La brume se lève paresseusement en ce troisième jour à Fort-des-Songes. Troisième et dernier, puisque je rentre sur Voltapolis ce midi. Il est dix heures du matin passé, donc encore deux heures trente à tuer avant mon train, et je compte bien en profiter pour faire un dernier tour de la ville. Vraiment l'atmosphère de ces lieux me plaît beaucoup. Si j'avais pu, je me serais probablement installé ici, mais je sais bien que ça aurait été compliqué de continuer à être prof particulier dans un coin aussi reculé et hors du temps. Peut être un jour, qui sait...

A mes côtés, Zyl marche tranquillement, tout en tenant à l’œil Salem, qui me donne bien plus de fil à retordre que prévu. Le problème n'est pas qu'elle ne m'écoute pas (encore que), mais plus qu'elle est... Étrange. Bon, elle a terrorisé les clients de l'hôtel cette nuit, mais ça encore je peux comprendre. Là, en revanche, elle s'est prise d'affection pour une cuillère qu'elle a piquée sur la table d'un café, et la berce comme un enfant en ricanant de temps en temps. Franchement, quand on voit son petit manège, c'est vite flippant, et j'ai l'impression que la regarder ne fait que l'encourager. Au bout d'un moment, je me décide à lui faire arrêter ça :

- "Salem, ma grande... Tu pourrais me rendre cette cuillère, s'il te plaît ? Voler des objets comme ça n'est pas une bonne idée, surtout si c'est pour jouer avec à la vue de tous..."

La petite Skélénox me regarde fixement, avant de faire un large sourire. Ce qui ne me rassure pas du tout, surtout qu'elle part comme une fusée dans une rue adjacente en ricanant.

"Hein ? Attends, ce n'est pas un jeu ! Salem, reviens !"

Peine perdue, le fantôme miniature est déjà loin. Alors que je me mets à courir, je la vois m'attendre un peu plus loin, mais elle repart dès que je m'approche un peu trop. Le problème, c'est que balancer une pokéball d'ici a toutes les chances d'échouer. Elle est rapide, quand elle veut ! Et pire encore : avec son caprice, elle est en train de m'entraîner vers les bois aux alentours.

Parfaitement conscient des rumeurs à leur sujet, je voudrais vraiment éviter une virée champêtre pareille. Mais que faire d'autre ? Je ne peux pas laisser Salem partir comme ça, train ou pas ! J'ai bien tenté de m'arrêter pour l'attirer et lui faire comprendre que je ne voulais pas jouer, mais elle refuse de s'approcher, et se contente de me narguer de loin.

Soupir.

Alors que je tente de la raisonner, Zyl arrive au petit trot vers moi. Quelques secondes lui suffisent pour qu'il comprenne la situation. D'une soudaine traction télékinétique, il arrache la cuillère de l'emprise de la Skenenox, qui s'enfuit en tourbillonnant sous les frondaisons. Raté...

Hésitant, je ramasse l’ustensile, et regarde les arbres juste devant moi. Certes, on est en plein jour. D'accord, je pense que Salem veut juste jouer, et que ce genre d'endroit lui plaît particulièrement. Mais quand même... Je ne m'attendais pas à galérer comme ça juste après l'avoir capturé. Peut être qu'elle ne veut pas vraiment nous accompagner, en fait ? Et si elle avait été juste curieuse ?

A quelques pas, Zyl se tourne vers moi pour comprendre ce qui me retiens. Lui est déjà pris pied dans les bois, et n'attends que moi pour retrouver la petite farceuse.

"Bon... Très bien, va pour les Bois Hurlants alors mon vieux. La proba que ce soit un plan foireux est élevé, mais... Alons-y."

...

C'était vraiment un plan foireux, soyons clair. Une bonne vingtaine de minutes plus tard, j'ai l'impression d'être coupé du monde. Autour de nous, tout se ressemble dans la pénombre. Est-ce que le ciel s'est couvert pour qu'il fasse aussi sombre, ou ce sont juste les arbres ? Je ne sais pas... En revanche, aucune trace de Salem. Nous voilà seuls dans des bois peuplés de pokémons sauvages, sans carte, marchant à l'aveugle.

Intérieurement, je commence à paniquer. Comment est-ce qu'on va faire pour la retrouver ? Est ce qu'elle a fait tout ça à dessein ? Et pourquoi j'ai la sensation d'être suivi depuis tout à l'heure ? Peu à peu, je perds la notion du temps, ma chemise se macule de sueur, et je sursaute au moindre bruit. A mes côtés, Zyl secoue la tête, de plus en plus hésitant. Malgré tous ces efforts, il n'arrive plus à sentir la signature psychique de la Skelenox. Il y a trop d'interférences, trop de créatures qui nous épient, trop d'arbres biscornus.

Au bout d'un moment, mon sang se glace alors que je réalise que c'est la troisième fois qu'on tombe sur cette vague clairière avec une souche moussue. Avec un juron, je lui donne un coup de pied, me faisant mal au passage.

"Merde... On est perdu... Bon sang de bonsoir, quelle idée débile ! Qu'est ce qui m'a pris de suivre cette fichue Skelenox ! "

Trop occupé à paniquer dans mon coin, je ne remarque pas ce qui se passe au niveau de Zyl. Désespéré, le pokémon se plonge dans une sorte de transe pour rassembler ses pouvoirs psychiques. Vu de loin, il a l'air parfaitement calme, mais les frémissements de son corps trahissent l'effort intense qu'il est en train de fournir. Dans ma main, la cuillère commence à vibrer, se plier lentement, puis m'est arrachée de force pour rejoindre le Abra. Un Abra à bout de forces, mais qui a senti ma détresse et donne tout ce qu'il a. Un Abra qui sous mes yeux ébahis, se nimbe d'un halo lumineux... Et évolue.

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'Chromatique' :

Alors que je contemple médusé le Kadabra qui me fait à présent face, je mets un temps de retard à réagir au beuglement dans mon dos, et me retrouve par terre alors qu'un type inconnu déboule et me saute littéralement dessus.

"Que ... Mais ça va pas non ? Vous êtes malade ou quoi ?"

Je me relève en grimaçant un peu, le coude endolori après ma chute. Fichue souche, je vais avoir un sacré bleu. En face de moi, un grand blond, solidement charpenté, escorté d'un Rocabot. Mais qu'est ce qu'ils font là, bon sang ?!

"Je... Je peux savoir ce qui vous prend de bousculer les gens comme ça ? Vous m'avez fait une de ces frousses !"

Le point positif, c'est qu'on est plusieurs maintenant. Avec un peu de chance, ce gars là connaît le chemin pour quitter ces maudits bois. Ou alors, c'est juste un type chelou qui s'est perdu comme moi et a cru voir un fantôme... Au point où j'en suis ce matin, ça ne m'étonnerais qu'à moitié.

Non loin de nous, un pokémon insecte se fait courser par un Hoothoot, mais je suis trop occupé par les nouveaux venus pour m'en soucier. Je me tourne donc vers Zyl pour vérifier son état, mais le Kadabra à l'air d'aller bien. Il ouvre même un œil surpris, et pointe la cuillère qu'il tient en main vers mon agresseur. En effet, un pokémon Spectre que je n'avais pas vu lévite autour de son dresseur (enfin, ça à l'air). Ah, et un deuxième pokémon est là aussi. Comme intriguée de voir un confrère, Salem se pointe comme une fleur et tourbillonne en douceur jusqu'au Polichombr avec son éternel ricanement spectral...

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'Chromatique' :

Bon, au moins le gars s'excuse de m'avoir confondu avec une auto-tamponneuse, c'est déjà ça. Par contre, la suite me plaît nettement moins. Il a fallu que de tous les types, je tombe ici sur un des clients de l'hôtel. Des fois, les probas, je vous jure...

- "Je... Je suis désolé pour Salem, vraiment. C'est une jeune Skelenox qui était encore sauvage hier soir, et j'ai été un peu trop... Confiant, disons. Elle a l'air du genre malicieuse, à jouer les anges quand je fais attention tout en faisant des bêtises dès que j'ai le dos tourné. Mais c'est ma faute, j'aurais du anticiper..."

Me tournant vers l’intéressée, j'enchaîne :

"Et puisqu'on en parle, il va falloir qu'on ai une petite discussion, Salem. Tu ne peux pas te sauver comme ça dans les bois juste pour jouer ! Il y a un temps pour tout !"

Je ne compte pas lui passer un savon alors que l'erreur vient en bonne partie de moi, qui n'ai pas pris le temps de poser les règles. Pour cette fois, je me contente donc d'explications fermes. La petite fantôme, m'écoute attentivement, pas penaude pour un sou. Lorsque j'ai fini, elle se contente de tourbillonner sur elle-même, et reste en suspension au dessus de ma tête.

"Je vais prendre ça pour un oui..."

D'ailleurs, où est passé le grand blond ? Il ne s'est quand même pas barré comme ça, si ? Il s'est mis à me courser comme ça tout du long, me rentre dedans, puis repars aussi sec ?! Ah non, le voilà qui ressort d'un fourré. Visiblement, on est deux à être paumés ici...

"Euh... Pas vraiment en fait, j'essayais juste de rattraper Salem, donc j'ignore comment sortir d'ici..."

Alors que je me gratte la tête pour indiquer mon embarras, Zyl s'avance d'un coup vers la droite, sans un bruit. Intrigué, je me tourne vers lui pour voir ce qu'il a en tête, et tombe sur un Racaillou visiblement mal en point. Très mal en point même, car il se met à buguer, révélant sa véritable identité : un jeune Zorua. D'un pas ferme, Zyl s'interpose entre lui et la fin de la clairière, où un Cornèbre se gausse de la scène. Vu de dos, le Kadabra à l'air calme, mais je commence à le connaître suffisamment pour savoir reconnaître  ses attitudes. Et là, il est clair que si l'oiseau s'approche un tant soi peu du pokémon affaibli, il risque d'y perdre des plumes.

"Zyl ? Zyl, attends, c'est un pokémon de type Ténèbre ! Tes attaques ne peuvent pas le toucher, fais attention !"

Sans un regard en arrière, le Kadabra hoche la tête, prenant en compte l'information sans bouger d'un millimètre. Sa décision est prise. Sans quitter le Cornèbre des yeux, je me rapproche du Zorua, qui tente de s'éloigner de tout ça. Le problème, c'est qu'il a vraiment l'air exténué, et du sang coule d'une de ses pattes arrières. Nos regards se croisent, et je prends moi aussi ma décision. Je fais entièrement confiance à Zyl sur ce coup là.

Au dessus de ma tête, Salem pousse un petit ricanement, et vient se ranger juste derrière le Kadabra, prête à en découdre. De mon côté, je sors un pokéball de mon sac et m'adresse au pokémon blessé d'une voix douce :

"Écoute mon vieux, tu n'as pas l'air bien du tout. Si tu rentres là-dedans, je peux t'amener au centre pokémon pour te faire soigner. Et après ça, je te libère dans les bois, frais comme un Ecayon. Tu as ma parole."

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Alors que je suis occupé avec le Zorua, le Cornèbre se décide à attaquer, mais le comité d'accueil est présent. Les deux pokémons du blond se chargent de l'oiseau vindicatif, sous l’œil vigilant de Zyl, qui préparait une Entrave. Le combat est vite réglé, et Salem effectue une petite danse de victoire. Bon, elle n'a rien fait au final, mais je préfère ça à une autre bêtise.

"Bien joué ! Tes pokémons ont bien calmé ce charognard, on dirait".

Ils étaient certes à deux contre un, mais ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre. Si le Cornèbre est suffisamment idiot pour attaquer alors qu'il est en nette infériorité numérique, c'est son problème... Le problème le plus urgent étant traité, je reporte mon attention sur le Zorua enfermé dans la pokéball. Enfin, je dis enfermé, mais il ne tarde pas à en sortir, l'air paniqué. Sur le dos, il continue d'agiter les pattes de manière frénétique, avant de se rendre comte qu'il est de nouveau à l'air libre.

Le problème, c'est qu'avec ça, il ne fait qu'aggraver sa blessure. Zyl l'a d'ailleurs bien compris, car il s'approche du pokémon sauvage et lui fait les gros yeux. Oui oui, littéralement, le Kadabra fixe son regard dans le sien en prenant un air sévère, avant de lui donner un léger coup de cuillère sur le museau. La scène en serait presque drôle si le Zorua n'était pas blessé. En tout cas, ça marche, car le pokémon se fige. Je ne sais pas s'il est intimidé ou juste indigné, mais je compte bien profiter de l'occasion.

"Du calme, boule de poils ! Je te l'ai dit, je voudrais juste de faire soigner. Tu es blessé à la patte, et t'agiter comme ça ne fait qu'empirer les choses. Je doute que tu puisses aller bien loin dans cet état et dans ces bois, alors cesse de faire ton Tiboudet et rentre là dedans pour que je t'amène au centre pokémon, d'accord ?"

Alors que je retente de lui lancer la pokéball, je jette un coup d’œil vers l'inconnu, qui en a visiblement terminé de son côté. Il a même sorti un sandwich ?!

"Hey, euh...  C'est bon, le Cornèbre est parti ? Le Zorua à l'air un peu récalcitrant, donc savoir qu'il n'y a plus de danger pourrait le tranquilliser un peu."

Mince, avec tout ça je ne sais toujours pas comme le type s'appelle, et j'ai failli dire "mon vieux". Une mauvaise habitude que j'ai du mal à perdre, mais qui m'a valu quelques déboires par le passé quand la personne en question se vexe de se faire interpeller aussi familièrement. L'air de rien, je me retourne pour surveiller la pokéball qui s'agite, et lâche :

"Moi c'est Roy, au fait, et voilà Zyl et Salem. D'ailleurs, Zyl, tu aurais une idée pour sortir rapidement de cet endroit ? Entre tes pouvoirs psychiques et le flair du Rocabot, on devrait pouvoir s'en tirer non ?"

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Ah, quand même ! Cette fois c'est la bonne, et le Zorua blessé rentre enfin dans la pokéball. Plus de temps à perdre, il est temps de rentrer. Heureusement, on est plus nombreux cette fois, et on finit laborieusement par retrouver notre chemin au bout de longue minutes d'errances. La collaboration entre Zyl et le Rocabot de l'inconnu aura fini par payer. Et pas fou, j'ai fait rentrer illico Salem dans sa pokéball avant de partir, histoire qu'elle ne fasse pas plus de bêtises. On a déjà atteint les quotas pour la semaine, là...

Une fois enfin sorti du bois, je salue mon compagnon d'infortune avant de me presser le pas vers le centre pokémon. Centre pokémon où évidemment, la machine principale a un bug informatique, ce qui met la pagaille. Résultat : trente minutes de queue, et un Zorua énervassé qui se fait soigner la patte à la main grâce à un onguent appliqué par l'infirmier. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça ne sent pas la rose, et ça à l'air de gratter considérablement vu comme le renardeau s'agite. Cerise sur le gâteau : il faut que le baume sèche et qu'il évite de le toucher, donc je dois garder le Zorua dans les bras pendant au moins trois heures... Moi qui voulait le relâcher illico, on dirait que c'est raté...

Ah, et vu l'heure j'ai aussi raté mon train pour rentrer à Voltapolis. Je sens que l'après-midi va être longue...


Quelques heures plus tard

La rencontre avec Léonard a pris fin il y a quelques minutes, et je ne vais pas tarder à repartir aussi. Hors de question de rater ce train là, quitte à poireauter sur le quai... Mais avant cela, il faut que je tienne ma promesse. Direction la sortie de la ville donc, pour relâcher le Zorua près des Bois Hurlants, comme promis. Sa patte devrait aller mieux à présent, donc il devrait pouvoir s'en tirer tout seul. Je le pose donc délicatement par terre, où il fait quelques pas tremblants. Cependant, en constatant qu'il n'a plus mal, le pokémon fait quelques bonds joyeux, avant de revenir vers moi et de me fixer avec ses grands yeux.

- "Allez, boule de poils, il faut que tu ailles vivre ta vie à présent, j'ai un train à prendre. La promesse que je t'ai fait tout à l'heure est remplie, tu es libre comme l'air. Allez, file !"

Le hic, c'est que le Zorua n'a pas l'air de cet avis, et m'emboîte le pas alors que je fais demi-tour.

Soupir.

Quoi, je ne vais pas l'adopter quand même.... Si ?