C'est un de ces soirs un peu différents, de ces prémices nocturnes un peu troubles et plus grises qu'à l'accoutumée. La fête bat son plein à l'étage et les basses font trembler jusqu'au bar du rez-de-chaussée auquel Cael s'est accoudé. Il mélange sans interruption sa boisson sans y avoir encore touché – les glaçons se sont presque dilués dans le cocktail rendu bleu par le curaçao qu'on y a versé. C'est un de ces soirs un peu particuliers, où c'est sans l'équipe qu'il s'en est allé célébrer ; un de ces soirs où le retour à la réalité est plus compliqué qu'il n'y paraît, un de ces soirs où le clap de fin et les lumières qui s'éteignent sur le plateau ne sont pas assez pour barricader le cœur jusqu'au lendemain.
Le crépuscule d'une de ces scènes difficiles qui bouleversent et chavirent, et Cael abandonne toujours un peu de lui-même dans les entre-lignes du script qu'il égare toujours entre deux improvisations trop émues.

Il soupire et porte enfin son verre à ses lèvres, ferme les yeux et s'éprend doucement de la quiétude animée de l'endroit. On ne le reconnaît pas outre-mesures, ici – sous les néons aux éclats tamisés il s'efface, ombre parmi les ombres qui rouvre les paupières et laisse défiler ses prunelles sur le clair-obscur des silhouettes pressées tout autour de lui.
Il observe les amis qui se retrouvent, les amours qui s'enlacent, les groupes qui se disent à plus tard, ceux qui s'éclipsent et ceux qui restent et – et parmi tous,
un seul visage dont les contrastes accrochent son regard à chaque fois.

Il se mord la lèvre, avale une gorgée de son cocktail puis se lève – c'est avec deux verres qu'il approche de la table repérée,
du point de chute adoré
(un échappatoire au rôle qu'il ne parvient plus à quitter)
et il se penche juste assez pour la certitude d'être entendu par dessus la musique qui cogne depuis les enceintes.

« Il était avec toi, le type avec un sweat bleu, là ? Parce que si oui, j'crois qu'il s'est barré. »

Et si non – s'il y a quiproquo – peu importe
(Cael a déjà oublié).

« Je peux m'incruster ? »

Deuxième verre tendu dans la direction de l'inconnu abordé – le sourire au bord des lèvres est franc mais léger, la fossette à peine prononcée.
Ce soir l'anonymat il s'en moque – ce soir, ce soir, pour ce soir peu importe,
(peu importe de quelle façon)
ce soir il aime l'idée qu'on l'aime un peu.