les allées des matins d'été ▬ flora&damien.

Je déglutis avec peine – ça tourne un peu, et je ne sais pas bien si c'est l'air qui est mal climatisé, mes aveux, les yeux de Flora sur moi ou les mots qu'elle aligne ; peut-être quelque chose à la rencontre de tout ça, un fracas tonitruant comme je n'en ai connu qu'un seul avant. J'ai beau nier je sais déjà, j'ai beau prétendre je suis vendu – elle me fait tourner la tête et vriller le cœur, c'est peut-être pas de l'amour parce qu'il faut du temps mais c'en est une amorce,
les premiers battements hésitants d'une attraction indéniable, ce qu'on appelle feeling et contre lequel on ne sait pas lutter, l'évidence simple – ça murmure des promesses de jolies choses encore un peu frêles mais qui réveillent un truc au dedans,
et ça ressemble à l'envie d'y croire pour une fois.

Flora, je –

Mais rien ne vient qu'un silence et je sais ce qui vient ensuite – ses lèvres contre les miennes et le souffle coupé, mes doigts qui serrent doucement les siens et ma main libre sur sa joue quand elle s'écarte et me laisse le souffle court (j'ai oublié de respirer).
Y'a un truc qui cogne – ça tourne, j'ai envie de rire et de pleurer à la fois (douceur et terreur délicatement entremêlées) mais c'est celle de rire qui l'emporte
(à bas les inquiétudes pour aujourd'hui,
rien qu'aujourd'hui
les doutes on verra demain,
promis).

Non, ne – t'excuse pas, Flora, c'est...

Je me tais – je secoue la tête, décontenancé, puis me penche et pose un baiser fugace au creux de ses lèvres pour y imprimer un double de mon sourire avant de me redresser.
Le message est passé – aveu silencieux que mes regards trahissent.

Tant qu'on y est... Ferme les yeux.

J'attends qu'elle s'exécute, puis je tire de la poche de mon sweat un petit paquet qui tient dans ma paume, du paquet un élégant bracelet de fines perles nacrées ou en bois clair qui s'alternent – trois roses, une beige. Je prends le poignet de Flora entre mes mains pour y accrocher le bijou, que je tourne doucement pour glisser le fermoir hors de nos vues. Il faut y prêter une attention toute particulière pour deviner les traits fins taillés dans les perles de bois – on y reconnaît pourtant sans peine les reliefs légers d'un Ponyta Galarien, tantôt cabré, tantôt en plein galop. Les motifs discrets – l'attention subtile.

Tu peux regarder.

Mordillement léger de la lèvre – inquiétude brève à l'idée que ça ne lui plaise pas (j'ai jamais été le plus doué avec les présents).

Je sais que je te l'ai déjà souhaité, mais je voulais marquer le coup. Alors... Joyeux anniversaire, Flora.

les allées des matins d'été ▬ flora&damien.

Je réceptionne l'assaut sans ciller – elle est un poids plume entre mes bras – et l'enlace en riant doucement, mal à l'aise mais comblé. J'ai peu l'habitude de toutes ces marques d'affection – les accolades et les embrassades, le tactile n'a jamais été mon fort – et pourtant c'est moins compliqué que ce que j'aurais cru. Il n'y a pas d'accords compliqués, les notes sont simples et les touches bien agencées. Je respire un peu mieux – l'anxiété brièvement dépassée.

Oh, wow, doucement Flora... C'est rien qu'un bracelet, tu sais.

(Parce que le môme ne comprend pas, au milieu des autodérisions si bien maîtrisées, qu'aujourd'hui les sourires de Flora sont à lui et qu'il est celui qui provoque un battement de cœur sur deux ; persuadé d'être incapable de tout ça, incapable d'aimer sinon de travers, trop au courant qu'il est plutôt de ceux qui foutent les belles choses en l'air – ça le dépasse et ça ne lui traverse même pas l'esprit, qu'il puisse être autre chose qu'un désastre aux yeux et au cœur d'autrui).

Je souris contre ses lèvres et c'est bien malgré moi – plus fort que moi. Je prolonge le baiser tant que je peux, bouche à bouche délicat et quand elle s'écarte c'est son parfum printanier qui reste accroché à mes vêtements. Je me mords la lèvre, le rire léger, désabusé et déconcerté, le regard fuyant mais je reviens toujours sur elle et j'ai qu'une pensée quand je la regarde et c'est,
mais putain qu'elle est belle
(et quelque chose tremble au dedans)
quand je me penche encore sur elle pour déposer trois baisers d'affilée sur ses lèvres et à leur bord.

Allez, trouvons vite ce crop-top, histoire que j'aie le droit à mon défilé personnel, hm ?

Risette appuyée – je ne suis qu'à moitié sérieux ; dans l'idée il s'agit plutôt de ne pas rester trois quarts d'heure dans les rayonnages à nous embrasser. Pas franchement que l'idée me déplairait – j'aime ce qui sursaute en moi à chaque fois – mais on aura tout le temps – des heures entières et même des jours qui sait.
Nos doigts toujours entremêlés, ma main libre coule sur les cintres et les yeux à sa suite.

Tu as une idée précise ? Genre, côté couleurs ou quoi ? Là y'en a quelques uns, ils ont l'air légers en plus, pour cet été, tout ça...

J'écarte trois cintres des autres pour les lui montrer, teintes pastelles et j'avoue peiner à différencier les modèles les uns des autres – pas franchement mon domaine, la mode, faut bien l'avouer.

Mes yeux préfèrent la contempler elle plutôt que les étoffes – la façon dont ses mèches ondulées glissent devant ses yeux quand elle penche la tête pour observer les fringues, la moue subtile qui se dessine sur ses traits quand elle réfléchit, puis le sourire qui se prononce à n'importe quelle idée qui lui traverse l'esprit quand c'est la mémoire de ses mots qui étirent le mien.
Pas de je t'aime entre mes lèvres – parce que je ne l'ai jamais dit, et parce que ça ne me ressemble pas ; un jour, peut-être et l'on en revient aux mêmes refrains à tous les coups,
un jour, peut-être...

Un jour, peut-être.

les allées des matins d'été ▬ flora&damien.

Je me laisse entraîner dans les rayonnages et jusqu'aux cabines sans broncher – pas plus malheureux d'être ici plutôt qu'ailleurs. Ça me paraît pas être un si terrible ennui que le lèche-vitrine si c'est avec – et surtout pour – Flora. Elle paraît dans son élément et c'est à peu près tout ce qui compte – son sourire en ligne de mire.
Elle disparaît dans les cabines et je m'installe au bord des sièges – j'hésite trois secondes et puis l'immobilité m'angoisse, alors je me lève et j'avise les cintres des rayons pour hommes, juste à côté. J'effleure et jette des coups d’œil sans en avoir l'air – cette crainte idiote que rien ne m'ira quoiqu'il en soit, et c'est pas une question de taille mais une question de c'est pas mon style (mais pour ça, un style, faudrait peut-être en avoir un – je sais pas si le all black en fait partie). Y'a des trucs sympas quoiqu'on en dise – mais j'entends Flora qui sort de la cabine et je me détourne aussitôt des cintres (presque reconnaissant d'être tiré des méandres de mon self-esteem inexistant).

Oh– wow.

Nom d'Arceus.

Je me mordille la lèvre, balance un peu mon poids d'un pied sur l'autre et – c'est indécent, vous croyez, de regarder sa copine (c'est bien ce qu'on est ?) comme je le fais ? Je me sens vaguement dérangeant, à la bouffer du regard quelques secondes de trop.
Ça fait pas de moi un sale type de la trouver canon, hein ?

Je– Tu... T'es magnifique, Flora.

J'hésite et puis romps la distance pour m'approcher d'elle et l'observer de plus près – même si mes yeux reviennent inlassablement aux siens,
et ses regards m'arrachent des sourires que je ne retiens pas.

Vous êtes divine, Flora Clifford.

Voix qui tremble et bégaiement léger – voilà tout de suite de quoi rendre le charme crédible.
Évidemment.

Tu le prends ? Ou tu veux en essayer d'autres ? Tu veux voir d'autres choses ici ? Sinon y'a encore des boutiques dans toute la rue.

Risette appuyée – si c'est pour elle, peut-être bien que je pourrais supporter une journée entière à ne faire que suivre la reine du shopping sans concurrence.

Même s'il doit pas être loin de... (je tire mon téléphone de ma poche pour jeter un coup d’œil à l'écran verrouillé.) Ah ! Midi vingt-trois, en fait. Plus tard que ce que je pensais. T'as faim ?

Évidemment – on file les rues et les boutiques depuis ce matin. Alors, détour par la caisse effectué, c'est les doigts entremêlés qu'on retrouve la chaleur estivale de la rue, l'animation qui doucement s'invite dans les allées de Nemerya jusqu'ici pourtant paisible. Les restaurants installent leurs terrasses, les enfants s'amusent sur les places et les aires de jeux – en tout juste une demi-heure la ville paraît s'être brusquement réveillée, tirée d'une torpeur lascive imposée par les températures brûlantes qui succèdent aux nuits orageuses.

Aucune averse aujourd'hui toutefois, même pas au dedans – quelques grisailles aux idées quand les pensées me rattrapent qu'elle est belle et que je ne suis rien mais chaque fois son sourire me ramène au présent et j'oublie de m'inquiéter, j'oublie de réfléchir, j'oublie de douter. Le temps file et jusqu'au soir je ne songe pas comme c'est brinquebalant cette histoire – même quand je goûte à un dernier baiser timide qui dit bonne nuit avant de m'éclipser dans le hall de sa résidence étudiante, même quand je fixe les minutes qui défilent jusqu'au passage du prochain bus, même quand j'observe le paysage nocturne qui défile de l'autre coté de la vitre ; à croire que j'oublie d'avoir peur.

J'oublie de trembler, j'oublie de craindre demain, j'oublie de m'inquiéter du grand fracas qui viendra forcément.

J'oublie ce que c'est d'être dysfonctionnel à dix-sept ans ;
j'apprends ce que c'est de s'amouracher adolescent.