j'ai pas rêvé la fin du monde ce soir ▬ solo

j'ai pas rêvé les flammes, j'ai pas rêvé les larmes
j'ai pas rêvé les cendres ni le souffle brûlant des ravages
j'ai pas rêvé la nuit, j'ai pas rêvé les drames
j'ai pas rêvé les enfants qui pleurent ni ceux qu'on arme ;

ciel
arceus mais qu'as-tu fait ?

c'étaient des claquements de langue agacés quand, brusquement, les connexions ont coupé – musique muette dans les oreilles, dernier message à destination de flora qui n'affichait qu'un point d'exclamation alarmant
(le message n'a pas été distribué ; appuyez pour réessayer)
rien d'étonnant ça arrive quelquefois, mode avion puis on relance et on patiente pas de service et c'est quoi ce bordel
et puis on voit les gens qui s'étonnent et se regardent, les plus braves s'en vont demander à d'autres vous avez du réseau, vous ? et les plus téméraires je peux vous emprunter votre cellulaire ? mais partout des confusions des excuses qu'on balbutie
moi non plus ça ne fonctionne pas
mais on ne s'inquiète pas – on s'amuserait presque à vrai dire, à voir les silhouettes relever la tête plutôt que de fixer leur écran
(je suis pas bien différent)
redécouvrir le monde autour et s'étonner (tiens ! des gens !)
des conversations timides s'engagent et c'est amusant – comme il suffit de s'aligner sur les mêmes pannes de réseau pour que les hommes apprennent à s'apprivoiser

c'est pas bien tragique et on s'y fait – je range mes écouteurs et puis mon portable, flora attendra bien quelques minutes, ça ne durera pas (pourquoi ce serait le cas ?)
et même moi je me suis pris au jeu – celui des sourires et des politesses, même si c'était rien que du bout des lèvres, croiser des regards qui disent qu'on est tous humains et tous un peu perdus (c'est fou comme on est désemparés quand on n'a plus d'écran pour se cacher)
même moi j'ai cru
que c'était aussi bête
qu'une panne un peu simplette
(les plombs qui sautent, un Pokémon qui balance un peu trop de jus et qui fait péter un truc, un fil qui cède quelque part, sous une antenne-relais quelconque ; les causes sont multiples et on songe à tout sauf au pire
on n'est pas encore rendus à la paranoïa générale
c'est facile de se dire que c'est normal)

le tramway arrive et doucement les âmes se raniment – on les rappelle à leurs responsabilités, il se souviennent d'où ils sont et de pourquoi ils sont là (les nocturnes s'en vont travailler, les autres retournent chez eux, comme moi, auprès de leur famille qui les attend)
et puis le véhicule s'immobilise au milieu des rails et bien loin du quai – stupéfaction et regards en biais
et puis c'est l'obscurité, et les sursauts – les yeux n'accrochent plus le moindre éclat

tout s'est éteint – les réverbères de la rue, les phares du tramway, les panneaux d'indications des prochaines heures de passage. la gare toute entière (la ville en vérité, mais personne ne réalise encore l'ampleur des dommages) plongée dans la nuit et –
la détonation déchire la rumeur sourde et confuse qui enflait doucement – plonge la foule dans un silence angoissant
le sol tremble, et à l'horizon s'élèvent des étincelles dont on ne discerne pas l'origine
un zéphyr brûlant remonte la rue et mord nos peaux – fait pleurer nos yeux

les premiers cris retentissent et c'est ainsi que s'engendre doucement la fin du monde qu'on nous promet depuis longtemps – l'instinct grégaire l'emporte ; les premiers n'ont pas encore atteint le trottoir que les autres suivent, se bousculent et se piétinent
oubliées les minutes complices et les secondes volées aux derniers instants du jour ;
oubliées les raisons placides et les clartés lucides
les hommes sont redevenus chiens-loups – égoïstes et méprisables
méprisés

je file entre les corps aveugles et sourds, m'extirpe de la gare dans un sursaut qui me laisse essoufflé – tout autour de moi d'autres s'immobilisent, frappés par la nuit noire dans laquelle voltapolis est plongée. rien ne brille – plus un lampadaire, plus une fenêtre ;
plus un seul halo pour guider les âmes,
plus un seul éclat pour rassurer quiconque
(quelque chose déconne mais même ça on refuse d'y croire)

mes mains fébriles sur le téléphone portable et toujours pas la moindre barre de réseau – et tous ceux que j'aime me paraissent si loin que c'en est terrifiant
(glacé jusqu'aux os par la solitude étouffante)
j'écris des messages au hasard, à papa, maman, victoria, allen, jenna, ashen et flora – que quelqu'un reçoive, que quelqu'un réponde, n'importe qui
j'écrirais même à elyas si je pouvais, à izaiah, hazel ou wallace si j'en avais les moyens
que quelqu'un m'entende
mais tout me revient sans être envoyé – les point d'exclamation se succèdent mais toutes les tentatives sont infructueuses
je suis seul au monde et–

« Avis à la population. Ceci n’est pas un exercice. Je répète ceci n’est pas un exercice. Tous les résidents de Voltapolis sont priés de se rendre à Némérya dans les plus brefs délais. Veuillez évacuer la ville le plus vite possible. La centrale électrique est actuellement sous un assaut terroriste. Nous demandons à tout un chacun d’évacuer la ville dans les plus brefs délais. Pour tous ceux ayant une aptitude et un intérêt pouvant service au service de police, prière de vous reporter au poste de police de votre ville. Toute aide sera la bienvenue. Je répète: Ceci n’est pas un exercice. Évacuer Voltapolis. Merci de votre collaboration. »

ne règne plus que le chaos – la panique s'éprend de tous ceux qui résistaient encore, ébrèche la candeur de ceux qui s'inventaient des histoires pour se rassurer
(terroriste et évacuer ; ce sont des grands mots pour qui n'a jamais tremblé) et
au milieu du tumulte je ferme les yeux pour noyer le vertige qui me chavire
(haut-le-cœur brusque qui me retourne l'estomac quand j'entends crier et des enfants pleurer)
je m'égare à me rêver ailleurs, je me surprends à me rêver chez moi et
même dans mes rêves de grandeurs, même dans mes rêves de tragédies,
même dans mes rêves de fin et de jours sans lendemain
j'ai pas rêvé ça

j'ai pas rêvé les flammes, j'ai pas rêvé les larmes
j'ai pas rêvé les cendres ni le souffle brûlant des ravages
j'ai pas rêvé la nuit, j'ai pas rêvé les drames
j'ai pas rêvé les enfants qui pleurent ni ceux qu'on arme ;

j'ai pas rêvé la fin du monde ce soir,
j'ai pas rêvé la fin de lumiris dans le noir

(j'ai pas rêvé mourir apeuré, mais peut-être en martyr
j'ai pas rêvé mourir oublié, mais peut-être en héros)

alors quand tout le monde se disperse vers nemerya moi j'avance à contre-courant – je remonte les flots anonymes de visages pétrifiés par la peur et mon cœur lui n'entend plus rien
ma raison moins encore

je lève les yeux et j'aperçois les étoiles
(que voltapolis ne peut plus noyer dans son jour éternel)
on me bouscule et je demeure immobile à fixer le ciel
quand lumiris tout autour plonge dans les abîmes

j'inspire et je tremble
j'expire et j'avance

le choix déjà fait – le sort déjà scellé

(pas une seconde
je n'ai songé à évacuer.)