C'est vers deux heures du matin que débute cette histoire, par une nuit glacée, au beau milieu d'un rond-point. Le genre surélevé, digne d'une grande ville comme Voltapolis, avec de l'herbe et des arbres bien taillés histoire de combler la laideur des routes de béton l'encerclant. Plus une voiture ne circulait à cette heure. Aucun des lampadaires fixés aux trottoirs ne portait assez loin pour éclairer ce petit îlot de verdure perdu au milieu du bitume.
C'était ici qu'un corps trainait, face contre terre, arrosant involontairement la pelouse avec la salive qui s'échappait de sa bouche entre-ouverte. La personne inconsciente semblait être un homme en T-shirt, avec une coupe banane de travers pour être plus précis. Et contre sa joue, on pouvait apercevoir un petit pokémon qui - à force de s'acharner à essayer de le réveiller en se frappant contre son visage - s'était endormit. C'était un Korillon, qui même au repos laissait échapper quelques tintements d'ailleurs.
-Mmm ?...
Mark ouvrit soudainement un œil, le referma tout aussi rapidement et faillit se rendormir. Cependant il comprit vite ce qui l'avait réveillé quand son estomac le rappela à l'ordre. "Oh bordel !" eut-il tout juste le temps de dire, avant de se redresser brutalement - dégageant au passage le pauvre bébé pokémon, qui roula par terre dans une musique affreusement dissonante - et se mit à vomir toutes ses tripes sur la pelouse. Quel sensation si horrible et écœurante, mais pourtant si familière pour lui. Quand le fluide probablement verdâtre (impossible de distinguer la couleur dans cette obscurité) fut complètement expulsé, il se laissa tomber en arrière en évitant un minimum de tomber dans son propre vomi. Pourtant, il ne se sentait toujours pas mieux. -Fait chier... C'est pas finit hein ?... -Koriii...
En effet, ce sentiment d’inconfort au niveau de la gorge et cet estomac jouant aux montagnes russes ne trompaient pas. Il posa ces deux mains au sol, approcha assez sa tête pour ne pas en recevoir sur les bras mais la garda suffisamment loin pour éviter de s'en reprendre dans la figure. Il y eut cette fois une attente, vous savez, cette attente insoutenable où vous savez que cela va arriver, ce moment où vous voulez que ça sorte pour apaiser la douleur mais en même temps craignait de le faire. Ce fut au tour de la bile de sortir prendre l'air cette fois.
-*blurp* C'est bon, j'crois bien que c'est finit... Plus jamais, plus jamais j'me bourre la gueule!
C'étaient vraiment les seuls moments de sa vie où Mark pouvait sortir de telles absurdités. Il se ressaisit et réalisa avec joie que son ventre allait beaucoup mieux ! Par contre, il se rendit aussi compte qu'il était totalement frigorifié... Finalement il pouvait être heureux que la situation se soit passé ainsi, il aurait pu soit mourir étouffé dans son vomi ou crever d'hypothermie. Quoique pour l'hypothermie cela restait à voir.
Mais c'est dans les moments les plus improbables qu'il avait des éclairs de génie ! Il inspecta les pokéballs qu'il avait sur lui et, oh joie, trouva celle de Sanic, son Héricendre. "Fais du feu, j't'en supplie !!!" implora-t-il, devant une créature qui semblait ne rien comprendre à la situation. Au bout de plusieurs demandes- ou simplement par hasard - le type feu produisit enfin quelques flammes. Un feu de camp assez inconsistant mais non-négligeable vu la situation. -Koooriii Kooorii !
Comme pour essayer de mettre de la bonne humeur dans cette scène un peu triste, Korillon se mit à jouer un morceau. Ce qui ne détendit pas du tout notre loubard gelé et l'agaça plus qu'autre chose en fait. "Dégages ! Fais quelque chose, je sais pas vas chercher de l'aide ou quelque chose, mais arrete ça !!" cria-t-il à l'innocent pokémon plein de bonnes intentions, qui se mit à partir dans la direction hasardeuse que le bras de son dresseur pointait avec insistance. Avait-il comprit l'ordre, ou était-ce pour pleurer qu'il s'en aller ? Aucune idée.
Mais c'est ainsi qu'au beau milieu du rond-point se trouvait désormais un clochard se réchauffant auprès d'un feu de camp qui illuminait les environs.
C'était une nuit particulièrement froide, à Voltapolis.
Sous ma grosse parka, je grelottais. Faut dire qu'elle était déchirée par endroits et laissait passer le vent cinglant. Pourquoi j'étais dehors ? P't'être parce que j'avais trouvé aucun refuge. Aucun squat. Donc j'en étais réduite à vagabonder, à la recherche d'un endroit chaud. Pas propre, j'en demandais plus tant. Même pas accueillant, je saurai me contenter d'un truc un peu glauque.
Tant qu'il y faisait chaud, ça m'allait.
Vorpal était juste derrière moi, silencieux comme à son habitude. Je me sentais rassurée de l'avoir à mes côtés, veillant. Pas que je sois le genre de fille à être facilement effrayée. Mais j'étais devenue prudente. La nuit abrite bien des choses qui n'osent pas pointer leur nez à la lumière du jour. Des choses bien peu agréables.
Vivons heureux, vivons protégés.
C'est alors qu'une musique dissonante s'est faite entendre. J'ai cligné des yeux. Penché la tête d'un côté et de l'autre, histoire de savoir d'où ça venait. Puis, vint la question fatale.
- C'est quoiiiii ?
Je sais, on aurait pu faire mieux pour le côté tragique ! Mais n'empêche, ça me rendait curieuse. Le néant ne m'accordant aucune réponse, je décidais de faire l'enquête de mon côté, Vorpal sur mes talons. Plusieurs rues ont été parcourues, finalement je voyais le coupable !
Un petit pokémon visiblement en panique, traçant tout droit. Tout droit vers moi. Oh.
Je ne réagis pas assez vite, mais Vorpal, lui, est sur le coup. La pénombre le cache, mais je le sens se mettre en position de garde. Il est mon épée-lige, le gardien éternel, jamais il ne prend de repos. Malheureusement (ou pas ?) pour lui, le drôle de pokémon ne semble pas animé de mauvaises intentions. Puis, en toute vérité, je pense que même moi j'aurai pu m'en débarrasser d'un coup de pied si jamais la situation l'exigeait donc bon ...
Mais bref ! Le voilà devant moi, il saute partout, crie, il tinte d'une musique inquiétante. Il veut que je le suivre ? On dirait, vu ses gestes pressants m'adjoignant à l'accompagner. Mmh. Ça sent le traquenard.
Mais ça sent aussi l'aventure. Et quand l'appel de l'aventure résonne, une ne saurait le refuser !
C'est comme ça que je dévale les rues et les avenues, sur les talons de cet étrange pokémon, vers une aventure qui s'annonce excitante !
Comme pour beaucoup de choses, la réalité est souvent plus décevante que l'imaginaire. La preuve, j'arrive à un rond point, et tout ce que je trouve c'est un mec ayant vomi partout en train de se réchauffer au coin d'un feu. Ah.
Le pokémon est reparti auprès de son maître, et me montre du doigt en s'appuyant de nombreux cris. Je saurai pas dire si il est satisfait de ce qui a été ramené. Moi, si on me ramenait, je serai pas mal déçue, et je dis pas ça pour faire genre.
Je me sens obligée de briser le silence en commentant.
- T'as vraiment une sale gueule.
Mon souffle devient buée givrée, alors que je continue, me rendant compte que comme introduction il pourrait y avoir mieux.
- Ahem ... Ça va ..?
J'imagine que nan, après tout, pourquoi serait-on venue me chercher si ça allait ?
Ah bah ça, voilà que Korillon se pointait effectivement avec ce qui de loin semblait être de l'aide ! Mark leva un sourcil interrogateur et les observa se rapprocher à toute vitesse. Quand ils arrivèrent enfin face à lui, il découvrit avec surprise une jeune femme de prime abord super mignonne. Mais que au première coup d’œil. Dès l'instant où elle ouvrit la bouche, elle lui révéla un aspect bien plus beauf et direct qui pour le coup lui fit hausser le deuxième sourcil, avant de les froncer dans une moue agacé.
Pour toute la vérité que contenait ses paroles, cela rendait juste notre malade plus agace qu'autre chose. "Pouffiasse !" aurait sans doute était sa première réponse, mais le loubard avait un minimum de classe. Et puis bon... Au moins elle avait fait l'effort de demander comment il allait, on va dire.
-J'te retourne le compliment.
Il cracha un énorme mollard qui lui brulait le fond de la gorge, encore abimée par les vomissements et mit un gifle au carillon. Sale bête, la seule fois qu'il accomplit quelque chose c'est pour ramener... Ce truc-là.
-Ça va...
Mensonge évident, rien que dire ça venait de lui vriller les tempes. Son mal de crâne ne comptait pas disparaitre comme ça visiblement. Et son corps toujours frigorifié n'arrangeait rien.
-Sinon, t'es qui pour trainer dehors à une heure pareille ?...
Quelque chose me dit qu'il a pas trop trop aimé mon intervention.
J'ai toujours eu le don pour dire ce qu'il fallait, je sais, je sais !
Quoi qu'il en soit, il avait l'air ... passablement "vivant". Assez pour ne pas avoir besoin de moi. Enfin, je crois. Je le détaillais longuement du regard, pensive. A travers le vomi, on sentait l'alcool. Oh, l'alcool. Je secoue la tête, chassant quelques sombres souvenirs.
Vu son regard et le coup qu'il a donné à son pokémon, j'ai ma confirmation. Définitivement, j'étais pas ce qu'il attendait.
Comme pour beaucoup de choses dans la vie, il apprendrait à vivre avec cette déception. Après tout, ne suis-je donc pas la fille dont il a besoin, à défaut de la fille qu'il souhaite ?
Nan, même pas.
Coupant court à mes réflexions, voilà qu'il me demande ce que je fais là. Ah. Question légitime.
- J'ai fugué de chez moi y'a quelques semaines, j'ai trouvé aucun droit à peu près potable où me mettre au chaud.
Simple, assez concis, efficace. Je ne cherchais pas particulièrement à lui faire pitié, je disais juste les choses comme elles étaient. Puis, prise d'un vague élan de compassion, je me mets à fouiller dans mon sac ... Ah.
Depuis quand il est aussi vide ? C'est peinée que je vois juste un thermo presque vide, censé abriter mon café. Je me pince les lèvres. Le regarde. Regarde le thermos. Le reregarde. Mon regard fait la navette à de nombreuses reprises avant que je finisse par soupirer. Par lui tendre le récipient.
- Il n'y a pas grand-chose, désolée.
Je n'étais pas vraiment désolée, après tout, je n'avais que ça à offrir et c'était déjà beaucoup.
Genre, demain matin, je le regretterai de pas avoir mon p'tit café.
Mais en le voyant, là, comme ça, j'aurai regretté encore plus de pas avoir fait ce geste dérisoire.
Et bien, il ne s'attendait clairement pas à autant d'empathie venant de cette personne. Certes donner son thermos semblait avoir été une question de vie ou de mort pour elle au vue de son hésitation, mais c'est le résultat qui compte. Et puis bon, Mark n'aurait probablement pas fait la même chose dans le cas inverse (et pas seulement car il n'avait pas de thermos). -Sympa, soupira-t-il en choppant le récipient. 'Fait moi c'est Mark.
Il évitait d'aligner trop de mots, ça faisait revenir la douleur. Le loubard ouvrit le thermos et renifla son contenu : avec un arôme aussi fort, pas de doute c'était du café. Pas ce qu'il préférait, mais peu de doutes qu'il obtienne plus. Sans perdre un instant, il leva le thermos et laissa couler tout le liquide qu'il contenait le long de sa gorge. Il toussa un coup, quel horrible gout amer. -Une fugue, hein...
Mark ne s’adressait pas tant à l'inconnue qu'à lui-même, il réfléchissait. Le thermos était reposé, lui se tenait toujours assit et cherchait du regard les minuscules étoiles dissimulées par la pollution de la ville. Un étrange rictus se dessinait sur son visage, perdu entre un aspect moqueur et un sourire triste. Tout cela lui était familier. Des images violentes et déchirantes d'un lui plus jeune lui revinrent en mémoire, mais aussi des propos qu'on regrettes, qu'on maudit après-coup, des disputes, des cris, des pleurs... Il ne souhaitait pas y repenser, pas plus qu'il ne désirait entendre plus du récit de cette personne. L'alcool avait vraiment une horrible manie d'entrainer la déprime.
-S'tu veux, tu peux profiter de mon feu.
Il se tût et caressa le nez allongé de son Héricendre posé à côté. C'était aussi un moyen d'éviter de croiser le regard de cette femme.