voie des noisetiers

Boris t'observe avec attention. Sans aucun doute, il a dû sentir ta nervosité. Il ressent toujours chacun de tes changements d'humeur, en particulier quand ils sont brusques ou que rien ne semble les motiver. Tu pinces tes lèvres en une fine ligne. Mauvaise idée, peut-être ferais-tu mieux de prendre une profonde inspiration. Tu sens la moiteur de tes mains, passe ta langue sur tes lèvres trop sèches. Tu es déjà dans un tel état alors que tu as seulement pris une décision, mais ne l'as pas encore appliqué. Tu l'as prend finalement, cette profonde inspiration, et tourne ton regard vert vers celui de ton pokemon. Tu aimerais sourire mais tu n'essayes pas, tu sais que tu n'y arriverais pas.
Boris.
Il agite ses oreilles en entendant son nom. Tu as toute son attention, tu le sais. Si tu renonces maintenant, décide de reporter cela à plus tard, il ne le saura pas. Tu peux t'esquiver. Mais ça ne ferait que trainer les choses. Tu as décidé d'être plus forte que ça, tu te rappelles ? Tu te lèches une nouvelle fois les lèvres.
Nous allons au Lac des Cygnes. Sois prêt.
Boris émet un son qui ressemble un peu à un gazouilli. Ca te rassure un peu. Tu sais qu'il sera prêt, qu'il sera là. Il l'est toujours. Maintenant, c'est à toi d'être prête. Tu t'éloignes des yeux de ton pokemon et te glisse dans ta chambre. Tout est à sa place ici. Même ton sac en cuir noir, habituellement inofensif mais qui cette fois est source de stress. Tu le prends pourtant, et d'une main lourde place à l'intérieur cinq pokeballs. Pas une de plus, ça te semble déjà bien assez lourd comme ça. Et peut-être bien qu'à la fin, tu ne seras pas capable d'en utiliser une seule. Tu le referme un peu précipitemment, attrape une veste et ressort de la pièce. Tu refuses de trainer davantage. Si tu le fais, tu vas renoncer, tu le sais. Ta démarche est raide, jusqu'à l'entrée de l'appartement.
Boris est là, à t'attendre, un air toujours aussi doux sur son visage. Ca t'aide un peu. C'est rassurant. Tu ne seras pas seul, et Boris ne sera jamais déçu, si tu échoues. Il sera déjà heureux si tu essayes juste. Tes pieds glissent dans des bottes dont tu refermes solidement les boucles. La veste recouvre ta chemise tandis qu'une écharpe aux motifs de noisetier enveloppe ton cou et retombe sur ta poitrine. La sac de ton sac sur ton épaule est un peu plus lourde que d'habitude, mais finalement moins que ce à quoi tu t'attendais. Ta main moite se pose sur la poignée de porte et ouvre cette dernière. Tu regardes ton Nanméouïe.
On y va.
Et ta voix sonne bien plus assurée que tu ne l'es réellement.


En plein hiver, les berges du Lac des Cygnes ne sont pas belles. La terre y est boueuse et irrégulière. Il n'y a pas de beau manteau blanc pour la recouvrir et embellir le paysage morne. Les arbres sont nus, et leurs feuilles pourrissent à leurs pieds. La surface du lac est parfaitement plate, ni bleue ni grise. Elle est plutôt l'image d'un miroir parfait sur lequel se dessinent les ombres noires des arbres en bordure et les éclats scintillant d'un soleil timide.
Habituellement, tu aimes venir ici, même quand le paysage est celui morne d'un hiver sans neige. Cette fois-ci cependant la nervosité chasse le plaisir d'une longue promenade. Tu y es, et maintenant en ce lieu faire demi-tour n'est plus une option. Tu marches à ton rythme le long du lac, et Boris avance à la même allure à tes côtés, présence rassurante et bienveillante. Pour lui ce n'est sans doute qu'une balade habituelle. Ou peut-être pas, en fait. Il sait comment tu te sens, est-ce qu'il pourrait soupçonner une raison ? Ou est-ce que tu l'humanises un peu trop ?
Tu prends une inspiration et l'air froid entre dans tes poumons. Tu réfléchis un peu trop. Tu devrais profiter un peu plus de cette marche, et prendre simplement ce qui viendra. Tu devrais oui. Mais ce n'est pas si facile, et tu le sais.

Voie des noisetiers

Les abords du lac sont assez déserts. Bien sûr tu entends le chant de quelques oiseaux mêlé au bruissement de feuilles. Mais c'est à peu près tout. Tu es la seule personne à te promener ici aujourd'hui. Et pour un peu tu pourrais te croire seule au monde. Les basses températures qui se sont installées depuis quelques semaines ont dû décourager de nombreux autres marcheurs. Quand ton regard se perd sur les branches d'arbres à la recherche d'oiseaux, d'un pokemon oiseau en particulier. Mais aucune boule de plume n'est en vue.
Cette absence te provoque des sentiments contradictoires. D'un côté, tu ressens un certain soulagement. Tu déculpabilises légèrement des envies de fuite que tu as pu avoir. Si cette sortie se révèle infructueuse, ce ne sera pas vraiment de ta faute, parce que tu n'y auras pas mis du tien, mais parce que ce que tu cherchais était introuvable. Et en même temps, de l'autre côté, il y a un certain regret. Oui, étonnement, tu regrettes de ne pas trouver ce que tu es venue chercher. Tu as l'impression que les efforts que tu as fournis pour venir ici, la bataille que tu as dû mener, que tu mènes encore, contre toi-même est vaine. Que ça a été inutile. Tu te sens quelque peu découragée, et tu as l'impression de régresser.
Ton regard s'échappe des branches, comme fuyant, et tu ressers ta veste autour de toi. Tu ne sais pas si ce sentiment de froid vient de l'extérieur ou non. Sans que ce ne soit conscient, tu te mets à regarder du côté du lac. Tes yeux passent sur la surface sans vraiment la voir durant un temps indéfinissable. Jusqu'à ce que quelque chose ne bouge et attire ton attention dispersée. Tout à coup tu t'arrêtes de marcher et te focalise sur ce que tu as vu, ou cru voir.
Avec toi, Boris s'étonne de te voir stopper tout à coup. Il penche la tête en gloussant avec curiosité. Tu ne lui prêtes pas beaucoup attention pour le coup, essayant plutôt de retrouver ce que tu as cru voir. En plissant les yeux, tu parcours à nouveau la surface du lac, mais avec minutie cette fois-ci.
Il te faut quelques longues secondes avant de trouver. Sur une poignée de nénuphars en mauvais état, malmenés par l'hiver, tu remarques un Grenousse sautant de feuille en feuille. Ou du moins, qui essaye de son mieux de sauter de feuille en feuille vers la rive. Dans l'état où elles sont, il a bien du mal à rester stable sur une seule d'entre elle.
Cette vision remue quelque chose en toi. Et après une légère hésitation, tu te rapproches du bord du lac en direction de l'amas de nénuphar et du Grenousse. Tu veux faire quelque chose, l'aider d'une façon ou d'une autre. Tu te rapproches autant que possible, avant de t'agenouiller au bord de l'eau. Pas très rassuré pour toi, Boris te retient avec ses bras pour limiter le risque de chute. Il soutient peut-être ton envie d'aider, mais n'est pas pour autant d'accord pour que tu tombes dans le lac au passage. Vos mouvements ont attirés l'attention du Grenousse, qui a cessé de sauter pour vous observer. Il ne semble pas farouche, mais assez peu de pokémons le sont en réalité. Doucement, tu tends tes mains au-dessus de l'eau.
Aller petit. Tu peux rejoindre la rive.
Tu enchaines quelques phrases d'encouragement comme ça, jusqu'à ce que le Grenousse ne reprenne son expédition. Cela prend du temps avant qu'il ne soit presque à portée de tes mains, non sans qu'il ne manque de tomber dans le lac. Tu tends un peu plus tes mains, obligeant Boris a te tenir un peu plus fort.
Encore un petit effort. Saute dans mes mains, je te rattraperais.
Sans grand étonnement, le Grenousse hésite. Mais l'instabilité de la feuille sur laquelle il se trouve, et l'eau froide qu'il y a juste en dessous plus effrayantes à ses yeux que toi. Et en un saut, il s'élance et tu le rattrapes entre tes mains. Tu manques de basculer en avant, surprise par le poids plus important que ce à quoi tu t'attendais, mais Boris te retient. Un mince sourire étire tes lèvres et tu murmures.
Eh bien voilà...
Avec douceur, tu le reposes sur le sol, en sécurité. Cela fait, tu te redresses, et Boris relâche son emprise. Tu peux reprendre ta balade à présent. Du moins c'est ce que tu as en tête. Mais alors que tu as fait quelques pas, un crôassement se fait entendre et tu sens un poids léger, mais un poids tout de même, s'appuyer contre ta jambe. En baissant les yeux, tu tombes sans trop de surprise sur le Grenousse qui, un peu plus inattendu, a passé une de ses pattes autour de ta jambe. Tu te penches vers lui.
Qu'est-ce qu'il y a ? Il y a un problème ?
Tu reçois en réponse des croâssements, mais contrairement aux gloussements de Boris, tu ne sais pas les interpréter. Et cela se transforme un peu en dialogue de sourd. Boris ne t'es pas d'un grand secours dans l'immédiat. Alors tu te redresses et entreprend de reprendre à nouveau ta promenade, mais le Grenousse te suit toujours en croâssant. Tu ne sais pas quoi faire, tu ne comprends pas ce qu'il veut. Est-ce qu'il a faim ? Tu n'as pas prit de nourriture avec toi.
C'est Boris qui vient finalement à ton secours. Gentiment, il vient tapoter la poche dans laquelle tu gardes habituellement sa pokeball en gloussant. Tu le regardes sans trop comprendre, un léger froncement de sourcils sur ton visage.
Tu veux rentrer dans ta pokeball, Boris ?
Tu reçois un gloussement négatif. Sa patte tapote encore sa pokeball avant de pointer le Grenousse sauvage, qui se met à sautiller avec enthousiasme. Tu crois comprendre, et te gêles presque immédiatement.
Il. Il veut que je le capture...?
Ta voix est pleine d'incertitude. Tu as beaucoup de mal à croire que ça puisse être ça, pourtant un autre gloussement de Boris, positif cette fois-ci, vient confirmer ton hypothèse. Tu as du mal à y croire. Quel pokémon voudrait de toi après tout ? Tu n'es pas une bonne dresseuse. La seule raison pour laquelle Boris est aussi parfait qu'il l'est, c'est parce qu'il était à ta mère avant qu'elle ne te le donne. Toi, tout ce que tu fais c'est le loger et le nourrir. Du moins c'est comme ça que tu perçois les choses.
Tu regardes le pokemon grenouille, qui entretemps a rattrapé l'avance que tu avais prise, s'accrocher une nouvelle fois à ta jambe, ses grands yeux adorables rivés sur toi. Est-ce que tu pourrais le faire ? Ton hésitation est grande, mais tu te rappelles en même temps de la résolution qui t'a poussé à venir ici avec des pokeballs. Capturer un pokemon, c'est bien ce que tu voulais faire en venant sur les rives du Lac des Cygnes. Mais vouloir le faire et avoir l'opportunité de le faire sont deux choses différentes. Mais... Tu te mords la lèvre inférieure. Tu veux te reprendre en main. Tu veux vaincre cette peur qui tord tes entrailles.
Avec une profonde inspiration, tu plonges une main tremblante dans ton sac pour en sortir une pokeball vide. En la voyant, le petit Grenousse s'agite avec enthousiasme, ou ce qu'il te semble être de l'enthousiasme.
Je peux le faire...
Boris approuve. Oui, tu peux le faire. Tu vas le faire même, n'est-ce pas. Tu t'accroupies devant le pokemon sauvage qui a relâché ta jambes, et entre hésitation et douceur, tu appuies la pokeball contre sa peau.

Voie des noisetiers

Au moment de la mise en contact entre la pokeball et le Grenousse, une lumière rouge le recouvre, et il disparait à l'intérieur de l'appareil. La pokeball s'agite une première fois, et tu te mords la lèvre en la regardant avec appréhension. Est-ce que ça va marcher ? La pokeball s'agite une seconde fois. Puis s'ouvre et le Grenousse en ressort. Tu ressens un sentiment de déception inattendu fleurir dans ta poitrine. Tu es déçue, et tu ne t'y attendais pas. Ton regard tombe dans celui du petit pokemon, qui semble aussi déçu que toi.
Je. Je suis désolée. On va... réessayé ? Tu veux bien ?
Tu es un peu incertaine de cette décision, et c'est pour cela que ta déclaration sonne en fait comme une question. Mais ce sentiment de déception te dérange. Ce n'est pas agréable. Et l'espoir qui refleurit dans les yeux du Grenousse te pousse en avant, même si tes mains tremblent encore.
Tu ranges la pokeball maintenant inutilisable et en sort une nouvelle. Toujours avec douceur, tu réitères le geste de capture.

Voie des noisetiers

Et le manège recommence. Une lumière rouge, puis un petit clignottement. Un deuxième. Tu te mords l'intérieur de la joue. Tu espères. Tu pries presque. Un troisième. Puis la pokeball s'immobilise et un petit bruit caractéristique parvient à tes oreilles. Tu n'y crois pas. Tu as réussis ? Vraiment ? La capture a fonctionné ? Un gloussement de la part de Boris te sort de ta torpeur et tu tournes la tête dans sa direction.
Ca a marché...?
Le dire à haute voix le rend un peu plus réel, même si ça sonne d'incrédulité. Boris secoue la tête dans une confirmation. Ton regard retombe sur la pokeball dans ta main, et mécaniquement tes doigts se resserrent dessus.
Par Arceus, j'ai réussis.
Tu as encore du mal à y croire mais... C'est bien réel. Une part de toi s'en rend bien compte. L'autre doute encore. Une douleur de fatigue dans tes jambes te pousse à te remettre debout. Il te faut pourtant encore quelques longues secondes avant que tu ne détaches tes yeux de la pokeball, même si tu n'arrive pas encore à la ranger.
Viens Boris. On va... On va au centre pokemon.
Tu dois le faire examiner, savoir s'il est en bonne santé, quel âge il pourrait avoir, si c'est un mâle ou une femelle, et d'autres petites choses. Tripotant sans cesse ta nouvelle pokeball dans tes mains, tu fais demi-tour en compagnie de Boris, parcours à nouveau le même chemin en sens inverse.