Suite directe de Think fast, Time Attack Battle !

Elle avait coupé à travers champ, fuyant aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Les sanglots se bousculaient dans sa gorge, mais Astelle refusait de leur prêter sa voix. Elle ne regardait pas où elle allait. Inutile, son cœur connaissait le chemin.
C’était le seul refuge qu’elle avait jamais connu.
L’endroit où elle versait – seule – ses larmes, depuis toujours.

Le moulin à vent de son papa était semblable à une tour. Grande et majestueuse, dont les ailes blanches caressaient paresseusement l’échine du ciel. Il n’y avait pas plus haut monument à Kishika.
C’était le seul endroit où Astelle pouvait être elle-même.

La jeune fille escalada les barreaux en acier qui menaient au sommet, et s’installa sur le toit incurvé. Incapable de convaincre son enfant de cesser d’y grimper, le meunier avait aménagé des garde-corps sur la toiture, et renforcé l’échelle.
Comme elle l’avait fait ces dix dernières années, encore et encore, Astelle s’allongea sur le dos. Offrant son regard au ciel. Et finalement, elle libéra le mot qui concentrait toute sa douleur.
— Manon…
Quelque chose cassa dans sa poitrine, et la jeune fille fut incapable de s’arrêter de pleurer.

→ Dans l'épisode précédent : Think fast time attack battle

Le soleil se couche sur les champs de tournesol. Une brise légère caresse mon visage trempé de sueur. Je ne sais pas depuis combien de temps je fouille dans ce pâturage mais suffisamment longtemps pour être agacée. Je redoute mes retrouvailles avec Astelle, craignant la blessée de nouveau en ne mâchant pas mes mots. C’est alors que j’inspire longuement en faisant face aux plaines cultivées.

« HAAAAAAAA. »

Mon expiration est si bruyante que toute ma frustration s’évacue avec. Examinant les environs, je remarque au loin au pied de la colline un gigantesque moulin trônant parmi les fleurs du soleil et le blé. Je dévale comme une folle le sentier pour rejoindre au plus vite la construction humaine : avec un peu de chance, ma pote s’est planquée là.
Arrivée à destination, le moulin est beaucoup plus impressionnant qu’au loin. Je l’admire avec des yeux d’enfant car c’est la première fois que j’en vois un en vrai et d’aussi près. Soudain, mes oreilles captent les jappements d’une fille qui pleure : elle est couchée sur la toiture du moulin.

« ASTELLE ! »

Je n’ai pu m’empêcher de crier son nom dans l’espoir d'une réaction. Examinant la bâtisse par la suite, je dégote une échelle qui m’amène au sommet. J’aurai pu m’extasier comme une gamine à grimper l’échelle et contempler de haut la vallée, or je suis de mauvais poil. Enfin sur la toiture, je m’approche de la personne couchée avec le visage figé. Heureusement j’ai trouvé cette petite chipie, c’est bien Astelle ! Je lui tends un mouchoir en soie propre avant de poser mes fesses à côté d’elle. Un long silence pèse sur l’ambiance, faisant exprès de ne pas lui adresser la parole tout de suite pour manifester mon mécontentement.

« … C'était quoi ça ? Tu peux m’expliquer pourquoi t’as fais ça ? »

Je tourne ma tête vers elle, les sourcils froncés.

« ASTELLE ! »

Tout son corps se figea entre deux sanglots. Petite boule de larmes et de chagrin, elle se recroquevillait si fort… comme dans l’espoir qu’en se faisant toute petite, la douleur cesserait de trouver prise sur elle.
Le bruit des pas de Manon résonna sur les barreaux de l’échelle. Astelle retint sa respiration.
Bientôt, la présence de son amie pesa sur les tuiles. Et sur le cœur d’Astelle.
Le silence de la jeune Volucitoyenne lui broyait le cœur. Et rallumait comme une étincelle de colère dans ses entrailles.

« … C'était quoi ça ? Tu peux m’expliquer pourquoi t’as fais ça ? »

L’étincelle s’embrasa. La petite postière se redressa brutalement, le regard courroucé et des reproches brûlants à la bouche… mais les flammes moururent aussitôt sur ses lèvres.
Noirâtre et déchiqueté, le pullover de Manon était dans un état pitoyable.
Astelle poussa un cri étranglé. Le choc la secoua d’une traite : en un instant, elle fut sur son amie, lui tripotant et lui retirant son haut dans l’urgence : à la recherche d’une blessure. Oubliant ses larmes, sa colère et ses tracas, absolument tout.

— Qu-qu-qu’est-ce que tu… ?! On s’est quittées moins d’une heure ! Comment, pourquoi ?!

Manon avait pris un sale coup. La peau de son dos avait bleuie sous l’impact. Astelle émit un petit gémissement pitoyable en contemplant l’étendue des dégâts, agitant les mains autour de l'ecchymose sans savoir quoi faire, puis farfouillant nerveusement dans son sac à la recherche d’une potion, que ses doigts tremblants peinaient à saisir.

— Bon sang… Manon, gémit plaintivement la jeune fille, au bord des larmes encore une fois ; incapable de ne pas faire sienne la douleur de sa camarade. Comment est-ce que tu…

Utilisant la potion en spray sur le dos dénudé de son aînée, son regard s’arrêta à nouveau sur les traces noirâtres à même le pullover. Et sur la vague amertume que le Vibrobscur de Matcha y avait déposée.

Le remède lui échappa des mains dans un bruit mat.
Par saccades, la potion roula sur les tuiles...

...puis dégringola dans le vide.

— C’est moi… réalisa-t-elle, abasourdie. C’est moi qui t’aie blessée.
Le bruit que fit la potion en touchant le sol... était pareil à celui de son cœur, qui se brisait.

Le monde vacilla.
Se couvrant convulsivement le visage de ses mains, Astelle entendit monter un cri qu’elle ne reconnaissait pas.
Presque celui d’un animal blessé. Déchiré. Rongé de remords au point de ne plus le supporter.

— Pourquoi… pourquoi est-ce que je fais toujours tout de travers… sanglotait-elle, sans réaliser que ses pensées intimes se mélangeaient confusément à ses pleurs. …à chaque fois que j’espère de me rapprocher de ce qu'il y a de plus important pour moi…

La Dracoposte.
Et maintenant, Manon.

Tout était en train de lui échapper.

Lorsqu'elle réalise les dégâts de son caprice, la petite Astelle s'empresse d'ôter mon pull en lambeau pour soigner mes blessures. Mon regard ne change pas : je la fixe avec une certaine froideur comme si j'attends quelque chose.

En passant le spay sur mes plaies, la douleur est beaucoup plus vive qu'au choc : depuis tout à l'heure je me balade avec sans broncher mais c'est lorsqu'on y touche que mon visage se crispe et que mes dents se serrent. Derrière moi, je sens la brunette s'affoler et constater l'ampleur de sa connerie au point que son pchit-pchit guérisseur lui glisse des mains avant de s'écraser au pied du moulin. J'aurai sûrement pouffé de rire, attendrie par sa maladresse mais elle ne se comporte pas comme je l'espère alors je me contente de soupirer.

Après qu'Astelle se soit lamentée sur les conséquences de ses actes, je rajoute :

« T'es encore jeune. Et ta famille t'aide pas pour ça mais ... c'est juste que t'es pas suffisamment mature pour gérer toutes tes émotions. »

Même si j'ai fumé il y trois quart d'heure, mon affliction m'oblige à m'en griller une. En courbant le dos, les brûlures sont de nouveaux saillantes et ralentissent mes mouvements. Coinçant ma cigarette entre mes lèvres, j'abrite mon briquet du vent pour allumer le tabac.

« J'dis pas ça pour être prétentieuse, j'suis loin d'être mature aussi. Ceci dit ... »

Tirant quelques longues secondes sur ma barrette de nicotine, j'ai le temps de réfléchir sur la formulation de ma phrase.

« Jamais j'me s'rai permise de frapper quelqu'un. Encore moins mes potes. Alors la moindre des choses serait ... »

Je stoppe nette ma phrase avant de me tourner vers la jeune fille pour lui faire face. Ayant tellement l'habitude d'être désolée de tout et  de rien, je regrette d'autant plus que le mot magique ne soit pas instantané chez Astelle. Surtout qu'il y a une chose qu'elle ne sait pas, c'est que ce n'est pas la première fois que je me fais frapper par quelqu'un que j'aime.

« Jamais j'me s'rai permise de frapper quelqu'un. Encore moins mes potes. Alors la moindre des choses serait ... »
…de s’excuser.

Astelle aurait voulu que les mots sortent tout de suite. Alors, pourquoi est-ce qu’au lieu de cela, elle se contentait de fixer Manon à travers ses larmes ? Hoquetant comme un Magicarpe sans air, incapable de briser la digue de ses sanglots pour laisser jaillir à quel point elle se sentait désolée.
Effondrée, furieuse contre elle-même et catastrophée, la jeune fille se raccrocha piteusement au bras de Manon. Elle força, et força encore.
Jusqu'à ce que les mots jaillissent enfin, dans un véritable déluge.
— …pardon, pardon ! Je… je suis désolée, Manon. Je n’ai jamais voulu ça… je n’ai jamais voulu te faire du mal… ce n’est pas…

Non, c'est faux.

Astelle s’interrompit.
Lentement et à regret, en se forçant manifestement à s’éloigner de son amie, elle se détacha doucement de son bras. Reculant, comme si elle n’avait même pas le droit de la toucher. Ou comme si elle ne voulait pas la toucher.
— Non… ce n’est pas vrai ce que je suis en train de dire… je n’ai jamais voulu te faire du mal : ça, c’est la vérité. Mais… j’ai vraiment essayé de calmer tes ardeurs d’une bonne douche froide. Et j’étais… réellement en colère contre toi.

J’ai fini de m’écraser.

Même si cette colère était difficile à assumer. Même si elle avait commis une faute terrible. Même si son coeur était réduit à l'état de pulpe sanguinolente. Astelle tâcha de maîtriser sa voix.
— C’est sûrement pour cette raison… que Matcha est allé jusqu’à te frapper. C’est entièrement de ma faute.

Même si…

La jeune fille se tint à distance, assise sur les tuiles, s’étreignant de ses bras tremblants.
En dépit de son visage ravagé par les larmes, il y avait comme la lueur d’un défi dans son regard.
— Je suis désolée de t’avoir blessée, mais… c’est tout, Manon. Juste pour ça.

…je devais regretter ce moment pour toujours.

Un sourire apaisé se dessine sur mes lèvres. Astelle galère à l’admettre -probablement parce qu'elle se noie dans ses larmes-  mais du moment qu’elle reconnaît ses torts et qu’elle se corrige, je n’ai aucune raison de m’énerver d’avantage. Cette tendance chez moi à pardonner très vite les autres peut se révéler comme un vilain défaut : je me fais tout le temps avoir par des personnes toxiques. Cependant, Astelle est loin de ressembler à mon ex ou les membres de ma famille : c’est une jeune fille sensible et prête à se remettre en question pour grandir. Pourtant …

La brunette ne termine pas sa phrase, s’éloignant de moi comme un rejet. Le regard impassible, je tire sur ma cigarette en la fixant silencieusement.

« … Et j’étais … réellement en colère contre toi. »

Je tends le bras au dessus du vide avant de tapoter mon mégot, laissant les cendres virevolter  jusqu’au pied du moulin. Quelques secondes après, un rictus au coin de la lèvre révèle mon indifférence.

« Quoi, t’es mauvaise perdante ? Tu m’trouves trop violente ? »

Je m’approche d’Astelle en attendant sa réponse. Un instant, j’aperçois mon reflet d’enfant dans les mirettes de cette fille.

« Désolée si j’t’ai offensé. J’aurai dû t’prévenir que j’suis pas une tendre quand j’me bats. Ceci dit ... »

Elle me rappelle la petite Manon qui, malgré toute sa bonne volonté, se fait écraser par la violence et la dureté de la réalité. Ce monde cruel que Fred m’a sans cesse remémoré afin de m’endurcir et faire face aux difficultés de la vie. C’est lorsque ma main se pose sur la tête de la brunette que je comprends enfin le comportement de mon grand frère.

« Faut pas qu’tu t’attendes à c’que les champions, les dresseurs, les personnes malveillantes ou même les pokémons sauvages te fassent une fleur. Si tu crois qu’il suffit de fuir en chouinant pour résoudre les conflits, tu t’mets l'doigt dans l’c- »

Une bourrasque censure mon gros mot dans un timing parfait. Mon visage se détend et ma paume quitte la chevelure de mon amie. En vérité, j’aimerais la pousser dans ses retranchements dans l’espoir de provoquer ce déclic qui brisera les barrières  qu’elle s’impose. J’ai beau ne pas être dans sa tête, je suis convaincue qu’Astelle est plus brave et audacieuse qu’elle ne l’imagine.

La jeune fille rassembla ses esprits.
— T’avoir frappé avec Matcha, c’est inqualifiable. Je n’en ai jamais eu l’intention, et… et je ne sais pas encore si je pourrais me le faire pardonner… ou me le pardonner à moi-même, répéta-t-elle avec détermination. Néanmoins…

La lueur de défi, dans son regard, ne vacillait pas. Avant même que Manon ne cesse de lui caresser les cheveux, de cette façon si infantilisante : Astelle s’empara du poignet de son amie. Ce n’était pas un geste tendre.
Lentement, et en silence, elle se releva de toute sa hauteur pour toiser son aînée.
— …tu crois que c’est à toi de m’apprendre que le monde est cruel, Manon ? Que ça te donne le droit de m’intimider, de mettre en spectacle le K.O. de mon pokémon et de nous brutaliser ?

Elle fit deux pas en avant, quitte à lui rentrer dedans, saisissant d’une main ferme l’autre poignet de son amie.
— Tu as raison, tu sais ? Les dresseurs, les personnes malveillantes ou même les pokémons sauvages ne me feront pas de fleur, dit-elle d’une voix dure, en regardant Manon droit dans les yeux. Mais j’espérais que toi… surtout toi, seulement toi, simplement toi… tu m’en ferais une.

Sa voix s’écailla un peu... Sous cette dureté apparente, il n’y avait que de la tendresse, blessée et meurtrie.
— ...est-ce que c’était trop espérer…? S’il faut s’attendre à ce que tout le monde soit méchant… d’espérer que tu voudrais bien me soutenir… d’espérer que je pourrais te soutenir en retour ?

A cette hauteur, le soleil couchant enflammait les nuages. Astelle se tenait en équilibre sur la pointe des pieds, et les couleurs changeantes du crépuscule donnaient un éclat ardent à son regard.
— …je fais encore ce rêve, tu sais ? lui souffla-elle en rapprochant son visage du sien. Celui avec le Méga-Ectoplasma. Et la seule raison pour laquelle je peux appeler ça « un rêve », et non « un cauchemar » ...la seule raison pour laquelle je ne me réveille pas en hurlant une nuit sur deux… c’est parce qu’au plus fort de leur cruauté : tu étais là, avec moi, pour me prendre dans tes bras.

Elle continua d’un petit filet de voix misérable. Écartant timidement le voile de secrets dont elle avait entouré son cœur, plus vulnérable qu’elle ne l’avait jamais été.
— Est-ce que c’est si dur à comprendre, Manon…? Que je t’adore comme mon héroïne, mon amie, comme le modèle que je veux suivre pour grandir… et que toutes les petites cruautés que tu voudras m’infliger me feront un million de fois plus mal que celles, plus grandes, d’inconnus pour qui je n’ai pas une once de respect.
…je n’ai pas besoin que tu me fasses du mal pour grandir.
…tu n’as pas besoin d’essayer de m’éduquer.
...j’ai seulement besoin de rester avec toi, et de te regarder.

Brusquement, Astelle s'empare de mon poignet en plantant ses yeux dans les miens. Impossible de me mouvoir, je l'écoute en soupire discrètement. Le regard désolé, j'articule entre ses deux laïus quelques mots :

« C'est que ... Pour moi c'était d'la rigolade, je pensais pas à mal ... »

Jamais je n'aurai imaginé Astelle prendre mes éloquences en plein combat au pied de la lettre, d'autant plus que je suis convaincue d'avoir été correcte à son égard. En conséquent, elle m'accuse de ne pas la soutenir, ce qui est un peu vexant. Les reproches que la jeune fille m'annonce ne reflètent aucunement mes intentions, mais peut-être ne suis-je pas assez attentive ou que j'ai l'air d'une brute épaisse sans tact dans le feu de l'action ?

Puis d'un coup, la brunette change de ton. Son visage éclairé par les derniers rayonnements du soleil s'approche du mien. Elle me raconte les cauchemars incessants qu'elle vit chaque nuits à cause de l'Ectoplasma du Manoir, l'ayant vraisemblablement traumatisée. Mes traits s'adoucissent comme compatissante pour la petite bichette. C'est alors que cette dernière me révèle :

« Et la seule raison pour laquelle je peux appeler ça « un rêve », et non « un cauchemar » [...] c’est parce qu’au plus fort de leur cruauté : tu étais là, avec moi, pour me prendre dans tes bras. »

À ce moment-là mes mirettes brillent et mes joues rougissent avant même de penser quoique ce soit. Sa bouille à quelques centimètres de la mienne commence à me faire vaciller.

« Est-ce que c’est si dur à comprendre, Manon … ? Que je t’adore comme mon héroïne, mon amie, comme le modèle que je veux suivre pour grandir … »

Je n'ose ni respirer ni bouger, tenant à peine son regard. Ma cigarette galère à tenir entre mes doigts tout comme mon pied positionné sur une tuile branlante.

« ... Et que toutes les petites cruautés que tu voudras m’infliger me feront un million de fois plus mal que celles, plus grandes, d’inconnus pour qui je n’ai pas une once de respect. »

Sa phrase me brise le cœur. Je ne veux pas te blesser Astelle.

« [color=#d2a679]… je n’ai pas besoin que tu me fasses du mal pour grandir.
… tu n’as pas besoin d’essayer de m’éduquer.
... j’ai seulement besoin de rester avec toi, et de te regarder.

- [b]Astelle ... »

Lorsque ma jambe s'appuie sur la toiture, un faux mouvement me fait perdre l'équilibre : en un fragment de seconde, la figure d'Astelle s'éloigne de moi et le vide me convoite dangereusement. Emportée par la gravité, je mets ma copine en danger puisqu'elle s'accroche à moi ! Il ne m'a fallu peu de temps avant de réaliser que nous chutons du moulin.

« OPHELIA !!! » je hurle automatiquement son nom.

D'une vitesse éclair, mon pingouin arrive à la rescousse : il assole au pied de la bâtisse avant d'en voyer un millier de bulles d'eau dans les airs. Saisissant mon amie contre moi et assurée de notre survie, je lui esquisse mon plus jolie sourire.

« Désolée de t'avoir blessé, ce n'était pas du tout mon intention. J'ferai gaffe la prochaine fois mais j'te promets pas d't'épargner quelques cris de guerre pendant nos matchs c'est plus fort que moi ! »

Mon dos rencontre les petites bulles adoucissant à la perfection notre descente. En toute confiance, je me dépatouille pour tourner la brunette vers le sol afin qu'elle puisse profiter des bubulles avant l’atterrissage.

« T'as vu comme c'est trop marrant ? Ophélia c'est la meilleure ![/size] »

Je rigole en me remémorant la sensation agréable de cette attaque.

Depuis combien de temps ces mots mûrissaient-ils dans le secret de son cœur ?
Elle avait eu tellement de mal, elle avait tellement cherché comment lui dire tout ce que cette amitié représentait pour elle. Et maintenant que c’était fait… Astelle se sentait libérée.

Un peu plus tôt, à l’idée que Manon puisse refuser, ou minimiser ses sentiments, elle s’était sentie trembler. Qu’aurait-elle fait, si son amie avait conservé ce masque d’indifférence ? Si leurs contradictions naissantes avaient déjà creusé un fossé entre elles, que rien ne saurait franchir ?
Mais se plonger dans le regard de son aînée suffisait à la rasséréner.

Il y avait tellement de chaleur dans les yeux de Manon. Tellement que… ben, son visage était en train de prendre feu ! On aurait dit une baie Tamato (avec des petites taches de rousseur) ! Rosissant à son tour, la petite postière eut un sourire de soulagement.
Le message qu’elle avait écrit à l’encre de son cœur accusait réception.

Comme une lettre à la Dracoposte !
La livraison avait été assurée avec une efficacité telle que… Manon en tombait à la renverse.
— Huh… ?
Littéralement.

Le ciel bascula. En équilibre précaire, sur la pointe des pieds, Astelle tombait à sa suite.
— OPHELIA !!!

Le rugissement du vent s’engouffra dans ses vêtements. Les champs dorés de Kishika fusèrent sous son regard.
Au milieu du ciel, tutoyant les nuages, Manon la prit dans ses bras.
Le choc empêchait Astelle d’éprouver autre chose qu’une stupeur béate. Chaque seconde s'étirait aussi paresseusement qu'une grosse cuillerée de miel. Jusqu’à ce que son amie vienne lui parler, tout contre son oreille.
— Désolée de t'avoir blessé, ce n'était pas du tout mon intention. J'ferai gaffe la prochaine fois mais j'te promets pas d't'épargner quelques cris de guerre pendant nos matchs c'est plus fort que moi !

Manon lui adressa le plus merveilleux des sourires. Cette expérience, qui aurait pu être traumatisante… devint pour Astelle le plus précieux de ses souvenirs.
— Je… je vole ! lui répondit la jeune fille dans un cri d’allégresse complètement bêta, incapable de s’ajuster à la réalité de la situation.

Sous leurs deux corps en chute libre, un déluge de Bulle d’O vint amortir leur descente. Le cri du vent baissa d’un ton. Pendant quelques secondes, Astelle eut l’impression de reposer tout contre son amie, mystérieusement, comme si cette dernière ralentissait leur vol plané à la seule force de ses abdos ! Si c’était Manon, elle en était capable !
Et puis, sous une impulsion de son aînée, elles tournoyèrent en plein ciel. Roulant sur le tapis de bulles moelleuses qu’Ophélia soufflait dans les airs. La fraîcheur soudaine fit pousser à Astelle un petit cri perçant, tandis que ce matelas aquatique improvisé escortait leur descente jusqu’au pied du moulin.

— T'as vu comme c'est trop marrant ? Ophélia c'est la meilleure !
— Ouiiii ! répondit Astelle dans un trille joyeux.

Cependant, Ophélia, c’était pas trop votre Prinplouf attitrée du Parc Akwakwak.
Elle était un peu blasée de servir de matelas gonflable aux deux greluches hilares.

L’air de dire « azy… vous m’saoulez, là », elle se détourna à petits-pas de poképingouin.
Avec un « oumf ! » sonore, Astelle et Manon se vautrèrent sur le dernier demi-mètre à tomber.

Étendue sur le dos, et ayant la preuve irréfutable que Manon mangeait de la nourriture trop riche à chaque repas (qu’elle était louuuurde !), Astelle rejeta sa tête en arrière pour contempler Ophélia, à l’envers.
— Vous êtes la meilleure, madame la Prinplouf des Enfers ! lui dit-elle, d’une voix saturée de tendresse et d’admiration.
Mini-senpai pensait manifestement la même chose, car il pointa le bout de son museau à l’extérieur de la casquette d’Astelle pour adresser une petite courbette au poképingouin.

— Et toi… commença la jeune fille en regardant Manon par en-dessous, une lueur malicieuse dans l’œil. …la prochaine fois, avant de te dire à quel point tu comptes pour moi… je te demanderais de soigneusement te préparer pour le décollage : de rester assise, de redresser ton siège et de bien boucler ta ceinture !

D’un index taquin, Astelle lui effleura le bout du nez, puis commença à se tortiller pour tenter de se libérer de la pression inexorable que faisait peser le popotin de Manon sur son petit ventre mou.

Après s’être relevée, époussetée, et s’être timidement détournée de Manon, la petite postière se sentait un brin confuse et troublée. Trop gênée pour la regarder de face, elle adressa à son amie une œillade hésitante, qui avait un peu l’air de dire « et maintenant, quoi ? ».
En dépit de ce qui venait de se produire, Manon restait blessée. Le combat avait été un crève-cœur et une débâcle complète. Et même si Astelle n’éprouvait plus la moindre colère... fallait-il simplement passer l’éponge ? Faire comme si rien de tout ça n’était arrivé ?
Non… parce qu’elle ne voulait pas fuir.
Rassemblant sa détermination, elle se retourna vers son aînée et…
— Manon… commença-t-elle en levant un regard clair vers sa rivale. Je voudrais… je voudrais finir ce combat.

Astelle ne savait pas si c’était la bonne décision, mais… elle voulait aller jusqu’au bout de ce qui avait été commencé. Les mains jointes sur sa poitrine, elle prit une grande respiration, comme pour se donner du courage.
— J’avais prévu de te demander quelque chose de très important pour moi après ce match… En fait, à la base, je voulais te le demander seulement si je l’emportais, mais, euh… comme je n’ai pas envie d’attendre dix ans…

Ce quelque chose de très important était la raison pour laquelle le déroulement du match l’avait à ce point heurtée. Pour laquelle elle avait tellement pris à cœur ces choses que Manon avait faites ou dites au combat.
C’était… un peu bêta, maintenant qu’elle y songeait. Astelle eut une petite moue.
Après tout, depuis le jour de leur rencontre : il fallait brancher le décodeur quand Manon disait quelque chose. Son amie était souvent grossière ou incomprise. Et il ne fallait pas s’attendre à ce qu’elle réfléchisse beaucoup avant d’agir ou de parler (non pas qu’Astelle elle-même soit bien placée pour se faire ce genre de réflexions).

— Alors… est-ce que tu veux bien…? demanda la petite postière en étendant la main vers Manon. D’ici un petit instant en tout cas, parce que j’ai encore les tibias mous comme des flageolets...

Astelle entrelaça ses doigts à ceux de son amie, et elles contournèrent le moulin. Dans un silence serein, elles cheminèrent ensemble le long du petit cours d’eau qui coupait à travers champ. Effectivement, la jeune fille se faisait un peu attendre, et n’aurait pas été capable de marcher beaucoup plus vite.
Ce trop plein d’émotions lui avait coupé les jambes. Demandant un instant pour ôter ses chaussures, Astelle s’installa au bord de la rivière et trempa ses pieds dans l’eau.
— Tu viens t’asseoir un peu avec moi… avant qu’on y retourne ?

Retour simultané à Think fast, Time Attack Battle !

La voyant aussi enjouée, je suis émue par son visage de nouveau rayonnant. Alors que je la contemple avec un sourire attendri, nous nous rétamons au sol une fois qu’Ophélia s’est lassée. Sonnée par l’atterrissage, je reprends progressivement mes esprits alors que mon amie s’adresse chaleureusement au Prinplouf.

« Vous êtes la meilleure, madame la Prinplouf des Enfers ! »

Le pingouin détourne la tête en faisant mine de snober les flatteries d’Astelle et de Mini-Senpai. En vérité, Ophélia ne veut pas qu’on remarque la rougeur sur ses joues et ses yeux brillants, affectée malgré elle par ces compliments.

La voix de la brunette recapte mon attention : cette fois-ci elle s’adresse à moi. J’éclate de rire à ses propos en les approuvant totalement.

« C’est clair, faudrait pas qu’tu m’refasses ça au bord d’un précipice ! »

Son petit doigt touche mon museau avant de gigoter son corps me signalant implicitement qu’elle aimerait se relever. Je la délivre alors en galérant comme une mémé à me redresser, les genoux et les coudes douloureux. En m’étirant jusqu’à décrocher le ciel orangé, Astelle me révèle son envie de poursuivre le combat. Je la mire interloquée tandis qu’elle inspire en prenant son courage à deux mains.

« Me demander quelque chose ? » je réagis instantanément, la jeune fille ayant piquée ma curiosité.

Évidemment, je sais qu’elle tiendra sa langue jusqu’à la fin du match. J’accepte sa main tendue en la serrant tendrement. Avant de partir, je reviens vers mon pingouin pour lui déposer un bécot affectueux sur le front avant de la réintégrer dans sa ball. Mon corps s’agite, très impatiente de connaître la nature de la demande d'Astelle. Je la suis à travers les champs de tournesol en admirant les cieux d’une couleur féerique. Ma cigarette quasi-consumée, je la rallume avec avarice en profitant des dernières bouffées toxiques. À nous balader comme ça, je fais de plus en plus de parallèle avec mes anciennes relations amoureuses et féminines. Je tente tant bien que mal de cacher mon léger malaise en grillant expressément mon mégot.

« Tu viens t’asseoir un peu avec moi… avant qu’on y retourne ?
- Yep ! »

Quelques mètres plus loin, nous nous posons près d’un cours d’eau. J'imite mon amie en me déchaussant et trempant mes peutons dans l’eau glacé. Le son du flux ruisselant apaise mon esprit avant de rentrer en béatitude complète. Savourer le moment présent sans ce soucier du reste, voilà quelque chose que je devrais faire plus souvent ! Je pousse un grand soupire d’aise avant de tourner la tête vers mon amie.

« Cet endroit est vraiment chouette ! Paisible, reposant … Et ce moulin ! »

Mes pieds se chamaillent dans l’eau, éclaboussant mon pantalon.

« J’t’avoue, j’ai un p’tit peu flippé ma race quand j’ai chuté mais j’peux toujours compter sur Ophé’. Mise à part ça, je l’ai trouvé incroyable. »

Mes mirettes se détournent vers les étoiles qui apparaissent timidement dans la voûte céleste.

« C’est la première fois qu’j’vois un moulin … Un vrai de vrai. »

J’écrase enfin mon mégot dans le cendrier portable. Je regrette de l’avoir terminé comme une vorace, l’odeur de tabac froid m’écœure au plus au point.

« J’allais pas souvent dans ce genre de coin-là quand j’étais petite … Parfois au camping, à Ogoesse, on pouvait voir un peu d’verdure et de ruisseau mais pas d’moulin. On allait jamais à Flocombe alors ... »

Ecoutant Manon complimenter le moulin de son papa, Astelle se rengorgea.
Toute fiérote, elle rejeta la tête en arrière pour contempler ses ailes blanches, qui se découplaient avec majesté dans le crépuscule.
— Ce moulin… c’est ma cachette, dit-elle d’une voix douce, propice aux confidences. J’ai passé des journées entières à son sommet… à rêver aux aventures qui m’attendaient de l’autre côté de l’horizon.
A rêver aux voyages et aux rencontres que je ferais en sillonnant le monde entier.
A rêver de la facilité avec laquelle je pourrais réaliser mes rêves si…
...si seulement je pouvais m’échapper d’ici, à tire-d’aile !

De sa main libre, le doigt de la jeune fille traça une ligne imaginaire, qui partait du moulin en direction du nord.
— En filant en ligne droite par-dessus cette montagne, on peut rejoindre la vieille ville de Fort-des-Songes, presque toujours emmitouflée dans un manteau de brume mystérieux.

Mue par une virevolte gracile, la main d’Astelle taquina davantage le ciel, esquissant une trajectoire après l’autre.
— La Plage Mystique, à l’ouest. Les Ruines d’Aekos, à l’est. Le Casino d’Artiesta. Le Mont Yukori et le Volcan Eneka...

Petite girouette céleste, son index fit pensivement plusieurs tours, avant de mettre soudain le cap vers l’océan.
— Et dans cette direction… il y a la région d’Unys, et l’étourdissante Volucité, qui a bien voulu me donner une Manon.
Avec un sourire attendri, Astelle fit coucou en direction de l’océan.
— Merci-au-revoir, Unys ! "Ni échangée, ni remboursée" ! Maintenant que je l’aie, je la garde !

Cartographiant le ciel de ses doigts, Astelle lui expliqua encore.
Elle lui narra ses rêves d’aventures, ses espoirs de voyage, son besoin capricieux de ne pas se réveiller chaque matin dans le cocon aimant et douillet de la campagne Kishikienne. Trop paisible, trop confortable, où elle se sentait engluée.
Elle y était bien au chaud, bien protégée : comme un Armulys qu’on aurait posé sur une pierre stase.
Qui ne souhaitait pourtant que devenir Charmillon.

— J’ai dessiné des milliers de routes dans ce ciel… mais je n’aurais jamais pensé que je découvrirais ce que ça fait de voler, aujourd’hui ! lança-t-elle avec un sourire malicieux. Ça nous fera un bon entraînement pour la prochaine fois…  car ma conquête du ciel ne fait que commencer ! Un jour, j’aurais mon propre pokémon Vol : aux ailes si puissantes qu’il sera capable de nous porter toutes les deux jusqu’aux nuages ! Et de nous emmener partout où on voudra aller. Sans limites !

Tous les oiseaux doivent quitter le nid, un jour.
Et voler, c’était son rêve.

Ayant discouru sur l’importance que revêtait le moulin à ses yeux, la petite postière écouta avec attention ce que Manon lui révélait de ses vacances.
Comme toujours, ces confidences étaient succinctes, presque faites du bout des lèvres.
Parler d’elle, de sa famille, d’Unys… ce n’étaient pas des sujets que son amie abordait facilement.

A la mention de Flocombe, Astelle releva comme une petite pointe d’envie dans sa voix.
Cette ville d’Unys – à la bonne saison – était réputée pour ses sports d’hiver.
— Tu n’es jamais allée au ski, Manon ? ...maintenant que j’y pense, tu n’avais jamais pêché non plus… murmura-t-elle en se remémorant leurs évasions au Parc Safari.

Astelle pinça les lèvres.
Cette amertume, cette mélancolie dans les paroles de Manon.
Elle leur trouvait le goût déplaisant du tabac.

La jeune fille eut une hésitation, puis, remuant timidement les orteils dans l’eau, elle exerça une pression délicate sur leurs doigts entrelacés.
— D-dis, Manon... est-ce que… est-ce que tu n’aimes pas ton « chez-toi » ? Est-ce que ça ne se passait pas très bien… ?
C’est ainsi qu’Astelle avait assemblé les pièces du puzzle. Simplement à base de sous-entendus, de déclarations à demi-mots, et d’histoires trop brèves jamais réellement racontées.
La maison de Manon était un endroit triste et lugubre.
Un endroit dont on voudrait s'échapper.

— Est-ce que tu as fugué… ?
Et dans la bouche d’Astelle, cette simple idée avait quelque chose de terrible…
…et de terriblement romantique aussi.

Ouïr Astelle me raconter ses anecdotes et ses rêves me réchauffe le cœur. Avant de parler un peu de moi, j’écoute avec beaucoup de considération ses paroles pures et sincères. Tout comme la brunette, j’aurai aimé être un oiseau. M’envoler où bon me semble, sans dépendre de qui que ce soit, loin des problèmes et surtout avoir le pouvoir de chier sur les gens sans subir les conséquences. Entre deux tirades, j’ai murmuré avec tendresse :

« Ne t’en fais pas Astelle. Un jour, tu voleras comme un oiseau. »

Elle finira par s’émanciper de ses parents surprotecteurs et je suis également convaincue que Mini-Senpai réalisera son rêve le plus cher. La persévérance et la confiance en soi sont la clé, j’aimerai voir mon amie atteindre sa béatitude après toutes les difficultés qu’elle a surmonté.

Les sujets qui suivent prêtent moins à sourire. Lorsqu’Astelle me demande si je ne suis jamais allée au ski, je baisse ma tête comme une enfant qui a honte de ne pas être comme les autres. Mon silence confirme les doutes de mon amie,  n’étant partie que très peu de fois en vacances. Je me souviens d’avantage des étés étouffants en ville que de la brise marine et du sable chaud ; de l’ambiance déprimante de la banlieue l’hiver que de la neige en montagnes. Très clairement, j’ai l’impression d’avoir loupé un tas de choses à mon insu.

« D-dis, Manon... est-ce que… est-ce que tu n’aimes pas ton « chez-toi » ? Est-ce que ça ne se passait pas très bien… ? »

Malgré le tact de la brunette, ma mine est déconfite et mes pieds pendent mollement dans l’eau. Quand Astelle m’interroge sur ma dite fugue, je décide enfin d’ouvrir la bouche.

« Ahah, on va dire que c’est une fugue consentie puisqu’ma mère peut plus me voir. »

Je racle bruyamment ma gorge afin de la dénouer, en vain. À chaque fois que je prononce le mot ‘‘mère’’, un sentiment amer et intimidant m’envahit systématiquement. Mes mains sont moites, ma gorge nouée et mes yeux aussi terrifiés qu’un bébé Skitty. Ayant conscience de cet effet vicieux sur mo corps, je peine à contrôler celui-ci et faire comme si de rien n'est. Pour masquer d’avantage mes appréhensions, mes membres gigotent.

« En fait, j’ai profité du fait qu’ma sœur était chaud pour m’accueillir à Lumiris pour m’tirer. Parce que ouais … ça s'passait pas bien. »

J’éclaircis une nouvelle fois ma voix en fuyant du regard.

« J’sais pas si j’pourrais dire que j’aime pas mon ‘‘chez moi’’. Parce qu’ça reste quand même le lieu où j’ai grandi, des gens avec qui je suis unie par le sang ou par les évènements tu vois … Mais si j’suis partie, c’était une question de survie. »

Je baisse la tête en fixant le vide.

« S’tu veux, j’suis l’enfant inutile qui n’a pas intérêt à créer de problèmes. »

Cette phrase représente l’interprétation parfaite des signaux non-verbaux de ma daronne à mon égard. J’inspire profondément pour essayer de trouver le calme intérieur.

« Tu vois … Ma sœur c’est l’aînée et elle est très intelligente, mon grand frère c’est le chouchou d’ma vieille et Marco c’est le p’tit dernier et forcément le p’tit dernier on l’chouchoute. Quant à moi ... »

Je réfléchis un instant avant d’éclater de rire.

« Ch'uis un peu le Keunotor d’une team de gros balèze ! Genre tu t’dis ‘‘mais pourquoi j’l’ai dans ma team ce gros nullos, il a pas intérêt à m’faire perdre lui’’ ! »

Les larmes qui perlent à mes yeux ne sont pas joyeuses mais tristes.  L’image a beau être rigolote, elle me perce le cœur comme un poignard.

« Bref, y’avait que Papa qui me considérait. Bon, j’avoue j’suis mauvaise langue, ma grande sœur aussi a toujours été très gentille avec moi et Marco me porte beaucoup d’affection mais ... »

Me trouvant un peu longue à la détente, j’en viens aux faits.

« Ça s’passait bien jusqu’à ce que papa meurt, qu’ma sœur s’casse en voyage et qu’Marco s’embarque dans son délire à la Fight Club. J’me suis retrouvée seule avec ces deux gros déchets. Donc ouais, faillait qu'j'me casse très loin. »

Pour ne pas sangloter, je dégaine une énième cigarette. Galérant à l’allumer à cause du vent filant dans mes cheveux, j’exploite ce moment pour faire une pause dans mon récit.

Astelle écouta, suspendue à ses lèvres. Laissant doucement le mystère – l’énigme que représentait Manon à ses yeux – se dévoiler. Une réalité simple vint remplacer les images fantasques qui peuplaient la tête de la jeune fille.

Ce n’était pas l’histoire d’une révolte aventureuse.
Ce n’était pas un épisode de feuilleton romanesque.

C’était juste la confidence, ordinaire et un peu chagrine...

…de sa précieuse amie.

Tandis qu’elle parlait, Astelle ne lui lâchait pas la main. De peur. De peur de voir la mélancolie se refermer sur Manon. Son amie avalée par les eaux amères du souvenir. Leurs doigts entrelacés, c’était tout ce sur quoi elle pouvait compter pour garder Manon à ses côtés.
Cette ligne de vie, qui l’empêcherait de s’aventurer seule dans les profondeurs, Astelle s’assura qu’elle resterait solidement attachée, jusqu’à la fin du voyage.

…mais pour Astelle non plus, le voyage ne serait pas de tout repos.

Elle se sentait tellement sotte !
Il lui était impossible de ne pas comparer leurs histoires respectives. Et celle de Manon… était exactement l’envers de la sienne. Une version plus triste, plus terne, plus terre-à-terre. Une version dans laquelle Manon n’avait pas le loisir d’être capricieuse.
De quoi avait-elle l’air aux yeux de son amie…? A se plaindre d’être trop aimée, trop choyée ? A vouloir fuir ce que Manon n’avait jamais réellement possédé.

Astelle n'était motivée que par l'égoïsme…
…mais pour Manon, partir, c’était une question de survie.
Les mots se précipitaient dans sa gorge. Elle aurait voulu réagir. Rétorquer. Protester. L’étreindre follement et la rassurer. Pourtant, elle n’en fit rien.

C’était la première fois que son amie se livrait ainsi.
Cette confession, par trop fragile… l’interrompre, ç’aurait été la perdre.

« S’tu veux, j’suis l’enfant inutile qui n’a pas intérêt à créer de problèmes. »

De tout son être, Astelle s’insurgea contre cette déclaration.
Entendre ça. Laisser dire ça.
Elle ne l’accepterait jamais.

...
...mais pour l'heure, elle étouffa sa frustration. Et laissa son amie parler.
...même si ce n'était que pour se déprécier davantage.

Manon éclata de rire.
Un son qui lui brisa le cœur.

« Ch'uis un peu le Keunotor d’une team de gros balèze !
Genre tu t’dis ‘‘mais pourquoi j’l’ai dans ma team ce gros nullos, il a pas intérêt à m’faire perdre lui’’ ! »

Le vilain Keunotor de la famille.
Les larmes embrumèrent le regard de la jeune fille.
A voir son expression outrée, non : Astelle ne trouvait pas ça drôle du tout.

Elle se mordit les lèvres pour ne pas répondre. Pas tout de suite. Pas encore.
Usant de toute sa volonté, elle s'astreignit à ne pas bouger. Elle résista à l'impulsion (déchirante !) de venir cueillir les larmes qui noyaient le regard de son amie. En souffrance, Astelle laissait le poison s'écouler de la plaie. Prudemment, sans y toucher, sans prendre le risque d'en stopper l'écoulement.
Il y avait autre chose, et Manon errait, comme pour retarder ce moment où elle lui dirait...

Où elle lui annoncerait la triste nouvelle.
Presque sans y toucher. Sans violence, ni colère. Juste avec la voix un peu de rauque de Manon, en contrepoint du chant de la rivière.

Son papa était mort.

Astelle accueillit l'information sans réagir. Ses lèvres remuèrent, plusieurs fois, sans un son.
L’incompréhension la laissait muette.

Comment aurait-elle pu seulement imaginer, ce que ça faisait, de perdre un être aimé ?
Comme réagirait-elle, si elle devait perdre – un jour – son papa ou sa maman ?

Elle ignorait que ce serait comme si un grand bout de l'univers venait soudain à lui manquer.

On ne pouvait pas… ressortir d’une telle expérience, sans être un petit peu cassé.
Et le décès avait littéralement cassé la famille de Manon, et Manon avec.

Le cœur d’Astelle se serra. L’émotion chassa la couleur de son visage.
Il y avait une ignorance douloureuse au fond de son regard. Elle ne pouvait pas partager ce vide. Elle ne pouvait pas comprendre. Pas vraiment. Le gouffre que Manon avait dans le cœur, elle ne pourrait pas en sonder les ténèbres. Comme pour se raccrocher à la passerelle qui les unissait, comme pour s’assurer qu’elles étaient encore là, reliées l’une à l’autre, présentes l’une pour l’autre, Astelle serra la main de son amie. Très fort. Trop fort.

...

Et puis, ce silence.
Astelle détestait ce silence.

...

Ce n’était pas celui – profond et serein – qui repose après le labeur.  
C’était un silence hanté. Lourd et poisseux.

...

Qui cherchait constamment à vous tirer vers le bas. Qui vous ramenait à vos plus noirs souvenirs. Qui vidait votre regard de sa lumière.
C’était le silence de sa maman.

...

Ce silence…
Astelle résolut de le briser.

La jeune fille libéra finalement la main de Manon, pour lui permettre de manipuler son briquet.
D’abord sans bouger, elle observa son amie en train d’essayer d’allumer sa cigarette, en dépit du vent. En dépit de ses doigts tremblants.

— Tu sais, Manon ? Je dois avoir un genre de super-pouvoir… Regarde : si je mets mes mains ici… commença Astelle d’une voix un peu rauque, en venant abriter la flamme de ses mains en coupe. La flammèche ne tremblote plus.
La cigarette s’alluma. Astelle patienta le temps que son amie en prenne une bouffée, puis poursuivit.

— Et si je mets mes mains là… reprit-elle en faisant glisser ses doigts de part et d’autre du visage de son amie. …peut-être que mon super-pouvoir va agir… et que Manon va arrêter de trembloter elle-aussi… mais je ne sais pas si c’est suffisant… J’aimerais bien avoir des mains plus grandes… et pouvoir la protéger entièrement du vent…

Astella attira progressivement son amie à elle, l’invitant à se réfugier contre sa poitrine. …la différence de taille rendit la position peu confortable, aussi, la jeune fille se laissa lentement tomber sur le côté, jusqu’à ce qu’elles soient toutes les deux allongées sur la berge. Les pieds dans l’eau.

La joue de son aînée reposant contre son cœur, Astelle lui caressa tendrement les cheveux.
— Si tu me fais une remarque sur le manque de « rembourrage », je te mords, Manon.

Elles restèrent longuement dans cette position.
Le visage de Manon tourné vers le ciel, elle observait fleurir les premières étoiles, tout en consumant sa nicotine.

La petite postière posa un baiser dans les cheveux de son amie.
— Je ne saurais jamais quoi te dire pour ton papa… commença-t-elle, hésitante, éperdue, et pourtant résolue à faire entendre sa voix …mais je lui suis reconnaissante d'avoir vu, et d'avoir pu te dire, même un petit peu… que tu n’es pas une moins-que-rien, Manon.
Moi, je ne connais personne de plus fantastique que toi.

Berçant doucement Manon contre elle, Astelle poursuivit ses caresses. Sans se laisser indisposer par la fumée de la cigarette.
— Je suis désolée que tu aies dû fuir… mais, si tu ne l’avais pas fait… je serais encore en train de me faire marcher dessus. De m’étrangler pour ne pas parler, pour ne jamais me révolter. De me laisser traiter comme une petite poupée fragile. De prétendre que tout va toujours très bien…

Ses doigts passèrent dans les longs cheveux châtains de son aînée, ils effleurèrent sa joue, puis son nez constellés de taches de rousseur.
— Ta présence ici a changé ma vie, Manon.
Qu’il y ait des gens qui ne veulent pas de toi… c’est tellement inconcevable…
Alors que je n’aspire à rien d’autre qu’à te garder toujours avec moi…  (Oups. J'ai recommencé...)
…heureusement qu’on est déjà par terre, hein ? Difficile de tomber plus bas… sauf si tu envisages de nous jeter dans la rivière, cette fois !

La jeune fille eut un sourire taquin. Elle se pencha davantage vers Manon, et son visage se substitua aux étoiles.
— Tu peux me causer tous les problèmes que tu veux, Manon…
Moi, je l’aime, Keunotor. D'ailleurs, si tu en étais un… il serait giga-costaud. Et puis, un pokémon inutile, ça n’existe pas ! Il n’y a que des dresseurs inutiles.

Et il faut vraiment être une courgette… pour ne pas savoir quoi faire d’un pokéManon !

Keunotor, version pokéManon.
(Astelle n’a pas tort… il a quand même l’air super balèze.)

— Mais… je suis contente d'entendre que tu ne détestes pas ton chez-toi… quand on ira à Unys ensemble, je veux que tu me montre tous les endroits que tu aimes ! …et même s’il faut que tu t'en éloignes un peu pour le moment, je refuse de croire que cette situation va durer pour toujours.
Et si ta famille n’est pas intéressée par l’idée de te chouchouter… reprit-elle en rougissant un peu. …eh bien ils ne savent pas ce qu’ils ratent ! Quel gâchis. Tout ce bon "Poum-poum Tchaa-tchaa" et personne pour en apprécier le moelleux...!?

Finalement, Astelle referma doucement ses bras autour de son amie, et lui chuchota de sa voix la plus tendre.
— Tu sais, Manon... ? A mes yeux, tu ne serais pas moins forte, ou moins cool, si tu te laissais un peu aller. Depuis qu’on se connait, c'est toujours moi qui pleurniche, j’ai l’impression que tu fais presque tout pour éviter de te montrer en position de faiblesse. Mais… si tu voulais bien m'en donner l'occasion, alors, moi… j’aurais plaisir à te chouchouter.

La tenant abritée dans son étreinte, elle eut pour Manon un sourire radieux.
Éclaboussée des lumières du crépuscule, Astelle conclut d’une voix solaire.

— Laisse-moi faire.
Moi… je vais t’y emmener, au ski. A la pêche et à la plage. Et partout où tu voudras aller.
Je vais t’en organiser tout plein, des goûters d’anniversaires. Pour toi toute seule. Avec d’immenses gâteaux !
…je te soutiendrai toujours, et je ne t’abandonnerai jamais.

Un bref sourire éclaircit mon minois tel un rayon du soleil entre deux tempêtes. Mes mains tremblotent en dépit de mes efforts pour garder le contrôle sur mon corps, je parviens tout de même à allumer ma clope. Prenant une longue bouffée toxique, j’essaie d’apaiser mes maux pour finalement gagner une quinte de toux évitable.

« M’ci Astelle ... » je murmure à demi-mot.

Je me laisse porter par les mouvements de la jeune postière m’amenant près de son coeur. Je baisse le bras en détendant les épaules tout en éloignant ma cigarette des narines de mon amie. Les paupières closent, je profite du silence  pour écouter le bruit de l’eau ruisselant sous nos pieds et du vent caressant nos cheveux et visages trempés de sueur. Les massages crâniens d’Astelle me font somnoler en plus de décontracter mes muscles. J’en oublie de fumer ma barrette de nicotine.

« Si tu me fais une remarque sur le manque de « rembourrage », je te mords, Manon. »

Je ricane avant de rétorquer d’un ton faible.

« Ahah j’me permettrai pas. Au moins j’suis plus proche de ton cœur. »

La stratosphère s’assombrit et les étoiles la décorent peu à peu. Ce ciel gigantesque et bien dégagé me pousse à le contempler et rêvasser. Voulant faire disparaître ma céphalée, je m’imagine planer dans l’espace à la conquête des planètes en compagnie de ma meilleure amie. C’est exactement le genre de chose auquel j’aurai pensé étant mioche.

La brunette très attentionnée tente de me réconfortant avec ses mots doux et rassurant. Le pire c’est que ça marche parce que je ne ressens plus le besoin de chouiner. Un rictus timide se dessine au coin de ma lèvre et mes pommettes rougissent d’embarras. Je n’ai clairement pas l’habitude d’être dorlotée ainsi et j’ai du mal à assumer ma vulnérabilité.

Au fur et à mesure de sa tirade, mon envie de pleurnicher va me faire craquer. Pour Astelle, je suis le plus puissant des Keunotors et son modèle qui l’aide à mûrir. La reconnaissance de mon amie et son respect infini pour mon être ont l’effet d’un baume sur une plaie profonde. Ma gorge se noue et mon corps se serre d’avantage contre Astelle.

« Merci. Je sais que je peux compter sur toi mais ça fait du bien d'l’entendre. »

Mes reniflements trahissent mon sanglot. Mes larmes roulent sur mes joues et ma voix se brise de plus en plus.

« S-si tu veux bien, j’vais pleurer un peu. J’crois qu’ça fait un moment qu’j’ai pas évacué ... »

J’écrase involontairement ma cigarette sur le sol avant de me recroqueviller et gémir de tristesse. Scellant par des pleurs une partie de mes souffrances, je vais pouvoir accepter l’écriture d’une nouvelle page dans le livre de ma vie.

Les pleurs de Manon lui mirent les larmes aux yeux.
La voix d’Astelle devint un murmure feutré, une berceuse rassurante, une promesse dévouée. Ses bras frêles accueillirent la détresse de son amie. Et chaque fois que Manon la regarderait, la petite postière aurait pour elle le plus tendre des sourires.

Le temps s’écoula. Les lumières déclinèrent. Les sanglots s’estompèrent.
Astelle n’avait pas la moindre envie de bouger.
C’était la première fois…
Qu’on lui faisait de telles confidences. Qu’elle était celle à dispenser du réconfort.
…qu’on comptait réellement sur elle.

De petites larmes de bonheur roulèrent sur ses joues, qu’elle essuya très vite en frottant sa frimousse contre celle de Manon.

Néanmoins… plus que ses confessions, ce qu’Astelle désirait de son amie…
En se tortillant un petit peu, la jeune fille parvint à récupérer son pokématos, et pianota dessus d’une main.
— Regarde, Manon, dit-elle doucement en lui montrant l’écran. Avec la reconstruction de Windoria, la préfecture essaie de relancer le tourisme : ce qui implique de grosses promotions sur les séjours dans le nord !

La photographie d’une Windoria lumineuse s’afficha sur l’appareil.



« Envies de voyage ? »

…ce qui lui ferait le plus plaisir…
— Ski, auberge, sources chaudes, stages d’exploration en montagne, tout est compris dans le forfait eeeeet… devine la bonne nouvelle… ?

D’un petit doigt agile, Astelle faisait défiler les images promotionnelles.



« Et après le sport, savourez un bon chocolat chaud ! »

…ce qu’elle souhaitait réellement voir…
— …en tant que membres affiliés à la Dracoposte, je peux nous obtenir la super-super-réduction-aux-petits-oignons ! Il me suffira juste d’envoyer un petit mail à Lucca et Monsieur Chef.

Lui montrant une à une toutes les activités qu’elles pourraient y faire.



« Évadez-vous dans ces étendues sauvages ! »

…c’était son sourire !
— Si on arrive à obtenir un forfait pas trop cher… tu pars en vacances avec moi ? Je t’apprendrai à surfer, à faire du patin et des bonhommes de neige ! Tu vas voir, laisse-moi une semaine et je ferais de toi une championne !

L'écran du pokématos baignait leurs visages d'une douce lueur blanche.
Des images de pokémons Glace dans leur milieu naturel continuèrent de défiler sur l'appareil.



« Aventures et merveilles vous attendent… à Windoria ! »

Après avoir vidé mon sac et un paquet de mouchoir entier, je me décolle de mon amie qui m'offre encore quelques tendresses. Malgré mes paupières gonflées, un sourire serein s'affiche sur mes lèvres. Ramenant mes genoux près de mon buste, ma tête bascule sur l'épaule d'Astelle pour observer ce qu'elle souhaite me montrer.

« Regarde, Manon, avec la reconstruction de Windoria, la préfecture essaie de relancer le tourisme : ce qui implique de grosses promotions sur les séjours dans le nord ! »

Une série de photo de lieux enneigés et féériques me conquit immédiatement. La brunette me propose tout un tas d'activités aussi géniales les unes que les autres : deux semaines à Windoria ne suffit pas pour accomplir toutes leurs suggestions ! Cela me rappelle la bataille de boule de neige et la balade en traîneau où j'ai gardé de très bons souvenirs du l'endroit. Depuis, la ville a dû bien se reconstruire pour inaugurer autant d'évènements pendant les vacances ! Mes pupilles pétillantes expriment mon impatience.

« Ooh oui, j'veux qu'on y aille. J'y suis allée quand ils avaient quasi fini la reconstruction mais maintenant ça doit être ouf ! »

Je passe mon bras derrière Astelle.

« J'suis sûre qu'on passerait des moments tops ensemble. »

Je tourne la tête pour tirer une latte afin de ne pas déranger ma copine. Le mégot me brûle les lèvres me signifiant qu'il est déjà terminé. Ayant peu fumé, je ne regrette pas d'avoir gaspillé la clope, préférant de loin le réconfort de ma pote. Même si je renifle encore un peu, ça va mieux.

« Franch'ment, quand tu veux on s'casse. C'est génial puisque la suite d'mon aventure se poursuit dans le nord ! Et si ton patron est d'accord pour trouver un financement ... Franch'ment moi j'fonce ! »

En examinant la Tiplouf mascotte sur chacune des illustrations, j'imagine mon splendide Prinplouf s'éclater sur ces grands manteaux blancs en jouissant des fêtes chaleureuses d'une petite agglomération sympa. Vue qu'elle a adoré la dernière fois, je suis persuadée qu'en prolongeant notre séjour Ophélia ne serait plus boudeuse mais heureuse.

« C'est décidé, c'est not' prochaine destination ! Et dire qu'on crève de chaud là, c'est marrant de s'imaginer changer d'climat d'un coup. »

Ainsi, comme si de rien n'est, mon moral est remit d'aplomb et je suis passée à autre chose.

Une semaine – ou deux ! – à la neige en compagnie de Manon ! A cette perspective, le cœur d’Astelle s’était mis à chanter. Appuyant délicatement sa tête contre celle de son amie, la petite postière continua à lui montrer des photos, plus rigolotes, d’un Darumacho qu’une inconsciente avait confondu avec un bonhomme de neige (lui plantant férocement une carotte dans la narine), ou de vacanciers poursuivis par des Coquiperl énervés d’avoir remonté le courant à la mauvaise saison.

— Hihi, laisse-moi juste le temps de nous dégotter la meilleure offre ! Et puis, je dois prévenir mes parents, aussi. De toute façon, tu séjournes ici quelques jours… n’est-ce pas ? termina la petite postière d’une voix un peu suppliante, refermant machinalement sa main sur le bras de son amie, comme pour l’inciter à rester.

Manon n’était arrivée qu’hier soir à Kishika, et avait dormi au Centre Pokémon. Après une matinée où Astelle lui avait fait visiter la ville (et les petits chemins de campagne, ainsi que les prés, où elle lui avait présenté  – formellement, en les appelant par leur nom et en explicitant intégralement leurs pedigrees respectifs – pas moins de neuf Moumoutons), elles s’étaient ensuite retrouvées après le repas de midi pour ce fameux combat.

(Ludwig II, Kristof "le fourbe", Lainou, Popo, Trichelieu, Moumou, Jezabel, Kebab, et Bob.
Bien entendu, Astelle lui parla aussi de leurs performances en concours, de la qualité de leur laine et du moelleux de leur petit bidon, ainsi que de celui qui descendait le plus rapidement une pente en roulant : Popo ! C'était Popo son préféré.)

— ...au fait, après m’avoir prêté l’alarme d’entraînement qu’on a utilisé, maman m’a dit de t’inviter à dîner avec nous ce soir, déclara la jeune fille avec un sourire radieux. Je leur ai beaucoup parlé de toi et je crois qu’ils ont très envie de faire ta connaissance ! J’espère que tu peux venir. J’ai très très très hâte que tu rencontres papa et maman !
Les yeux d’Astelle pétillaient de fierté.
Surprotecteurs ou non, la jeune fille adorait son papa et sa maman… et elle était impatiente de leur présenter sa meilleure amie ! A coup sûr, ils allaient l’adorer !

Les photos qui défilent me font doucement ricaner : je me souviens avoir eu affaire à un Darumacho de Galar furieux durant la bataille de boule de neige et quelques uns ont eu la bravoure de l'affronter, vainement. La deuxième illustration me tue de rire en imaginant la détresse ridicule des vacanciers étant poursuivis par une horde de Coquiperls vénères. Moi et ma team c'est sûr qu'on les aurait défoncés ! À mes exclamations, la brunette glousse avant de rétorquer.

« Hihi, laisse-moi juste le temps de nous dégotter la meilleure offre ! Et puis, je dois prévenir mes parents, aussi. De toute façon, tu séjournes ici quelques jours … n’est-ce pas ? »

Je sens la menotte de ma copine serrer mon bras. Avec ses mirettes suppliantes, il est évident qu'elle ne me laissera pas partir : je la vois déjà s'accrocher à ma cheville en se faisant traîner sur des kilomètres jusqu'à ce que je cède. Soupirant comme une vaincue, je souris à la demoiselle.

« Oui oui, j'reste quelques jours mais pas trop longtemps quand même, faut qu'j'poursuis ma quête vers le Nord ! »

Je lève les yeux au ciel d'un air réfléchit.

« Après tout ici y'a d'bons terrains d'entraînements et puis j'pense qu'le village vaut carrément l'détour ... »

Mon amie m'ayant accueillie hier soir, elle m'a fait visiter la ville ainsi que les spécialités du coin. Je suis tombée amoureuse de ces lieux charmants et apaisants, de l'atmosphère calme et reposant ainsi que de cette populace chaleureuse et hospitalière de Kishika. Quelques jours en plus ne me fera pas de mal.

« ... au fait, après m’avoir prêté l’alarme d’entraînement qu’on a utilisé, maman m’a dit de t’inviter à dîner avec nous ce soir.
- H-hein ?!
-  Je leur ai beaucoup parlé de toi et je crois qu’ils ont très envie de faire ta connaissance ! J’espère que tu peux venir. J’ai très très très hâte que tu rencontres papa et maman ! »

Je me relève en faisant les gros yeux. Surprise par mon propre comportement, je me rassure autant que faire se peut. Habituellement, on stresse lorsqu'on rencontre les parents de sa moitié or, même si nous n'avons pas une telle relation avec Astelle, je passe le plus clair de mon temps avec elle et ses darons sont du genre très protecteurs. Si ma tête ne leur reviens pas, il y a des chances pour qu'ils privent leur fille de notre amitié et ce n'est absolument pas envisageable. Je déglutis bruyamment en vivant ces scènes cauchemardesques de dîner avec les beaux-parents dans ma tête. Ayant tendance à imaginer le pire, ce n'est pas une situation qui me met à l'aise. En dépit de mes angoisses, j'accepte la demande de la postière.

« O-ok, c'est assez précipité et j'me voyais pas rencontrer ta mère les yeux tout gonflés mais bon, un r'pas préparé par ta maman et une nuit avec toi ... ça s'refuse pas ! »

Astelle a dû leur peindre un portrait surréaliste de ma personne et j'ai peur de les décevoir. Heureusement que la bouffe sera au rendez-vous parce qu'il est certain que j'aurai pris mes jambes à mon cou face à ce type de requête. Étant plutôt du genre à programmer ces dîners importants loin dans le temps, je refuse toutes propositions me prenant au dépourvu. Seulement, ne pouvant résister à l'enthousiasme de ma meilleure amie, je décide de prendre sur moi pour lui faire plaisir ainsi qu'à mon estomac.

Brisant leur étreinte, Manon se releva précipitamment. Tout à coup, la jeune femme avait le regard sombre... et ses traits s'étaient durcis.  
Est-ce qu'elle avait dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?
Se faisant toute petite par terre, Astelle observa son aînée par en-dessous. Pourquoi une telle réaction ? Toujours attentive à son bien-être, et bien plus perspicace qu'on aurait pu le penser, la petite postière commençait à décoder le comportement de Manon. Cette fois-ci, cependant... elle eut beau se creuser la tête : il lui était impossible de concilier la nervosité de la jeune femme avec son invitation à dîner.
La maison d’Astelle était un petit cocon d’amour et de tendresse. Il n’existait rien là-bas qu’on puisse craindre ainsi.

Incapable de comprendre ou d’apaiser les angoisses de son amie, la jeune fille demeurait immobile. Resserrant ses bras autour de ses genoux, comme pour contrer le froid soudain qui s’installait sur ses épaules maintenant que Manon y avait retiré son bras. Elle hésita plusieurs fois, mais se mordit la langue pour ne rien dire. Dans un silence un petit peu tendu, elle attendit patiemment que son amie dompte ses propres démons.

— O-ok, c'est assez précipité et j'me voyais pas rencontrer ta mère les yeux tout gonflés mais bon, un r'pas préparé par ta maman et une nuit avec toi ... ça s'refuse pas !

La petite postière se détendit sensiblement. Une vague de soulagement chaleureuse lui remonta du cœur, et vint inonder le petit vide glacé qui avait commencé à s’y creuser.
Les personnes qu’elle aimait le plus au monde allaient se rencontrer !
A cette pensée, le sourire d’Astelle se déploya comme une fleur s'ouvre au soleil.

— J’aurais dû t’en informer plus tôt… pardon ! ajouta-t-elle en rougissant. Dans ma tête, c’était tellement évident qu’on serait tout le temps « comme Kokiyas et Ramoloss » pendant ton séjour que ça m'a complètement échappé...

Kokiyas doit mordre le derrière de Ramoloss afin de le faire évoluer.
…curieuse relation que celle-ci.

Rassurée, Astelle se releva avec une expression apaisée. Et comme le bon petit Kokiyas qu’elle était, elle fila tout droit sur le derrière de Manon !
…sauf qu’elle avait une bonne raison. Ce n’était vraiment pas pour lui mordre les fesses.
— Attentiiiion, ne bouge pas… dit-elle en soulevant précautionneusement le débardeur de la jeune femme. …avant de rentrer ce soir, je vais faire un saut chez Tata Ombline et lui demander si elle n’a pas un baume pour les blessures infligées par les capacités Ténèbres.

Elle remonta le vêtement sur la peau pâle de son amie, et... son sourire se fana sur ses lèvres. Redécouvrant les ecchymoses qui s'étalaient sur le dos de Manon, sa gorge se serra douloureusement. Comment avait-elle pu lui faire une chose pareille...? Même par accident...
— Dis… qu’est-ce que je peux faire pour ça, Manon…? demanda-t-elle tout bas. Comment est-ce que je peux me racheter...? Et que faire si… si ça te laisse des traces ?

Maintenant le vêtement relevé, Astelle pressa doucement son front entre les omoplates de son amie.
— Comment se faire pardonner… quelque chose comme ça ?

…mais la voix de la jeune fille n’était pas simplement triste. Elle était également empreinte d’une détermination singulière. Car même dans l'éventualité où Manon n'avait pas de réponse à lui donner... elle chercherait, et trouverait le moyen de réparer son erreur.
— Est-ce que je te dois des massages pour toute la vie ? Est-ce qu’à partir d’aujourd’hui, tu veux que je porte toutes les choses lourdes pour toi, afin de ménager ton dos ? Je suis prête à tout, Manon ! Je voudrais juste… me racheter, comme il faut.

Agir autrement, ou minimiser sa responsabilité dans cet incident... lui aurait été inadmissible.

Le sourire d'Astelle me contamine aussitôt et mes craintes se dissipent. À sa réaction, je la rassure en lui affirmant qu'il n'y a aucun malaise et que je suis ravie de rencontrer ses parents. En même temps, mes propres propos me réconfortent car ayant la fâcheuse tendance à me monter la tête, j'imagine les pires scenarii possibles pour n'importe quelle situation stressante. Pourtant quand j'étais gosse je n'avais aucune gêne à squatter la maison familiale de mes copains !

Subitement, la brunette disparaît de mon champ de vision. Très vite, je capte qu'elle s'est cachée dans mon dos.

« Attentiiiion, ne bouge pas … »

Ses petits doigts chatouillent involontairement mes côtes avant d'agripper mon débardeur. Le feu aux joues, je voile mon embarras en jetant un regard presque aguicheur à mon amie : elle ne m'aura pas, je ne vais pas craquer.

« B-ben alors Astelle, tu veux qu'on passe à l'étape supérieure ? J'te pensais pas aussi entreprenante. »

Je pouffe un rire taquin auquel Astelle ne répond pas. Son silence en dit long sur ses sentiments et je commence à la connaître : elle est en train de mater mes contusions en ruminant sa culpabilité. Bingo, la demoiselle ouvre enfin la bouche pour savoir comment se racheter après une telle bêtise. Je sens son front se coller contre mon échine et sa voix trembler d'amertume. Ramenant mes genoux contre ma poitrine, je reste muette à écouter Astelle tentant de se rattraper pour son acte.

« Est-ce que je te dois des massages pour toute la vie ? Est-ce qu’à partir d’aujourd’hui, tu veux que je porte toutes les choses lourdes pour toi, afin de ménager ton dos ? Je suis prête à tout, Manon ! Je voudrais juste … me racheter, comme il faut. »

Mon éclat de rire apaise l'atmosphère. Ses suggestions sont fortes alléchantes et pourtant, elles ne m'ont aucunement traversés l'esprit alors que c'est l'occasion parfaite d'avoir une femme qui est à mes petits soins. Je me relève un peu en redescendant mon t-shirt jusqu'aux fesses avant de me retourner vers Astelle mes mains sur ses épaules et mes yeux plantés dans les siens.

« Astelle, j'suis carrément chaude pour qu'tu m'fasses des massages à vie. »

Mon visage se détend, laissant apparaître un sourire chaleureux et sincère.

« Mais ça n'annulera jamais c'que t'as fais, jamais tu n'pourras compenser ton acte par un autre. Se racheter, c'est juste pour qu'tu t'sentes bien avec toi-même mais ça change rien à c'qui s'est passé. »

En m'entendant parler, un flashback cauchemardesque noircit mon minois. C'est en me revoyant en haut des escaliers du lycée que je comprends d'avantage les remords d'Astelle. Quand j'ai vu ce garçon débouler violemment des escaliers et les yeux accusateurs de mes camarades, la seule chose que j'ai souhaité c'est de pouvoir revenir en arrière, trouver un moyen de faire disparaitre ce que j'ai fais. Malheureusement, on m'a suffisamment fait comprendre que j'ai atteint un point de non-retour et que j'ai du assumer les conséquences de mes actes. Cependant, la victime, certains anciens potes, mes profs et ma mère n'ont pas su me pardonner ni me laisser une nouvelle chance d'apprendre de mes erreurs et de devenir une meilleure personne : ils m'ont tout simplement reniés et classifiés de délinquante instable. Il est donc hors de question qu'Astelle ressente ce que j'ai pu subir.

« Ceci dit ... »

Relevant ma tête, je fixe avec sérieux mon amie.

« On fait tous des erreurs, l'importance c'est de connaître ses torts et de s'corriger. Tout c'que j'te d'mande c'est ça, ne plus jamais r'faire ça. Culpabiliser ne t'avancera à rien, surtout que j't'ai déjà pardonné. »

J'esquisse mon plus beau sourire avant de lui offrir une douce étreinte.

« Allez va, t'prends pas la tête. T'en fais pas pour moi, j'suis une dure à cuire, mes frangins m'ont fait beaucoup plus de misère que toi et c'est pas pour autant que je les aime moins. »

Le menton posé sur le crâne de mon amie, je contemple le manteau étoilé s'installant progressivement. Je délecte ce moment qui ne ressemble à aucun autre. En rationalisant, je réalise que le passé est derrière moi et qu'ici à Lumiris, j'ai le droit à ma deuxième chance.

En me déliant de mon amie, je lui donne une tape amicale sur l'épaule.

« Allez ! Tu crois pas qu'on a mieux à faire que de chouiner ? Moi j'veux qu'on finisse not' combat ! »

Une fois relevée et les fesses époussetées, je tends ma main à Astelle le visage illuminé de plénitude.

« Et puis faut pas faire attendre ta maman pour le dîner. T'es pas d'accord ? »

En serrant très fort sa menotte dans la mienne, nous retournons sur le terrain vague en suivant le soleil qui s'endort dans la vallée.