C’était une froide journée d’hiver, pourtant, Bunji transpirait à grosses gouttes. Le torse-nu et une pelle dans les mains, il ne ménageait pas ses efforts. Enfonçant son outil dans le beau mélange de terre, de pierres scintillantes et d’argile bleue qui tapissait les profondeurs des Grottes Mystiques. Le niveau de l’eau y variait constamment, ce qui avait le don de former des couches successives de sédiments.

Ces sédiments étaient la matière première que privilégiait le jeune céramiste. Une fois extraite du sol, il prenait soin de malaxer la glaise sous la forme de petits orbes aux reflets opalescents, qu’il entendait filtrer plus tard (pour en détacher l’argile). Chose faite, il se remettait à creuser comme un bienheureux.

Grottes Mystiques:

La caverne était vaste. A demi-immergée et attenante à plusieurs galeries piquetées de pierres et de coquillages chatoyants. Certaines de ces galeries étaient inondées, et Bunji n’aurait pas su prédire la manière dont la marée engloutissait des sections entières du tunnel, puis en libérait d’autres, au gré des humeurs mystérieuses de l’océan. Traversant plusieurs trous naturels, à même le plafond, la lumière filtrait à l’intérieur de la grotte, et se réverbérait sur les cristaux en nuances opalines de bleu, de blanc et de vert. C’était un cadre idyllique. Paisible, où l’on pouvait travailler bercé par le doux bruit des vagues… (quand on y trouvait pas un idiot en train d’y jouer de la pelle toute l’après-midi, en tout cas).

Sans se méfier, Bunji laissa ses trouvailles étalées sur un bout d’étoffe. Une jolie petite sélection d’œufs de glaise aux couleurs miroitantes.
C’est que le jeune homme était très occupé à reboucher son trou, voyez-vous ? Même s’il n’y avait pas grand monde qui risquait de s’aventurer dans les parages, Bunji était devenu sensible à ce genre de comportements. Avec quatre années d’expérience, et après avoir commis un nombre de bourdes incalculables : il se considérait désormais comme un voyageur responsable.

C’est pourquoi il ne remarqua pas tout de suite… les yeux brillants de convoitises, qui s’allumaient tout autour de lui.
Les boules d’argile mixées, éclairées à la lueur des cristaux de la Grotte Mystique, étaient en tous points semblables à des pierres précieuses.

Il n’en fallait pas plus pour exciter la convoitise des dragons.


Un petit cri perçant. Puis un autre. Et voilà qu’un Sonistrelle hardi plantait ses griffes dans un œuf d’argile, afin de l’emporter en battant follement des ailes. Le bougre n’était pas seul, et c'est tout une volée de pokédragons qui quitta également son perchoir, émergeant dans chaque recoin d'ombre de la caverne.
— Hé ! ronchonna Bunji en courant à la suite des petits chapardeurs. Collectez votre propre argile, canailles !

Afin d’atteindre les pokédragons qui reprenaient de l’altitude, le jeune homme eut un réflexe malheureux. Il fit tournoyer sa pelle, et réceptionna du plat de la lame une pauvre petite pokéwyverne.
— Oups… ?

Terrible erreur.
Le pokémon blessé lâcha l’œuf d’argile, certes. Mais il poussa également un cri strident. Qui résonna de façon distordue dans les corridors de pierre. Les autres Sonistrelles de la nuée tournèrent vers Bunji un regard mauvais.
Et en provenance des galeries attenantes… plusieurs rugissements féroces se répercutèrent.

Ramassant lentement son argile… le jeune homme releva un regard inquiet vers la nuée de Sonistrelles.
Ils avaient vraiment pas l’air jouasses.
Chaque pokédragon laissa tomber son butin au sol, pour se libérer les griffes.
Puis tous ensemble, ils passèrent à l’attaque.

Sous les pieds de Bunji, les Lames d’Air cisaillèrent la roche. Par pur réflexe, celui-ci s’élança d’un d’un bout de rocaille à l’autre, se dissimulant derrière les larges brassées de cristaux qui affleuraient aux parois de la caverne. Essaim colérique et tourbillonnant, les échos des cris de la Horde de Sonistrelles lui flanquèrent un mal de crâne terrible. Leurs Grincements lui vrillaient les tympans, et plus d’une fois, il sentit la morsure cruelle d’une Lame d’Air tracer un sillon rouge sur sa peau.

Avec l’agilité et la rapidité du voyageur qui prend (trop) fréquemment ses jambes à son cou, Bunji fit un dérapage sur la terre bleuâtre, et récupéra son large sac-à-dos et la veste qu’il avait enlevée pour travailler. Chargé comme un Tiboudet (une pelle sur l’épaule, un bloc d’argile sous le bras, un sac sur le dos, une veste au poing…), le voyageur avisa une des galeries et se prépara à déguerpir. Levant sa veste au-dessus de sa tête pour se protéger (des Lames d’Air, qui la taillèrent en pièces en un temps record), il emprunta le premier tunnel venu à toute vitesse.

Et c’est également à toute vitesse qu’il fit aussitôt demi-tour.
— Nom d'un Ponchien...!


Les cris d’alerte des Sonistrelles avaient prévenu une Horde de Drakkarmins, installée plus loin dans le tunnel. Ceux-ci rappliquaient désormais en rugissant de rage. S’élançant lourdement en direction de Bunji.

…quand il était entré dans les Grottes Mystiques, il y a trois jours… celui-ci n’avait croisé que des Corayons gentils et des Hypotrempes tout-mimi.
Y’avait pas des dragons à chaque coin d’rue.

Se retrouvant bientôt acculé par les Sonistrelles, puis par les Drakkarmins, le jeune homme se tint sur un petit promontoire rocheux. Dos à un grand lac souterrain. Les rugissements continuaient de résonner, en provenance de toutes les galeries.
Il ne faisait pas bon rester ici.

Voyant flamber dans les gueules de ses adversaires, la lueur des Draco-Rages, Bunji se prépara.
Et avant d’être fauché par la déferlante de Capacités des Dragons, il se jeta à l’eau d’une pirouette.
Avec sa pelle. Avec son argile. Avec son sac-à-dos.
Mais sans sa veste lapidée, qui reçut de plein fouet la volée d’Attaques.


L’eau était chaude. Enfin… tiède. Enfin, pas vraiment froide ! Bunji ignorait bien des choses sur le fonctionnement des marées ou des courants sous-marins, mais en tout cas, le lac souterrain n’avait pas la température glacée d’un lac en hiver. De cela, il était bien certain. (Il avait même plongé pour vérifier.)
Son matériel dans les bras, l’empêchant de nager proprement (vous avez déjà essayé, avec une pelle ?), il battit maladroitement des pieds. Sa respiration bloquée et les yeux grands ouverts sur les profondeurs marines.
L’intérieur du lac était bien éclairé.

Des coraux chatoyaient silencieusement dans les profondeurs. Et les mêmes genres de cristaux qu’à la surface reflétaient une lumière à base de saphir et d’émeraude. Quelques pokémons dragons que Bunji ne reconnut pas se terraient dans les profondeurs.
Non… ils s’accrochaient aux pierres scintillantes. Comme pour les décrocher.
C’était un comportement qu’il avait déjà observé plus tôt.

Dérivant maladroitement dans le bassin, le jeune homme avisa un tunnel sous-marin, bien plus lumineux que les autres, et retenant un soupir de soulagement, il s’y dirigea rapidement.
Avant que les dragons aquatiques ne s’intéressent également à son cas.


Bunji émergea dans une grande caverne au relief prononcé. Ne manquant pas de coins d’ombres où se cacher. Et c’était heureux… car les dragons y foisonnaient. Dans un concert de grognements, Drakkarmins et Ecaïds transportaient des pierres précieuses dans les galeries.
Mais où allaient-ils ainsi ?
Et dans quel but ?

Maculant de son sang la serviette avec laquelle il s’essuyait, le jeune homme se confectionna un bandage humide. Pas terrible, mais mieux que rien. Tout en se rafistolant, il espionna les pokédragons avec un intérêt croissant, et l'ébauche d'un sourire canaille trouva bientôt le chemin de ses lèvres.


Avec l’aisance d’un jeune homme habitué à voyager par monts et par vaux, le céramiste escalada la paroi. Sans peine, avec une agilité qui n’aurait pas détonnée chez un Miaouss. Cette fois-ci, il prit garde à ne pas déranger de Sonistrelles, et se fraya un chemin dans les hauteurs de la caverne. Gravissant les parois, se camouflant dans le relief, et surtout… suivant à la trace les pokédragons aux bras chargés de trésors.  

Environnement :

Après avoir pris le temps de les observer au calme, Bunji commençait à se faire une idée de la situation.
Les dragons travaillaient ensemble. En dépit de leurs différences de tempéraments : qu'il s’agisse des Drakkarmins et des Ecaïds qui amassaient des cristaux dans les corridors ; des Sonistrelles qui exploraient les grottes à la recherche de nouveaux trésors à collectionner ; ou des Venalgues qui crevaient parfois la surface des lacs souterrains pour rapporter leur butin sur la berge.
Aucun d’eux ne coopérait sous la contrainte. On aurait plutôt dit une grande famille. Unie dans un seul et même objectif.
Mais qu’est-ce qui pouvait bien fédérer une horde pareille, et l’amener à s’entraider ainsi ?

La curiosité de Bunji était piquée. Pareil à un Malamandre, il se faufilait sur les parois de la grotte. Profitant du relief, de l’obscurité et des obstacles naturels pour se déplacer en toute discrétion.
Et pour espionner les allées et venues des dragons.  

— ATCHOUM!

L’écho d’un éternuement attira son attention.
— A tes souhaits.

Et pas seulement la sienne. Dans les galeries, une partie de la horde releva le museau d’un air alerte. Cherchant la source du bruit.
Au même moment, un projectile adroitement lancé heurta la paroi, et commença à ricocher entre les brassées de cristaux dans un boucan du tonnerre.  
Alertés par deux bruits différents, les Ecaïds et les Drakkarmins se séparèrent, et partirent chacun d’un côté à la recherche d’intrus potentiels.

Assis sur son perchoir, sur une petite corniche affleurant à près de huit de mètres de hauteur, Bunji profitait d’être lui-même hors de danger pour étudier le terrain.
Une exploratrice en tenue de plongée émergeait du lac dont il était lui-même sorti. Et avait lâché un bel éternuement. A ses souhaits. Une horde de Drakkarmins furax se précipitait dans sa direction. Malgré les embranchements labyrinthiques des souterrains, les dragons seraient sur elle dans moins d’une minute.
C’était pas de bol. Mais de l’avis du voyageur, la fille n’était pas vraiment en danger. Après tout, elle pouvait simplement replonger avec son Millobellus.
Les Drakkarmins ne la poursuivraient pas dans l’eau.

C’est pourquoi il observait la scène. L’air inattentif, les jambes se balançant au-dessus du vide.
Bunji n’avait pas la plus petite intention de lui donner un coup de main, pas quand la plongeuse avait déjà un moyen tout trouvé de s’en sortir.
Quatre années de voyage à la dure lui avaient enseigné à ne pas se mêler des affaires des autres, et à toujours se montrer partisan du moindre effort. Quand on pouvait, mieux valait régler ses problèmes aussi simplement que possible… afin d’économiser ses forces. De se tenir prêt pour quand des ennuis plus sérieux vous tomberaient sur le râble.
En l’état, descendre aider la jeune femme : ç’aurait été se fatiguer, et se faire repérer pour rien. Placé stratégiquement dans les hauteurs de la grotte, Bunji pouvait se faufiler en toute discrétion… et découvrir rapidement ce que les dragons mijotaient.
Bref, renoncer à cet avantage, ça n’aurait pas du tout été dans son intérêt.
Sauf que…  le jeune homme plissa les yeux. A cette distance, il ne pouvait pas en être sûr, mais …cette fille, est-ce qu’il ne l’avait pas déjà vue quelque part ? Chevelure colorée. Pokémons Eau. Amatrice de plongée. Son cerveau brossa automatiquement le reste du portrait. Teint basané. Visage d’un naturel souriant. Tendance à chercher les ennuis.

Bunji se pétrifia.
Il avait enfin reconnu Aqua.

Et tout de suite, tout devint très différent.
Déjà, il s’accrochait à la corniche des deux mains, pour se laisser tomber.
Ses doigts trouvèrent des prises impossibles sur les parois sculptées par la marée. Ses bottes le lancèrent d’une fleur de cristal à l’autre. Au-revoir, les considérations d’ordre stratégique. Bunji dévalait la pente. Sans plus se soucier de ce qu’il avait à perdre ou à gagner. Sans se soucier des chocs et des coups que lui rendaient la roche à laquelle il s’accrochait à bras-le-corps.
Sans plus réfléchir à quoi que ce soit.
Qu’elle puisse se sauver toute seule ou non, ce n’était plus la question.
La raison pour laquelle il explorait les Grottes Mystiques n’avait plus d’importance non plus.
Là, en bas, c’était Aqua. Il connaissait son nom. Elle l’avait aidé à retrouver un souvenir d’enfance irremplaçable. Ils avaient partagé une thermos de chocolat chaud.
Et il ne resterait pas sans rien faire pendant qu’elle se faisait attaquer.

Dans sa dégringolade pour intercepter les Drakkarmins avant qu’ils ne rejoignent le lac, Bunji posa le pied sur un amas de cristaux instables. Les larges morceaux de quartz branlèrent sous son poids, en libérant une petite salve de poussière. Le voyageur n’hésita pas. Les yeux rivés sur les dragons, Il frappa. Un premier coup pour tester la résistance du bloc, et puis un deuxième, de toutes ses forces.
Du talon de sa botte, il fracassa les cristaux.
Dans un bruit évoquant une cascade de verre brisé, le gisement massif se décrocha. Et une partie de la paroi s’effondra avec lui.  

La horde de Drakkarmins se ruait vers le lac. Et vers Aqua.
Elle comportait une dizaine de dragons enragés, dont les grondements haineux se répercutaient dans les galeries.
A l’approche de la berge, le chemin s’espaçait. Les parois montaient plus haut, en direction de la voûte immense.
Deux Drakkarmins se détachaient un peu du reste du groupe. Ils seraient les premiers à se jeter sur la jeune femme et à laisser libre-court à leur colère.
Ils furent les seuls à s’en sortir indemnes.

Quand tout bascula.

Dans une détonation de verre pilé, des morceaux de cristal énormes descendirent la paroi. Mi-roulant, mi-rebondissant dans une avalanche de quartz bleuté, ils fauchèrent sans merci la horde de dragons avant de rouler jusqu’au lac même, soulevant de grandes gerbes d’eau.

La colère des Drakkarmins s’estompa, temporairement. Avec de grands yeux hagards, les deux pokémons qui menaient la charge se retournèrent pour contempler le nuage de poussière bleue qui s’était levé derrière-eux.
En tombant, les cristaux énormes avaient écrasés leurs camarades, qui soit restaient couchés par terre, sonnés, soit avaient été emportés dans le lac.

Leur fureur s’intensifia. Les deux Drakkarmins se retournèrent vers Aqua, cherchant une proie sur laquelle libérer toute leur Colère.
…quand celle-ci leur tomba tout cuit dans le bec.


Bunji terminait de dégringoler la paroi. Avec un roulé-boulé maladroit, et en poussant un petit grognement de douleur, le jeune homme vint s’aplatir pile devant les deux Drakkarmins.
La pelle – qu’il avait maladroitement attachée à son paquetage – se libéra et glissa mollement sur le sol, à ses côtés.

— Ouch… marmonna le voyageur.
Il récupéra l’outil, et s’appuya dessus pour se relever en chancelant.

Les deux dragons n’attendirent pas qu’il ait fini pour lui sauter dessus.
N’ayant pas tout à fait les idées claires, le voyageur réagit par pur réflexes.
Après tout, il venait de passer trois jours complets à creuser des trous pour récolter de l’argile.
Ses bras connaissaient par cœur le mouvement.

Le premier Drakkarmin baissa la tête, et le chargea avec Colère.
Bunji prépara sa pelle. Tandis que le pokémon se jetait sur lui à grandes enjambées, le voyageur pivota pour le laisser passer, puis inséra le bec de sa pelle pile entre ses jambes. Et comme pour creuser un trou, il ramena l’outil d’un seul geste. Puissant. Efficace. Maîtrisé. Lui fauchant l’arrière des pattes en pleine course.
Personne dans tout Lumiris ne maniait mieux la pelle que Bunji d’Izabe.
Le Drakkarmin s’écrasa au sol dans un grognement d’incompréhension.

Mais le second attaquait déjà.
Bunji se jeta en arrière pour esquiver une Dracogriffe, qui manqua de peu de lui ouvrir l’estomac, et répéta machinalement le mouvement. Cette fois-ci, la pelle s’enfonça superficiellement dans le sol, puis plus profondément quand il y appuya son pied, de toutes ses forces.
Quand le Drakkarmin voulut attaquer de nouveau, il se reçut en pleine gueule une bonne pelletée de terre.
Aveuglé et fou de rage, le dragon se déchaîna en cherchant une cible.
Un coup hasardeux envoya Bunji rouler sur le sol. Indemne, mais la pelle avec laquelle il avait encaissé le choc se brisa net.

Frottant son visage couvert de poussière bleue, le voyageur balaya rapidement les environs du regard.
Les deux Drakkarmins face à lui se relèveraient très bientôt pour reprendre le combat. Derrière-eux, d’autres membres de la horde n’avaient pas été touchés par l’avalanche de cristaux. Mais celle-ci avait agité les pokémons du lac, et de nombreux Venalgues, et même un Kravarech, apparaissaient à la surface pour chercher la source du tumulte.

Il n’y avait pas de temps à perdre.
Bunji se précipita vers la jeune femme. La dépassa sans même lui adresser un regard. Puis se retourna vers elle, en s’adossant contre la paroi la plus proche.
— ‘fait pas bon rester dans le coin. Rappelle ton pokémon, et grimpe.
Il mit ses mains en coupe, l'air de suggérer qu’Aqua s’en serve en guise de marchepied. Ce serait suffisant pour lui donner une petite avance sur leurs poursuivants, et l’aider à atteindre les premières prises.
Bunji se rappelait d’elle comme d'une jeune femme athlétique. Sûrement qu’un peu d’escalade ne lui ferait pas peur.
…ou en tout cas, lui ferait moins peur que la horde de dragons qui dardait des yeux brûlants de colère dans leur direction.

Environnement :

Bunji émergea des gravats d’un seul coup. Cailloux et poussières de quartz cascadèrent sur son corps tandis qu’il se frayait un passage entre les derniers débris. Chose faite, il tourna un regard inquisiteur vers les différents dresseurs et pokémons qui partageaient ce bout de falaise en sa compagnie.
Un Vigoroth. Un Rouquin. Un Sabelette d’Alola. Et Aqua.
Les Drakkarmins en contrebas… avaient bouffé le reste de l’avalanche.
Le Bruyverne dans les airs… s’était éclipsé.

Bien. Il se faisait une idée de la situation.
Ils avaient gagné un peu de répit. Même s’il valait mieux ne pas s’éterniser ici.
Le voyageur s’ébroua comme un animal, puis releva les yeux vers le petit groupe inopinément réuni par l’invasion de dragons.
— Salut les touristes, lança-t-il avec un sourire canaille. Le pique-nique a mal tourné, pas vrai ?

Réajustant son large sac-de-voyage sur ses épaules, il dépassa Maxim et Vigoroth pour se diriger directement vers Aqua. Et sans aucune hésitation, dans un geste tout à fait naturel…
— Si tu permets…
…il attrapa la jeune femme pour la jeter en travers de son épaule.
Bien entendu, le « si tu permets… », c’était uniquement pour y mettre les formes. En vérité, elle se serait débattue de toutes ses forces que ça n’aurait rien changé à la situation.
Il n’allait pas la laisser marcher avec une cheville dans un état pareil.

L’espace d’une seconde, le regard de Bunji s’illumina en réalisant qu’il avait déjà rencontré le Sabelette d’Alola, quand il n’était encore qu’un œuf. Il ramassa également le petit pokémon glissant et se le cala au creux du bras gauche, comme un ballon de rugby, avant de se retourner vers Maxim.
— Tu peux marcher, rouquin ? Suivez-moi, je vais vous retaper, mais pas ici.
Avec son sac énorme, son Aqua sur l’épaule droite, et son Sabelette dans la main gauche : le voyageur était chargé comme un Bourrinos. Pour autant, il semblait encore avoir une sacrée dose d’énergie à revendre.

Sur ces entrefaites, Bunji s’élança en direction des reliefs, bondissant d’un affleurement rocheux à l’autre pour reprendre de l’altitude. Plus tôt, en explorant les hauteurs de la grotte, il avait déniché plusieurs tunnels – à peine des cavités qu’il n’aurait pu franchir qu’en rampant – menant à d’autres sections du souterrain.
Lesquelles n’avaient pas encore été envahies par les dragons.
Là-bas, ils seraient en sécurité. Au moins le temps de se refaire une santé, et de mettre à plat la situation.

Après une à deux minutes de marche le long de corniches étroites, où Bunji donna l’impression de ne pas trop s’inquiéter de savoir si Maxim était capable de le suivre ou non (vu qu’il avait un Vigoroth pour l’aider), le voyageur repéra l’entrée de la cavité. Il déposa Aqua et lui fit signe de ramper pour s’y engouffrer, avant de lui envoyer son Sabelette d’Alola, qui fusa à la manière d’un palet de hockey sur glace.


De l’autre côté, le petit tunnel débouchait sur une caverne étroite et circulaire, attenante à une voie d’eau sous-marine. Sa source de lumière principale provenait de l’éclat bleuté du bassin, dans lequel luisait des brassées de cristaux. Ils seraient en sécurité ici, au moins le temps de faire une pause.
Le passage était d’ailleurs bien trop étroit pour qu’un Drakkarmin s’y faufile. Etant plutôt large d’épaules, Bunji lui-même risquait d’avoir un peu de mal à passer.
Agenouillé face à l’entrée, il attendit que Maxim rentre Vigoroth dans sa pokéball et franchisse également le tunnel, avant de s’y engouffrer à son tour.

La mort dans l’âme, le voyageur dût abandonner la moitié du contenu de son paquetage devant l’entrée. Sans quoi, il serait resté coincé.
Se tortillant à l’intérieur avec les ondulations gracieuses du Chenipote, Bunji rejoignit ses deux camarades d’infortune dans la petite grotte.

Chose faite, il extirpa de son sac son petit réchaud à gaz. Des serviettes. Des couvertures. Casserole, thermos et bassine. Bandages et trousse de soin. Et en un temps record, une petite casserole d’eau fumante chauffait au milieu de la grotte. Le voyageur offrit une serviette bouillante à ses deux camarades, qu’ils se débarbouillent un petit peu, puis vint s’asseoir devant Aqua.
— La cheville. Le front, lança-t-il avec un regard peiné. T’as mal à d’autres endroits que j’peux pas voir ?  
Il désinfecta les blessures de la jeune femme avec la précision et la maîtrise qui découlent d’une longue expérience. Après quoi, il lui banda le front et confectionna patiemment une attelle pour son entorse. C’était triste à dire, mais c’était de loin le type de traitement que Bunji connaissait le mieux.
Le voyageur n’en était pas à sa première cheville tordue, foulée ou cassée net.

Tout en la soignant… Bunji se sentit floué quelque part.
Il avait renoncé à son vœu de la nouvelle année en faveur d’Aqua.
Sans même demander grand-chose. La jeune femme avait alors trois œufs à charge, il avait donc simplement fait le vœu qu’elle aille bien, et que ses pokémons naissent en bonne santé.
…et voilà qu’il la retrouvait. Poursuivie par une Horde de Drakkarmins. Ensevelie sous une avalanche de cailloux. Suffisamment blessée pour que même marcher seule lui soit douloureux.
C’était un peu comme si Jirachi lui avait répondu : débrouille-toi tout seul !
Le voyageur releva un regard vers sa camarade, et laissa lui échapper un soupir discret.

S’étant occupé de la jeune femme, il se tourna vers Maxim.
— Tu serreras la pince à Vigoroth de ma part. Je crois qu’on vous doit des remerciements à tous les deux. Ç’aurait été coton de se dégager des gravats tout seul.
L’espace d’un instant, Bunji s'interrogea. Est-ce qu’il ne l’avait pas déjà vu ? Il avait la très vague impression de l’avoir déjà croisé quelque part.
Bah, s'il avait oublié, c'est que ce n'était pas très important : il se concentra plutôt sur l'état du jeune homme.
— …j’vois qu’ils t’ont détricoté ton pullover, mais sinon, t’es blessé là-dessous, rouquin ?

Il lui proposa de lui prêter le nécessaire, ou bien de lui faire les premiers soins. Au choix.
Ses blessures n’étant manifestement pas aussi graves que celles d’Aqua, Maxim avait encore voix au chapitre. Ce qui n’était pas le cas de la jeune femme, dont Bunji aurait ignoré toute récrimination.  

Terminant la séance médicale en s’occupant de resserrer ses propres bandages, et de se nettoyer un brin, le voyageur remplaça le contenu de la casserole par…
…du chocolat chaud d’Izabe.
…accompagné de poffins.

Qu’il servit à Aqua, à Maxim, ainsi qu’à leurs pokémons.
Ouais, c’était déjà la deuxième fois qu’il faisait le coup à Aqua.
C’était donc pas très original.
…mais ils étaient vachement bons, son chocolat chaud d’Izabe et ses poffins faits maison !
On ne changeait pas une équipe qui gagne.

Ayant fini le service, il s’assit sur une pierre, face au réchaud, avec son gobelet de chocolat à la main.
Le moment était finalement venu d’interroger les convalescents sur les raisons de leur présence ici.
— Alors… qu’est-ce que vous fichez dans le coin ? demanda le voyageur en désignant l’un et l’autre dresseur de l’extrémité de son poffin. C’est pas franchement le meilleur moment pour se faire une petite promenade scénique. Z’êtes paumés ? Est-ce que j’dois vous aider à sortir ?

En dépit de la situation, Bunji avait le sourire. Une attitude posée, et même une voix profonde et rassurante. Ils étaient au calme, ne risquaient pas de se faire attaquer pour le moment, et avaient même un peu de temps pour mettre les choses à plat.
Dans cette petite caverne rocheuse, percluse de cristaux de quartz bleutés, sa tasse de chocolat à la main, Bunji avait curieusement l’air dans son élément.
C’est sûr qu’avec sa dégaine de baroudeur, son paquetage bien préparé, et les habitudes de survie qu’il avait récoltées après quatre années complètes de voyage : le jeune homme paraissait taillé pour ce genre de mésaventures.

Environnement :

— Te fais pas d’bile, rouquin. Quand les ennuis te tombent sur le râble, y’a que deux réactions possibles. Agir pour le mieux, ou regretter de ne pas avoir agi.

C’était tout ce qu’il avait à répondre aux excuses de Maxim.
Le jeune homme au chandail ne devait pas se tourmenter pour si peu, sans quoi, il ne trouverait plus le courage de rien faire. Paralysé par la peur de provoquer un nouveau désastre.  
Comme Aqua le lui expliquait elle-même : « personne n’aurait pu deviner ».
Et vu que c'était elle qui finissait avec une cheville en vrac, la jeune femme était la mieux placée pour donner son opinion.

— Bunji, compléta-t-il quand ses deux compagnons d’infortune se présentèrent.
En vérité, Aqua avait déjà mentionné son nom un peu plus tôt. Mais vu qu’il se trouvait alors enseveli sous un gros tas de cailloux, il n’y avait pas fait attention.

Tranquillement vautré sur un bloc de cristal, le voyageur écouta en silence les motivations d’Aqua et de Maxim. Sa posture décontractée, ainsi que le chocolat et la pâtisserie qu’il tenait dans les mains lui donnaient un air faussement inattentif. Mais Bunji n’en perdit pas une miette.
Il désigna tout d’abord la dresseuse de la pointe autoritaire de son poffin sucré.
— Hors de question, répondit-il quand la jeune femme déclara qu’elle pouvait se débrouiller seule pour trouver la sortie. Crois-moi, si je dois te plier en deux et t’mettre dans mon sac-à-dos pour t’empêcher de partir toute seule, je le ferai.
La manière dont il formulait ça était plutôt amusante.
Mais ses yeux ne plaisantaient pas.

Il dirigea ensuite le poffin vers Maxim. Et un demi-sourire éclaira son visage.
— La solution raisonnable serait sûrement de te tirer d’ici, et de laisser les Rangers récupérer ton pokémon pour toi quand ils auront enfin le temps de nettoyer cet endroit.
Le demi-sourire se développa en un sourire complet. Un peu sauvage, qui découvrait ses canines.  
Mais t’en as rien à fiche, pas vrai ?
C’est ton pokémon. Ta responsabilité. Tu laisseras personne aller l'chercher à ta place.
Tandis qu’il parlait, la voix du voyageur s’était ourlée d’une nuance appréciative.
Bunji aimait bien les gens qui avaient du cran.

Le jeune homme se jeta finalement le poffin dans la bouche, qu’il avala d’un coup sec.
Il corrigea sa posture négligente pour une assise en Papillusion, et il joignit posément les mains autour de sa tasse de chocolat chaud. Tout à coup, il y avait quelque chose dans son maintien qui rappelait les vestiges de sa jeunesse au temple.
Le badge artisanal en forme de Roue, piqué sur la bretelle de son sac-à-dos, scintilla doucement à la lueur fantomatique des cristaux.
Leur livrant finalement le fond de sa pensée, la façon de parler du voyageur se fit un peu moins rugueuse.
— Okay. Voilà ce que je sais : l’invasion des dragons est récente.
Elle date d’entre trois et sept jours. Ils sont venus à la fois par la mer (Venalgue, Kravarech) et par la terre (Drakkarmin, Ecaïd, Sonistrelle et Bruyverne).
Les raisons de leur présence ne sont pas encore tout à fait claires, mais il y a quelque chose ici qu’ils convoitent. Quelque chose qu’ils désirent suffisamment pour coopérer.
Le jeune homme marqua une pause dramatique, et leva un index comme pour capter l’intention de ses interlocuteurs.
— Comme dans les vieilles histoires de dragon.
Ils amassent des trésors. Cristaux, coraux, perles… et même pokéballs, semble-t-il.
Et ce butin, ils agissent de concert pour le transporter vers les profondeurs.
De cet index brandi fièrement, il désigna ensuite le sol, sous leurs pieds.
— Si ton pokémon se dirige quelque part.
C’est par-là.

Le voyageur se leva pour marcher jusqu’au petit bassin. La logique voudrait que les Grottes Mystiques soient percluses de ces tunnels inondés, menant aussi bien à la mer qu’ailleurs. Sans quoi, Aqua n’aurait pas pu rejoindre la caverne en passant par la baie. Sans quoi, les Venalgues auraient bien de la peine à participer à la collecte de trésors. Bunji se pencha au-dessus de la surface bleutée. Ses profondeurs luminescentes lui apparaissaient comme un long œsophage de pierre.
— Dis, tu sais où ce bassin mène ? Ou s'il y a un moyen de sortir rapidement ?
— Nan, j’sais pas où ça mène. Et en temps normal, il ne me viendrait pas à l’idée de plonger pour le découvrir. Sans le matériel adéquat, ce serait prendre le risque de se trouver soudain piégé dans une impasse sous-marine, ou dans un tunnel trop vaste pour être traversé à la nage.
Il se tourna vers Aqua.
— Mais aujourd’hui, on a une dresseuse de pokémons Eau avec nous. Si tes petits gars peuvent aller voir à quoi ça ressemble là-dessous et revenir nous dire si le passage est exploitable, alors on pourra peut-être faire d’une pierre deux coups : dénicher un accès vers les profondeurs, et vers la sortie.
Il opina du chef, avant d'ajouter pensivement, sans s'adresser à personne en particulier.
— C’est sûrement moins risqué que de braver les Hordes qui infestent les galeries.

Bwah, il avait beaucoup trop parlé.
Et ces palabres interminables... on aurait dit un vieux théoricien du temple. Incapable de s'arrêter.
Se renfrognant un peu, il avala d’une traite le contenu de sa tasse. Et revint s’en servir une autre.

Peu importait le moment où ils se tourneraient vers lui, Bunji serait toujours en train de sourire.
De cette manière carrément bravache et décomplexée qui était la sienne. Qui semblait se moquer des difficultés à venir.
La sortie n’était pas en vue. Et alors ?
Les ennemis étaient innombrables dans les tunnels. C’est tout ?
Il en faudrait bien davantage pour m’abattre.
Voilà ce que disait son sourire.

— Beaucoup, hein… dit-il distraitement. Pourquoi sont-ils nombreux ?
Le jeune homme vint s’accroupir près du bassin pour gratouiller la tête du petit Smoothie.

La tension et la peur étaient de bien mauvaises conseillères.
En pleine nature, il fallait conserver l’esprit détendu. Il fallait de la souplesse.
C’était ainsi seulement qu’on pouvait rester créatif. Qu’on pouvait exploiter les opportunités.
Qu’on pouvait triompher.

— Première possibilité : le bassin mène à une galerie sous-marine qui grouille de trésors, et les Venalgues ont besoin d’être plus nombreux pour l’exploiter.
En donnant de petites miettes de poffin à l’Hypotrempe, il tourna un regard vers Aqua.
Il y avait un petit quelque chose de familier, à voir le pokémon se nourrir dans sa main. C'était comme s'ils étaient de retour au Lac des Cygnes.
Comme si pour le jeune homme, les événements d'aujourd'hui n'étaient pas plus graves que ceux d'alors.
En vérité, le voyageur avait même paru plus agité à l'idée de perdre le badge artisanal qu'il accrochait à la bretelle de son sac-à-dos, qu'à celle de prendre d'assaut un souterrain bourré de dragons.

— Deuxième possibilité : ils sont nombreux car leur repaire se trouve juste à côté… et qu’ils redoutent une intrusion sous-marine.
Il se tourna ensuite vers Maxim. Un peu plus tôt, le rouquin avait émis l’idée de suivre les dragons jusqu'à la zone qui leur servait de salle aux trésors.
— Dans un cas comme dans l’autre, on va faire exactement ce que tu suggères. On va les suivre. En fait, on va carrément les forcer à nous montrer le chemin.

Le voyageur désigna les parois de la petite grotte où il se réfugiaient. Couverte de larges brassées de cristaux lumineux.
— Il y a bien assez de trésors ici pour exciter leur convoitise. Et à tous les coups, si on casse et qu’on balance tout ça dans le bassin : les Venalgues vont rappliquer en masse.
Le son voyageait plus loin dans l’eau, après tout.
Impossible qu’un pokédragon curieux ne vienne pas voir ce qui provoquait un tel raffut. Et si en arrivant dans le bassin, il découvrait qu’on le submergeait de cristaux, il alerterait ses camarades pour commencer à les acheminer vers leur salle du trésor.

— Il ne restera plus qu’à les suivre. Ce qu’on pourra sûrement faire, si Aqua veut bien que son Milobellus nous y aide.
Bunji avait effectivement vu le pokémon avec lequel la jeune femme avait débarquée dans les grottes.
C’était un pokémon de près de six mètres de long, ainsi qu’un nageur agile et puissant. Tracter le poids d’un humain vers les profondeurs ne représentait qu’un petit effort pour lui.
Et détail digne d'intérêt : Milobellus appartenait au même groupe d’espèces que les Venalgues, ou les Hypotrempes.
Tous étaient de nature Draconique / Aquatique. Une coïncidence opportune, qu’il ne faudrait pas manquer d’exploiter.
A condition qu’Aqua ne rechigne pas trop à laisser son pokémon s’aventurer dans ces eaux grouillantes de Venalgues.
La force d’un pokémon ne dépendait pas nécessairement de sa taille.
Le Milobellus manquait peut-être encore cruellement d’expérience.

— Restent deux problèmes.
Comment s’assurer qu’ils ne nous attaquent pas ?
Comment retenir son souffle sur tout le trajet sous-marin ?
Cette deuxième question, en vérité... était un peu épineuse.
Bunji ne voyait pas encore comment contourner cet obstacle, pas sans une certaine dose de prise de risque.

— Pour le premier problème… j’ai déjà une idée, lança le voyageur avec un sourire mauvais.
Si le Milobellus que j’ai vu tout à l’heure peut nous donner un coup de main (auquel cas, je lui donnerai une Baie Pêcha à tenir, juste au cas où), alors… occupés à récolter les cristaux, les Venalgues ne prêteront pas attention si un autre pokémon, semblable à un dragon, se joint à eux pour ramener des trésors.

Le céramiste extirpa de son paquetage une série de pains d’argile bleue. Sa teinte profonde et mystérieuse paraissait chatoyer à la lueur des cristaux.
Il s’empara également d’une petite bassine, qu’il remplit d’eau, où il dilua la glaise à gestes patients.
Ses doigts tracèrent des arabesques à la surface de l’eau. L’argile se détendit. Le liquide commença à épaissir.

— La première chose que les dragons ont voulu faire en croisant mon chemin, ça a été de me piquer mon argile.
Bunji parlait de « ramener des trésors », alors qu’ils réfléchissaient tous à comment échapper à la vigilance des dragons.
A comment ils pouvaient se frayer un passage jusqu’à leur repaire.
Par trésors, il ne voulait pas dire…

Les mains dégoulinantes de glaise épaisse, le voyageur releva un sourire carnassier vers Aqua et Maxim.
— Alors, mes trésors. Qui je barbouille le premier ?

Esquisse du plan, récapitulatif:

— L’argile ne risque pas de se faire emporter par les courants? Même si ça nous recouvre, l’argile risque de se détacher et nous serons à découvert.
Une observation qui n’était pas dénuée de pertinence.
Mais en matière de nippes dégueulasses, Bunji d’Izabe était vraiment un expert.
— Sur ta peau, oui, concéda le voyageur d'un air matois. Mais si c’était si facile de s’nettoyer les fringues, les p’tites mamans du monde entier ne râleraient autant devant leur panier de linge sale, rouquin.

Le voyageur badigeonna d’argile aqueuse une grande serviette de bain, jusqu’à ce qu’elle soit de cette même teinte de bleu, pleine de mystère, qui tapissait les parois de la grotte. Après quoi, il se déplaça jusqu’au bassin, et trempa vigoureusement sa serviette dans l’eau.

— Tant que personne ne s’amuse à balancer un paquet de lessive Galegon dans la flotte, on devrait s’en sortir.
Comme pour confirmer ses dires, il ressortit la serviette de l’eau. Toujours bleue.
La preuve en était faite.
Des trois jeunes gens égarés dans l’Antre du Dragon, Bunji d’Izabe était celui qui s’y connaissait le mieux sur la question de la lessive.
Pas de quoi en être fier, pourtant… il releva le regard vers Maxim avec un petit air suffisant.

— La caverne est peut-être complétement noyée et si il n'y a pas une bulle d'air c'est foutu ! Il est hors de question qu'on prenne un tel risque !
Les yeux plongés dans le bassin luminescent, Bunji ne répondit rien.
De toute façon, la situation ne se débloquerait pas sans un certain degré de prise de risque.
Qu’il s’agisse d’envoyer plus de Pokémons Eau en éclaireur, au risque de se faire repérer.
Ou de plonger à l’aveuglette à la recherche du repaire, au risque de boire la tasse.

Mais en dépit des protestations des deux jeunes gens, Bunji ne jugeait pas cette dernière option si dangereuse.
Le voyageur avait déjà dû emprunter les tunnels sous-marins pour échapper aux Sonistrelles, un peu plus tôt. Il y avait découvert un véritable labyrinthe, dont les ramifications vers la surface étaient nombreuses. Il n’avait pas craint de se noyer une seule seconde.

Bien entendu, ça ne signifiait pas que plonger dans le bassin soit sans danger.
Mais les chances de boire la tasse n’y étaient pas « trop élevées ».
De l’avis de Bunji, c’était un risque acceptable.
Mais apparemment, c’était trop pour Aqua. Qui lui faisait les gros yeux.

Les Pokémons Eau étant les siens, le voyageur se rangea simplement à son opinion.
L’important, c’était d’avancer. Peu importait comment.
« Bounty, Kiwi, Litchi, Cookie, Smoothie et Sashimi… »
L’équipe d’Aqua, Sabelette exclue, fut renvoyée pour explorer les fonds sous-marins.
…pour la première fois, Bunji réalisait que les six pokémons de la jeune femme avaient un nom de douceur.
…il se rappela également d’Aqua, sur la berge du Lac des Cygnes, en train de s’empresser de boire dans sa tasse de chocolat chaud, au risque de se brûler.
…et ainsi, Bunji en tira la conclusion qui s'imposait. Ouaip : c’était une gourmande.

Mais c’était vraiment pas avec des réflexions de ce genre que la situation allait avancer.

En attendant que les membres de l’expédition sous-marine ne reviennent, le voyageur compléta sa mise. Il frictionna ses vêtements de glaise, et conserva la serviette, qui lui servirait à masquer son visage et ses bras, lors du retour de Milobellus.
Oui, il n’avait pas renoncé à son idée de camouflage.
Parce qu’il n’y avait rien à perdre à l’essayer.
— Peut-être que c’est inutile, concéda-t-il. Ou peut-être que c’est une précaution que vous n'allez pas prendre, juste parce que c’est un peu désagréable d’être tout barbouillé.
Bunji d’Izabe releva un regard tranchant vers les deux citadins.

Il n'allait rien dire de plus sur le sujet.
Pour triompher de cette épreuve, ils auraient besoin de la coopération de chacun.
La situation aurait été différente si Bunji s'était senti capable de récupérer le Pokémon de Maxim par ses propres moyens, puis de guider les deux jeunes gens vers la sortie de l'Antre. Si le voyageur avait eu la certitude de pouvoir prendre – à leur place – les meilleures décisions, sans doute les aurait-ils même attrapés tous les deux par le collet pour les rouler dans l'argile lui-même.
Mais ce n'était pas le cas.
Ses propres ressources étaient limitées. Et en dépit de son expérience, il n'y avait aucune certitude que ses choix soient plus judicieux que les leurs.
Mieux valait donc laisser chacun faire comme il l'entendait.
Et laisser chacun prendre ses responsabilités.

Distraitement, le voyageur récupéra un rouleau de corde dans son paquetage.
S'ils pouvaient s'arrimer au corps du Pokémon Eau, celui-ci aurait le loisir de nager plus vite, sans risquer de perdre ses passagers.
— Quoi qu’il en soit. Est-ce que ton Vigoroth peut nous aider ? lança-t-il à nouveau à Maxim, sans lever la tête.
Il ne sera pas de trop pour briser les cristaux alentours.

Le voyageur écouta en silence la proposition d'Aqua.
Il n'avait pas d'objection. C'était de loin l'option la plus pragmatique.
— On bazarde les cristaux dans vingt minutes, lâcha simplement Bunji. Ça devrait largement vous laisser le temps de sortir.
C'était tout ce qu'il avait à dire sur le sujet.
Il était inutile de se leurrer. Le moment venu d'explorer les profondeurs de l'antre et de récupérer Momartik, la présence de la jeune femme aurait constitué un sérieux handicap. C'était une véritable aubaine qu'elle puisse s'échapper sans attendre.

Bunji se leva pour accepter la pokéball contenant le Milobellus, cependant, il ne la laissa pas retirer sa main
— Je ne sais pas à quoi ça ressemble, à l’extérieur, mais t’auras sûrement besoin d’un pokémon pour te prêter l’épaule.
Toujours avec des manières un peu abruptes, il glissa une Super Ball entre les doigts de la jeune femme.
— Son nom est San. Tu peux te reposer sur elle pour te guider et te protéger.
C’est une Lucario qu'on m'a confiée, elle est habituée à coopérer avec d'autres dresseurs. Son entraînement est impeccable, rien à voir avec les têtes brûlées que je me trimbale.

Bunji lui donna rapidement quelques consignes sur la façon de travailler avec San, y compris sur la manière d’activer la Lucarite qu’elle portait autour du cou. Ayant fait le tour de ses explications, l’expression du jeune homme retrouva finalement la petite touche de malice qui lui était coutumière.
— Tu fais attention à toi, Aqua. On te retrouve dehors d’ici une heure ou deux.
Et en attendant, tu fais soigner ta cheville. Histoire d’être en forme, pour que Maxim puisse nous inviter tous les deux au Velvet Café de Mirawen.
Pour nous présenter Gaia.

Bunji n'attendit pas davantage pour retourner auprès de son sac-à-dos, et commencer à préparer les affaires qu'il voulait garder à portée de main. Baies détoxifiantes, antidote et potion, sa grande serviette bleue, ainsi qu'un rouleau de corde.
Absorbé par ses préparatifs, c'est seulement d'un signe distrait de la main qu'il salua le départ de la plongeuse.
Pas par manque d'intérêt. Ils avaient eu de la chance qu’Aqua et son équipe de petits gourmands aient été dans les parages.
Sans elle, explorer l’antre aurait été une affaire bien plus hasardeuse. Et périlleuse.
Néanmoins, sans perdre plus de temps en sensibleries inutiles, le voyageur se concentrait déjà sur l'étape suivante. C'était simplement de cette manière, aride et pratique, que fonctionnait son esprit.

Ayant terminé de boucler son paquetage, il se tourna pensivement vers le rouquin.
— On a vingt minutes. Causons.
Bunji préleva deux pokéballs à sa ceinture, sans libérer les pokémons qui se trouvaient à l’intérieur.
— Je sais pas ce qui nous attend en bas, alors autant mettre les choses à plat.
Qu’il n’y ait pas de méprises, Maxim : j’suis bien des choses, mais vraiment pas un dresseur de pokémons.

Sur ces entrefaites, le voyageur lui parla succinctement des deux pokémons qui l'accompagnaient. Ce qu’on pouvait attendre d’eux, et ce qu’on ne pouvait pas. A entendre Bunji délivrer ces explications à voix-basse, il apparaissait qu’il s’agissait de pokémons difficiles. Ayant un tempérament tranché, et leurs propres objectifs.
Certainement pas du genre à rester sagement à côté d’un dresseur pour prendre des ordres sans rechigner.

— …j'ai plus d'un tour dans mon sac, mais il faut que tu piges bien que dans ce domaine-là, tu peux pas compter sur moi.
J'sais pas mener de pokémons au combat.
Bunji d'Izabe n'était simplement pas un dresseur. Ou peut-être était-il plus juste de dire qu'il était trop égocentrique pour devenir un véritable dresseur. Artisan et combattant, ses progrès personnels lui importeraient toujours plus que ceux des pokémons l'accompagnant dans son voyage.  
Et il semblait entouré de pokémons ayant un caractère tout aussi fort et indépendant que le sien.

— En bas, on récupère Momartik. Mais c’est tout, conclut-t-il.
Si je me fie aux dégâts que Bruyverne a causé dans la caverne, tout à l’heure : c’est clair et net.
Moi, j’ai pas de quoi le combattre.

Ayant présenté sa situation, il invita Maxim à lui parler de ses pokémons.
En prenant connaissance des moyens qu’ils avaient chacun à leur disposition, il leur serait plus facile de formuler une stratégie sur le tas, et de réagir, le moment-venu.

Leur échange terminé, Bunji se releva. Par sécurité, ils avaient attendu un peu plus qu’il n'était convenu. S’il y avait eu un problème quelconque, un des pokémons d’Aqua aurait très certainement trouvé son chemin jusqu’ici.
La jeune femme était donc vraisemblablement à l’extérieur, saine et sauve (minus la cheville et les ecchymoses).

Le paquetage solidement harnaché sur son dos, et une corde enroulée autour du poignet, le voyageur marcha finalement jusqu’aux parois tapissées de cristaux, et posa lourdement sa botte sur un gisement.
— T’es prêt ? lança-t-il avec un sourire carnassier. Faisons un maximum de grabuge.

Précisions:

Emergeant des flots, Bunji s’empara du bras du rouquin, et l’attira avec lui derrière un contrefort rocheux. De l’autre main, il remisait le Milobellus d’Aqua dans sa pokéball.
Abrités derrière leur rempart de pierre, les deux hommes eurent l’occasion d’épier la créature massive qui trônait au cœur d’un bassin cristallin.


Bunji serra les dents. Le sang battait bruyamment contre ses tempes.
Ce Draïeul, paisiblement immergé dans le lac souterrain, était titanesque.
Et en provenance des galeries attenantes et des corridors engloutis, des cohortes de dragons venaient diligemment remplir le bassin de richesses.

Drakkarmins, Ecaïds et même Ekaïser charriaient des pierres énormes et coruscantes, qu'ils présentaient comme un tribut au colosse dragon.
Ils étaient nombreux. Mieux valait ne pas se faire repérer.
Cependant… la chance leur souriait. Leur objectif était en vue.
Faisant des cercles dans les airs, au-dessus du lac, Bruyverne semblait diriger les opérations.
Et effectivement, une petite sphère blanche et rouge semblait s’être prise entre les replis écailleux de sa peau et la fourrure drue de son col.
Le pokémon de Maxim était juste là.


Bunji désigna la pokéwyverne avec un sourire matois.
— Laisse-moi vingt secondes. Je le fais tomber… et il est tout à toi.

Une fois que Maxim aurait récupéré sa pokéball, il leur faudrait s’enfuir à toute vitesse.
Entre la Horde de dragons et le Draïeul colossal, ils ne tiendraient pas une seule seconde.
Profiter de l’effet de surprise était leur seule chance.

Avec l'agilité d'un vrai pokégecko, Bunji commença à escalader la falaise, à prendre de l'altitude afin de se mettre à portée du Bruyverne.

Le voyageur maîtrisa son souffle. Sa concentration.
Sans ciller, ses yeux suivaient les allées et venues du Bruyverne.
Accolé à la corniche, il dénoua lentement le rouleau de corde qu’il portait au bras, et s’empara de l’une de ses deux pokéballs.

Il n’aurait qu’une seule chance.
Le lancer devrait être parfait.
Leur coordination devrait être parfaite.
— J’sais bien que t’as aucune envie d’être là, mais t’as entendu l’rouquin…
Il veut juste retrouver son pote. Tu peux comprendre ça, pas vrai  ?

Je compte sur toi, Deb’.

Corde dans la main droite, pokéball dans la main gauche, il s’élança.
Ombre tourbillonnante, il voltigea au-dessus du lac miroitant et du Draïeul colossal.
Juste pour une seconde, comme si le temps s’était figé dans les airs, le voyageur croisa le regard d’abord surpris, puis féroce du Bruyverne.
Bunji eut un sourire sauvage.
— Toi… tu viens avec moi !

Lancés de toutes ses forces, la pokéball et le solide rouleau de chanvre fusèrent au-dessus de la pokéwyverne. L’éclair de lumière rouge fit apparaître un Débugant, qui empoigna la corde dans les airs. Bunji n’en ayant pas lâché l’extrémité, pokémon et dresseur se mirent à tomber ensemble.
La corde tendue entre eux s'abattit telle un couperet sur les ailes du Bruyverne.
En raison de sa légèreté, et de l’agilité avec laquelle Débugant contrôlait son mouvement de balancier, l’extrémité où il était accroché s’enroula une première fois autour du corps du pokédragon, puis une seconde fois autour de sa gorge.

Le Bruyverne tenta bien de résister, mais le poids conjugué de ses assaillants – et la corde qui s’empêtrait dans ses ailes, et maintenant le prenait à la gorge – l’empêchaient de manœuvrer dans les airs. Il s’écrasa pesamment contre la falaise, qu’il dégringola en poussant un Hurlement furieux.
Pour la discrétion, c’était raté.

Mais Bruyverne était désormais à terre.
La corde tendue de part et d’autre de son corps maîtrisait ses mouvements, mais c’était seulement temporaire, car il aurait tôt fait de rompre ses liens.
Et de se venger de ses assaillants.


Bunji et Débugant continuaient à tirer chacun de leur côté. Le pokémon Combat s’était réceptionné sans heurt, ce qui n’était pas le cas de son dresseur, encore affalé sur le sol après sa chute.
Et derrière eux, les dragons, alertés par le Bruyverne, commencèrent à délaisser leur butin pour repousser les intrus.
— Maintenant, Maxim !