Avec un sourire en coin, Mathias présenta ses pièces d'identité à la dame de l'accueil. Non loin d'elle, un gardien de sécurité surveillait les allées et venues des nouveaux arrivants. Son visage était fermé, son costard impeccable, et il fallait noter la présence d'une matraque et d'un revolver à sa ceinture. Il porta la main à son oreille gauche et ses lèvres remuèrent. L'ex-lieutenant parvint à déchiffrer quelques mots, mais puisqu'il ne releva aucune information digne de son intérêt, il reporta son attention sur la dame. Celle-ci lui remit ses cartes et lui demanda de tendre un poignet pour qu'elle puisse y nouer une cordelette argentée. Il s'exécuta et la remercia, avant de quitter le comptoir et de se faufiler à travers la foule qui s'agglutinait dans le hall d'entrée, près des portes principales. Joueurs réguliers et invités de marque se trouvaient sur place et tous se mêlaient dans cet espace confiné, ayant atteint sa pleine capacité. 

Pour les premiers, c'était l'appât du gain et le rêve impossible de pouvoir empocher le gros lot qui les ramenait inlassablement au casino. Pour les seconds, ils avaient rejoint la cause des réfugiés de Windoria en répondant présent à une levée de fond organisée par les propriétaires ; un événement mondain qui rassemblerait des grands noms et des personnalités connues provenant de plusieurs régions. Et le tout serait, bien entendu, médiatisé. L'idée de bien paraître et d'être présenté sous cette facette généreuse et aimable, en tendant la main vers autrui, en motivait plus d'un. 

Il existait néanmoins un point commun entre ces âmes désespérées et ces avares ; tous attendait l'ouverture officielle des portes. 

Mathias réprima une grimace dégoûtée lorsqu'il passa près d'un couple ; la femme avait vraisemblablement abusé de sa bouteille de parfum, et l'air autour d'elle empestait d'une odeur à la fois âcre et sucrée. Il agita la main sous ses narines, dans l'espoir de s'aérer, mais le tout sembla empirer. Il pesta entre ses dents et se coinça entre deux autres convives. C'était autant par curiosité que par envie de s'amuser un peu et de tâter un terrain connu qu'il avait choisi de venir. Il ne s'attendait pas à grand chose, il croyait même fermement qu'il allait s'ennuyer. Les soirées auxquelles il avait participé dans le cadre de ses fonctions étaient loin d'être les mêmes. Ce n'était pas ici, dans les salles de jeu du casino d'Artiesta, qu'il brasserait les dés pour connaître le sort d'un otage ou d'un traître. Le jeune Kain ferma les yeux. Au fond de lui-même, il n'avait pas changé. Il plongea ses mains dans les poches de son pantalon et rouvrit les yeux. 

Le coup d'envoi fut donné et les grandes portes s'ouvrirent. 

Les moins civilisés se ruèrent vers les machines les plus proches, jouant des coudes afin d'obtenir les meilleures places ; d'autres migrèrent vers le fond de la salle, où des roulettes géantes attendaient patiemment leur première rotation. Sur la droite, de larges escaliers de marbre permettant d'accéder au deuxième étage étaient gardés par deux hommes massifs, à l'air menaçant. Seuls les détenteurs de bracelets doré ou argenté pouvaient y accéder. Il y avait également un ascenceur, celui-ci ne donnant accès qu'au troisième et quatrième étage, réservés pour l'événement. Là encore, deux gardes en surveillaient les portes et contrôlaient le nombre de gens pouvant y grimper. Mathias se retrouva dans une file d'attente et obtint son droit de passage après une quinzaine de minutes. Il s'arrêta au troisième et se dirigea aussitôt vers le bar le plus près. Il commanda une bière locale ; il en avala une gorgée et émit un léger grognement de satisfaction. Ses yeux balayèrent ensuite les alentours ; les gens se plaçaient, se dispersaient. Bientôt, sur la scène aménagée au centre de la pièce, les organisateurs ouvriraient la soirée par un discours sur les enjeux et ils feraient pleuvoir les remerciements et les compliments. L'ex-lieutenant fit claquer sa langue sur son palais avant de se redresser. Il venait d'apercevoir une jeune femme, belle et élégante. Avec un je-ne-sais-quoi qui éveilla en lui une impression familière, mais subtile. Impossible de mettre le doigt dessus. Il se dirigea vers elle, une lueur étrange traversant son regard azuré. Finalement, il ne s'ennuierait peut-être pas.

- Mais qu'est-ce qu'une jolie dame comme vous peut bien venir faire dans ce rassemblement de vieilles peaux capitalistes ? Il était franc, comme à son habitude. Mais c'était de cette manière qu'il aimait briser la glace. On s'entend qu'ils ne sont pas tous là par gaieté de coeur. Ce qui est dommage, à mon sens. Sans se départir de son sourire, il lui tendit la main. Mathias Kain, entrepreneur et homme à tout faire. À qui ai-je l'honneur ?