Mes idées tournaient à toute allure – battre en retraite n'était plus à l'ordre du jour. Je pourrais courir de toutes mes forces que ça ne serait pas assez – le fauve me rattraperait. Parce qu'il était chasseur et que dans ce monde, nous autres les hommes n'étions que proies. Me battre ou tomber ne m'avait jamais semblé plus à propos. Mes mains tremblaient, mais mon cœur battait – si fort que j'en avais le vertige et la nausée.
Ces pulsations effrénées avaient au moins le mérite de me rappeler que j'étais encore en vie. Tant que j'avais encore le courage de me tenir debout, rien ne pourrait me terrasser.
J'étais seule conquérante de mes victoires à écrire.

(Je découvrais, dans mes réflexes de lutte acharnée et à défaut d'une réelle rage de vivre, que j'avais au moins retrouvé la peur de mourir.)

« Nova ! » Ma voix tremblait – l'ordre tacite avait frappé comme un coup de tonnerre. Un aboiement féroce, qui n'était plus si aigu que ceux auxquels elle m'avait habituée, avait sonné comme un signal d'indéfectible loyauté.
Nous étions ensemble, jusqu'à ce que l'une de nous deux ploie.

Une poussière opaque avait ralenti le redressement du prédateur – j'aurais pu reculer, mais je m'y étais refusée. J'avais saisi l'opportunité pour contourner le Luxray, attirant dans le tumulte de mes pas son attention sur moi. Ma course m'avait conduite au bord d'un précipice en pente presque douce, et je m'y étais laissée glisser en grimaçant des écorchures qui marbrèrent la paume de ma main et ma cuisse au travers de mon jean épais.
Parvenue sur la terre ferme, j'avais reculé en boîtant, tandis que la forme du fauve se dessinait à contre-jour dans la descente. « ÉBOULEMENT ! »

J'entendis le fracas des pierres du piège de roc lorsque, bousculées, elles suivirent le bond du Luxray pour l'entraîner dans leur chute, le clouant au sol dans un rugissement furieux. À peine tentait-il de se redresser que notre attention fut brusquement hypnotisée par une lumière vive, qui dansait au sommet du promontoire qui nous surplombait…

Elle se dressait, là ; fière et impétueuse, féroce et furieuse. Grande. Belle. J'en étais restée muette, sonnée. Admirative… Nova avait lentement relevé la tête en direction des cimes, poussant un hurlement digne des lupins les plus indomptés. J'avais senti ma gorge se serrer, bousculée par le flot des émotions qui me submergeaient. C'était trop… Trop pour quelques heures ; trop pour ces quelques poignées de minutes dont j'avais fini par perdre le fil.

Elle s'était tue, et s'était penchée au dessus du précipice, en direction du Luxray qui s'était détourné de moi pour ne plus s'intéresser qu'à elle. Nous pouvions encore nous en sortir… Nous pouvions encore nous battre. Nous pouvions encore gagner.

Alors que Nova entamait sa glissade avec prudence, je m'étais saisie d'un caillou quelconque à mes pieds, et l'avait serré dans la paume de ma main à m'en faire mal. Je savais que le risque était inconsidéré, que chaque geste devait être minutieusement calculé – aucune erreur ne nous serait pardonnée.
Les muscles de la louve s'était bandés et, au même moment, mon projectile s'était heurté à la fourrure du fauve, qui avait fait volte face pour s'élancer dans ma direction, furibond d'être ainsi malmené…

Ses foulées furieuses avaient été presque instantanément arrêtées. Il s'était heurté, sans s'y attendre, à d'épaisses lames de roc surgies des entrailles du sol pour lui barrer la route. Elles s'étaient dressées devant lui, mais aussi sous son ventre et entre ses pattes – rompant son équilibre pour le propulser au sol dans un fracas sourd, ponctué d'un rugissement sonné.

Dans l'instant, profitant de ces secondes volées à la détresse du Luxray, elle avait fondu sur lui. Une plainte, proche du feulement déchaîné, avait trahi la douleur des crocs qui s'étaient enfoncés dans sa chairs. La mâchoire féroce du Lougaroc avait infligé une morsure profonde, refermant ainsi le dernier étau autour de sa proie.
Le rapport de force, ainsi inversé, me permis de reprendre l'ascendant sur le tremblement incontrôlable de mes mains.

Je m'étais saisie du capstick, détachant de son cœur l'outil de capture. Je n'aurais pas un millier de chances – il fallait que je réussisse avant qu'il ne parvienne à se dégager de l'emprise de Nova. Il fallait… que j'y parvienne seule.
La toupie était lourde dans ma main – bien plus que celle à laquelle on m'avait habitué. Mais l'erreur ne m'était pas permise.

Reculant de deux pas, pour donner à mon lancer l'élan qu'il lui faudrait, j'avais profondément inspiré une dernière fois. Deux, trois, quatre… J'avais lancé l'appareil qui, aussitôt, s'était placé en orbite autour de sa cible, laissant monter autour d'elle un sifflement paisible qui avait finalement fait taire ses grondements furibonds…