythmée par les remontrances privées et les regards qui en disaient long - mais enfant fière, enfant noble - enfant ayant grandi. Adulte fière. Adulte au regard posé et à la vie placée; au rythme de vie et aux règles ancrés dans un coeur qui les chérit.
((Les limites
explicitent les possibilités))
Elle leva la tête quand un bruit se fit entendre - quelqu’un cognait à la porte. Elle rappela Dichotomie à ses côtés d’un simple claquement de doigt avant d’inviter la personne à entrer.

Le cognement avait été léger. Si léger que les oreilles de l’anthropologue avaient failli ne pas le capter et lorsque doucement, la porte s’ouvrit, dans un silence qui se poursuivait, Alice fronça les sourcils. Dans le cadre de cette porte, absolument aucune silhouette humaine ne se détachait. Les questions affluaient alors que Dichotomie prit l’initiative de s’envoler pour se diriger vers le sol… découvrant un Chenipan.
Par réflexe, la noble se leva et se dirigea vers la porte, observant le couloir dans l’attente qu’une personne s’annonce, apparaisse. Elle dût rapidement se rendre à l’évidence, il n’y avait que la chenille qui venait de ramper à son bureau et qui n’avait pas bougé - semblait attendre qu’Alice reprenne tranquillement sa place derrière son ordinateur.

Sans d’autre explication logique, Alice revint s’installer là où elle était avant que la porte ne s’ouvre et elle observa le pokémon qui se dressait devant elle. Elle n’avait jamais vu, autrefois, de chenille se tenir aussi droitement et aussi fièrement qu’elle. Dichotomie était maintenant en train d’observer sous tous les angles le Chenipan qui … la fixait. Il semblait vouloir lui transmettre un message, mais lequel ? La noble ne parlait pas le pokémon et le pokémon ne parlait pas l’humain - si on simplifiait ainsi. Bien qu’Alice l’aurait exprimé bien autrement. Mais le résultat demeurait le même : impossible pour les deux êtres qui s’observaient désormais de communiquer adéquatement et efficacement, laissant les interrogations planer dans le bureau.

“Dichotomie, voulez-vous bien aller chercher une feuille dans une plante de l’accueil, je vous prie ?” Elle pouvait déjà s’assurer d’accueillir son invité comme il se devait. Lui proposer autant de l’eau que de la nourriture. Se levant de nouveau, elle attrapa le bol d’eau de Dichotomie pour en proposer au Chenipan.

Le Chenipan accepta l'eau proposée par la noble alors que celle-ci ne le quittait pas du regard; toujours se questionnant sur la raison de sa présence dans les bureaux du laboratoire de Nemerya - se demandant même ce qui justifiait que personne ne l'ait remarqué jusqu'ici. Ou peut-être que nul ne s'en était soucié. Un Chenipan n'était pas le pokémon qui était le plus dommageable, le plus dangereux. Lorsqu'évolué en Papillusion, elle le savait plus menaçant; et encore.
Quelques secondes de recherche lui permirent d'apprendre que ce qui rendait redoutable l'évolution finale du Chenipan, c'était sa capacité à empoisonner, endormir et paralyser son adversaire.

Lorsque Dichotomie fut de retour, aillant trouver le butin demandé, la Sonistrelle se déposa délicatement sur le bureau en tendant dans ses griffes la fameuse feuille que sa maîtresse prit, la remerciant doucement, avant de la déposer tout près du bol. Leur invité surprise sembla bien satisfait de leur intention et se mit à manger. Toujours sans trop saisir tous les tenants de la situation, Alice avait pincé légèrement ses lèvres puis s'était levée pour aller refermer cette porte. Drôle de moment qui resta bien ancré dans sa mémoire - qu'elle pourrait même raconter à quelqu'un, si ce quelqu'un venait un jour à exister.
Parce qu'Alice ne parlait pas beaucoup, et pas à beaucoup de personnes. Alors pour qu'elle en vienne à raconter l'événement qui se déroulait présentement sous ses yeux, beaucoup de conditions s'avéraient être essentielles, devaient être réunies. Beaucoup trop pour que ça relève davantage d'un miracle que d'une possibilité.

Lorsqu'il eut but et mangé, le Chenipan s'installa dans un coin de la pièce - sans plus de considération envers la noble... Après un énième "hochement de tête" qui semblait presque être un salut qu'elle observe elle-même lorsqu'elle rencontre quelqu'un.

Elle avait repris place sur son bureau, derrière l'appareil électronique lui servant pour son boulot - elle avait repris là où elle en était avant de se faire interrompre par un insecte dont elle ne savait rien; quelques recherches rapides pour s'informer désormais que la chenille ne semblait plus vouloir partir. Elle sommeillait, cette Chenille, et Alice réalisait doucement qu'elle allait devoir lui trouver un nom.
Le nom s'imposa à son esprit, criant d'une logique infinie - elle ne pouvait que se soumettre à l'idée qui s'était invitée. L'intrus qui serait désormais présent sans doute très souvent auprès d'elle allait se prénommer Hyalin.
Ce nom prenait place en honneur au cartilage hyalin qui détenait pour fonction la protection contre la compression - cartilage aux propriétés presque élastiques qui lui faisait penser aux chenilles justement et leur façon de se tortiller aisément dans tous les sens.

Son regard se reporta sur l'écran diffusant toujours sa lumière - quoique bien plus légèrement puisque le mode veille venait de s'activer. Elle ralluma l'écran et tapa le mot de passe avant de se pencher de nouveau sur le boulot. Bientôt, elle allait devoir sortir du bureau, aller dans la salle pour classer de nouveau adéquatement les ossements; mais pour l'heure, elle pouvait demeurer dans cette pièce et profiter de la brise que sa fenêtre ouverte permettait de ressentir.
Dichotomie, de son côté, s'était posée sur la chaise à ses côtés et avait imité leur nouveau compagnon, Hyalin, en fermant les yeux et se laisser porter par Morphée.

Lorsqu'elle eut fini de tout vérifier, elle éteignit son ordinateur et se leva, réveilla doucement Dichotomie en lui faisant signe qu'il était temps d'aller dans la salle des archives pour réorganiser les tiroirs. Dichotomie s'ébroua légèrement avant de battre des ailes - s'envoler sur l'épaule de la noble qui posa son regard sur le Caterpie se trouvant encore à dormir.
Lui, elle ne le réveilla pas. Elle le laissa se reposer en attrapant délicatement son trousseau de clés pour verrouiller la porte derrière elle; après avoir pris soin de fermer la fenêtre.

Il était désormais temps d'aller réparer les erreurs des autres. Elle s'engouffra rapidement dans la pièce dédiée à conserver les squelettes, qu'ils soient identifiés ou non, humains ou pokémons - ici gisaient quelques fossiles de pokémons sur lesquels les scientifiques faisaient quelques expérimentations ou recherches.
Elle entreprit de remettre, doucement, lentement, méticuleusement même, chaque os dans le tiroir dans lequel il était supposé aller, et de noter chaque os qui avait été bien classifié désormais. Alice faisait toujours en sorte de faire le moins d'erreurs possibles; se demandait si c'était le cas de tous les autres, parfois se disait que ce n'était sans doute pas le cas considérant toutes les fautes relevées cette matinée.

Alice se demandait parfois. Alice se demandait parfois pourquoi les événements se produisaient, pourquoi ils se provoquaient - elle se demandait pourquoi ce Caterpie s'était soudainement retrouvé dans son bureau et pourquoi, désormais, il était clair qu'il ferait partie de l'équipe (qui n'en était pas vraiment une). Elle se demandait pourquoi Lumiris n'était plus de glace; pourquoi Lumiris n'était pas en feu. Les questions ne trouvaient pas toujours de réponses, mais Alice interrogeait sa conscience et l'histoire par moments.
Mais pas maintenant; non pas maintenant. Pour le moment, Alice se concentrait sur ce qu'elle faisait - sur les tâches de son métier. Elle se concentrait à remettre le fémur d'un Kabutops qui avait été mélangé avec l'ilium d'un Ptérodactyl au bon endroit. Pokémons préhistoriques toujours étudiés, certaines espèces parfaitement conservées même. Alice les trouvait impressionnant.

À vrai dire, Alice les voulait tous.
Elle voulait trouver les fossiles - les réveiller; pour mieux les observer, pour mieux les comprendre, les appréhender. De leur histoire jusqu'à leur caractère. Relicanth, Ilium, faisait presque partie des fossiles et elle les trouvait merveilleux. Récelant de nombreux mystères que personne n'avait encore aujourd'hui élucidés, tout comme les légendaires et fabuleux, Alice était passionnée de ce qui n'était pas encore découvert.
Elle voulait fouiller Lumiris, trouver ce que personne ne savait; elle voulait savoir ce que personne n'avait encore compris - elle voulait dénicher les secrets les plus enfouis, les plus sombres, les plus incompris et mélangés. Elle voulait trouver ce que tous ne prenaient pas la peine de rechercher. Alice avait des envies de connaissance; une soif de savoir; une soif de briller peut-être, quelque part. Elle ne venait pas des bas quartiers, elle avait déjà une facilité - mais ça ne l'importait pas du tout. Elle voulait simplement trouver.